« Les tribunaux du peuple à la Libération » par Henri Amouroux
Séance de l’Académie des sciences morales et politiques
HISTOIRE
Communication d’Henri Amouroux 9 janvier 2006
Vous m’avez proposé, Monsieur le Président, un sujet difficile, un sujet douloureux : les tribunaux du peuple à la Libération. Mais pourquoi notre Compagnie éviterait-elle les sujets difficiles ? Ils font partie de notre histoire, ils en sont la face sombre.
Il y a près de soixante-deux ans - et c’est encore proche - comment est-il possible que l’Humanité du 25 septembre 1944 ait rendu un vibrant hommage au colonel Bernard - il s’agit d’un pseudonyme - chef du « fameux maquis de Pressac », certes, mais qui avait fait du château de Pressac en Charente, le siège de ce qu’il appelait « la justice du peuple », mot que d’aucuns ne prononçaient qu’avec terreur car ce redoutable tribunal, qui ne s’embarrassait ni d’avocats, ni de prêtres, allait, en trois semaines de juillet, faire exécuter entre 80 et 100 personnes. Le chiffre est impossible à préciser comme sont impossibles à préciser les charges retenues contre les « coupables », toutes les archives du maquis ayant été brûlées par « Gandhi » - encore un pseudonyme - avoué de La Rochelle qui présida le tribunal.
Comment croire aujourd’hui qu’il y a moins de soixante deux ans, 75 miliciens aient été fusillés au Grand Bornand le 24 août... simplement parce que 75 cercueils avaient été commandés deux jours plus tôt à un menuisier d’Annecy ? Le Procureur de la République de Thonon, tout frais maquisard, avait, il est vrai, dit à ceux qui constituaient le tribunal du peuple : un ramoneur, un photographe, un restaurateur, un imprimeur, un comptable, qu’ils n’avaient le choix qu’entre la mort et l’acquittement. Entre 10 h le 23 août et 4 heures du matin le 24, il y aura donc, au Grand Bornand, 75 condamnations à mort et 22 acquittements. Les exécutions, 5 hommes après 5 hommes, durèrent de 8 h à 10 h 15.
A soixante-deux ans de distance, comment imaginer que, sans contrainte et même aux applaudissements d’une partie des Français, aient pu surgir dans presque tous les départements de l’ancienne zone libre, en Ariège, en Ardèche, en Dordogne, en Haute-Garonne, dans la Lozère, la Haute-Savoie, le Gard, la Haute-Vienne, des tribunaux promis à une brève mais terrible existence ?
Tribunaux qui avaient à honneur de ne pas chômer. Parlant de celui de Limoges, M. Guingouin déclara qu’il « travaillait de six à douze heures par jour, samedi et dimanche compris », ce qui lui permit de juger et de condamner à mort en une semaine 45 personnes dont une seule échappa au poteau.
Sur le fonctionnement de ce tribunal de Limoges, on sait seulement, les archives ayant été détruites, qu’il était présidé par un capitaine FTP de 25 ans, assisté de deux lieutenants de 23 ans, que les premiers accusés n’eurent pas de défenseurs et que le tribunal siégeait toujours le 12 septembre, neuf jours après l’arrêté du commissaire régional de la République qui avait légalement mis fin à son existence.
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