"Comment l'OTAN tue la souveraineté de l'Europe" par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains.
1 - Que répondra M. Hubert Védrine?
2 - L'inconscient religieux contemporain
3 - La sotériologie démocratique
4 - Une coquille vide
5 - L'étoffe et les coutures d'une livrée
6 - Les jeux de la candeur avec la vanité
7 - Qu'est-ce que la haute trahison ?
8 - La réforme du 29 juin 2007
9 - L'éducation des peuples souverains
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1 - Que répondra M. Hubert Védrine?
Le Président de la République a demandé à M. Hubert Védrine, ancien Secrétaire général de l'Elysée et Ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002, de rédiger un rapport rétrospectif et prospectif sur les conséquences diplomatiques tolérables ou inacceptables de la décision du précédent chef de l'Etat de replacer à titre perpétuel et en temps de paix la France et son armée sous le commandement d'un général américain. On sait que, depuis 1949, les nations entre lesquelles le territoire de l'Europe se partage ont perdu au profit de leur libérateur de 1945 la prérogative essentielle de la souveraineté: les Etats dont les armées et les gouvernements obéissent aux ordres d'un empire étranger, alors qu'aucun nuage n'apparaît à l'horizon ne sont pas indépendants aux yeux du droit des "gens", c'est-à-dire des "gentes", des ethnies.
On sait également qu'en 1989 le régime soviétique contre lequel la subordination militaire du Vieux Monde avait été provisoirement décrétée, est subitement tombé en poussière, mais que la vassalité politique de notre Continent s'est néanmoins perpétuée. Aujourd'hui, près de cinq cents garnisons venues de cinq mille kilomètres se trouvent placées à jamais sous un sceptre immuable et dont l'autorité s'est éternisée au point qu'elle s'inscrit désormais dans nos constitutions - de sorte que la question est posée de savoir si les régimes démocratiques peuvent se trouver asservis au messianisme dont le mythe de la Liberté porterait le sceptre d'un empire débarqué d'au-delà des mers.
Dans cette tragédie politique, il est urgent de se saisir de documents rédigés de la main de l'occupant et dont le contenu ne sera jamais divulgué aux populations. Mais M. Védrine a rappelé récemment qu'on ne donne pas à lire aux enfants des écoles les analyses secrètes des diplomates du plus haut rang et les commentaires stratégiques signés de la plume des maréchaux. Et pourtant, la frontière demeure fort mal tracée entre des mystères qui ne sauraient se trouver dévoilés aux masses et le droit de connaître le contenu exact du terme de souveraineté que revendiquent l'opinion publique et les corps électoraux des démocraties. Comment interdire aux peuples domestiqués par leurs propres dirigeants de profaner le temple de leur Etat asservi si les citoyens et eux seuls se trouvent élevés au rang de souverains aux yeux du droit international?
Je vais donc m'efforcer d'ignorer ces entraves et copier mot à mot un mémoire que Machiavel, Vergennes, Richelieu et Talleyrand viennent de rédiger de l'encre qu'on leur connaît et d'adresser du haut du ciel au Président de notre République.
Mais il se trouve que la science historique d'aujourd'hui s'est placée dans le contexte anthropologique et méthodologique d'une annonciation qui bouleverse l'échiquier des champions des soixante quatre cases. Au messianisme judéo-chrétien des deux derniers millénaires a succédé une eschatologie démocratique dont la sotériologie et la chronologie s'alimentent des révélations d'une religion de la Liberté. A ce moteur planétaire du salut et de la délivrance, le collectivisme marxiste, bien que défunt, l'Islam évangélisateur et le prophétisme idéaliste américain apportent le carburant d'une vie onirique, doctrinale et rédemptrice de l'humanité non moins universelle que la précédente. Or, ni notre politologie, ni notre science de la mémoire n'ont rédigé le cogito d'un humanisme quadridimensionnel et eschatologique. Pourquoi le cerveau en devenir de notre espèce est-il viscéralement branché sur des mondes fantastiques, pourquoi cet animal est-il un rêveur de naissance, pourquoi mêle-t-il l'imaginaire au réel depuis qu'il est tombé du berceau de la zoologie?
Décidément, il serait utile de corseter la question posée à M. Védrine d'une problématique et d'une épistémologie ambitieuses de radiographier le fabuleux mental.
2 - L'inconscient religieux contemporain
Si, à partir de 1945, l'expansion diplomatique, militaire et idéologique de l'empire américain a été foudroyante, ce ne fut pas au titre d'une conséquence physique de la victoire de la démocratie sur l'Allemagne nazie: il y a fallu l'élan, alors jugé irrépressible, d'un messianisme marxiste plus étroitement calqué sur le mythe chrétien que celui de 1789. On pensait que l'avènement du paradis sur la terre était tout proche et que - comme il avait été prévu dans les Evangiles - le salut de la planète passerait inévitablement par une sanctification des pauvres aussi définitive qu'irréversible. C'est pourquoi le marxisme fut une guerre religieuse entre les souterrains anthropologiques du catholicisme et du protestantisme, donc entre deux psychophysiologies du salut qui se réclament de fondements génétiques inconciliables. Le mythe est commun, mais celui de la délivrance campée sur la terre jure avec le séraphisme de son compagnon d'armes dans le ciel.
Certes, la guerre pragmatique et idéologique entre les riches et les miséreux avait écrit un millénaire de l'histoire de la Grèce et de Rome. Mais, cette fois-ci, et pour la première fois dans l'histoire de l'imagination messianisée et conceptualisée de l'humanité, les plus gros bataillons du monothéisme se donnaient l'extinction de la pauvreté pour levier de leur mythe; et pour la première fois également, un Etat armé du glaive des idéalités de la démocratie était censé se mettre au service des innocents aux mains pleines et prendre le sauvetage du genre humain à bras le corps. Les marxistes étaient les nouveaux Jésuites du Paraguay. Leur Saint Esprit s'appelait le "processus historique". Le christianisme des théologiens soutenus par l'esprit du droit romain et par le génie pragmatique du peuple de la Louve était longtemps parvenu à endiguer les ravages du rêve originel d'une égalité entre les hommes, que L'île d'Utopie de Thomas More avait régénéré; mais la vision mythologique et abstraite de l'histoire n'avait été que refoulée par le Vatican. Les nouveaux évangélistes glorifiaient le songe inaugural des marxistes. Il était plus difficile à un riche, disait l'éloquence de la chaire, d'escalader les nues qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille.
3 - La sotériologie démocratique
Comment, dès le XVIe siècle, la sotériologie calviniste américaine a-t-elle réfuté les béatitudes d'un monde gréco-latin christianisé à l'école des pauvres, comment l'Amérique protestante a-t-elle combattu la sacralisation des nécessiteux? Par une réhabilitation théologique du profit des marchands. La banque genevoise avait métamorphosé la rentabilité austère et pieuse de l'argent prêté en un témoignage tangible des grâces particulières de la divinité crucifiée à l'égard des élus d'une potence. Le capital généreux se changeait en pain bénit de la foi, la sacralisation de la sesterce faisait sécréter nuit et jour à l'argent-roi des preuves palpables de la bienveillance du ciel. Calvin avait fait couler dans un moule nouveau le trafic ostensible des indulgences d'une éternité en louage et qui se pratiquait exclusivement aux guichets rentabilisés de l'Eglise romaine de la Renaissance; et maintenant, l'industrialisation intensive de la planète donnait sa dimension d'hostie à un capitalisme sanctifié par la torture d'un innocent.
Aujourd'hui encore, la lutte pour le pouvoir entre les républicains et les démocrates américains se fonde sur deux théologies de la pauvreté rivales l'une de l'autre et fondées sur l'inconscient théologique qui pilote la politique de Washington. Aussi le premier coup d'éclat de l'expansion d'après guerre de l'empire du dollar a-t-il trouvé son terreau doctrinal dans l'épouvante soudaine des possédants d'outre-Atlantique. Propulsés sur le devant de la scène, des régiments de prolétaires angélisés à l'école de Karl Marx se massaient aux frontières de l'Europe. Les armées staliniennes de la foi, jouaient aux séraphins délivreurs. Une rédemption terrorisante glorifiait, l'arme au poing, les étapes les plus sanglantes des victoires musculaires sur le paupérisme mondial.
Dès 1949, la rechute de tout le genre simiohumain - l'intelligentsia mondiale en tête - dans un finalisme para religieux a permis à Washington de retirer ses brebis les plus exposées aux glaives du "petit père des peuples" et de les rassembler autour de son propre évangélisme. On sauverait péniblement le sceptre des plus vieilles nations de l'Europe, on afficherait pieusement les principes statiques du droit international de l'époque, lequel se fondait, depuis le traité de Westphalie de 1648, sur l'interdiction imposée à toutes les nations d'intervenir par la force des armes dans les affaires intérieures - donc également dans les théologies - des unes et des autres. Cuius regio, ejus religio - à chaque dieu ses arpents, à chaque lopin son Olympe.
4 - Une coquille vide
Naturellement, l'alliance atlantique de 1949 n'était qu'une coquille vide, puisque l'ambition de l'empire victorieux était d'assurer la domination théologique exclusive de la Maison Blanche sur un monde à délivrer du Mal. En fait, un Vieux Continent censé avoir triomphé de Hitler se trouvait entièrement placé sous l'autorité apostolique du souverain dont le dieu Liberté tenait le sceptre d'une main aussi messianique que dévotement démocratique.
Quand le Général de Gaulle s'était donné le luxe diplomatique ahurissant de proclamer la fidélité pleine et entière de la France à l'alliance atlantique de l'époque, alors qu'en réalité, il annonçait l'émancipation pure et simple de la nation de la tutelle militaire américaine, le protecteur d'outre Atlantique avait paru pris au piège du mythe de la Liberté: s'il couvrait d'éloges empressés le fidèle "allié" demeuré à ses côtés et la maintenance d'une République vassalisée depuis 1946 au sein d'un traité rendu illusoire dans le temporel; s'il feignait de qualifier de réelle une alliance réduite, dès 1949 à l'affichage du blason de la Liberté, il ne trompait plus en rien les chancelleries et les états-majors du monde entier, tellement, en ces temps reculés, tout le monde savait déjà qu'aux yeux du pragmatisme de Washington, l'essentiel n'était nullement de hisser le drapeau d'un traité lénifiant, mais d'assurer la subordination efficiente et automatique des Européens à une sotériologie mondiale et réduits à tenter de sauver le pavois de leurs idéalités mythiques sur des champs de bataille choisis au gré du souverain.
5 - L'étoffe et les coutures d'une livrée
Comment se fait-il qu'en 1966, les anthropologues d'avant-garde savaient depuis longtemps que les marionnettes plastronnantes des démocraties européennes évoluaient sur les planches d'un théâtre mondial, celui du rêve démocratique censé en marche dans tout l'univers, alors que, dans le même temps, personne n'observait la loupe à l'œil le personnage central de la pièce et les difficultés que cet apôtre rencontrait de jouer son rôle de sauveur sur la scène internationale? Observons l'acteur du salut en action . Nous avons déjà souligné que si, touché au vif, il cédait à la tentation de s'indigner vertueusement d'une défection profanatrice de son messianisme et d'un défi sans fard à sa vocation de convertisseur universel, il démasquait publiquement la duplicité inhérente à l'orthodoxie démocratique - et sa colère même contre un général coupable d'hérésie démontrait à la face du monde combien la vassalisation rampante de l'Europe s'habillait d'un babillage dévotieux.
Mais, depuis le siècle des Lumières, la raison française se trouvait informée du fonctionnement moliéresque des masques sacrés qu'arbore le langage simiohumain . Elle savait donc également que le refus énergique de faire plier l'échine de la nation française et de la soumettre aux ordres d'un commandement étranger pouvait passer pour une dérobade ou une désertion aux yeux des obéissants, tellement les sociétés pieusement asservies à l'école de leur propre tartuffisme politique semblent marcher la tête haute et porter fièrement la bannière de l'histoire réelle du monde. Un mimétisme heureux de sa servilité sert de ressort à une vassalité fière comme Artaban.
Au lendemain de la première guerre du Golfe, les nations européennes dites souveraines étaient censées se trouver honorées par le spectacle de leur alignement sur le perron de la Maison Blanche Les plus hauts représentants de leurs Etats se trouvaient rangés à la queue leu leu autour du Président des Etats-Unis triomphant. La servitude des peuples se calque sur leur effigie glorieusement réfléchie sur le baudrier de leur maître. Demain, un Tite-Live, un Suétone, un Tacite raconteront à nos descendants étonnés le rangement des nations du Vieux Monde sous la houlette de leur minusculité auto-magnifiée. Quand l'histoire universelle est devenue cinématographique et télévisuelle, on cache sous le tapis l'histoire réelle que vous racontait Thucydide.
6 - Les jeux de la candeur avec la vanité
Prenez le spectacle de la ruée filmique des démocraties du monde entier en direction de Kaboul où le roi du ciel courroucé de la démocratie cherchait le coupable du regard, un certain Ben Laden: depuis plus de vingt ans ce suspect avait été identifié par les services secrets de l'empire. L'emballement d'une opération de police qui rassemblait la planète tout entière contre un seul individu avait placé d'avance sous un éclairage instructif le refus ultérieur de la France de se raconter une seconde fois le scénario d'un récit démocratique dont l'orthodoxie commençait d'éveiller des soupçons: M. Jacques Chirac n'avait pas cédé à l'indignation vertueuse de tous les dévots de la démocratie en partance pour l'Irak. Cette indocilité désinvolte avait démontré au monde entier que la cécité vertueuse des Etats démocratiques résultait de leur crainte de se trouver accusés d'hérésie par l'inquisiteur général de l'orthodoxie démocratique. Il faut porter la chasuble des piétés politiques d'une époque. Or celles-ci se trouvent placées sous le sceptre du maître de la morale internationale du moment.
Huit ans plus tard, M. Nicolas Sarkozy décidait, comme il est rappelé plus haut, de replacer la France "des armes et des lois" sous le commandement suprême du ciel américain. Le prétexte invoqué par l'Elysée était plus naïf que délibérément trompeur : M. Nicolas Sarkozy pensait sans doute que le pays des droits de l'homme jouirait du double avantage de mettre un terme à sa marginalisation supposée croissante sur la scène internationale des croisés du mythe de la Liberté et de conserver son autarcie diplomatique à un prix devenu plus modique, puisque l'Allemagne et l'Italie demeuraient entièrement entre les mains de leur vainqueur de 1945 sur leur propre territoire, tandis qu'il n'était pas question de réinstaller précipitamment les bases militaires de l'occupant évacuées en 1966 du territoire national. Quel est le statut d'un vassal désormais soustrait à la force du glaive sur ses arpents et quelle est la pression diplomatique, assurément immense qu'exerce, en revanche, la puissance des armes américaines sur Rome et sur Berlin?
C'est le bilan de cette situation stratégique nouvelle et originale en apparence qu'il importe d'analyser de plus près si l'on entend rendre exemplairement instructive l'incompétence réelle ou apprêtée qu'illustraient les enfantillages diplomatiques de M. Sarkozy sur la scène du messianisme démocratique international de l'époque.
7 - Qu'est-ce que la haute trahison ?
A la suite du coup d'éclat de 1966 du Général de Gaulle, les cartes n'avaient pas réellement changé de place sur l'échiquier du monde. La planète du mythe de la Liberté se trouvait plus en porte-à-faux que jamais entre la sotériologie séraphique et para confessionnelle des démocraties du salut et le réalisme politique des empires en action sur les champs de bataille de l'histoire réelle. La croisade du Beau, du Juste et du Bien avait du plomb dans l'aile jusque dans les livres d'images à l'usage des enfants. Dès lors que la France se retrouvait piteusement placée sous le sceptre de Washington, l'empire à la bannière étoilée ne pouvait, comme il est dit plus haut, lui payer en retour le prix d'une docilité retrouvée, mais devenue plus ambiguë et plus bancale qu'auparavant. Impossible de paraître combler l'enfant prodigue des plus riches présents de la servitude sans mettre l'empire dans une position désespérée face à tout le reste de la classe, impossible de paraître châtier les obéissants ou de les payer bien mal de leur pelotonnement sur leurs lopins.
Aussi, dès le premier jour de la repentance télévisuelle de la France, M. Nicolas Sarkozy découvrait-il avec une stupéfaction peut-être non feinte que la subordination pieuse des Européens à leur maître d'outre-Atlantique se trouve inscrite dans le rituel et l'étiquette en usage à la cour. Quelle que soit leur taille sur la scène internationale, les "alliés" se trouvent rangés par ordre alphabétique autour de leur chef, parce que toute hiérarchie affichée entre les convives anéantirait une mise à égalité de tout le monde par le protocole.
Soudainement étonné et vexé par une démonstration visible à l'œil nu et fort inopportune - il ne la croyait pas criante à ce point - de la rétrogradation diplomatique de la France aux yeux du monde entier, M. Nicolas Sarkozy a demandé que la nation de Descartes fût placée à la droite du roi pour quelques heures et à titre exceptionnel - mais il était trop tard pour que cet artifice trompât les télescopes des cinq continents sur l'abaissement d'un commensal que le fier refus gaullien avait remis debout.
8 - La réforme du 29 juin 2007
Il convient de revenir un instant à la question de la responsabilité en droit des chefs d'Etat républicains, alors que, depuis 1789, les peuples sont devenus, du moins en principe, les seuls souverains aux yeux des Constitutions démocratiques. Or, quand bien même M. Nicolas Sarkozy ne disposait, hélas, d'aucune connaissance de la véritable nature des relations diplomatiques que les grandes nations entretiennent entre elles - le démagogue a nécessairement d'autres chats à fouetter que de se spécialiser dix ans durant dans la théorie et la pratique de la dureté qui préside aux relations internationales même en temps de paix - il est difficile d'imaginer qu'aucune tête instruite des réalités de la politique étrangère au sommet de la hiérarchie des fonctionnaires du Quai d'Orsay n'aurait renseigné le chef de l'Etat; et il n'est pas davantage crédible qu'aucun stratège de haut rang n'était conscient des compétences requises et des responsabilités attachées par la Constitution à la fonction guerrière du Président de la République.
Aussi la décision de M. Nicolas Sarkozy de ranger, aux yeux d'un peuple français censé plongé dans une profonde ignorance politique, la décision de reléguer, dis-je, les relations internationales sous la rubrique émouvante des liens familiaux, fut-elle une initiative nécessairement solitaire. Mais la tentative de faire croire à la population entière d'une vieille nation que les relations diplomatique entre les Etats seraient d'ordre sentimental doit-elle se trouver définie en droit public de crime de haute trahison et châtiée en vertu de la réforme de la Constitution du 23 février 2007, qui définit en son article 68 les conditions de la destitution du président de la République et les modalités de la procédure devant la Haute Cour? "Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour."
9 - L'éducation des peuples souverains
J'ai déjà rappelé que le "droit des gens" est celui des "gentes", c'est-à-dire des peuples en guerre ou en paix et que M. Chirac, qui connaît la logique interne et le langage des juristes internationaux, avait tendu à M. Nicolas Sarkozy un piège tellement redoutable que le locataire de l'Elysée a prudemment attendu le mois de mars 2012 pour en promulguer un décret d'application obsolète par nature - on ne destitue pas un Président de la République trois mois seulement avant la fin de son mandat, alors que le vrai tribunal, celui du suffrage universel, siège déjà sur les places publiques de la citoyenneté. Mais comment se fait-il que personne n'ait osé soulever, même à titre formel, la question menaçante de l'invalidation possible de M. Nicolas Sarkozy? C'est qu'aujourd'hui encore, le peuple français n'est pas informé des responsabilités afférentes au crime de trahison dont la constitution de 2007 l'a tardivement investi sur la scène du monde.
Jamais, M. Nicolas Sarkozy n'aurait pris le risque de s'adresser benoîtement au bon cœur et à l'esprit de famille des Français, jamais il n'aurait osé leur annoncer sans rire que le retour de la France sous le gracieux et gentillet commandement militaire d'une puissance étrangère ressortissait à son devoir familial de se ranger du côté de Washington. Mais les Français ne se sont pas esclaffés et aucun journal ne s'est indigné*. Comment remédier au statut mythologique de la notion de souveraineté appliquée aux peuples démocratiques depuis 1789? Comment retirer la France du sac ridicule dont Mascarille s'est enveloppé et dans lequel la République ne reconnaît pas l'auteur du Misanthrope?
Depuis le mois de mars 2001, je plaide pour que la pédagogie politique et l'éducation civique des nations modernes leur fasse découvrir leur constitution dès les bancs de l'école; sinon, non seulement la politique mondiale se réduit à une pièce de boulevard, à un roman sentimental ou à un film en couleurs à l'usage des enfants, mais une nation de plus soixante cinq millions d'habitants peut se trouver tournée en dérision aux yeux du monde entier par un chef d'Etat angélisé et autorisé à ce titre à lui raconter des histoires à dormir debout. Non, les petits, ne vous pelotonnez pas autour d'un père de famille bienveillant et souriant à souhait dans le ciel de la démocratie, ne faites pas jouer à la République un rôle de bouffon sur la scène internationale, retirez Marianne d'une mascarade planétaire.
La semaine prochaine, j'analyserai de plus près les difficultés politiques auxquelles se heurtera, dans les souterrains, une dévassalisation de l'Europe désormais en marche, mais qui attend encore dans les coulisses que les peuples lui donnent efficacement rendez-vous.
Le16 septembre 2012
P. S.
*Jean-Luc Pujo me rappelle sa protestation de novembre 2007 parue dans l'hebdomadaire Le Sarkophage. Dont acte. (1)
(1) Il s'agit de l'article "L'OTAN, au vent mauvais" de novembre 2007.
Commentaires
"Au lendemain de la première guerre du Golfe, les nations européennes dites souveraines étaient censées se trouver honorées par le spectacle de leur alignement sur le perron de la Maison Blanche Les plus hauts représentants de leurs Etats se trouvaient rangés à la queue leu leu autour du Président des Etats-Unis triomphant. La servitude des peuples se calque sur leur effigie glorieusement réfléchie sur le baudrier de leur maître. Demain, un Tite-Live, un Suétone, un Tacite raconteront à nos descendants étonnés le rangement des nations du Vieux Monde sous la houlette de leur minusculité auto-magnifiée. Quand l'histoire universelle est devenue cinématographique et télévisuelle, on cache sous le tapis l'histoire réelle que vous racontait Thucydide."
"Au messianisme judéo-chrétien des deux derniers millénaires a succédé une eschatologie démocratique dont la sotériologie et la chronologie s'alimentent des révélations d'une religion de la Liberté. A ce moteur planétaire du salut et de la délivrance, le collectivisme marxiste, bien que défunt, l'Islam évangélisateur et le prophétisme idéaliste américain apportent le carburant d'une vie onirique, doctrinale et rédemptrice de l'humanité non moins universelle que la précédente. Or, ni notre politologie, ni notre science de la mémoire n'ont rédigé le cogito d'un humanisme quadridimensionnel et eschatologique. Pourquoi le cerveau en devenir de notre espèce est-il viscéralement branché sur des mondes fantastiques, pourquoi cet animal est-il un rêveur de naissance, pourquoi mêle-t-il l'imaginaire au réel depuis qu'il est tombé du berceau de la zoologie?"