« Les coqs de la grande muette » par Jean-Marc DESANTI
[Reuters, Telegraph, AFP]
Hier soir, en rentrant chez moi, je passais Avenue Victor Hugo, devant le campus européen de Sciences Po, au moment précis où une kyrielle d’officiers de nos trois armées, chamarrés, jeunes et fringants se disséminaient comme une flopée de moineaux femelles.
Un colloque, sans doute ou une bonne parole à porter, ou encore un rituel de séduction pour l'élite future de l'Europe mondialisée, ils étaient plusieurs à orchestrer un curieux ballet, tortillant de l'arrière- train avec de larges gestes étudiés, parsemés de sourires béats et satisfaits.
Brutalement une chose me frappa. Sur leurs uniformes impeccables sentant l'obsession de l'élégance convenue, exigée d'un maître tailleur, se dessinaient des dizaines de décorations. Tous, officiers de l'armée de terre, de la marine ou de l'air ressemblaient à ces bedonnants maréchaux soviétiques, ces roitelets africains ou colonels sud-américains qui semblent manquer de place pour pouvoir accrocher leurs hochets.
Une question à l'odeur désagréable me vint à l'esprit : d'où tenaient-ils ces décorations ?
Ma génération eut des chefs qui connurent les combats de la France Libre, de l'Indochine et de l'Algérie. Cependant, ils semblaient se contenter d'une ou deux rangées de médailles mais il est vrai avec citations et palmes.
J'ai présenté les armes à Bigeard, venu visiter mon régiment, le 6° Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine, son ancien 6° Bataillon de Parachutistes Coloniaux de l'Indochine. « Bruno » n'avait qu'un imperméable bleu …
Mais ceux-là, des couleurs de Carnaval pour afficher sans complexe l'agonie de ma patrie, la fin de l'indépendance de ma nation. On les connait leurs Campagnes : la guerre du Golfe, les bombardements de la Serbie, le Rwanda, Kaboul … et aujourd'hui la Libye.
Si l'on excepte l'Afghanistan où nos jeunes camarades tombent dans des conditions pitoyables, pour faire de la « présence », mais avec honneur et courage, tous les autres engagements sont traités par de petits fonctionnaires internationaux, « beaux comme des américains », au service de sigles vagabonds : ONU, OTAN …
Certes, on peut incriminer les politiques ectoplasmiques au service des diktats de l'Empire.
Mais il faut y ajouter, et avant tout réclamer, l'obéissance inconditionnelle des hommes, de ces chefs, ces « soldats » qui, plus que jamais, méritent leur appellation indigne et vulgaire dérivée de « solde ».
Où sont nos grands Capitaines, guerriers, à l'époque du zéro mort, pour les puissances de l'Hémisphère Nord ?
Après tout, aujourd'hui, on risque plus sa peau sur la route, lors des accidents domestiques, en étant douanier ou policier qu'en faisant carrière dans l'armée.
D'ailleurs, « la carrière » d'officier mène inévitablement chez Areva, Elf ou dans les cabinets ministériels, les piou-piou , eux, finiront au RMI.
Nous sommes loin de Servitude et Grandeur militaires où Vigny écrivait : « Il n'y a au monde que deux classes d'hommes : ceux qui ont et ceux qui gagnent. Les premiers se couchent, les autres se remuent. »
Depuis une semaine on nous fait vibrer d'inquiétude pour nos glorieux pilotes qui attaquent la Libye en expliquant eux-mêmes qu'ils ne courent aucun danger... Ils ont une frustrante heure de gloire où Juppé, l'inénarrable, les félicite d'avoir détruit six ou sept blindés …. A 350.000 euros le missile AASM , c'est sûrement tragique et malheureusement comique ! Pauvres gosses immatures pleins de rêves à la Mermoz, mais passés trop vite du jeu vidéo à la guerre virtuelle ... qui fait des morts.
Voyez-vous, ces cadavres libyens, victimes « du droit d'ingérence » ne seront pas très embarrassants. Ce sont eux, de mauvais arabes. Ils habitent Tripoli ou Ajdabiya, pas de chance, les bons demeurent à Benghazi.
Personne ici ne pleurera Kadhafi à qui Sarkozy proposa des « Rafales » et une centrale nucléaire, clés en main. Mais tout de même, entre-nous, une « coalition alliée » d'une force titanesque contre un pays aride de six millions d'âmes, sombrant dans une guerre civile ….
Les « insurgés », une poignée de pauvres bougres ou on peut, par exemple, trouver des royalistes nostalgiques du régime d'Idris I, nous aiment, parait-il.
« Vive Sarkozy et vive la France » hurlent-ils devant une télévision made in China.
La voilà donc la faute du tyran lifté : avoir proposé de commercer avec la Chine et surtout d'envisager des contrats de matières premières avec le grand dragon du millénaire.
Mon cher Mouammar, il ne suffit pas de combattre « les islamistes », de bloquer les mouvements migratoires colossaux venant d'Afrique ou de réparer financièrement les préjudices subis par les victimes du terrorisme pour continuer de parader avec tes amazones. Il fallait surtout casser ton addiction au jeu. On ne joue pas au poker menteur avec Oncle Sam. On est toujours perdant.
Entends-tu ? Toujours.
Les « compagnies » vont piquer le pétrole de « ton » peuple. Pauvre naïf … Pour un ancien agent émancipé du MI6, diplômé du British Army Staff College de Camberley, tu t'es fait avoir comme un gamin romantique.
Mais, au moins, dans cette triste histoire, à épisode, de spoliation de richesses des peuples, il y aura au ciel contaminé de la planète des cons heureux de promener leurs barrettes, cordons et croix de colloques en terrain de tennis, où là, enfin, ils entendront les balles siffler.
Jean-Marc DESANTI
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