Tribunes de Philosophes

"Comment porter l'affaire Bettencourt au cinéma?" par le philosophe Manuel de DIEGUEZ, un des plus grands philosophes contemporains

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Le septième art et la science des Etats

Introduction 
1 - L'affaire Bettencourt en appelle à un Pétrone de la corruption des démocraties kafkaïennes
 2 - Les métamorphoses de la poule au pot
 3 - Les plats cuisinés de la justice de la France 
 4 - L'affaire Bettencourt et le Ministère de la justice
 5 - Un feuilleton haletant
 6 - Un film sur l'odeur de l'humanité
 7 - La justice jacobine et la justice girondine sous l'œil de la caméra 
 8 - La France américanisée 
 9 - La République bafouée 
 10 - Les cours d'assise girondines 
 11 - L'agonie de la France des lois
 12 - La caméra de la France de demain
 13 - Qu'est-ce que la démocratie ? 
 14- Des poupées de cire et de sang 
 15 - Cinéphiles de tous les pays …
 16 - Le droit international et la procédure d'extradition 
 17- L'odeur du monde 
 18 - La sainteté athée

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Introduction

La semaine dernière, j'ai observé que la folie raisonne à merveille, puis bute soudainement sur un illogisme de grande portée anthropologique, puisque le sujet tombe en extase devant un souverain à la fois rédempteur et cruel. Comment se fait-il que la bonté contrefaite du despote du ciel reproduise exactement celle d'une Amérique vassalisatrice de l'Europe et d'une religion fondée depuis deux millénaires sur la "sainteté" d'un tortionnaire de sa créature dans les souterrains sanglants de son éternité ? La folie divise donc l'humanité entre le courage et la peur et, à ce titre, elle est universelle.

Cette semaine, l'œil de la psychiatrie anthropologique - on l'appelle la philosophie - se donne un autre globe oculaire du "Connais-toi", celui de la caméra qui filmera une France oscillante entre la putréfaction de son Etat et l'invocation de l'autorité dite tutélaire d'une République à laquelle le mythe sommital de la Liberté apporte le trésor de sa fausse délivrance. La politique est donc, elle aussi, l'otage d'une théologie schizoïde.

La semaine prochaine, je m'interrogerai sur le sens de la formule célèbre d'André Malraux selon lequel "le vingt et unième siècle sera spirituel ou ne sera pas". Puisque six mille ans de culte des idoles ont conduit l'humanité au psittacisme d'une foi ritualiste et formaliste, la sainteté athée rallumera le flambeau de la vie spirituelle. Mais si, depuis son évasion de la zoologie, le genre humain est en guerre contre son propre pourrissement, qu'est-ce que "l'esprit"? L'Occident de la raison peut-il donner son vrai sens à l'élan d'une pensée critique qui ne cesse d'enflammer les chefs-d'œuvre de la littérature mondiale des feux de leurs saintes profanations? Quelles sont les relations que l'intelligence philosophique entretient avec le génie littéraire et ce dernier avec le "spirituel" selon André Malraux?

A cette question, Umberto Eco commencera de répondre dans son Cimetière de Prague qui ne paraîtra en traduction qu'au mois de mars chez Grasset. Dès le 23 janvier, je vendrai un peu la mèche à mes lecteurs .

1 - L'affaire Bettencourt en appelle à un Pétrone de la corruption des démocraties kafkaïennes 

Le bruit court que plusieurs grands cinéastes se proposent de porter à l'écran l'"affaire Bettencourt", comme la rumeur a d'ores et déjà baptisé ce chancre pourrissant sur les cinq continents. Il faut espérer qu'il naîtra un Fellini ou un Renoir des gangrènes planétaires pour élever ce scénario de la putréfaction non seulement à une dramaturgie générale de la politique et de l'histoire du sordide, mais à une spectrographie du cancer qui entraîne les grandes démocraties kafkaïennes dans une ruine de leur justice parallèle au naufrage dans lequel leur vénération aveugle pour l'argent-roi les entraîne.

Mais jamais encore l'appareil judiciaire d'une civilisation du commerce et de l'industrie - elle avait gravé les emblèmes de la démocratie sur l' écusson d'un affairisme mondial - n'avait sombré dans des gouvernements livrés à une maquerellerie d'Etat, jamais encore les intrigues de l'office et l'odeur des vieilles dames riches n'avaient occupé à ce point le devant de la scène, jamais encore un Président de la République aux attributs régaliens n'avait donné à une France demeurée éprise des fastes de la royauté le spectacle de l'immoralité des cours versaillaises jaillies des entrailles malades du suffrage universel.

Les malversations titanesques des juges romains sous Claude ou Néron n'étaient connues que des proches de l'empereur de la sesterce, et au pire, d'un Sénat asservi aux spéculations des délateurs, tandis que la scène juridico-financière moderne en appelle au talent d'un Pétrone ou d'un Juvénal de la corruption de notre astéroïde. Certes, les démocraties apostoliques de l'ère soviétique ont fait cautionner les évangiles de Karl Marx par un prolétariat converti à l'utopie politique, ce qui avait permis de confectionner des procès internationaux en hérésie sur le modèle d'une mise en scène stellaire des péchés plus théâtrale que celles du Moyen Age; certes, l'accusé se trouvait cloué sur un banc d'infamie astral par une instance fulminatoire messianisée à nouveaux frais; certes, une orthodoxie intergalactique tombée de la dernière pluie faisait la loi dans les consciences cosmiques; certes, l'inquisition judiciaire dont la Terreur de 1793 avait magistralement copié les oracles avait permis de faire monter sur les planches du Ministère public des Républiques de la justice force grands prêtres d'une liberté évangélique régénérée, force missionnaires d'une Thémis censée forgée sur l'enclume de la raison universelle, force apôtres d'un nouveau mythe du salut dont l'Etat révolutionnaire, donc missionnaire se voulait à la fois la voix et le bras séculier. Mais l'affaire Bettencourt nous fait entrer dans le laboratoire de l'ultime métamorphose de l'histoire de la démocratie mondiale, celle où le César Birotteau, marchand parfumeur, de Balzac a rencontré sa postérité politique.

2 - Les métamorphoses de la poule au pot 

Souvenez-vous de l'affaire de la poule au pot d'Henry IV: on y voit maintenant un Etat démocratique humer les effluves d'alcôve d'une impératrice des colorants capillaires, on y voit un Etat de mouches à miel monter à l'assaut d'une multi milliardaire demeurée ardente du sexe, on y voit un Etat dont la cécité s' offre le nectar et l'ambroisie d'un gigolo sur le retour, on y voit un Etat dont les narines flairent les flancs de la reine moribonde de la ruche. On connaissait les tyrans prédateurs; mais jamais encore un grand cinéaste n'avait eu l'occasion de graver sur les nouveaux parchemins de la mémoire de l'humanité qu'on appelle la pellicule un document aussi tragique que la chute de la France de M. Nicolas Sarkozy dans une guerre des cosmétiques aux dépens d'une princesse des coiffes, des barbes et des oreillers.

On imagine ce que deviendrait le dialogue entre le Rubempré d'une Europe grisonnante et l'acteur du trépas d'une nation qu'incarne M. Nicolas Sarkozy sur la scène internationale si la caméra d'un grand cinéaste mettait en scène les deux personnages et en orchestrait les répliques. Depuis près d'un siècle, le septième art a pris le relais des tournages de Balzac, de Tolstoï, de Swift, de Shakespeare, depuis près d'un siècle, le grand cinéma a permis de présenter dans l'ombre des salles obscures l'épopée et la fresque d'une histoire du sang et des armes, depuis près d'un siècle, le grand cinéma a livré aux foules plongées dans la pénombre l'ossature et la musculature de la vie et de la mort des hommes et des nations.

Hier, un Michael Moore a donné à Clio la folie de la guerre d'Irak à décoder, demain un nouveau Godard gravera la cruauté et la démence du siège de Gaza sur la rétine du ciel des caméras. On dirait que les grands cinéastes portent le globe oculaire des Cervantès, des Sophocle et des Eschyle dans leur tête. Ils ont fait descendre notre espèce dans l'Hadès de la mémoire sanglante du monde ; ils ont contraint une espèce effarée à plonger dans les charniers souterrains de son Histoire. Si le génie d'Homère a émigré du royaume de la navigation à celui de l'image en mouvement, c'est sans doute que chaque siècle se donne des moyens océaniques de peindre ses héros. Les planches du théâtre où Euripide faisait débarquer des cintres les dieux fatigués des Athéniens ont été remplacées par une salle de spectacle béante sur l'Erèbe, que nous appelons maintenant le globe terrestre. Or, ce spectacle-là, on ne le voit en plein jour qu'à le regarder avec les yeux des ténèbres; et le cinéma pilote le monde avec les yeux des morts.

3 - Les plats cuisinés de la justice de la France 

L'affaire Bettencourt attend des grands cinéastes de la mort qu'ils élèvent le septième art à la capacité d'enfanter dans la douleur des vivants un personnage tellement inconnu que jamais encore on ne l'avait vu monter sur la scène et qu'on appelle un Etat. Tolstoï nous montre du doigt des généraux qui ont fait l'histoire de la Russie, mais non les affres de l'accouchement des nations au forceps des Etats. Un dramaturge de la caméra portera-t-il sur les planches et donnera-t-il à voir en chair et en os les géniteurs titubants et pourtant de fer qu'on appelle des Etats?

Pour l'heure, les capteurs de la mémoire du monde se sont résignés à ne peindre que des insectes agrippés aux commandes des fauves, alors que l'Etat réel est un accoucheur abstrait, un cyclope gros d'un peuple grouillant, un Titan incapturable et respirant. Et pourtant, il n'est pas de corps plus réel que celui des phalanges de suçoirs fixés aux rouages et aux ressorts du monstre mécanique. Quels acteurs visibles que les escadrons de microbes qui donnent leurs muscles, leurs charpentes et leurs griffes aux Etats condamnés, eux, à demeurer invisibles et insaisissables en leur essence cinématographique!

Heureusement l'Etat que l'affaire Bettencourt a mis en scène est un manchot tellement bicéphale, heureusement, ce personnage schizoïde se place tellement à mi chemin entre les valets de chambre et les ors du palais, heureusement ce gâte-sauce se met tellement en porte-à-faux entre son apparat branlant et les odeurs de l'office qu'il sera sans doute possible à l'anthropologie critique d'en esquisser la silhouette avec suffisamment de précision pour inciter un Sophocle des bancalités, un Shakespeare des marmitons, un Fellini du bas-empire français à enrichir le cinéma mondial d'un chef-d'œuvre impérissable. Mais quel artiste de la caméra mettra-t-il en scène un Elysée et un Etat affairés à faire bouillir les plats cuisinés dans les catacombes de la justice sépulcrale de la France? La pellicule retrouvera-t-elle le génie du dessin animé afin d'illustrer à la fois la République des Bridoison et la fée Carabosse? Décidément seul le récit symbolique rivalisera avec un Méliès du tragique, un Michael Moore du fantastique, un Fellini du fabuleux, un Godard de la naissance virginale du cinéma.

4 - L'affaire Bettencourt et le Ministère de la justice

Prenons l'exemple du parc d'attraction qu'est devenu le Ministère de la justice des Raminagrobis de la France, prenons l'exemple du procureur général près la cour de cassation, M. Nadal, qui visite les stands de l'exposition des exploits de Thémis et complimente la hiérarchie des officiants de sa balance. On sait qu'il lui a fallu plusieurs mois pour prendre la décision imposée par la loi d'ordonner à un certain procureur Philippe Courroye, qui traînait les pieds dans les entrelacs du procès, de nommer de toute urgence un juge d'instruction fouineur dans l'affaire de l'écervelée et presque nonagénaire parfumeuse qu'un gigolo homosexuel et sexagénaire a séduite et qui lui a extorqué, tout à la suite, un milliard d'euros, des toiles de maître, un titre de légataire universel dûment signé devant un notaire complaisant, des assurances-vie d'un montant astronomique, une île dans l'Océan Indien, des rémunérations de nabab au titre de conseiller-parfumeur de première classe et l'achat de ses clichés de photographe pour la somme exorbitante de près de trois-quarts de milliard d'euro.

Les démêlés de Mme Bettencourt avec sa fille, qui tentait vainement de protéger le coffre familial des effractions d'un séducteur et de faire simplement appliquer la loi française sur les successions défrayaient la chronique nationale et mondiale depuis plus de trois ans. A ce compte, le prédateur était devenu une sorte de scénariste de sa propre métaphore, tellement l'Etat calamiteux de M. Nicolas Sarkozy se gavait des sucreries, des gâteries et des plats cuisinés de la Ve République finissante! Play-boys de haut vol, médecins à la trousse achetable, psychologues de service, psychanalystes-augures, avocats à la gibecière grande ouverte, gestionnaires de fortune maffieux et ministres avides de remplir les caisses de leur parti autant que leurs poches, tout cela faisait un long cortège d'effigies de cour et de foire. A leur tête, un Porfirio Rubirosa de la farce photographique illustrait l'ultime agonie des Michel Ange et des Raphaël dans les déclics d'une machine à produire des images dispendieuses de la banalité du monde; et tout cela faisait danser et tressauter une civilisation attirée par l'odeur d'or et de confiture d'un roi Midas de la teinture des crinières; car, pour la première fois de son histoire, l'humanité avait perdu ses cheveux blancs et sa silhouette fatiguée, pour la première fois, les descendants du chimpanzé gardaient jusqu'à la fosse un heaume de couleur vive.

5 - Un feuilleton haletant

Notre procureur Courroye se pavanait si élégamment sous les lambris de la cour aux cheveux teints qu'il défiait jour après jour et de plus en plus ouvertement l'onction embarrassée de M. Nadal. Mais lorsque l'impudence de ses ronds de jambe était allée jusqu'à défier encore plus avant les atours de la plus haute autorité judiciaire du pays, et cela jusqu'à citer en correctionnelle le juge du siège chargé, si possible, de placer la vieille dame sous tutelle, le directeur de Marianne avait fait connaître aux lecteurs de son hebdomadaire les démarches de chambellan de l'ambitieux procureur de cour auprès de sa propre autorité, ainsi que de tous les journaux de la capitale aux fins de se faire nommer, dans la foulée, procureur général de la République des colorants capillaires. Cette fois, le procureur général de la République des droits de l'homme se décide à passer outre aux ordres crépitants du César des couloirs et à enjoindre d'une plume bien enrubannée au supérieur hiérarchique dudit procureur Courroye de renoncer à instruire un dossier aussi difficile à parfumer.

Mais l'odeur des écus de la vieille dame ne cesse d'empuantir le marais: elle monte maintenant du ministre du budget, qui a fait salarier sa propre femme par la multimilliardaire afin de l'aider à frauder le fisc français. Ses effluves trouvent désormais leur source parmi les valets de chambre, les majordomes et le personnel de maison, qui ont placé des micros sous les tables de la salle des délibérations du conseil d'administration des richesses du Pérou; et les enregistrements des odeurs du trésor des Incas avaient été confiées par les domestiques et les maîtres de cérémonie du Palais à un grand ex-journaliste du Monde, M. Edwy Plenel, qui en avait publié un florilège panoramique sur son site internet. Puis la justice, saisie d'une plainte pour viol des secrets du marécage avait refusé, tant en première instance qu'en appel, d'accéder à la demande pressante de la place Vendôme d'interdire la divulgation des odorances de l'Etat et du pourrissement de la nation. Puis de molles perquisitions courroyeuses dans les appartements et jusque dans la chambre à coucher de la reine avaient fait connaître urbi et orbi les recettes du séducteur sommital de la République. Le cancer galopant de la prodigalité sénile se révélait de plus en plus le chef d'œuvre d'un géant des alcôves.

6 - Un film sur l'odeur de l'humanité

Du coup, le juge des tutelles, qui se refusait obstinément, lui aussi, de se saisir du dossier aux écus d'or, et cela nonobstant la livraison à son cabinet de deux coffres bourrés de preuves patentes de la faiblesse mentale de la malheureuse multimilliardaire, ce juge entêté, dis-je, a soudain paru saisi d'un malaise. Impossible de respirer plus longtemps la pestilence des chancres entassés dans un troisième coffre; et, le voilà, incredibile auditu, qui accepte d'instruire la plainte pour abus de faiblesse contre l'escroc en dentelles. Il est temps, dit-il, de mettre un terme aux difficultés de galanterie de l'Etat. Le tribunal de Nanterre reçoit l'ordre de protéger les poumons de la République en éloignant de quelques centaines de kilomètres la nécrose des organes respiratoires de la France et le juge Courroye se voit dessaisi de son trésor sépulcral.

Hélas, il ne s'agit que d'une ultime échappatoire de l'Elysée et de la chancellerie; car toute la procédure de Circé se trouve réléguée dans une des juridictions les plus éloignées de la capitale, et cela "dans l'intérêt de la justice", comme chantent les Sirènes du code de procédure civile de la République. Or, non seulement le maire de la ville de Montaigne et de Montesquieu qui reçoit le colis à dépiéger se trouve promu au même instant au rang de Ministre d'Etat et de Ministre de la défense, mais, par une étrange coïncidence, le procureur général de la capitale girondine vient d'accepter les yeux fermés et sur ordre de l'Etat d'enrichir de toute urgence le droit pénal de la France d'un délit tombé avec la dernière grêle: l'Etat demande maintenant à tous les Parquets de la République d'embastiller par la force des baïonnettes les citoyens effrontés qui se rendraient coupables d'une hérésie effrayante, celle de refuser d'acheter gentiment, de payer rubis sur l'ongle et de consommer du meilleur appétit les produits alimentaires en provenance des colonies d'un Etat-tyran du Moyen Orient.

La puanteur d'une démocratie mondiale des esclaves aux yeux crevés monte désormais d'un globe terrestre tellement enchaîné dans les latrines du système solaire qu'il n'ose plus, même du bout des lèvres, accuser Israël de faire pourrir, aux yeux du monde entier une ville d'un million et demi d'habitants. Que faire des psaumes et des cantiques qui montent des pourrissoirs de la Révolution de 1789? On voit que Fellini, Bergman ou Godard sont au rouet. Un film sur l'odeur des geôles de l' humanité, un film sur l'odeur de notre astéroïde, un film sur l'odeur d'une sphère de boue et de rochers évadée du soleil il y a plusieurs milliards d'années, quel défi universel aux ressources scéniques du septième art, quel pied de nez des galaxies aux caméras de demain, quel engloutissement du génie de la pellicule dans le vide du cosmos?

Certes, dit le cinéaste de la nuit de la France, la procédure aurait sans doute suivi un cours théâtralisé par le législateur si le procureur général Nadal avait eu le temps de publier les mémoires d'une République des ténèbres; certes, dit le film, les autres acteurs du drame auraient peut-être suivi l'exemple de ce haut magistrat de la nation si les victimes n'avaient subitement renoncé à demander la protection des lois du pays et renvoyé l'Etat et ses parfums camper tout seuls sur leur territoire naturel, celui de la jungle judiciaire. Décidément, les instruments traditionnels de la science des odeurs ne sont plus de taille à raconter et à expliquer une histoire d'alcôve branchée sur la mort de la planète de l'éthique.

7 - La justice jacobine et la justice girondine sous l'œil de la caméra

Quand on entre d'un seul et même pas dans la vision globale du monde qui inspire les grands cinéastes et dans la problématique nécessairement locale qui permettra à leur caméra de déposer le scénario et les personnages sur un échiquier municipal, on se demande en tout premier lieu où passera la ligne de démarcation entre le panoramisme et le singulier. Car, d'un côté, l'affaire Bettencourt se situe entre deux territoires bien connus des historiens, celui de la France jacobine et celui de la France girondine; et si l'art cinématographique entre dans cette dialectique classique, elle présentera aux spectateurs le spectacle de la provincialisation accélérée de Thémis à laquelle la décentralisation administrative a reconduit la France depuis 1981. Car la France de M. Nicolas Sarkozy conduit tout droit à la résurrection des pouvoirs notabiliaires de l'ancien Régime.

Mais l'échiquier de l'interprétation du phénomène a entièrement changé de nature : inutile d'évoquer le renforcement multiséculaire de l'autorité de l'Etat depuis Louis XIV, la lutte des parlements locaux pour la conservation des privilèges attachés à l'autonomie relative qu'ils avaient conquise sous François 1er, Henri IV et Louis XIII, puis la continuation de la concentration du pouvoir politique au profit de la capitale sous la Révolution, le Premier Empire, la Restauration, le Second empire, les IIIe et IVe Républiques; car le desserrement administratif se situe désormais dans une tout autre problématique des apanages et des prérogatives de Paris et des régions, celle de l'intérêt, pour l'empire mondial américain, de parcelliser le territoire de ses vassaux, afin de faciliter l'extension et le renforcement sans fin de la seule puissance militaire mondiale, comme M. Barack Obama l'a encore souligné à Oslo.

Aussi le cinéaste qui n'entrerait pas dans l'axiomatique planétaire qui régit notre temps se tromperait-il de champ filmique et sa pellicule, à peine sortie sur les écrans, serait à exposer dans un musée des erreurs de perspective qui ont jalonné l'histoire du VIIe art. De même que la littérature s'est repliée sur le roman intimiste au lieu d'élargir l'univers balzacien à la planète, le petit cinéma a copié la littérature sentimentale.

8 - La France américanisée

Le cinéaste de la trahison girondine de la France ne saurait acquérir une intelligence planétaire du sens et de la portée de l'affaire Bettencourt si sa grille de lecture demeurait dichotomisée par une philosophie partielle et schizoïde de l'histoire de la Révolution française. Comment une dialectique cinématographique enfermée dans l'interprétation classique du girondinisme et du jacobinisme permettrait-elle de rendre compte de la place qu'occupe l'Etat de M. Nicolas Sarkozy dans les relations que Washington entretient avec les villes et les villages de ses vassaux européens, donc dans la stratégie et le champ de vision asservissants d'une puissance militaire fatalement appelée par la vocation propre aux empires à ruiner l'unité politique des autres peuples et des autres nations de la terre - vocation qui se trouvera facilitée par la dispersion d'une Europe progressivement privée de ses noyaux durs, donc de ses points de résistance centralisés? Car les grands notables d'aujourd'hui sont redevenus sommitaux et ils s'affairent à émietter la machine judiciaire de la France pour la défense de leurs intérêts et profits de hobereaux d'un Etat décentralisé.

Mais si l'affaire Bettencourt conduit le cinéaste de la géopolitique du XXIe siècle jusqu'à une pesée réaliste, donc machiavélienne des relations nouvelles que l'Etat moderne entretient avec un mythe de la liberté démocratique dont la mondialisation idéologique le domestique en retour, à quel moment reconnaîtrons-nous que le scénario a atteint son intensité culminante, celle d'une exemplarité filmique planétaire? L'art cinématographique moderne est-il en mesure de spectrographier une tyrannie mondiale désormais placée sous la bannière d'une démocratie mondiale elle-même obéissante aux ordres d'un empire de la "Liberté"?

Pour l'apprendre, observons en tout premier lieu et très brièvement la chute actuelle de la justice française dans le type de provincialisation des procédures que l'Ancien Régime avait mise en place, puis le lien qui rattache le régionalisme judiciaire d'aujourd'hui à la frénésie du tribunal de Nanterre de conserver jalousement ses prérogatives et ses apanages. Comment faut-il interpréter la fuite éperdue et dégoûtée des parties devant une justice soumise aux dérobades de l'Etat lui-même, puisque la République déguerpit à son tour, ce qui conduit la France du droit à la ruine dans le déni de justice pur et simple à l'égard des citoyens?

L'examen du chemin que parcourt un ex-Etat des lois devenu chaplinesque nous aidera à poursuivre le voyage de l'art cinématographique vers le scénario d'un metteur en images prospectif de l'histoire du monde , donc d'un forgeron de l'incandescence du temps filmique de demain.

9 - La République bafouée

Les Français n'en croiraient pas leurs oreilles si je leur démontrais pièces en mains, que l'Etat décentralisateur et localisateur de M. Nicolas Sarkozy et sa chancellerie sont soucieux, avant tout, de gagner la bienveillance de la puissante corporation girondine des huissiers sur tout le territoire de la République et qu' il s'agit maintenant, excusez du peu, de les autoriser à exercer une autorité judiciaire parallèle à celle d'un Etat unifié. Ils vous dressent donc de faux constats à plaisir et en exigent dare-dare le paiement à leurs victimes. Quant aux dommages et intérêts, ils en établissent sur l'heure et souverainement le montant.

Voir:

La France et sa justice, 15 décembre 2008

L'anthropologie critique et la pesée des civilisations, L'Etat et la corruption de l'appareil de la justice, 9 Lettres ouvertes à Mme Rachida Dati, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, 30 juin 2008

La justice française face à l'hydre de la corruption interne (suite) Lettre ouverte à M. François Fillon et à Mme Rachida Dati, 26mai 2008

La justice française face à l'hydre de la corruption - Lettre ouverte à un Procureur de la République, 31 mars 2008

Où la justice française en est-elle ? (suite) M. Lambda se rend devant la Cour européenne de Justice, 11 février 2008

Où la justice française en est-elle ? Lettre ouverte à un Président de Tribunal de grande Instance, 4 février 2008

Comment cela est-il possible? Je ne galèje pas le moins du monde: car si vous portez plainte contre ces pratiques, le Parquet de l'endroit refusera tout net de vous entendre et de seulement porter le regard sur vos preuves de la supercherie, seraient-elles filmiques. Quel prétexte va-t-il invoquer? Comment réfuter le verdict des caméras ? On vous dira, la mine faussement contrite, que la Constitution française interdit à l'Etat de droit d'intervenir d'office dans les affaires civiles, lesquelles, à l'entendre, seraient toutes et par nature soustraites à l'autorité et à la compétence des Parquets. Naturellement, la loi a pris soin de placer à titre statutaire les huissiers sous le contrôle direct et permanent du Ministère public, de sorte que ce sera le plus officiellement du monde que la République des droits du citoyen se trouvera ouvertement bafouée sur tout le territoire national.

Vous remarquerez qu'il y faut une volonté expresse de l'Etat d'exercer l'arbitraire selon son bon plaisir, ce que vous vérifierez si vous vous mettez à l'écoute de la même réponse qui tombera de la bouche du procureur général de la région, puis de la chancellerie et, en passant, du service de l'organisation et du fonctionnement des juridictions.

Mais puisque les huissiers n'interviennent jamais que dans les affaires civiles - on ne les sollicite pas pour constater un meurtre, que je sache - il en résulte nécessairement que tout accès à la justice de leur pays se trouvera interdit d'office et automatiquement aux citoyens par la corporation des officiers ministériels pourtant assermentés, puisque l'Etat sera censé se trouver aussi désarmé par ses propres agents, qu'il l'a démontré, le pauvre, dans l'affaire Bettencourt. Vous me direz que Paris présente l'avantage de regorger d'avocats désespérément en chasse de causes indéfendables à porter dans les prétoires. Rien de tel en province, où aucun avocat local ne se risquera à compromettre devant un tribunal les relations profitables que son cabinet entretient avec les huissiers véreux de l'endroit.

Quant à recourir aux talents d'un ténor du barreau de la capitale, nul n'aura la sottise de croire qu'il pourrait gagner en province un procès dont la cible réelle serait le parquet du crû, alors que l'avancement du président du tribunal dépend dudit Parquet, lequel place la magistrature assise sous sa tutelle effective depuis les lois de Vichy. De plus, depuis M. Badinter, il vous faudra rémunérer de surcroît l'avocat local, qui aura habilité celui de la capitale, de sorte que le tribunal et le parquet se trouveront informés d'avance de tout; car l'avocat local n'est jamais que le serviteur dévoué du tribunal devant lequel il plaide tous les jours.

Quant à faire appel à un second huissier, qui réfuterait le premier, ignoreriez-vous que chacun de ces officiers ministériels jouit de la compétence exclusive d'exercer sa profession sur tels arpents et lopins? Je le redis, vous ne disposez d'aucun moyen légal de démontrer la fausseté d'un constat, parce que les grands Cabinets d'huissiers ont verrouillé de surcroît un vaste territoire afin qu'aucun collègue ne puisse venir de loin dresser en catimini sur leurs terres des constats qui seraient, du reste, nuls d'office, mais dont la production en cachette pourrait jeter le trouble dans les esprits. Comment le cinéma contemporain va-t-il tenter de peser cette situation sur les plus vieilles balances du verbe comprendre, celles que la science juridique des ancêtres avait si patiemment construites?

10 - Les cours d'assise girondines

Second exemple : on a pu assister récemment dans le Midi à l'acquittement en cours d'assise, tant en première instance qu'en appel, d'un professeur de droit à l'université de la ville. Personne ne doutait qu'il avait assassiné sa femme adultère; mais le meurtrier appartenait à une famille de notables locaux, tandis que la victime et son amant occupaient de toute évidence un rang insuffisamment élevé sur l'échelle des hiérarchies sociales de province.

Certes, en première instance, un procureur jacobin avait eu l'audace de faire appel de l'acquittement du meurtrier. Mais, en appel, un procureur girondin, avait pris les jurés populaires à témoin de la beauté des enfants de l'accusé afin d'obtenir la confirmation de l'acquittement de leur père devant les premiers juges. La République de M. Nicolas Sarkozy court vers le vieux modèle de la justice romaine, où, dans les grands procès criminels, l'accusé se présentait la barbe et les cheveux en désordre, entouré de ses enfants éplorés, de ses père et mère en larmes, de ses amis en vêtements funèbres aux côtés des laudatores, ces hauts personnages de l'Etat qui prononçaient l'éloge vibrant du prévenu, leur ami.

11 - L'agonie de la France des lois

A la suite du renvoi ci-dessus évoqué de toute la procédure civile et pénale de l'affaire Bettencourt à Bordeaux, les plaignants ont enfin compris que jamais leur industrie de parfums et de colorants des chevelures françaises ne vaincrait le refus pur et simple de l'Etat de M. Nicolas Sarkozy d'appliquer la législation du pays à un gigolo crapuleux, mais appliqué à couver la poule aux œufs d'or. La ruine de l'entreprise familiale s'annonçait à l'école du vide judiciaire ouvert comme un gouffre abyssal au cœur de la nation. Mais quelle République que celle où les plaignants ont dû laisser filer l'escroc, la hotte lourdement chargée d'une grande partie des écus volés, quelle République que celle qui contraint ses citoyens à mener un combat stérile contre le Titan des alcôves que l'Etat girondin est devenu à son tour!

Mais, disent les victimes, comment payer à longueur d'année les honoraires astronomiques des grands avocats? La législation romaine s'y était essayée en vain sous Tibère. Mais, à l'époque, les ténors du Barreau ne sortaient pas de Rome - aujourd'hui, ils auraient été appelés à sillonner à grands frais toute l'étendue du ciel qui les aurait conduits sans relâche de Paris à la capitale de la Gironde et retour. L'éloquence des prêtres de la justice gauloise est devenue la plus dispendieuse du globe terrestre après celle des grands Cabinets américains. Les "consciences en louage", comme disait Dostoïevski, ont fait exploser la cote depuis que l'esprit des lois et la ruineuse prêtrise des prétoires ont fait alliance en bourse.

Certes, le droit de succession français interdit purement et simplement aux riches comme aux moins riches de déshériter leurs descendants directs, que ce soit par le biais d'une dilapidation démente de la fortune familiale ou d'une claire volonté de tourner la législation en vigueur. Ici, le séducteur s'envole avec trois cents millions d'euros dans sa poche et les tableaux de maître que la vieille dame lui a donnés - tel est l'accord spoliateur que l'Etat a contraint les plaignants à signer avec le voleur. S'il les place à quatre pour cent, il jouira d'un revenu d'un million d'euros par mois. Mais quelle sera sur le long terme la viabilité politique d'une République qui bénit les maquereaux hauts de gamme? On racontera aux enfants des écoles les frasques d'un Etat fondé sur le mépris des lois. Quel film que celui qui rendra planétaire le spectacle de l'agonie de la France du code civil dans la galanterie intéressée! Imaginez la scène dans Fellini et même dans Scorcèse, pour ne pas remonter au Renoir de La Chienne; car, sous le joug de l'Etat girondin, il a fallu obtenir de la seule bonne volonté du petit souverain des oreillers qu'il signe l'engagement de renoncer à ses assauts et qu'il n'en demande pas davantage à sa victime. Mais l'avocat de cette dernière a aussitôt contesté une clause qu'il juge outrageante pour sa cliente, et surtout désastreuse pour sa propre cassette.

Et puis le gigolo international a toute sa tête: il a pris soin de se mettre de mèche avec l'administrateur général du pactole, auquel il a fait toucher cent millions d'euros. Mais quelle humiliation, pour les nouveaux César Birotteau, que d'inscrire de surcroît dans le contrat de capitulation qu'ils remercieront publiquement les escrocs associés et qu'ils les indemniseront une seconde fois. La dernière séquence du film les montrera tout paradants sous les ors de la République aux parfums girondins. Un siècle et demi après Balzac, quels enfants de chœur que les loups-cerviers de l'Etat-Vidocq, mais quel cinéma planétaire que celui dont la France portera le blason sur la scène internationale, quelle joie pour les cinéphiles de la planète que la fresque mondiale et sur pellicule de la fraude et de la corruption des grandes démocraties!

12 - La caméra de la France de demain

Observons maintenant les principes et les méthodes d'une spéléologie qui nous éclairera sur les relations que les démocraties vassalisées par l'empire américain entretiennent avec le Crésus qui les loge et les nourrit. Comment faudra-t-il marier le culte les droits de l'homme avec la maquerellerie judiciaire de la République de M. Nicolas Sarkozy? Pas de doute, aux yeux de la science historique du XXIe siècle, qui sera nourrie d'un regard d'anthropologue, le champ d'interprétation qui rendra intelligibles à la fois la vassalisation semi zoologique de l'Europe et les noces de la servitude atlantique avec la prostitution politique actuelle se trouvera vivement éclairé par les derniers feux d'une France agonisante dans une domesticité parfumée, celle d'un Etat qui, faute de se trouver en mesure de défendre les odeurs d'autrefois de la souveraineté de la nation sur le théâtre du monde, aura cessé de placer ses propres citoyens sous la protection des lois civiles et pénales du pays.

Comment cela? Certes, disent les juristes des taffetas d'hier de la Gaule , une poupée de grand luxe qui, bon gré, mal gré, aura fait don, comme il est dit et redit plus haut d'un milliard d'euros et de nombreux tableaux de maître à un séducteur professionnel de vieilles dames richissimes et qui sera allée jusqu'à le désigner pour son légataire universel, certes, disent les juristes des dentelles d'autrefois, voilà une situation qui impose à tout Etat qui voudrait conserver son blason de mettre fin aux extravagances crapuleuses de son gouvernement. Mais un astre fondé sur la sentine de la fraude financière et bancaire, un astre empuanti par une devise papier tenue pour réelle à l'aide de mille artifices et maintenue en suspens dans l'atmosphère par les soins d'un empire militaire incrusté sur la terre entière, un monde du glaive construit sur une escroquerie gigantale, dirait Rabelais, un tel monde, dis-je, se trouve réduit à filmer un voleur autorisé à vivre longtemps et en toute quiétude dans le paradis de ses escroqueries, et cela à l'image d'un Etat aussi malodorant que le gigolo qu'il protège. Comment un tel Etat ne partagerait-il pas son trésor avec un maquereau qui aura achevé sa carrière sur un coup de maître? Décidément les odeurs de la France de M. Nicolas Sarkozy sont à mettre au Panthéon de la nation asservie!

13 -Qu'est-ce que la démocratie ?

Le septième art se trouve à l'école des odeurs de la parcelle habitée du système solaire: si la caméra n'inventait pas les nouveaux paramètres du temps des nations qui lui permettront d'enregistrer et d'illustrer d'un seul et même élan les évènements internationaux que notre époque place à mi-chemin entre le réel et le symbolique, alors les senteurs du mythe de la Liberté chercheraient en vain la pellicule qui sous-tend les péripéties et la trame de l'affaire Bettencourt. Comment soustraire un Etat au cadran superficiel du quotidien? Prenez l'Etat d'Hamlet, de Coriolan, de Macbeth, du roi Lear, d'Antigone, de Créon, d'Hérode, de Néron ou de Caligula: tous se laisseront substantifier et emblématiser par le plus fidèle appareil à décalquer les évènements - le support olfactif qu'on appelle la bobine.

Mais essayez de placer un instant seulement les odeurs de l'Etat fugitif de M. Nicolas Sarkozy sous l'œil de la caméra. Comment allez-vous tenter de placer durablement sous l'objectif la caricature de l'Etat en transit de M. Courroye, comment filmerez-vous l'ombre de l'Etat de passage de M. Woerth, comment confierez-vous à l'œil de l'éternité l' Etat-caissier d'une civilisation des gibernes et de la basoche devant laquelle un Rockefeller se verrait contraint de rendre les armes, tellement l'escarcelle des avocats aboie à vous percer les oreilles. Sachez que vous ne trouverez plus aucun magnat de la finance de taille à remplir la gibecière des hommes en noir et à collerette blanche.

Vous me direz que l'industrie du livre viendra sans doute retirer son bâillon au rédempteur de l'information démocratique, à l'artisan de la dernière mutation cinématographique de l'Histoire, au dernier diable boiteux de la politique; vous me direz que ce régime s'était imaginé avoir terrassé la monarchie; vous me direz que les cinéastes du peuple avaient cru mettre la main sur un Graal à portée de leur caméra; vous me direz même, dans votre naïveté, que Voltaire avait mis à genoux les géants de fer et d'acier des tyrannies religieuses, puis les tyrannies messianisées par le prolétariat, tellement la plume et l'encrier étaient devenus le premier cinéma des miasmes du genre humain.

Mais voyez votre erreur: les peuples de la Liberté découvrent maintenant que les Etats ont plus de cordes à leur arc qu'on ne croit et qu'ils retrouvent d'instinct le privilège qu'exercent toutes les classes dirigeantes du monde, de vous pendre haut et court, tellement leur potence se présente en apôtre de la liberté, tellement leur gibet se cache sous la mitre de leurs piétés, tellement leur couperet se pare de sacralité. Le vrai combat des démocraties du salut ne fait que commencer dans les coulisses des Machiavel au petit pied et d'une bureaucratie théologisée par le mythe en or massif de la Liberté.

14 - Des poupées de cire et de sang

La toile de fond de l'affaire Bettencourt se présente comme un récit historique de la dernière génération des démocraties parfumées. A ce titre, la narration échappe tout autant aux caméras du rêve que le compte-rendu exact, mais seulement événementiel d'une affaire de famille à inscrire dans l'univers balzacien. Si vous racontez en greffiers les démêlés d'une entreprise de ce type avec la fille du fondateur, vous conserverez quelque temps le décor de l'intrigue dressé de main de maître par l'auteur de la Comédie humaine. Mais si vous observez la collision entre deux mondes, celui de la mode capillaire et celui de l'Etat bureaucratique pourrissant dans ses officines, puis l'alliance des coffres-forts de la famille avec les hobereaux administratifs de la France girondine, le scenario des cosmétiques quittera les planches du réalisme bourgeois du XIXe siècle pour débarquer sur la scène des Beckett et des Ionesco, où un fantastique devenu national de la tête aux pieds prête ses emblèmes vestimentaires au réel.

Comment faire débarquer dans le septième art les soubresauts du mythe moribond de la liberté dans un monde déserté par le rêve de 1789? Le vieux songe du salut a quitté l'enceinte des théologies pour cabrioler dans une sotériologie républicaine censée avoir débarqué sur la terre entière. Impossible donc de réduire Mme Bettencourt à un personnage du théâtre de Feydeau et impossible de réduire l'Etat moderne à un vieil acteur de boulevard : tous deux sont nés en 1945 sous la bannière d'un nouveau dieu, qu'on appelle la Liberté. Et pourtant, il ne s'agit plus que d'un bal de figurants fanés, celui d'une démocratie desséchée où l'Etat se caricature à l'école de son propre mythe et se place lui-même dans un herbier.

15 - Cinéphiles de tous les pays …

L'une des poupées de cire et de sang de l'histoire universelle s'appelle la justice. En vérité, ce personnage hante le théâtre du monde depuis Périclès. Mais sachez qu'à l'instar des dieux, il n'a jamais existé ailleurs que dans les têtes de ses fidèles. Les peuples aujourd'hui qualifiés de démocratiques le sont aussi dévotement qu'on les proclamait royalistes hier encore; les nations désormais administrées à l'école de la sagesse dont témoigneraient leurs propres suffrages sont censés témoigner découvrent subitement, mais un peu tard, qu'ils se trouvent livrés de naissance à des clergés sans cesse renouvelés et souverains au sein des Etats, de sorte que la pieuse tyrannie de leurs maîtres les précipite pieds et poings liés dans des carnages délirants et sans qu'ils se trouvent seulement consultés. Voyez comme le vote populaire se trouve de tout temps empaqueté dans les bureaux d'une "rédemption patriotique" dévotement ficelée par les soins de la haute finance internationale. Décidément, sa propre geôle étrangle la Liberté dans les couloirs de ses paradis bancaires.

Voyez, en outre, comment le tyran nouveau use d'un langage idéalisé par l'idole qu'il est à lui-même. N'a-t-il pas donné l'ordre à cinquante nations d'enfants de chœur d'aller s'empêtrer et se vassaliser en Afghanistan et en Irak? Pis que cela: les citoyens domestiqués à l'école des apôtres et des catéchètes d'un empire étranger, c'est à leur corps défendant qu'ils sont placés sous un sceptre lointain! Mais si le cinéma de demain parvenait à mettre en scène les démocraties endoctrinées et chargées des chaînes confessionnelles de leur servitude et les républiques dont on a enfourné la liberté et la justice dans la giberne des citoyens, quel décor pour une histoire cinématographique du sang du monde. Saluez les derniers feux d'une civilisation européenne en carton pâte ! Cinéphiles de tous les pays, goûtez l'agonie malodorante du Vieux Monde, goûtez le spectacle d'une nonagénaire éprise du phallus d'un éphèbe fatigué, goûtez l'odyssée terminale des cosmétiques d'un continent des odeurs dont la dernière épopée arrache ses bijoux à une richissime moribonde.

16 - Le droit international et la procédure d'extradition

Le cinéma de demain filmera une démocratie mondiale dont l'appareil de la justice et les biscuiteries se trouveront coûteusement coincés entre le Léviathan aux cent yeux de Hobbes et celui des plumitifs de Courteline. Wikileaks voudrait enrichir la souveraineté émaciée et truquée des peuples parfumés aux senteurs de la démocratie. Comment leur donner un contenu plus substantiel? Il faut, pense M. Assange, leur faire respirer l'odeur de la correspondance diplomatique - donc nécessairement secrète - que les ambassades américaines ont entretenues avec leur gouvernement et avec ceux des Etats vassalisés du Vieux Monde de 1966 à nos jours. Naturellement un mandat d'arrêt outragé a été aussitôt lancé contre le profanateur de l'Eden de la démocratie mondiale. Les Etats-Unis demandent instamment qu'on leur expédie le colis bien ficelé. La Suède pourrait servir d'expéditeur complaisant à la chaise électrique.

Mais l'Angleterre hésite à livrer l'hérétique aux cachots d'une démocratie de la torture. Sa tradition d'hospitalité fait figure d'auréole de la civilisation mondiale et, de surcroît, la tradition de la jurisprudence européenne est d'ores et déjà plus que séculaire sur ce chapitre. On sait qu'elle exclut d'office la procédure d'expédition à la potence. On n'extrade, de surcroît, les adversaires politiques d'un Etat étranger qu'à la condition qu'ils n'aient pas de sang sur les mains; mais s'ils s'en trouvent entachés, les meurtriers seront livrés aux juges de leur propre nation en application des dispositions d'un droit pénal civilisé qui exerce, en tous temps et en tous lieux, son hégémonie sur le droit qui régit les relations entre Etats souverains sur des cas particulier; et aucune constitution au monde n'absout l'assassinat pur et simple - la légitime défense exceptée.

Mais si la fonction tutélaire du "droit des gens" - des gentes - ne saurait servir d'alibi à des tueurs déguisés en apôtres d'une cause politique, quel test de la servitude ou de la souveraineté alternées de l'Europe que l'affaire de Wikileaks! Puisse un Fellini de la dolce vita des démocraties porter la vassalisation de l'Europe à l'écran, puisse l'Australien qui a ouvert la boîte de Pandore des libertés de demain trouver les deux millions d'euros que les consciences rémunérées qu'on appelle encore des avocats lui réclament!

17- L'odeur du monde

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