« Robert Dulas l’espion qui a eu chaud » par Hervé BERTHO (Ouest France)
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ENTRETIEN OUEST France – 16 novembre 2014
Les espions ont aussi des amis. Pierre Marziali a pris une balle parce qu’il en savait trop... Son ami Bob Dulas réhabilite sa mémoire et se protège lui-même en sortant de l’ombre.
Rencontre
« Je ne sens pas le souffre, je suis un mec bien... » Bob Dulas, 66 ans, est un petit bonhomme qui passerait presque inaperçu... Cela fait pourtant une quarantaine d’années que ce monsieur « bons offices » manœuvre dans les ombres de l’Afrique qui parle français.
Son ami, associé et fils spirituel, Pierre Marziali a été le seul mort français de la guerre en Libye. Il a pris une balle dans le ventre à Benghazi le 11 mai 2011, lors d’un « banal » contrôle d’identité. Il dirigeait la Secopex, une société militaire privée, petite boîte française parmi les deux cents sociétés de ce genre qui prospèrent dans le monde. Marziali travaillait aussi pour les Américains dans ce monde du double jeu et du billard à trois bandes. Celui qui a tiré sur Marziali, un milicien anti-Kadhafi, était cagoulé. Robert Dulas ne croit pas à la bavure mais à une exécution. Au nom de la raison d’État...
La Françafrique souterraine
Pour la mémoire de son ami autant que pour prendre une police assurance, il balance presque tout sur son réseau d’espionnage privé des groupes d’islamistes. Le reste est déposé chez deux avocats. Ceux qui savent ont déjà lu entre les lignes de son livre...
Ses confidences, écrites avec la complicité de Jean-Philippe Leclaire et Marina Ladous, dont on verra le documentaire sur cette histoire sur Canal + le 8 décembre, sont dignes d’un roman d’espionnage. Robert Dulas y affiche son réseau maçonnique, celui de la Françafrique souterraine, là où les grands maîtres jouent aux chefs d’État et l’inverse... C’est ce réseau autant que sa bonne mine qui lui ont permis de tisser une vaste toile d’araignée...
« Je suis arrivé à Abidjan sac-à-dos en 1972. C’était l’Eldorado ! J’ai tout de suite trouvé des boulots, puis j’ai dirigé une société de sécurité... »
Le notable se fait élire, rejoint des tas d’associations et devient « diplomate souterrain » pour le président ivoirien Houphouët-Boigny. Le porte-documents est aussi conseiller : les présidents africains apprécient son bon sens et son efficacité... On le retrouvera aux côtés de l’Ivoirien Robert Guéï et puis plus tard en Centre-Afrique chez Bozizé...
Personnage du roman du monde, Bob Dulas cultive des amitiés touarègues depuis des décennies. « J’ai beau changer les puces de mes téléphones, je sais que je suis pisté en permanence... »
Avec ses cinq téléphones portables dont deux cellulaires branchés sur des satellites, il garde pourtant le contact avec ses yeux et ses oreilles partout dans le désert : il y a toujours quelqu’un qui voit quelque chose.
Et Bob le connaît, qu’il soit berger, chauffeur de taxi ou général. Le renseignement est d’abord une affaire d’hommes. C’est utile pour jouer sa partie dans le business des otages.
Mais Bob est considéré comme un « emmerdeur » par les services français. « Je suis un autodidacte et Pierre, malgré ses médailles, avait quitté les forces spéciales avec le simple grade d’adjudant. On nous prenait pour des pignoufs ! »
Il affirme pourtant avoir donné des infos sur les lieux où les otages d’Arlit étaient retenus. « Pourquoi ont-ils été otages pendant trois ans ? Parce qu’il y avait d’autres intérêts que leur libération... C’est un business qui pèse des dizaines de millions d’euros ».
Toujours sur la piste des katibas, il avait prévenu le renseignement français et l’Élysée de Sarkozy que les islamistes radicaux étaient à la manœuvre en Libye : mais cela ne cadrait pas avec le romantisme de Bernard-Henri Lévy, dont l’« ami » Mustafa el Sagezli, à qui Sarkozy a fourni des armes, n’avait rien de très recommandable... « On n’a pas voulu nous écouter car il fallait à tout prix se débarrasser de Khadafi qui avait arrosé tant de monde qu’il était devenu trop dangereux... »
Bob est tombé souvent, a survécu à deux cancers, à la dépression et aux trahisons. Mais il s’est toujours relevé avec une hargne et un aplomb incroyable. Il ne voudrait pas s’arrêter maintenant sur une bête balle perdue.
Alors, il parle et il écrit... Mais pas question de prendre sa retraite. « J’ai brassé beaucoup d’argent mais aujourd’hui je n’ai pas de quoi m’acheter un logement. » Il vit à l’hôtel à Bamako et à Niamey : « Je travaille pour une boîte hollandaise intéressée par les mines d’or ». Lui-même en est une pour qui met les pieds en Afrique de l’Ouest. L’ambassade du Japon vient d’ailleurs de le contacter sur le mode de « expliquez- nous ce qui se passe ». Le Burkina-Faso vient de bouger et pour lui ce n’est qu’un début : le brasier de Brazzaville est prêt à s’enflammer...
Hervé BERTHO.
Mort pour la Françafrique, Robert Dulas, Marina Ladous, Jean-Philippe Le- claire, Stock, 336 pages, 20 €.
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- Robert DULAS sera l'invité des cafés hyper-républicains en Mars 2015 à PARIS Bastille -