« Jésus de Nazareth – Les livres de Roland Hureaux et de Jean Staune » chronique anachronique de Hubert de Champris (2ème Partie)
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Le samedi 13 mai 2023,
Deuxième partie : La recevabilité de l’exégèse ‘‘staunienne’’, ou les critères de discernement de la vérité selon le canon ecclésial.
Avant d’aborder un livre ‘‘iconoclaste’’ sur un sujet de controverse classique, il faudrait donc au préalable se pénétrer de la position, de la thèse les plus communément admises par ce qu’on appelle la ‘‘communauté scientifique’’. Au besoin – et besoin il y a - lire des livres connexes sur le sujet comme Gnose et gnostiques (DDB) du même Hureaux, tout simplement pour savoir de quoi l’on parle et d’où l’on part. Lorsque le lecteur lambda a pris connaissance des deux thèses en présence, et si lui-même n’a pas d’opinion préconçue, il entre dans ce qu’on peut appeler « le syndrome de la salle d’audience » : vous visitez en touriste le Palais de Justice, entrez une après-midi dans une salle d’audience correctionnelle, captez à la dérobée la harangue d’un avocat flamboyant défendant un pauvre hère, et vous voici convaincu de l’innocence du prévenu. Poursuivant votre périple, vous entrez dans la cour d’assises mitoyenne et, à l’écoute de la diatribe de l’avocat général, vous voilà certain de la culpabilité de l’accusé. Toutefois, poursuivant votre visite la semaine suivante, vous entendez que le tribunal correctionnel a condamné sévèrement celui que vous imaginiez injustement persécuté tandis que celui que vous teniez pour un criminel avéré se voit acquitté.
C’est le phénomène qui survient lorsque nous n’avons pas le loisir/les compétences pour entrer dans le ‘‘dur’’ d’un dossier, lorsque nous ne pouvons soulever les cartes.
Que faire alors pour se forger un avis ? Lorsque la balance a du mal à pencher plus nettement d’un côté que de l’autre, on s’en remet à évaluer non plus les travaux du sachant/savant mais le chercheur lui-même.
Précisons que la question de l’identité véritable de ce fameux Jean n’est nullement une vérité de foi à laquelle tout fidèle serait tenu d’adhérer. D’ailleurs, l’excellent historien Jean-Chistian Petitfils partage la position de Staune et nombre de prêtres. Remarquons également que Staune a ardemment participé à la rédaction du fameux Dieu, la science, les preuves de Bonnassies et Bolloré, spécialement pour ce qui touche à Gödel. Olivier Bonnassies et la plupart des autres contributeurs, Pierre Perrier et consorts, souvent des ‘‘renaissants’’ aussi, voire des convertis, s’inscrivent en faux par rapport à la thèse novatrice de Staune et épousent la position de l’Eglise. Mais l’explication en dernier ressort de l’identification, du discernement du vrai, de ce qui doit être tenu pour tel réside, selon l’Eglise et sa tradition sur l’habilitation, ou non, de la personne qui peut en décider. C’est là en définitive le pendant, en matière de vérité de foi ecclésiale, du raisonnement que la recherche fondamentale en droit a découvert comme étant à l’œuvre dans le processus de validité/effectivité d’une décision judiciaire, celle, donc, qui dit le droit. En dernière instance, un jugement n’est pas tenu pour vrai s’il est conforme à la vérité du dossier (par ex. x est déclaré coupable en droit, donc, x a effectivement commis l’infraction) ; la norme (la décision de justice) est un norme valide devant produire ses effets non pas en raison de l’adéquation entre ce qu’elle énonce et la réalité factuelle ; cette norme, ce jugement, cette décision est la signification (l’expression) d’un acte non nécessairement de connaissance mais de volonté accompli par une personne (le juge) ou une instance (la juridiction) qui est habilitée (par une norme supérieure) à dire le droit. Aussi, le jugement ne doit pas être tenu pour valide (et comme exprimant la vérité du dossier) parce que le juge aurait en quelque sorte la science infuse et que ses antécédents (sa formation, ses connaissance, sa valeur personnelle morale que sais-je) l’autorise à dire le droit (c’est-à-dire le vrai d’un cas d’espèce), mais, à l’inverse, c’est parce qu’il est dit/décrété/décidé/habilité (par une norme/instance) à énoncer la norme sur un sujet (personne physique ou morale, ou : une matière) que celle-ci doit être dit comme énonçant la position (le jugement de fait et de valeur) qui doit être tenu pour vrai et valide, - ces deux derniers adjectifs étant ici synonymes.
Autrement dit, vous pouvez vous livrer à toutes les exégèses possibles, pour que celle-ci puisse recevoir l’imprimatur, elle doit rejoindre la position qui a déjà été signifiée par le magistère de l’Eglise, - les ‘‘maîtres’’ dudit magistère étant désignés par cette même Eglise, et ce magistère étant donc inséré dans ce qu’on appelle la Tradition. On remarque qu’en la matière, le raisonnement, l’attitude de l’Eglise sont en partie tautologiques, qu’ils inscrivent, qu’ils piègent les protagonistes dans un cercle vicieux que nous devrions, c’est un comble, estimer fort vertueux. Mais c’est ainsi : l’interprétation authentique ne l’est que parce que l’Eglise aura décidé de l’identité de ces interprètes authentiques. Cette interprétation authentique est incorporée dans cette Tradition et en même temps déduite d’elle. La norme qui habilite telle personne à « décider de ce qui est vrai, juste » prime par définition sur le fait. On dira la chose ainsi : comme en matière juridique et judiciaire, en matière d’édiction de vérités de foi (ou, comme ici, dérivés), le fait ne fait pas jurisprudence ; la norme habilitante (qui statue sur le statut, la qualité de celui appelé à dire le droit, donc le vrai du droit) par définition prime sur (la validité/vérité de) toutes découvertes, toutes novations émanant du sachant/chercheur non préalablement habilité/autorisé à les dire telles. Remarquons toutefois que cette habilitation peut survenir après coup - et cela advient fort souvent -, par exemple lorsque vous êtes déclaré après votre trépas Docteur de l’Eglise. Jean Staune, au physique croisement de Henri VIII et de Pierre Mauroy, n’a donc pas à désespérer. Cela dit, il y a une autre question, que nous lui avons d’ailleurs posée, et qui est la seule question qu’il devrait se poser : si ma thèse s’avérait fausse, en quoi, pourquoi serais-je déçu ? (Réponse : pas seulement en raison de la fausseté de cette thèse.) Staune oublie en effet qu’en la matière, ce n’est pas le chercheur, l’herméneute qui tient, qui dirige sa recherche, c’est son sujet qui le tient. Et cette énigme ne se laisse éclaircir, ce « sujet » ne se laisse découvrir qu’à mesure qu’ils en ont décidé ainsi. Si bien, que ce dernier apprécie l’humble savant, tâtonnant, modeste et hésitant, et qu’ « il » se plaît à se jouer de celui qui par trop s’impatronise comme un empereur dans le royaume de ses recherches. En somme, sans qu’il s’en aperçoive, un démon pas taquin, pas gentiment malin mais réellement malin peut s’infiltrer, surtout lorsque cette découverte du « vrai » Jean débouche, semble avoir pour Staune comme conséquence inévitable la thèse d’une « Eglise intérieure » (double invisible et très opératoire de l’Eglise institutionnelle « extérieure »), - thèse ouvertement de facture gnostique – Eglise composée d’initiés dont évidemment notre auteur ne s’exonérait pas… Si bien qu’en fin de compte, ce Jésus selon Staune n’est pas tant contestable en raison même de la première thèse qu’il soutient, - celle de l’existence de deux Jean - que de la seconde, cette gentille hérésie (1) qui voit des chapelles se créer au sein des chapelles, et des hiérarchies controuvées s’établir.
C’est dire qu’il faut continuer à lire Hureaux certes, non moins que Staune, auteur par ailleurs d’ouvrages de valorisation scientifique extrêmement intelligents. Dans cette enquête sur Jésus, nous en avons encore des exemples, comme lorsqu’il se penche sur la question (souvent oubliée ou occultée) du caractère capital de la comptabilité de la révélation chrétienne avec l’existence d’une conscience humaine extraterrestre, ou lorsqu’il relève une difficulté logique telle que la différence de connaissance entre le Père et le Fils quant à la date de la fin des temps (de l’aveu même de ce Fils) contredisant le principe de l’égalité parfaite des trois Personnes de la Sainte Trinité.
Hubert de Champris
(1) Le mot a ici un sens technique, non polémique.
Lire la 1ère partie:
