Tribunes de Philosophes

"Israël et le destin de la démocratie mondiale" par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains

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[Photo : Accord de réconciliation FATAH-HAMAS en mai 2011, en présence de leurs chefs Mahmoud Abbas et Khaled Mechaâl.]

Les semaines se comptent sur les doigts de la main qui nous séparent d'un tournant irréversible de la politique internationale, celui qui aboutira à une confrontation ouverte, donc claire et franche, mais sans issue entre Israël et le reste de la planète. En juin, la coalition retrouvée de la France et de l'Angleterre pour la reprise en mains des affaires du globe terrestre nous ramènera à 1830, donc au retrait de l'avant-scène du monde d'une Allemagne qui n'aura pas su saisir sa chance aux côtés de Paris. Parallèlement, l'arrivée inutile de la "Flottille de la Liberté" à Gaza achèvera de convaincre Paris et Londres qu'Israël n'est pas un Etat comme les autres, qu'il est vain de lui faire entendre la voix de ses intérêts temporels, vain de lui dépeindre les avantages immédiats et tangibles d'un accord de sa politique étrangère avec les vues de la communauté internationale, vain de prétendre placer cette nation sur l'échiquier ou dans l'arène des relations habituelles et convenues des nations entre elles. Un Etat eschatologique, messianique et sotériologique ressortit à la science anthropologique des théologies rédemptrices que je tente de développer sur ce site depuis le mois de mars 2001.

L'échec inévitable des négociations de Paris en juin 2011 feront cependant progresser la "solution" du conflit du Moyen Orient.

Premièrement M. Netanyahou mettra froidement entre les mains de M. Barack Obama le choix entre un soutien inconditionnel de la Maison Blanche à Israël et sa non-réélection à un second mandat par le peuple américain.

Secondement, M. Barack Obama aura le choix de suivre les directives de l'AIPAC ou d'apporter son soutien aux initiatives de Paris et de Londres, ce qui, pour la première fois depuis 1945, attribuerait à Washington un rôle de second, sinon de subordonné sur la scène internationale face à l'Europe de Talleyrand ressuscitée.

Troisièmement, l'accord de l'Egypte avec l'Iran et la Turquie, ainsi que la conclusion d'un accord entre le Hamas et le Fatah ont d'ores et déjà reçu la signature non seulement de la France et de l'Angleterre, mais de Mme Ashton; et Paris se situe au cœur de l'émergence d'un pôle mondial que rallieront un jour la Chine et la Russie.

Quatrièmement, l'avenir d'une Europe placée au gouvernail du monde de demain rencontre encore l'obstacle de convertir Pékin et Moscou à la cause du printemps arabe.

Cinquièmement, dans la perspective d'une épopée moderne du mythe démocratique, on demande à nos diplomates de lire et d'étudier de près la correspondance de Talleyrand avec Napoléon, Louis XVIII, Louis-Philippe, Metternich, l'empereur Alexandre de Russie et d'autres. Je leur signale que les Mémoires de Talleyrand, éditées pour la première fois en 1891 ont été rééditées en 1982 sur vergé de cent vingt grammes fabriqué spécialement pour cette publication en reliure plein cuir et frappé de fers exécutés d'après des motifs du XIXè siècle.

Si le Quai d'Orsay disposait de fonds spéciaux pour financer l'achat de ces neuf volumes par tous nos ambassadeurs, notre diplomatie redeviendrait une pépinière d'initiés secrets aux affaires du monde.

Afin d'illustrer l'obstacle central qu'Israël présente désormais sur le chemin de l'Europe, ils liront avec profit le passage suivant d'un dialogue de Talleyrand avec l'empereur de Russie. "L'empereur: Que prétendez-vous? - Talleyrand: Je mets le droit d'abord et les convenance après. - L'empereur: Les convenances de l'Europe sont le droit - Talleyrand: Ce langage, Sire, n'est pas le vôtre, il vous est étranger et votre cœur le désavoue. - L'empereur: Non, je le répète les convenances de l'Europe sont le droit. Je me suis alors tourné vers le lambris près duquel j'étais; j'y ai appuyé ma tête, et frappant la boiserie, je me suis écrié: " Europe, Europe, malheureuse Europe." (t.III, p. 249)

M. Juppé sera-t-il le Talleyrand de l'Europe du droit face à Israël ?

 1- Les cerveaux individuels et les cerveaux collectifs
 2 - La Liberté 
 3 - Comment délégitimer la démocratie avec les armes de la démocratie?
 4 - L'Egypte et la Turquie
 5 - L'Europe et l'islam 
 6 - La liberté de la presse et le rang de la France
 7 - Qu'est-ce qu'une grande puissance? 
 8 - La vraie voix de la France
 9 - La France et le bâillonnage de la presse
 10 - L'anthropologie historique et Israël 
 11 - Le verbe tricher
 12 - Le verbe tricher et l'anthropologie critique

*

1 - Les cerveaux individuels et les cerveaux collectifs

Le monde entier a rendez-vous avec ses chérubins. Déjà la planète tout entière se coiffe des auréoles de son éloquence; mais, sur les cinq continents, la religion du saint concept de Liberté est à l'épreuve du sang de l'histoire universelle. Demain, nous saurons si le culte de nos idéalités est un simulacre, une mascarade, un jeu de dupes avec les mots séraphiques qui nous donnent des ailes ou si notre religion de la justice conduira le genre humain à quelques progrès cérébraux.

C'est l'heure que quelques esprits choisissent pour élever leur raison au rang de vigie du ciel des uns et des autres et pour rappeler notre langage à ses devoirs de sentinelle de la vérité, c'est l'heure où la magistrature des serviteurs de notre intelligence politique se voit appelée comme jamais à présider le tribunal de la mémoire du monde. Pour cela, il faudra lui enseigner à séparer les lois du temps des nations des vaines péripéties qui égrènent la course des flots. L'Océan est un roi séparé de la houle qui ride seulement la surface de ses eaux, l'Océan se rit des tempêtes qui démâtent les vaisseaux, l'Océan ignore les voiles que le sourire de son roulis suffit à déchirer.

En tout premier lieu, il faut savoir que l'humanité grouille de cerveaux protégés des caprices du vent et solidement meublés. On recrutera les esprits sans cesse en partance pour des destinations inconnues et avides de suivre des chemins périlleux. En revanche, l'encéphale collectif de notre espèce est lent, lourd et sommeilleux. Pour déplacer cet organe et le rendre quelque peu prospectif, il faut des lustres et quelquefois des générations. Tous nos efforts pour le mouvoir, même sur de faibles distances, mais sur des routes peu fréquentées demeureront vains. Au XIXe siècle, quelques boîtes osseuses plus lucides que celles des foules , mais encore mal outillées, ont remarqué qu'il était impossible de rassembler les multitudes dans de vastes ateliers. Mais comme les remèdes aux malheurs de ce pachyderme étaient empruntés aux recettes de quatre évangélistes, qui avaient pourtant averti les consommateurs que leur thérapeutique trop honnête exigeait une métamorphose préalable et radicale de leur nature, le cerveau collectif des médicastres du salut a négligé cette prescription, de sorte que les élixirs d'un ciel naïf se sont changés en utopies sanglantes.

Mais il a fallu soixante dix-ans aux croisés de leur propre candeur pour apercevoir les fissures qui lézardaient leur saint édifice ; et l'on attendit que leur église tombât dans les crimes attachés aux orthodoxies pour que la démence de leur inquisition devînt visible au globe oculaire du clergé d'un vaste songe. Mais les rétines des survivants de cette pharmacologie en ont conclu qu'elles détenaient les clés de l'histoire véritable du genre humain et de ses déconvenues sous le soleil: il fallait revenir, disaient-elles à l'Eden capitaliste qui avait précédé la catastrophe des apothicaires de la vertu; et comme le sauvetage de l'or et des écus en tas ne résultait nullement des perfections du paradis des marchands, mais seulement des maladies plus inguérissables encore dont les cités idéales sont frappées par leur commerce, il devenait indispensable de travailler à la guérison des infirmités dont souffre l'encéphale des évadés de la zoologie.

2 - La Liberté

Alors un furoncle immense est apparu au Moyen Orient, alors un cancer galopant a commencé de dévorer le cœur du genre simiohumain , alors la civilisation de la liberté, la civilisation de l'intelligence, la civilisation des explorateurs des ultimes secrets de la matière a commencé, sous la direction d'Israël, d'affamer et de briser une ville peuplée de quinze cent mille descendants d'un primate à fourrure.

Il nous faut donc observer de quelles facultés cérébrales nous devrions doter une espèce vaporisée pour moitié dans le ciel de la démocratie et pour moitié dans celui des Eglises et lancer quelques dépisteurs de notre perversité native inspecter les anfractuosités des murailles de cette ville, puis préciser l'itinéraire que ces éclaireurs devront emprunter pour les escalader. Bien que le paysage demeure enseveli sous des brumes épaisses, de sûrs indices nous permettent de tracer les sentiers qui nous permettront de nous approcher des sinistrés et de secourir les premiers blessés. Mais, dans le même temps, il faudra tenir le gouvernail de la raison d'une main ferme et maintenir le cap sans faiblir ; sinon le tribunal de l'intelligence oubliera les responsabilités de sa haute magistrature et se laissera égarer par la jurisprudence des casuistes que les avaries du navire imposeront au droit international public.

Que dit le pilote dont la sagesse dissipera le rideau de fumée des circonstances? Que la liberté est une lionne intelligente. Si vous la lâchez dans la nature, rien ne la ramènera à sa cage. Mais comme elle ne sait où courir, il lui arrive de s'égarer dans la brousse. Alors, elle trouve son chemin à bien observer les tireurs embusqués autour d'elle. Bientôt elle apprend à les reconnaître, à les éviter, à les leurrer; et c'est ainsi que, mieux informée de sa destination et de la nature du port qui l'attend, elle reprend la route et va droit au but. Puis elle s'assagit encore à limer ses crocs - mais jamais elle ne doit oublier ce qu'elle a appris dans la jungle où elle est née et qui lui a servi de premier pédagogue.

Aujourd'hui, elle sait que la jeunesse arabe ne retrouvera pas son éducateur dans les nues, parce que les fauves se civilisent à l'école de leur propre chasse et ne rebroussent jamais chemin pour seulement retourner se loger dans les nues. Comment les aiguilles des horloges dérouleraient-elles le fil du temps à l'envers ? Mais quelle sera la feuille de route de la liberté sur le cadran d'une histoire du monde encore inconnue?

Car le Hamas et le Fatah viennent de signer un accord selon lequel ils s'engagent à former un semi gouvernement. Leur intention est de peser sur les négociations prévues pour le mois de septembre avec l'organisation des membres des Nations-Unies, qui siège à New-York et dont une écrasante majorité votera pour la création immédiate d'un Etat palestinien dont les frontières seront reconnues par la communauté internationale. (voir chapeau)

3 - Comment délégitimer la démocratie avec les armes de la démocratie ?

Quel éloquent retour au bercail ! En 1947, la même assemblée avait enfanté Israël; et elle avait pris grand soin d'assigner ce jeune Etat à résidence: "Tel-Aviv sera ta capitale" était le mot d'ordre qu'on lui avait non point murmuré à l'oreille, mais gravé sur le front. La Liberté arabe serait-elle d'ores et déjà devenue tellement sage qu'elle se serait quelque peu initiée à l'histoire et à la politique réelles du monde? Dans ce cas, parions qu'elle connaît quelques secrets des peuples et des nations. Mais sait-elle qu'ils se ruent sur les enclos qu'on prétend dresser autour de leurs arpents et qu'ils dévorent les lopins qui attendent leurs mâchoires ? De quel œil Israël regardera-t-il le jeune Etat qu'on va loger à ses côtés? Comment saluera-t-il ce frère puîné? "Sûrement, se dira-t-il, il aura les dents aussi agacées que moi en 1947, sûrement, il se fera une pitance légitime des hectares qui attendent sa denture, sûrement, il prendra si bien exemple sur son aîné qu'il criera à pleins poumons: "Liberté, Liberté , et cela non point seulement afin de mettre à son tour la main sur les terres de ses lointains aïeux, mais sur celles, toutes proches, de ses parents et de ses grands-parents. Comment vais-je délégitimer cette jeune démocratie avec les armes mêmes de la légitimité démocratique dont je me réclame depuis soixante-quatre ans?"

4 - L'Egypte et la Turquie

On voit que le navire de l'histoire qu'on appelle la Liberté doit se trouver commandé par un amiral pour lequel les cartes marines n'auront pas de secrets ; sinon sa navigation serait si mal assurée que des rochers cachés sous la surface des eaux viendraient en éventrer la coque. En premier lieu, le capitaine demeurera jour et nuit en communication avec le centre de commandement de la flotte ; car seule l'Egypte est en mesure de prêter aux Achéens la rade d'où s'élanceront leurs vaisseaux. Et puis, la question des préséances n'est pas à négliger sur la scène internationale. Le peuple des pharaons, dont la masse est égale à celle de la Turquie, saura-t-elle tenir d'une main ferme la barre de l'histoire du monde, alors que l'empire ottoman renaît? Le niveau de vie de la population et la production industrielle y ont déjà quadruplé face à la stagnation relative du pays du Nil.

Et pourtant, c'est impérieusement que les avantages diplomatiques de l'Egypte lui dictent le devoir de prendre la tête du tournant de l'histoire qui replacera la civilisation musulmane au centre de l'échiquier du monde. La Turquie, elle, ne parle pas l'arabe, et il faut une nation arabe pour délivrer Gaza. De plus l'Egypte contrôle le Canal du Suez, qui la situe au cœur du monde musulman. Enfin, l'Egypte a une revanche à prendre sur les grands désastres militaires qu'Allah a subis face à la coalition des armes d'Israël et de celles des Etats-Unis. Ses défaites l'ont tellement humiliée que l'âme politique de la nation se nourrit désormais de la fierté bafouée des grands Etats. Enfin, l'Egypte est la fille immortelle de sa propre éternité. Elle a repris les hostilités avec Israël sur le front des six millénaires de la mémoire du monde qui l'ont rendue impérissable. Sans l'alliance de l'Egypte avec la démocratie mondiale, pas d'épicentre musulman du temps de l'histoire dans cette région du monde; mais sans la Turquie, pas de pont à jeter en direction de l'Occident des sciences et des techniques. Par bonheur, les généraux du Caire se révèlent des guides avertis d'un peuple écarté du soleil des arènes depuis un demi-siècle.

5 - L'Europe et l'islam

La seconde difficulté que rencontrera la remise en marche du monde arabe sera le flottement politique d'une Europe qui a quitté ses habits de lumière et qui dort à l'écart de la corrida. Seule La France semble peu à peu sortir du toril: elle se risque à dire que le futur Président de la République sera gaullien. Mais aucun toréador ne se pose encore publiquement la question chirurgicale de l'impossibilité psychologique, pour un Président sioniste, de se montrer favorable à un avenir éclairé et vivant du Vieux Continent, alors qu'on ne saurait placer à la tête d'aucune nation un homme qui se révèlerait déchiré au plus profond de son être entre deux patries, donc entre deux identités nationales. Redisons-le fermement: la cohérence de la personnalité qui s'attache nécessairement à l'identité comme à la fonction d'un Président de tout Etat souverain est incompatible avec la dichotomie psychique d'un dirigeant scindé entre les intérêts fatalement contraires de deux nations aux vocations radicalement ennemies l'une de l'autre.

Or, la planète court à toute allure vers une alliance indéfectible entre les idéaux universels de la démocratie et les sceptres locaux. On disait: "Tel terroir, telle religion". Maintenant on dit: "Tels arpents, tel régime politique" - mais comme il n'existe plus qu'un seul monothéisme, celui du saint concept de liberté, l'antiquité de l'occupation d'un territoire impose son cadastre au ciel des modernes: "possession vaut titre", de sorte que Dieu lui-même perd ses droits par péremption s'il s'est rendu en villégiature pour deux millénaires. C'est ainsi qu'en réalité , la terre seule tient le sceptre de l'universel à la place du Dieu absent, ce qui est démontré du seul fait qu'un autre Dieu vient alors s'emparer des lieux et piloter les têtes en lieu et place du précédent.

C'est ainsi que le conflit intérieur entre les devoirs opposés auxquels l'esprit d'un Président sioniste de la France servirait de théâtre en ferait nécessairement un otage habilement masqué de l'étranger, mais seulement aussi longtemps que la question de la validité des titres à l'existence même de l'Etat hébreu sur la scène internationale ne sera pas ouvertement posée à la conscience démocratique mondiale et résolue par la négative. Mais sitôt qu'elle sera fatalement posée au grand jour de l'opinion publique de la planète, l'heure sonnera inévitablement où il s'agira de savoir si la civilisation de la Liberté se suicidera pour les beaux yeux d'Israël, ce qu'elle ferait immanquablement si elle entérinait l'occupation d'un Etat souverain par la force des armes d'un Dieu périmé et antérieur au dernier arrivé. Or, une telle prétention demeurera étrangère à la nature, au rang et aux attributs de toute nation réelle et reconnue à ce titre au regard du droit international d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Comment la conscience universelle introduirait-elle une exception et une seule à sa loi fondamentale, et cela au profit du glaive du peuple élu?

Cette question est d'autant plus primordiale qu'Israël s'est lié corps et âme aux Etats-Unis d'Amérique, dont il a acheté les institutions et dont il contrôle un par un, et pour longtemps encore les sénateurs et les députés de la chambre des représentants. C'est dire qu'un président sioniste de la République française se trouverait non seulement entre les mains de l'Etat d'Israël, mais entièrement au service du titanesque serviteur américain du ciel et de la terre du peuple élu, de sorte que la dépendance à l'égard de la nation la plus puissante du globe terrestre à l'égard d'un petit Etat puissamment ramifié sur notre astéroïde s'étalerait tellement au grand jour et de manière si criante qu'il lui serait impossible de faire un pas sur la scène internationale sans provoquer l'indignation ou la fureur de ses compatriotes.

6 - La liberté de la presse et le rang de la France

Mais il y a plus : Israël a aussitôt obtenu de l'Allemagne qu'elle s'oppose à la politique de Paris et de Londres. Mais aussi longtemps que l'Allemagne demeurera occupée par deux cents bases militaires américaines et que la péninsule italienne ne sera qu'un gigantesque porte-avion d'outre-Atlantique amarré au travers de la Méditerranée, l'Europe aura seulement passé du rang de vassale affichée du Nouveau Monde à celui d'arrière-cour de l'empire américain et d'Israël. La vocation européenne de la diplomatie française s'inscrit donc tout entière dans la mission qu'une vieille civilisation lui a confiée, celle de la délivrer de l'occupation étrangère. Comment un Président ni entièrement sioniste, ni entièrement français, mais condamné, en fin de parcours, à toujours placer les intérêts de l'Etat d'Israël au-dessus de ceux de la démocratie mondiale tout entière, comment un président dichotomisé, bipolarisé et biphasé sur ce modèle se convertirait-il à la responsabilité d'exercer la première et la plus fondamentale de ses responsabilités à la tête de l'Etat, celle de délivrer l'opinion publique d'une presse nationale et mondiale bâillonnée par Israël?

7 - Qu'est-ce qu'une grande puissance ?

Jamais, depuis l'occupation allemande, la France ne s'était vue contrainte de s'informer auprès de la presse étrangère de ce qui se passe sur le territoire du pays. Comment un Président sioniste consacrerait-il toutes ses forces à redonner immédiatement et en toute hâte leur ancienne liberté d'expression aux journaux de l'hexagone? Comment un Président bifide verrait-il seulement qu'une presse privée de tout vrai regard sur le monde extérieur n'est jamais qu'un effet dûment prévu et recherché du ligotage en amont qui permet à l'étranger de fausser la balance à peser le poids des Etats? Or, c'est la primauté absolue accordée à la puissance industrielle et marchande des nations qui permet de faire croire aux citoyens que la France occuperait seulement le cinquième rang dans le monde, derrière le Japon, l'Allemagne et le Canada, alors que le pays des Samouraïs est un enfantelet du fait qu'il demeure occupé par de puissantes bases américaines soixante-dix ans après la fin des hostilités, qu'il ne dispose pas de l'arme mythologique actuellement régnante sur les imaginations et qu'il n'a pas le droit de veto au Conseil de Sécurité.

De même, l'Allemagne a beau vendre des dizaines de milliers d'excellents aspirateurs et soumettre l'euro à un minimum de discipline prussienne - tant que plus de deux cents garnisons américaines quadrilleront son territoire et qu'elle ne possèdera ni la foudre théologale, ni le fameux droit de veto dont seuls les Etats-Unis osent se servir, elle ne saurait passer avant la France sur la scène internationale. De plus, la littérature et la philosophie allemandes n'ont que quarante lustres, alors que notre langue a exercé un règne continu depuis quatre siècles et qu'elle demeure largement répandue. Quant au Canada, quel ridicule de qualifier de puissance mondiale une pâle ombre portée de son gigantesque voisin!

8 - La vraie voix de la France

Non seulement la France fait jeu égal avec la Chine et la Russie, mais elle pourrait jouer le rôle du dernier et du seul interlocuteur de poids des Etats-Unis si elle savait se servir du levier de l'Europe et défendre les vrais intérêts de la démocratie mondiale face à Israël.

Quelle chance, pour un Talleyrand, que le 14 janvier 2011, les Etats-Unis aient promis à Israël d'opposer à jamais leur refus inflexible et imperturbable à toute tentative de la communauté internationale, y compris de l'immense majorité de l'Assemble générale des Nations Unies, de s'opposer à l'expansion territoriale de Jahvé en Cisjordanie et à Jérusalem! Face à un obstacle diplomatique dont la taille devrait inspirer à la France l'audace de mener une véritable politique étrangère, de quelles armes de guerre disposons-nous? Une seule s'élèvera à la hauteur d'un défi stratégique aussi titanesque, celle de la démonstration patiente et jour après jour dans la presse nationale de ce qu'il n'existe plus, pour l'heure, de Président des Etats-Unis réellement en exercice, plus de décisions politiques autonomes de la Maison Blanche, plus de nation américaine au service des descendants de la guerre d'indépendance de 1775 à 1783, parce qu'une Amérique au service de l'illégitimité morale, juridique et politique d'Israël, ce n'est plus l'Amérique.

On voit que c'est à juguler la presse mondiale qu'Israël impose son hégémonie politique à la planète tout entière et que si la France élisait à la présidence de la République un Français sioniste, ce serait dans l'œuf que le véritable avenir de la démocratie mondiale en serait étouffé, tellement seul notre pays occupe une position tellement centrale sur la planète qu'elle se trouve en mesure de faire basculer le monde entier vers un épicentre nouveau, celui dont le monde arabe et la démocratie mondiale se partageraient l'influence à la faveur du déclin de Washington et de l'ascension de la Chine, de la Russie et de l'Amérique du Sud.

9 - La France et le bâillonnage de la presse

Ce sont ces cartes-là que la presse française et européenne asservie commence de se voir contrainte de faire connaître partiellement, ce sont ces atouts-là que la conjuration internationale des défenseurs de l'hégémonie américaine tente de cacher à tous les regards. Mais, en juin, l'échec des Etats-Unis en Afghanistan coïncidera avec un spectacle dont la portée politique et le retentissement seront immenses, celui du second secours à Gaza de la "Flottille de la Liberté". Cette fois-ci, la France et l'Europe ne pourront ignorer cette croisade, puisque le divorce entre l'opinion mondiale et Israël deviendra spectaculaire à l'échelle de la planète, et cela en raison du changement de cap de cent quatre-vingts degrés qu'Alain Juppé a imposé à une diplomatie française à laquelle il a dessillé les yeux: je rappelle que, sous sa houlette, la France et l'Europe sont désormais entièrement engagées en faveur du tournant de l'histoire du monde qu'illustre le printemps arabe.

Aussi , les historiens futurs seront-ils ahuris, abasourdis et tout pantois de faire connaître à leurs lecteurs et aux écoliers de leur temps que le Quai d'Orsay du début du XXIe siècle avait encore placé des agents d'Israël à tous les points névralgiques de la diplomatie de la France dans le monde et que la représentante de la Ve République en Cisjordanie, pour ne prendre qu'un seul exemple, avait contraint la ministre des affaires étrangères de l'époque à ne se rendre à Gaza qu'après avoir rendu une visite apitoyée et très médiatisée aux parents du soldat Shalit. Mais la presse française laisse ignorer au pays que cent trente professeurs et chercheurs des plus célèbres Universités des Etats-Unis ont protesté publiquement contre la décision du Conseil d'Etat de légitimer l'interdiction prononcée par la directrice de l'Ecole Normale supérieure, Mme Canto-Sperber, de débattre du blocus de Gaza en présence de l'ancien Ambassadeur Stéphane Hessel, de Régis Debray, d'Edgar Morin, de Leila Shahid, représentante de l'Autorité palestinienne auprès des Communautés européennes.

Mais si un peuple de six millions d'habitants a réussi l'exploit diplomatique le plus extraordinaire de tous les temps, celui de mettre la main sur tout l'appareil d'Etat d'une nation de trois cent cinquante millions d'habitants - et, de surcroît, la plus puissante du monde, celle qu'on appelle la Mecque de la démocratie mondiale - comment s'étonner de ce que le public français ne soit pas informé de l'histoire réelle du monde? Décidément, il faudra que la foi en la démocratie nous demeure chevillée au corps pour que la France se souvienne de la vaillance de la liberté, celle que ni Robespierre, ni Napoléon, ni Charles X, ni Louis-Philippe, ni Napoléon III, ni Vichy n'ont réussi à faire retourner dans la jungle. Mais si la Liberté court sur toute les terre habitée sitôt qu'un peuple ardent la chevauche, c'est parce qu'elle s'appelle l'humanité.

10 - L'anthropologie historique et Israël

Il faut une lente et sûre patience pour recenser un par un les obstacles les plus rudes qui se dresseront sur le chemin de la liberté politique de la France, mais également pour peser sur une sûre balance les chances qui souriront à une démocratie qu'Israël menace dans le monde entier et dans son principe même. Mais la science politique d'aujourd'hui n'est pas suffisamment informée des secrets psychobiologiques de l'histoire pour connaître la nature des obstacles à surmonter et les chemins qui conduiront à en dessiner les contours.

Pourquoi sera-t-il à jamais impossible à Israël d'accepter le retour des réfugiés chassés de leurs terres depuis trois-quarts de siècles? C'est que le "peuple élu" est porté par l'orgueil d'incarner le messianisme religieux qui lui donne son souffle. Et pourquoi cet orgueil est-il organique et rivé à une terre déterminée? Parce que les saintes Ecritures de ce peuple ne se focalisent pas sur une seule charpente mythifiée, donc tenue pour immortelle - celle d'un fils unique et souverain de Jahvé, donc chargé de concrétiser à lui seul leur ascendance céleste. Le créateur fabuleux de la chair et du sang du peuple juif contraint chacun à substantifier l'eschatologie collective à titre individuel, à chosifier la sotériologie du groupe à son propre compte, à matérialiser la rédemption de tous à titre personnel.

Le phénomène de la mise en charge du salut du monde sur les épaules des fidèles se retrouve dans toute la théologie protestante, cette religion de l'élection de phalanges de privilégiés de la grâce. On voit que l'enracinement du mythe de la rédemption dans les gènes du fidèle donne à la foi une implantation impossible à éradiquer et qu'Israël n'est pas d'abord un Etat, mais la création d'une humanité radicalement séparée du troupeau commun et dont les pâturages seront à leur tour choisis et définitivement mis à part à l'école du sacré. Dans la mesure où les Etats-Unis s'inscrivent dans la descendance de Calvin, leur connivence avec Israël est d'ordre théologique, ce qui seul explique le poids politique immense du message divin que l'AIPAC adresse à l'inconscient religieux du Nouveau Monde.

On voit qu'il faut une anthropologie du sacré pour apprendre Israël; on voit que si nos sciences humaines devaient demeurer dans l'incapacité d'observer l'origine, l'évolution, l'épanouissement et le trépas des champignons théologiques qui naissent, croissent et s'enracinent dans l'encéphale de notre espèce, les millénaires de l'évolution cérébrale d'un animal espèce onirique de naissance demeureraient indéchiffrables.

Et pourtant, la communauté internationale du XXIe siècle tentera en vain, de légitimer la théologie qui sous-tend les conquêtes territoriales d'Israël entre 1947 et 1973, donc l'occupation de Jérusalem par la force du glaive. Comment tout le genre humain accepterait-il tout subitement de se délégitimer face aux guerriers de Jahvé, comment notre espèce sacraliserait-elle contre vents et marées non seulement la colonisation inaugurale de 1947, mais son extension continue en échange d'un renoncement fatalement provisoire à la colonisation de la Cisjordanie?

C'est parce que le genre simiohumain actuel se trouve encore enfermé des pieds à la tête dans une nasse aux mailles serrées que le blocage de l'anthropologie scientifique , donc l'asphyxie de l'humanisme mondial d'aujourd'hui, conduit à une tragédie dont on ne voit pas l'issue. La planète d'hier se faisait fort d'ignorer le massacre des Incas ou l'extermination des Indiens d'Amérique, parce que l'image et le son n'avaient pas conquis l'ubiquité et l'instantanéité d'aujourd'hui. Mais nos sciences humaines sont tellement bousculées par l'accélération de la rotation de la planète du savoir qu'elles ont l'œil vissé aux " étranges lucarnes ". Déjà la France jette en prison les citoyens français qui refusent de consommer les produits des bouchers de Gaza. Qu'avons-nous à apprendre au spectacle de cinq continents placés sous le joug d'Israël et vers quelle explosion planétaire courons-nous?

11 - Le verbe tricher

Il faut savoir que, pour l'instant et en raison du peu de profondeur anthropologique de nos sciences humaines la reconnaissance éventuelle, par la communauté internationale, d'un Etat palestinien en septembre 2011 se révèlera non seulement bancale, mais nulle et non avenue, parce que la dictature de l'Etat d'Israël sur tout l'appareil d'Etat américain a de beaux jours devant elle, et cela du seul fait que la démocratie mondiale n'est pas près de se résigner à appeler un chat un chat. C'est dire, encore et encore, qu'il nous faut une anthropologie abyssale pour comprendre que seul le Hamas joue la carte gaullienne, que seul le Hamas appelle une occupation par son nom, que seul le Hamas sait que la souveraineté ne se partage pas. Car la science des arcanes de l'espèce humaine nous enseigne que si la logique politique finit toujours par triompher des casuistes, c'est parce qu'elle est l'œil de l'honnêteté d'esprit. Mais qu'est-ce que l'honnêteté d'esprit ? Pour le comprendre, observons un instant comment les idoles trépassent dans les têtes, suivons leurs pas sur le chemin de leur agonie.

Talleyrand, encore lui, raconte qu'après la capture des princes espagnols et leur enfermement à Valençay, Napoléon "prenant un ton goguenard, se frottant les mains et se promenant dans la chambre et me regardant d'un air moqueur, il me dit : 'Eh bien ! vous voyez à quoi ont abouti vos prédictions sur les difficultés que je rencontrerais pour régler les affaires d'Espagne selon mes vues; je suis cependant venu à bout de ces gens-là; ils ont tous été pris dans les filets que je leur avais tendus et je suis maître de la situation en Espagne comme dans le reste de l'Europe.' Impatienté de cette jactance, si peu justifiée à mon sens, et surtout des moyens honteux qu'il avait employés pour arriver à ses fins, je lui répondis, mais avec calme, que je ne voyais pas les choses sous le même aspect que lui et que je croyais qu'il avait plus perdu que gagné par les évènements de Bayonne: 'Qu'entendez-vous par là, répliqua-t-il? - Mon Dieu, repris-je, c'est tout simple et je vous le montrerai par un exemple. Qu'un homme dans le monde y fasse des folies, qu'il ait des maitresses, qu'il se conduise mal envers sa femme, qu'il ait même des torts graves envers ses amis, on le blâmera sans doute ; mais s'il est riche, puissant, habile, il pourra rencontrer encore les indulgences de la société. Que cet homme triche au jeu, il est immédiatement banni de la bonne compagnie, qui ne lui pardonnera jamais."

Depuis soixante ans, non seulement Israël triche à la table des négociations, mais cet Etat ne rembourse pas ses dettes de jeu. Mais si Israël triche à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem, aux Nations Unies, si Israël triche au sein de toutes les nations de la terre, nous ne serons pas plus avancés si nous ignorons la nature et les racines anthropologiques du verbe tricher et si nous trichons sans le savoir, puisque nous occultons tous le sens caché du verbe fondateur de notre étrange espèce. Serions-nous des tricheurs des pieds à la tête en ce que notre langage nous cacherait sous nos auréoles verbales? Le cœur d'une espèce tricheuse serait-il le vocabulaire même de la démocratie universelle ? La tricherie démocratique serait-elle le cœur battant du monde, quand nous confions à Israël la tâche de nous aider à tricher davantage au chapitre de la définition même de la démocratie ? Car enfin, que demandons-nous à cet Etat, sinon de rendre schizophrénique une démocratie mondiale dont l'oracle proclamerait: "En deçà de telle frontière, tes conquêtes seront démocratiques, au delà, tu seras un conquérant."

12 - Le verbe tricher et l'anthropologie critique

Mais voyez comme le tricheur s'empêtre dans ses tricheries, voyez comme la vérité politique se fait jour sur les pas du tricheur. Fort de la blessure dont la démocratie porte la cicatrice, le chef du gouvernement israélien l'étale sans vergogne à tous les regards: "Puisque la légitimité de notre occupation de cette terre se trouve souverainement acquise, s'écrie-t-il et que vous en proclamez vous-mêmes à cor et à cris les titres à jamais irrévocables, aucune négociation de paix n'est désormais possible avec les premiers occupants et vous vous contredisez jusqu'à la moelle à entériner l'alliance du Fatah avec le Hamas, lequel n'a cessé, depuis son acte de baptême, de contester méchamment notre droit de nous promener en long et en large en ces lieux. Comment trahiriez-vous votre vocation de fidèles hérauts des droits de Jahvé d'aller et venir sur ses terres? Commencez donc par demander au "peuple palestinien", comme vous dites, qu'ils reconnaissent Israël comme l'Etat du peuple juif."

Voyez comme M. Netanyahou se prend les pieds dans le tapis, voyez comme il fait progresser la vraie question en sous-main et à son corps défendant, voyez comme elle se démasque malgré elle, la tricherie à laquelle la planète se livre à lever les yeux au ciel et à joindre les mains pour la prière: ou bien, de guerre lasse, la communauté internationale entérine, aux yeux d'un droit international de confection, les conquêtes arbitraires par nature et par définition d'Israël et, dans ce cas, je ne donne pas cher de l'âme et de la foi de votre démocratie mondiale, car jamais ce régime politique ne se relèvera d'un péché originel non seulement indélébile, mais qu'elle ne cessera d'infecter davantage. Comment l'Europe n'éteindrait-elle pas l'esprit d'une civilisation à contraindre la religion de la Liberté à offrir l'assassinat d'un peuple sur l'autel de l'histoire du monde!

Mais, si vous légitimez un Etat juif ramené à ses frontières de 1947, regardez comment l'encéphale du genre humain s'y prend pour ramper encore de quelques pas vers la vérité politique; car vous n'obtiendrez jamais de la masse cérébrale d'un Etat viscéralement sotériologique et rédempteur qu'elle se glisse hors de la coquille de son messianisme. Elle s'auto-détruira donc, me direz-vous, son eschatologie innée se dissoudra d'elle-même et le "peuple élu" retournera à la diaspora.

Vous n'y êtes pas. Comment voulez-vous que les occupant de cette terre chue du ciel, ce corps et ce sang de Jahvé, ces quelques arpents de la délivrance d'une nation où les élus de l'éternité ont fait leur trou se changent en un Robinson Crusoé enfermé sur son île déserte, alors que les places financières du monde entier lui font une enceinte de forteresses inexpugnables.

Mais alors, la spectrographie anthropologique d'une tricherie inscrite dans nos gènes et dont notre espèce s'est fait son joyau se nourrit depuis des millénaires se changera en une science de notre cervelle d'une valeur inestimable, celle dont le peuple juif aura fait don à l'humanité de demain; car cette épine dans notre chair nous rappellera que "Dieu", Israël et nous ne ferons jamais qu'un seul et même tricheur.

Quel confesseur du monde que Tartuffe, le conquérant masqué, quel casuiste invétéré que le tricheur !

Le 8 mai 2011

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