Tribunes de Philosophes

"Le Conseil constitutionnel et l'esprit des lois" par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains.

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Avertissement

Par sa décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel a validé la loi votée par le Parlement le 3 mai, qui a légalisé le mariage entre des citoyens et des citoyennes du même sexe. Cette décision a été, en fait, annoncée dès le 16 mai, puisque dans sa conférence de presse, le Président de la République a ingénument révélé qu'il y avait entente préalable entre lui-même et le Conseil et qu'il promulguerait la loi sitôt que la décision de constitutionnalité aurait été officiellement communiquée à la presse.

De mon côté, j'avais prévu la timidité et la parcimonie de l’argumentation juridique du Conseil et souligné que ses carences culturelles ouvriraient le débat de fond sur l'assise l'ultime des lois de la République et sur la vocation philosophique d'une institution expressément fondée le 16 juillet 1971 aux fins de protéger les libertés du citoyen dans un Etat de droit.

Je constate que, pour la première fois, une loi soumise à l'appréciation souveraine de constitutionnalité met en évidence l'insuffisance de l'information du Conseil et de sa réflexion sur la véritable nature de sa fonction de peseur d'une législation. Il est, en effet, bien évident, comme il fallait s'y attendre, que cette décision donnerait son plein essor à une prise de relais de grande ampleur de la pesée des civilisations sous la plume des philosophes, des historiens, des psychologues, des psychanalystes, des pédiatres, des sociologues et des historiens. Un Conseil constitutionnel qui méconnaît son destin intellectuel, mais un Conseil constitutionnel désormais condamné à s'élever au rang d'un examinateur du cerveau onirique de l'espèce, quelle rencontre de la science politique avec la pensée rationnelle de demain, mais également quel carrefour du tragique d'une civilisation si l'intelligentsia d'avant-garde du monde entier marginalisera les juristes les plus éminents de l'Etat. Le Conseil recevra d'autres mains que des siennes la balance nouvelle dont les plateaux accueilleront des poids inconnus - les fondements biologiques du droit et l'éthique ultime des lois. 

*

 1 - Le Conseil constitutionnel et la philosophie du droit 
 2 - Une philosophie de l'esprit de justice
 3 - Qu'est-ce qu'une preuve juridique ? 
 4 - La cécité théologique et la cécité tout court
 5 - Le galimatias démocratique
 6 - De la nature du recul intellectuel du Conseil constitutionnel
 7 - L'impératif kantien des démocraties
 8 - Le Conseil constitutionnel et la philosophie de la République
 9 - Le Conseil constitutionnel et les lois non écrites 
 10 - Un capharnaüm législatif
 11- Une nouvelle littérature fantastique
 12 - La prosopopée des lois

*

1 - Le Conseil constitutionnel et la philosophie du droit

Si la mission confiée par la République au Conseil constitutionnel se réduisait à exercer une surveillance du pouvoir législatif de pure forme et si sa vocation naturelle à contrôler le Parlement et le Sénat l'appelait seulement à jouer le rôle d'un gardien de la lettre des lois, un quarteron de grammairiens ferait fort bien l'affaire. L'Académie d'une République de façade veillerait à la constitutionnalité du langage du droit et cette basoche se contenterait de valider les lois à la lumière des dictionnaires. Mais tout législateur est un peseur que sa vocation appelle à légitimer les lois civiles et pénales à la lumière d'une philosophie de la justice. Cicéron a doté le droit romain de son temps de l'armure souveraine de la dialectique. L'éloquence du barreau n'est rien, disait-il, si elle ne demande aux juges de soumettre les tribunaux aux raisonnements des grands logiciens. C'est pourquoi, depuis sa fondation, le 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel exerce le pouvoir de préciser et d'étendre le champ de la déclaration sommitale de 1789, ce qui n'a cessé d'élargir l'assise juridique et d'augmenter le poids politique et moral de ce guerrier de la République.

Mais si seul un examen du sens profond des lois peut nous éclairer sur le combat d'estoc et taille que mène une législation pour ancrer le droit dans une connaissance anthropologique de notre espèce, la philosophie n'est-elle pas une autorité judiciaire dont les arrêts définissent le statut non seulement de la raison humaine, mais de la lanterne qui l'éclairera? Il serait donc irrationnel de s'en tenir à la tautologie qui s'énoncerait comme suit: "Une loi est constitutionnelle quand elle est conforme à la Constitution", parce que la philosophie place la notion de conformité sous le joug de l'intelligence, donc de la pesée critique, ce qui ouvre un champ immense à l'examen de "l'esprit des lois", comme disait Montesquieu et aux verdicts d'une balance dont le fléau inscrit les oracles de Thémis sur le cadran des cités.

2 - Une philosophie de l'esprit de justice

Il faut donc demander aux philosophes d'allumer la mèche de l'esprit de justice et de nous livrer les noms des fabricants de la bougie du droit; puis de nous dire quels matériaux de la raison les forgerons de la loi ont frappé sur l'enclume de l'entendement politique des Etats; puis de nous conduire jusque dans l'atelier du législateur, afin de nous initier sur place à la connaissance abyssale du genre humain qui seule permettra de peser les peseurs en retour. Si le conseil constitutionnel n'était pas un cénacle de profonds philosophes de la logique des lois et de la cohérence interne de leurs énoncés, donc un séminaire de scrutateurs avertis des arcanes du droit civil et pénal, il s'agirait, redisons-le, d'une équipe d'affûteurs des recettes des Etats et d'un peloton de procéduriers flanqués d' une association de sophistes de la République - et leur tâche se réduirait au métrage d'une scolastique des lois.

Pour entrer à pas de loup dans la véritable pesée d'une civilisation de l'alliance des droits de la justice avec le tribunal de la raison et pour tenter de nous initier à l'âme d'une République dont le message philosophique aura inspiré sa Constitution, il faut nous demander quelle est la surréalité de l'intelligence, donc le type d'extériorité du regard de la logique dont se réclame la pesée d'une législation placée sous la surveillance d'une dialectique; et pour soulever le problème de la spécificité du recul intellectuel des examinateurs du cerveau humain à l'égard de l'assiette même des jugements dont usent les savants du droit, il faut placer sous la lentille du microscope les relations internes que la science des lois entretient avec le système probatoire qui couronne et guide les boîtes osseuses spécialisées dans cette discipline, donc avec le genre particulier de preuves et de démonstrations auxquelles ces maîtres s'autorisent à recourir dans leur enceinte propre.

3 - Qu'est-ce qu'une preuve juridique ?

Supposons qu'un conseil constitutionnel de pédagogues du ciel des chrétiens aurait corseté les arbitrages de l'autorité royale au sein de la monarchie de droit divin et que ces éducateurs auraient exercé la charge semi théologique et semi-régalienne d'apprécier la mise en conformité du contenu et du vocabulaire des lois civiles avec l'ordre du cosmos et avec l'ordre terrestre alors impérieusement confondus; supposons ensuite qu'une loi de 1542 aurait interdit la diffusion et la propagation des principes de l'astronomie blasphématoire que Copernic venait de publier sur son lit de mort, afin d'échapper au bûcher, mais dont la démence allait jusqu'à nier la course du soleil au-dessus des têtes et à reléguer notre astéroïde au rang d'une goutte de boue contrainte de courir à perdre haleine autour d'un soleil supposé se tenir immobile dans l'étendue.

Ce Conseil constitutionnel n'aurait pu réfuter la pernicieuse hérésie d'un ennemi du bon sens et de la raison commune sans faire valoir au préalable les preuves alors tenues non seulement pour solides, mais pour irréfutables par nature et par définition: le saugrenu de la mécanique du profanateur polonais avait beau crever les yeux, il ne suffisait pas d'observer du matin au soir la course du soleil dans le ciel pour réfuter une impiété évidente, encore fallait-il invoquer l'autorité incontestable de celui qui avait énoncé et promulgué la loi, à savoir, le créateur de l'univers lui-même, qui avait daigné révéler des vérités cautionnées par l' infaillibilité de son sceptre; et c'était de sa personne qu'on semblait contester les prérogatives surnaturelles et la bienveillance si l'on entendait rejeter les arguments, même absurdes, des hérétiques et des iconoclastes. Comment se fait-il que les grilles de lecture ne soient jamais gravées sur les rétines, mais dans les têtes? C'est que les preuves sacrilèges ou pieuses ne portent jamais que sur des signifiants rationnels ou religieux - les faits tout nus ne sortent de leur mutisme et ne charrient un sens terrestre ou divin que si une herméneutique se charge de les faire parler haut et fort.

4 - La cécité théologique et la cécité tout court

Un grammairien et latiniste du début du XIXe siècle, l'abbé Cuet, distinguait non sans humour deux espèces de galimatias, le simple, auquel l'auditeur ne comprend goutte et le double, que le locuteur ne comprend pas davantage. Dira-t-on que, de nos jours, le Conseil constitutionnel n'ayant plus à réfuter les arguments de Copernic, parce qu'il se trouve dépossédé d'une herméneutique biblique de l'astronomie de taille à l'y contraindre, il se trouverait néanmoins aussi désarmé qu'en 1542, mais à front renversé, parce que le galimatias de l'Etat laïc lui demanderait maintenant de rejeter le verdict des sciences de l'enfance aussi résolument que l'Eglise du XVIe siècle rejetait l'héliocentrisme? Quel sera le moule cérébral de la démocratie et de la République si le Conseil constitutionnel devait ignorer, et sans les examiner en rien, les constatations des psychanalystes, des sociologues, des éducateurs, des historiens et tutti quanti, comme si le naufrage de la théologie réfutait les arguments des nouveaux Copernic, dont les observations sur la constellation de l'enfance établissent que le soleil de la jeunesse ne tourne pas autour de l'Etat, mais l'Etat autour du soleil de la jeunesse et que la République ne saurait reléguer le printemps de la nation parmi les dommages collatéraux du géocentrisme démocratique?

Quel charabia que celui de la déesse Liberté si le naufrage de la Révélation biblique des ancêtres, le seul canon d'un calibre à faire couler à pic la barque du sens commun, condamne maintenant toute la science moderne des aurores du monde, que François Mauriac appelait la "sainteté de la jeunesse", à capituler devant le galimatias d'un Etat dont l'exécutif, à la fois souverain et ptolémaïque, n'aurait plus à tenir compte ni du jugement des théologiens du Moyen Age, ni de celui des yeux et des oreilles des savants psycho-pathologues du XXIe siècle? Dans ce cas, le trépas du céleste vieillard n'aurait donné le pouvoir qu'aux Gorgias et aux Thrasimaque de la démocratie. On voit à quel point il est devenu nécessaire d'observer à la lumière d'une anthropologie philosophique et critique l'articulation flottante d'une législation de sophistes des berceaux avec le système probatoire censé en démontrer la validité: il s'agit de peser à leur tour rien moins que la surréalité des preuves scientifiques dans les crânes et la qualité de leur ajustage à leur objet.

5 - Le galimatias démocratique

Résumons: une théologie sûre de sa sophistique croyait porter un regard impavide et à jamais garanti par le ciel sur la problématique, absurde à ses yeux, d'un certain Copernic. L'artillerie de Dieu refusait à l'astronomie d'un apostat toute autonomie tant de l'exactitude de ses observations que de l'autorité de son code explicatif et de ses calculs. Mais si c'est l'autarcie accordée tour à tour à la raison des croyants et à celle des observateurs qui fait retentir la cloche du verbe comprendre dans l'une ou l'autre école de la vérité, comment allons-nous contraindre le Conseil constitutionnel de s'expliquer à la fois sur son mutisme théologique et sur son mutisme scientifique ? Le sceptre de l'exécutif le ferait-il reculer comme hier la foudre du ciel? Et si le nectar de la peur fait décidément la loi jusque parmi les gardiens de la loi, le philosophe va observer les poids respectifs du sceptre de la force et du miel du droit dans les institutions des Républiques.

Car la politique cache le tranchant de son glaive sous le vêtement de la science de l'enfance comme hier sous la robe de bure du Franciscain. Voyez comme le grand Polonais transportait, lui aussi, hors de la forteresse des faits observés et sans seulement s'en douter, la balance de la raison expliquante de son temps; s'il n'avait pas cru aux feux d'une logique des évidences dont la géométrie tridimensionnelle d'Euclide lui fournissait l'enceinte naturelle et la lanterne, il n'aurait pas disposé de l'extériorité cognitive et du recul épistémologique dont l'intelligibilité de type copernicien fournissait les lumières de sa problématique à tout le genre humain.

On sait qu'en ces temps reculés les clartés de la géométrie des Grecs étaient censées irréfutables et que la grammaire de la nature codifiée par Aristote en véhiculait le chargement. Si le Conseil constitutionnel tombe du galimatias théologique, qui est simple, dans le galimatias double évoqué par l'abbé Cuet, il se trouvera contraint de conquérir un regard d'anthropologue sur une République nouvelle, celle d'un galimatias dont le despotisme s'envelopperait dans les plis du drapeau de la Liberté.

6 - De la nature du recul intellectuel du Conseil constitutionnel

Comment se fait-il que plus de quatre décennies après sa création, le Conseil constitutionnel des Cujas d'une République du droit mise en place en 1971 par M. Pompidou et constamment renforcé depuis M. Giscard d'Estaing, qu'une telle institution, dis-je, se trouve encore dépourvue de toute distanciation philosophique et critique à l'égard de l'esprit des lois de la France de 1789? Car deux siècles après la Révolution, l'intelligence interprétative des lois n'a pas encore remplacé le surplomb du Zeus agonisant des chrétiens par un aréopage terrestre plus crédible que celui des docteurs du concile de Trente. Comment le monde moderne va-t-il se colleter avec la transcendance qui l'habite et qui lui avait fait enfanter ses idoles?

Car enfin, s'il est démontré que ses dieux extérieurs, l'humanité les avait tirés de son propre fonds, comment ce fonds n'aurait-il pas vocation d'enfanter le dieu intérieur de la France, dont le Conseil constitutionnel serait l'accoucheur, et comment, deux siècles après 1789, la raison humaine n'enfanterait-il pas le ciel cérébral de la transcendance des droits de l'homme?

Mais si les peseurs actuels des lois de la Gaule contemporaine ne disposent plus du regard d'aucun Olympe sur le code probatoire qui servait autrefois d'assiette au législateur, pourquoi les membres de cette assemblée de laïcs rendent-ils désormais leur entendement plus muet et plus aveugle qu'une théologie, et cela au point de s'autoriser à passer outre d'un seul élan et avec un bel entrain aux démonstrations, évoquées plus haut, des psychanalyses, des pédagogues, des psychologues, des anthropologues, des sociologues, des pathologues de l'enfance et des historiens, lesquels jugent unanimement que l'adoption des couvées humaines par des couples homosexuels, tant masculins que féminins serait catastrophique au sein d'une société majoritairement hétérosexuelle ? Comment se fait-il, encore une fois, que ces laïcs tâtonnants adoptent une attitude plus obscurantiste que celle des théologiens du Moyen Age, qui reconnaissaient du moins qu'il leur fallait opposer à l'outrecuidance de Copernic, puis de Galilée la foudre des preuves et des démonstrations cachées sous l'os frontal d'un personnage aux raisonnement irréfutables?

7 - L'impératif kantien des démocraties

Risquons l'hypothèse dangereuse selon laquelle le Conseil constitutionnel d'aujourd'hui ne serait pas encore composé de philosophes et d'anthropologues intrépides, comme le demandait Platon dans sa République. Dans ce cas, il se condamnerait à renoncer purement et simplement à la mission politique et intellectuelle qui lui a bel et bien, et fort impérativement, été confiée par la République de la raison philosophique de la France; et il se déroberait effrontément et tout tremblant aux prérogatives juridiques attachées à la haute fonction qui l'a placé au cœur du devenir d'un Etat paradigmatique. Mais puisque les Républiques pensantes ont perdu les armes de l'épouvante religieuse dont disposaient les clergés, ce serait en vain que des lois soumises à l'impératif kantien de faire progresser sans cesse leur logique interne emprunteraient la voix du Parquet, tellement l'éloquence feutrée d'une Liberté devenue acéphale ne ferait pas reculer un Conseil plus intimidé que terrorisé par un exécutif décérébré. Les gardiens de la loi peuvent dormir in intramvis aurem: aucun tribunal de la religion de la Liberté ne les citera à la barre des témoins, aucune loi armée de sa transcendance propre ne fera comparaître devant elle ses sentinelles et ses pédagogues endormis.

8 - Le Conseil constitutionnel et la philosophie de la République

On voit la portée anthropologique de la question kantienne des fondements philosophiques de la légitimité ultime d'une institution-pivot dont la souveraineté transcende, en fait, non seulement celle de l'Elysée, mais celle de l'Assemblée et du Sénat, même dans le cas où ces deux instances se réuniraient en congrès des défenseurs du ciel démocratique pour destituer le Président de la République, puisque la pesée de la constitutionnalité de cette destitution serait encore, du moins en principe, du ressort exclusif du Conseil. Mais le revers de la médaille commence de se montrer: si le Conseil n'est responsable devant personne, un suffrage universel censé doté de l'infaillibilité des suffrages du peuple de la Liberté pourra se trouver trompé à son tour, et cela par les gardiens mêmes de la Constitution, parce que le silence des sentinelles de la loi suffira à réfuter l'impératif catégorique de la souveraineté du citoyen.

On voit la puissance redoutable de faire taire une nation entière devant le sceptre d'une institution à vocation philosophique, mais dont les acquiescements peureux à un pouvoir arbitraire se changeraient en une papauté irréfutable : l'impunité même du Conseil tournerait vers le sol le pouce d'un César républicain. C'est dire que si les vigies de la Constitution ne fondaient pas leur plus haute légitimité sur la royauté d'une raison transcendante au temporel et au contingent, elles tomberaient entre les mains d'un Etat à la fois anarchique et despotique - et la fatalité de leur chute parmi les tyranneaux de l'exécutif résulterait du seul fait qu'aucune instance judiciaire ne se trouvera habilitée à arrêter le torrent d'un despotisme auquel de faux gardiens de la loi donneront libre cours.

9 - Le Conseil constitutionnel et les lois non écrites

C'est pourquoi la levure la plus philosophique de l'Etat de droit se trouve désormais testée par une démagogie électorale dont le venin s'attaque de front à la santé mentale d'une enfance orpheline de l'Etat rationnel et dont l'éducation nationale ne donne plus de contenu philosophique à la laïcité. Certes, il fallait oser, il y a quatre décennies, poser la question de l'ultime légitimité des lois au sein d'au sein d'une République fondée sur la raison et prendre le risque de soulever l'interrogation focale du statut de l'intelligence humaine au sein des démocraties. Mais c'est sans en être devenu conscient que le Conseil a fait débarquer Platon dans la réflexion des Etats sur les fondements du droit public sous tous les régimes politiques du monde, et cela du seul fait qu'il a placé sur la terre entière le droit international sous sa propre surveillance, à la manière du Sénat romain, dont on admire tellement la constance et la fermeté tout au long des guerres puniques et qui s'était plié de sa propre autorité à une épuration annuelle et silencieuse de ses membres, comme Tite-Live ne le rappelle qu'au détour d'une phrase.

Sans doute le grand historien passait-il comme chat sur braise, parce que la question du fondement philosophique des lois est trans-scripturaire: on chargera en vain une loi écrite de garantir en toutes lettres la constance d'une ascèse politique intériorisée. Seule la voix de Platon et de Sophocle venait rappeler à la conscience politique du Sénat de Rome - comme elle en viendra à le rappeler au Conseil constitutionnel de la France - que le droit est l'oracle de la trans-littéralité des lois et que leur voix retentit dans le temple de la vie politique des Etats délivrés des échafaudages analphabétiques. C'est pourquoi on appelle le droit international public le "droit des gens", c'est-à-dire des gentes - des peuples.

Certes, Joseph de Maistre soulignait à juste titre que la légitimité seulement terrestre du pouvoir judiciaire est un édifice dont il est impossible de multiplier à l'infini les étages. Mais la Cour de cassation n'est pas habilitée à peser le contenu des lois blotties dans leur berceau, tandis que le Conseil, si peu philosophe qu'il se sache, fait débarquer jour après jour et le plus souvent à son corps défendant la question du statut de l'Etat de droit dans le débat sur le fondement philosophique du genre humain. Et puisque tout citoyen engagé dans un procès au pénal se trouve désormais habilité à demander au Conseil si l'accusation dont il fait l'objet ne ressortirait pas à une justice d'exception subrepticement glissée dans la place par l'exécutif, c'est bel et bien parce que le Conseil est devenu le Vatican laïc des nations civilisées et que si cette institution n'a pas de philosophie de la personne à faire valoir sur la scène internationale, elle n'aura pas conduit la Révolution française à poursuivre son chemin, alors que cette mission lui a été expressément confiée par sa loi fondatrice.

10 - Un capharnaüm législatif

Quel est donc le jardin le plus originel dans lequel le royaume des lois enracine sa transcendance ? Pour accéder à ce terreau de la réflexion anthropologique et philosophique, il suffit de se remémorer la première alliance du droit avec l'Etat, celle qui enfanta la cité de Pallas au VIIIe siècle avant notre ère. Il est revenu à Athènes de retirer les assassins des mains vengeresses des familles des victimes et de substituer la colère de lois alors sans pitié à la fureur souvent impuissante des particuliers aux bras inégalement armés. L'Etat d'un côté et un droit pénal encore sauvage de l'autre se sont voulus des fleuves parallèles, complices et délivrés de la peur; et l'on a vu leurs eaux mêler le souci de l'intérêt général le plus originel aux exigences d'une répression demeurée barbare. Nous sommes les descendants de la mutation la plus inaugurale du sang des sociétés; et c'est cet héritage d'une hémoglobine à la fois civilisatrice et meurtrière qui nous fait demander aux régisseurs des ambigüités et des indécisions du sexe s'ils obéissent encore à la passion de leurs prédécesseurs de défendre le bien commun.

Car le législateur actuel entend enivrer les citoyens d'une odeur inhabituelle et malsaine. Les peuples ne savent plus comment changer les effluves de la loi en miel de l'intérêt général. Les élytres de Solon et de Lycurgue ont vieilli. Les voici devenus habiles à faire vrombir des senteurs nocives à leur reproduction naturelle. Est-il une question qui mette davantage la pathologie des nations sur la balance de leur épuisement politique que celle de savoir si leur classe dirigeante demeure au service de la ruche ou seulement des intérêts à court terme des essaims aux antennes ennemies des fleurs? Dans ce cas, il faut se demander si les nouveaux chefs des cités se sont interrogés sur les effets pervers de leurs parfums. Qu'adviendra-t-il de la vie quotidienne des diverses catégories d'Adams et d'Eves embarquées, par les caprices de la biologie dans une tempête des chromosomes.

Exemple: qu'en sera-t-il des accouplements actuellement taxés d'incestueux par tous les législateurs de la reproduction humaine? On sait que, dans les dynasties de la haute Egypte, les unions conjugales entre frères et sœurs étaient monnaie courante. Quelques siècles plus tard, Xénophon, puis Quinte-Curce racontent qu'à Babylone l'épouse du grand-roi pouvait se trouver fécondée par son fils aîné. En France, la parturition chrétienne a longtemps recouru aux mariages consanguins à la cour, et cela au nom même de la monarchie de droit divin, parce qu'on les jugeait indispensables à la préservation d'un trésor précieux, celui de la pureté du "sang bleu" des Capétiens et de toute l'aristocratie issue de Clovis - car ce sang immortel n'était autre, croyait-on, que celui dont les artères du fils de Dieu avaient canalisé la coulée jusque sur la croix, puis dans le ciel de l' éternité du ressuscité. La découverte des ravages de la consanguinité des époux sur le capital génétique du dauphin a été trop tardive pour faire connaître à temps l'origine biologique de la progression des malformations physiques des héritiers du trône. Quant à la prohibition fort ancienne, et d'origine céleste, elle aussi, de l'inceste à Athènes, elle résultait de l'observation, au sein des monarchies terriennes, de l'évolution malencontreuse des progénitures royales de ce type. Aussi le mariage d'Œdipe avec sa mère avait-il été interprété comme une vengeance terrifiante, mais juste, des dieux outragés - dans Œdipe à Colonne, Sophocle sera le premier à ébranler la croyance à la responsabilité pénale des victimes d'une fatalité aveugle.

11- Une nouvelle littérature fantastique

Pourquoi cette apparente digression sur l'anarchie sexuelle dont la nature a frappé le genre humain? Parce que les dangers génétiques attachés à la procréation coupable d'autrefois se trouvent entièrement écartés par l'innocentement massif et incontrôlé des mariages artificiellement scellés entre deux hommes ou entre deux femmes. La science biologique du XXIe siècle laissera nécessairement le champ libre à la prolifération des unions conjugales entre l'oncle et le neveu, le père et son fils, la mère et sa fille, des frères ou des sœurs, jumeaux ou non. Dans les décombres des civilisations fondées sur la famille hétérosexuelle depuis la nuit des temps, comment le législateur demeurerait-il motivé par le seul souci du bien commun, dès lors que, sur toute la terre, l'appât de la victoire électorale de tel ou tel parti sera devenu l'enjeu central de la politique des peuples et des nations démocratiques?

Qui peut croire que les démagogues de demain rejetteront le vivier d'Uranus? On n'a pas besoin du roman futuriste pour savoir que ce gisement sera exploité. Le législateur, réveillé en sursaut, prendra-t-il alors seulement connaissance des conclusions des spécialistes de l'équilibre psychique des enfants adoptés par les couples les plus monstrueux? Mais comment interdire des mariages incestueux de ce type si leur stérilité garantie protège la société du danger de la consanguinité ? Borges disait que la théologie ressortissait à la littérature fantastique. L'invasion de parfums enivrants dans le jardin du fabuleux des démocraties érotisées par les floralies du mariage universel ouvrira le roman sentimental au fantasmagorique amoureux dans la République des Lettres.

Mais si le Conseil constitutionnel se réveillait pour découvrir la légèreté d'esprit du législateur et son ignorance du genre humain et s'il en concluait in extremisqu'une loi ne saurait régler négligemment et comme en passant - donc à titre collatéral - le sort de milliers d'enfants en bas âge, comment argumenterait-il alors qu'une fraction du corps électoral de la génération précédente lui coupera la parole. Car elle bénéficiera d'une promotion politique irréversible, et cela en raison même de sa singularité biologique; et elle profitera d'une position stratégique privilégiée pour jouer un rôle décisif dans la récolte des moissons électorales?

En 1542, le Conseil constitutionnel d'une monarchie branchée sur le ciel aurait eu le choix, ou bien de défendre les syllogismes de droit divin qui fondent les religions dites révélées sur l'autorité d'une catéchèse du vrai et du faux, ou bien d'examiner à la loupe les preuves dites physiques de l'astronomie de Copernic. De même, il sera demandé au Conseil constitutionnel d'aujourd'hui d'obéir à son devoir d'examiner à l'œil nu l'argumentation scientifique des spécialistes de la psycho-pathologie de l'enfance et de dire clairement si, dans un Etat laïc, l'exécutif est autorisé à promulguer une loi sans se justifier en rien ni devant le tribunal de l'anthropologie critique, ni devant celui de la sociologie, ni devant celui de la psychanalyse, ni devant celui de la mémoire historique. Comment une République fondée, sur les apanages de la pensée rationnelle depuis 1789 soustrairait-elle sa législation tout ensemble aux verdicts des autels d'autrefois et à ceux de la science d'aujourd'hui - sauf à jeter aux oubliettes le fondement même de la constitutionnalité des lois de la République, à savoir l'alliance de la politique avec la pensée et de la démocratie avec la science?

12 - La prosopopée des lois

- "Sache que l'Etat tombé dans l'absurde et auquel tu devrais servir d'œil de lynx nous ligote à un sceptre ennemi de la nature des lois, sache qu'un tyran aveugle et dur d'oreilles a jailli en armes des urnes de la Liberté, de la Justice et du Droit, sache que ce tyran exige de nous que nous remettions tout palpitants les enfants du pays entre les mains des couples du même sexe. Dis à cet Etat en folie, dis à ce despote du grotesque, dis à cette démocratie de Polyphème qu'il ne nous livrera pas sans résistance à un propriétaire minoritaire de la législation du pays, dis à cet Etat qu'aucun tyran n'avait imaginé d'augmenter le nombre de ses électeurs au prix de notre asservissement au désir d'enfants de quelques-uns, dis à cet Etat que nous ne nous laisserons pas asservir au sceptre aveugle et muet dont il est devenu l'otage, dis à cet Etat que la tyrannie de ses songes ne fera pas passer le suffrage du peuple français sous les fourches caudines d'une démence ridicule, dis à l'Etat d'Uranus qu'on ne vassalise pas l'immense majorité des élus de la nation au nom du sexe en gloire de quelques-uns, dis à cet Etat que l'Assemblée et le Sénat ne laisseront pas garrotter la jeunesse à un caprice de la nature répertorié et légitimé dans son ordre depuis des millénaires, dis à cet Etat que le droit civil n'est pas l' otage d'une déviance enfin déculpabilisée, dis à cet Etat que les lois de la République sont à l'abri de l'errance et que nous attendons de toi que tu répondes au rang et à la grandeur de ta vocation, dis à cet Etat de quel sommet de l'intelligence et de la raison de la France tu armes ta sagesse et ta voix."

Quel spectacle que celui de la rencontre des démocraties avec l'intelligence et le cœur de tout le genre humain! Il est des évènements oraculaires par nature. L'histoire des civilisations prendrait-elle parfois rendez-vous avec sa propre image réfléchie dans son miroir? Alors les lois de la République ne sont plus des figures de style, des effigies trompeuses, des silhouettes réduites à des ombres dans la caverne, mais des récits symboliques. Puisse le langage des signes et du sens de la politique redonner à la France la voix et les armes de l'intelligence.

Le 18 mai 2013

Visiter le site officiel du philosophe Manuel de Diéguez

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