"Le journal Le Monde et la vassalisation de l'Europe" par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains.
Avertissement
L'anthropologie critique traite des fondements de la politique et de l'histoire, mais les moteurs qu'elle observe se rendent inégalement actifs dans le plein jour de l'actualité. C'est pourquoi il m'a fallu reporter une première fois la mise en ligne de la suite de La Nef des fous ou le ballet des catastrophes, parce que le vote à vive allure de la loi sur les mariages fictifs entre personnes du même sexe, ainsi que la violente offensive de l'Etat contre l'autorité traditionnelle des dictionnaires et contre les droits de l'enfance avaient subitement débarqué dans l'histoire la plus visible. Cette semaine, un second retard s'impose, parce que le 26 avril 2013 Le Monde s'est officiellement prononcé pour la satellisation rapide et irréversible de l'Europe. L'analyse anthropologique d'un évènement aussi significatif que précipité impose donc sa priorité à la première science spectatrice de l'inexorable.
1 - Une énigme anthropologique
2 - L'analyse anthropologique de l'histoire et la science des empires
3- L'archange saint Michel de la politique mondiale
4 - Les anthropologues de Dieu
5 - Une psychophysiologie de la servitude politique
6 - L'Europe au musée
7 - L'anthropologie critique et l'avenir de la culture européenne
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1 - Une énigme anthropologique
Le décryptage anthropologique d'une fatalité politique, celle de la vassalisation accélérée de l'Europe, a connu un tournant aussi discret que décisif, le 26 avril dernier avec la parution en première page du journal Le Monde, d'un éditorial retentissant signé Natalie Nougayrède, la directrice du quotidien français le plus prestigieux sur la scène internationale, sous le titre: "Le XXIe siècle se joue en Asie".
L'affichage d'une volonté de subordination de l'Union européenne aussi résolue témoigne de méthodes d'assujettissement mûrement planifiées. Mais si elles se mettent vigoureusement en place, leur programmation et leur mise en application témoignent, dans le même temps, d'une maladresse confondante et d'un amateurisme énigmatique ou du moins difficiles à décoder.
Comment Mme Nougayrède peut-elle écrire: "En mars dernier, le dernier char d'assaut américain a quitté l'Allemagne. Le premier était arrivé en 1944"? Personne n'imagine un seul instant que Mme Nougayrède ignorerait l'incrustation de deux cents bases militaires en Allemagne depuis 1949, ou la récente mise hors jeu de l'arme nucléaire française, remplacée par un bouclier anti-missiles appelé "Patriot" par anti-phrase et censé prévenir un déferlement imminent des Tartares sur les arpents des Germains, ou le maintien à perpétuité et l'extension continue du champ d'opération de cent trente sept garnisons américaines campées l'arme au pied en Italie, ou le refus catégorique et définitif de Washington de jamais remettre la base navale de Naples à l'Etat italien, non plus que de restituer les forteresses d'Aviano, de Gaète, de Livourne, de Sigonella, de Pise, de Vérone, de Vicence, de la Maddalena.
Si, sous un si vigoureux corsetage, l'expulsion pure et simple de l' Europe de l'arène de la politique internationale crève les yeux de tous les états-majors, comment décrypter la stratégie ahurissante de l'empire américain, qui fait écrire à Mme Nougayrède que le dernier blindé de 1944 aurait quitté une Allemagne censée définitivement libérée depuis soixante huit ans, alors que tout le monde observe avec des yeux dessillés l'épaisseur de la cuirasse de l'armée américaine qui bivouaque résolument sur les terres d'Arioviste, où elle ne cesse, sans s'en cacher le moins du monde, d'étendre au grand jour l'exercice de sa souveraineté. D'ores et déjà la civilisation européenne se trouve définitivement supplantée sur le théâtre stratégique de l'histoire.
2 - L'analyse anthropologique de l'histoire et la science des empires
L'analyse du contenu anthropologique de l'éditorial de Mme Nougayrède illustre la passivité et la complicité des peuples domestiqués en sous-main par leur "délivreur". L'étude psychobiologique de la géopolitique est riche d'enseignements sur les méthodes d'implantation des mythes politiques dans les esprits. On y récolte une manne d'observations sur l'inconscient messianique des démocraties modernes et sur le caractère inévitable des déclins, mais également sur les progrès d'une science historique mieux informée des ressorts religieux de la psychophysiologie des peuples et surtout plus ambitieuse de percer à jour et d'interpréter les rouages des évènements tragiquement ignorés ou délibérément méconnus. Comment se fait-il que, trois quarts de siècle à peine après la défaite du nazisme et un quart de siècle seulement après la chute du mur de Berlin, la politologie européenne semble avoir entièrement perdu de vue l'axe central de la scientificité de la discipline des Machiavel ou des Talleyrand, dont l'assise naturelle n'est autre que la compréhension et l'explication des travaux et des jours des nations - à savoir, leur rivalité sur un espace toujours trop étroit à leurs yeux?
Le caractère instinctif, donc aveugle, de la volonté d'expansion et de conquête des Etats a quitté le champ du regard de l'historien et des plus hauts dirigeants. C'est pourquoi une anthropologie critique de la géopolitique appelée à fonder une science de l'ascension et du trépas des empires jugerait infantile l'amusement de décrire et de décrypter l'éditorial de Mme Nougayrède comme celui d'un agent pleinement conscient des services que l'empire américain attend de lui, donc d'un instrument dont la duplicité joyeuse serait de l'ordre de la trahison délibérément et lucidement assumée.
C'est précisément le contraire qu'il faut comprendre: dans les déclins, les défenseurs de leur maître sont le plus souvent touchants de sincérité et pathétiques dans leur bonne foi, parce que leur servitude demeure involontaire et porte les vêtements blancs des chevaliers du mythe démocratique dans les têtes, à la manière dont les croisés au grand cœur portaient l'armure et la cuirasse de leur croyance en la délivrance du monde. Si les fidèles du dieu Liberté ne sauraient voir un demi millier de forteresses étrangères tacheter de leurs drapeaux le sol du Vieux Monde, comment se pencheraient-ils sur les secrets psychobiologiques de leur obéissance généreuse aux attentes de leur foi? Lech Walesa n'a découvert qu'après coup que si l'Eglise peinte aux couleurs de toutes les nations ne poursuivait pas des "intérêts d'Eglise" unifiés, elle n'existerait pas, Vaclav Havel était tellement persuadé que l'Amérique se retirerait de la Tchécoslovaquie libérée avec son appui qu'il était allé gentiment remercier le grand Samaritain de Washington et s'était ridiculisé devant le Congrès. Même un François Mitterrand a cru que la France récolterait quelques avantages diplomatiques d'avoir participé avec une belle ardeur à la première guerre du Golfe et Jacques Chirac a été surpris, lui aussi, par la fureur monocolore du peuple américain outragé par l'hérésie d'une France soudain désobéissante et butée sur son refus de combattre un moulin à vent - une fiole censée contenir un poison foudroyant pour notre astéroïde.
3- L'archange saint Michel de la politique mondiale
C'est précisément parce qu'il serait erroné d'y dénoncer une tartufferie éhontée que l'éditorial de Mme Nougayrède nous présente en pointillé un document théopolitique d'une grande valeur anthropologique et qu'il serait ridicule d'y voir la main de Molière. L'acier de ce camouflage est trop épais pour valider une herméneutique de ce genre. Pour écrire noir sur blanc, comme il est rappelé ci-dessus, que les armes et les troupes d'occupation de l'Amérique des Quichotte du monde moderne auraient quitté une Europe pleine de gratitude et qu'un chapitre de l'histoire du Toboso serait définitivement clos, il serait stérile d'invoquer la sottise ou la candeur des serfs. Il faut une vision sentimentale de l'histoire, une foi ardente, un sacré soustrait au regard, mais omniprésent, un royaume de l'imaginaire para religieux pour éclairer une vision salvifique, euphorisante et messianique de l'histoire: l'Europe, dit le credo, aurait été sauvée des eaux en 1945 par la bénédiction béatifiante d'un ange Gabriel de la démocratie universelle.
L'anthropologie critique élabore la science de l'inconscient sotériologique du genre simiohumain. Elle démontre que seul un type de cécité au grand cœur, que seul un aveuglement eschatologisé, que seul un élan de la foi en une délivrance supra-terrestre peut expliquer la naïveté d'origine biblique qui sous-tend le récit de Mme Nougayrède, dont voici le mot à mot: "La Chine suit de très près les tourments des Européens, la fragilité de la monnaie unique et d'une Union au projet politique en panne. Elle suit tout aussi attentivement la façon dont pourrait se former un nouveau canevas transatlantique dédié au libre-échange. On veut parler ici du projet d'accord Etats-Unis-Union européenne sur la création d'un grand ensemble tarifaire et normatif que le président Barack Obama a décidé de placer parmi ses priorités internationales sitôt réélu."
Le ton est bénédictionnel et "normatif": "Ce grand ensemble de libre-échange regrouperait 50% du PIB mondial, aiderait la croissance et consoliderait Américains et Européens face au grand défi chinois du XXIe siècle."
4 - Les anthropologues de Dieu
On voit que la place gentiment réservée à une Europe "consolidée" et dont la crédulité confessionnelle serait modelée à l'effigie d'une démocratie du salut la pelotonnerait au pied du trône des Etats-Unis d'Amérique. Le géant d'outre-Atlantique serait supposé promouvoir et même glorifier le rang d'un partenaire d'un demi milliard de consommateurs reconnaissants et apparemment traités en égal, alors que toute alliance entre un Titan en armes et un infirme bénit de plein droit le regard condescendant du maître sur ses serviteurs. La méconnaissance du tissu réel de l'histoire d'un monde hiérarchisé depuis le paléolithique crée une fausse collégialité et même une complicité illusoire entre des dirigeants et des subordonnés. Voici les clauses de ce type de pacte: "La logique est la suivante : si l'ensemble transatlantique ne s'organise pas mieux, la Chine ne finira-t-elle pas un jour par imposer ses normes en arguant de son poids de deuxième économie mondiale?" On occupe d'avance une certaine place, on se trouve parqué d'office dans sa "famille", comme disait M. Sarkozy, on appartient de naissance à telle horde ou à telle autre.
C'est pourquoi, dans son interview datée du 3 mai du Président Nicolas Marudo, Mme Nougayrède évoque le "supposé impérialisme des Etats-Unis", puis demande à son interlocuteur: "Qui, au XXIe siècle, doit être l'allié du Venezuela, l'Europe ou la Chine et la Russie?", ce qui présuppose que l'Europe occupera nécessairement le rang de satellite des Etats-Unis. Le Président lui répond sèchement qu'il existe un BRICS qui représente trois milliards d'habitants.
C'est pourquoi un empire n'"argue" jamais. Pourquoi avancerait-il des arguments? Sitôt qu'il accède à un certain degré de développement de sa musculature, tout le monde s'incline devant lui. Pourquoi lèverait-il le petit doigt, alors que son ossature parle pour lui ? Voyez comme il déclenche massivement le réflexe de la vénération spontanée et de la subordination empressée: depuis des millénaires, le genre humain est un titanesque automate de l'obéissance. C'est pourquoi ses prosternations théologiques se révèlent des documents anthropologiques normatifs: on y voit un roi incontesté du cosmos s'auto-congratuler d'une voix de Stentor et se proclamer omnipotent et omniscient. Quelle est la preuve la plus incontestable qu'il en fournit? Le feu des tortures éternelles au nom desquelles deux milliards d'humains s'agenouillent, parce qu'ils y voient le sceptre de la sainte justice de leur maître.
C'est dire que tout empire terrestre n'est jamais qu'une pâle copie du modèle absolutisé dont les Olympe transportent l'effigie dans le ciel: si les trois monothéismes ne se scindaient pas entre les sucreries qu'ils distribuent dans les nues et les châtiments épouvantables qu'ils infligent à leurs créatures pécheresses sous la terre, l'anthropologie critique perdrait ses plus éloquents témoins de l'histoire sanglante de l'humanité. Mais tout pouvoir politique est une théologie miniaturisée et aux patenôtres affaiblies. C'est pourquoi le scannage anthropologique de Dieu progresse dans les souterrains de l'Europe de la pensée.
5 - Une psychophysiologie de la servitude politique
La Chine et ses "normes" sont perçues comme redoutables du seul fait qu'il s'agit d'un empire en pleine ascension sous le soleil - mais les "normes" que l'OTAN vient d'imposer au grand jour à la France, à savoir le choix du "tout Microsoft" en lieu et place d'un "logiciel libre", exclut ce qui aurait assuré l'indépendance informatique et industrielle de l'Europe. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'appel d'offre ou de procédure publique d'attribution de ce marché? Parce que Microsoft travaille avec la NSA (National Security Agency), autrement dit en étroite collaboration avec les services secrets de l'occupant de l'Europe. L'ange Gabriel de la démocratie mettra subrepticement en place et selon son bon plaisir des programmes d'espionnage de tous les utilisateurs du Vieux Monde - et il se mettra en mesure de perturber les logiciels de ses vassaux. De plus, Microsoft opposera son veto à la vente de tout matériel que l'Europe fabriquerait à partir de ses logiciels propres. La vassalisation culturelle, intellectuelle et linguistique de l'Europe est l'objectif prédominant de l'expansion idéologique de l'empire américain depuis 1944 - c'est dire que "l'exception culturelle" sera la première victime à immoler sur l'autel du "grand ensemble tarifaire et normatif ".
Mais la France est pour beaucoup, quoiqu'indirectement dans un processus de domestication aussi patelin, parce qu'elle se frotte les mains d'avoir échappé à la réoccupation militaire de son territoire à la suite de son retour pitoyable sous le sceptre américain de l'OTAN, dont le quartier général, lové en France pendant toute la IV République et jusqu'en 1966, s'est ensuite tapi à Mons en Belgique. Or, les populations allemande et italienne commencent seulement de s'apercevoir de l'enracinement d'un empire étranger et armé jusqu'aux dents sur leur sol - mais leur épiderme le ressent bien davantage que le péril vague et lointain de l'émergence, sur la mappemonde, d'une Chine qui aurait le mauvais goût d'"arguer" de son poids industriel et commercial sur la scène internationale. C'est l'illusion de son autonomie retrouvée qui fournit à la France les apprêts, les attraits et toute la bijouterie dont se parent les démocraties vassalisées sous la quincaillerie et les affûtiaux d'une pseudo souveraineté peinte en fer.
Mais le socle anthropologique de la servitude de la France sur le globe terrestre actuel est fort mal masqué par le livre d'images dont Le Monde se montre le dessinateur. Ce modèle de la géopolitique ne trompe plus personne dans la haute classe en livrée. Des années avant sa chute, M. Strauss-Kahn avouait déjà sur TF1 qu'un petit pas de plus rendrait définitive la vassalisation fort avancée de la France. Il est de règle, dans les dorures des déclins, qu'une proportion considérable de la classe dirigeante et de l'intelligentsia arbore spontanément les rubans et les dentelles d'une légitimation rampante ou étalée au grand jour de l'hégémonie du plus fort et il est coutumier que les naufragés de leur gloire passée s'indignent de l'impiété de paraître profaner l'ascendant qu'exerce l'orthodoxie du lion nouveau. Il faut lire et relire la fable de La Fontaine intitulée Les animaux malades de la peste.
6 - L'Europe au musée
C'est dans cet esprit que Mme Nougayrède sollicite le Président de la République de caresser la crinière du fauve: "M. Hollande, qui avance à pas de loup sur ce terrain comme sur d'autres, n'a pas placé la France en force motrice de ce projet. Sans plus, non plus (sic), chercher à s'en démarquer ostensiblement."
Autrement dit, la France de l'habileté diplomatique est appelée à franchir à pas feutrés la frontière entre la souveraineté et la vassalité. Elle semble vouloir garder un instant encore ses cartes et ses broderies d'autrefois dans sa manche. A ce titre, elle feint d' avancer dans les deux directions à la fois, mais la Mer Rouge s'ouvrira au passage du nouveau peuple de l'exode. Mme Nougayrède saurait-elle, dans son for intérieur, que la force s'allie au glaive? Dans ce cas, telle serait la raison cachée qui lui ferait soutenir pieusement, mais à titre provisoire, que l'Europe ne brillerait déjà plus de l'éclat des épées d'un autre, parce qu'un char d'assaut symbolique aurait quitté son musée en Allemagne occupée sous l'œil des caméras du monde entier pour aller prendre une place bien méritée dans un musée de New-York.
Mais au sein d'un monde dont la géopolitique demeure muette et bouche cousue, l'anthropologie critique dépose l'inconscient politique des théologies sur les plateaux de sa balance ; et elle observe le poids variable de l'enracinement des démocraties dans le mythe biblique de la délivrance dont témoigne l'expansion idéologique de l'Amérique. L'aiguille s'arrête sur un document politico-religieux aussi éloquent que le Prince de Machiavel; et elle tente de démontrer aux amateurs de dentelles que l'histoire véritable s'apprend à l'école du fabuliste qui, deux siècles avant Balzac a étudié le genre humain dans le miroir de l'allégorie dont des animaux lui tendent les effigies.
C'est dans cet esprit qu'il faut regarder l'Europe se réfléchir dans son musée à elle: "Le reflux américain de l'Europe se poursuit: suite logique de la réorientation vers l'Asie-Pacifique voulue par le président Obama. Se poursuivent aussi les affres européennes, dans le lancinant sentiment de déclassement lié à la crise."
Non, dit le ciel de la raison, le "lancinant sentiment de déclassement" ne résulte pas de la crise; celle-ci n'est jamais que le dernier soubresaut de l'effacement d'une civilisation oublieuse de ce que l'histoire se forge sur l'enclume de la volonté politique. Les odeurs d'intendance montent du désert que l'action a quitté.
7 - L'anthropologie critique et l'avenir de la culture européenne
Mais le scannage des relations que l'anthropologie critique entretient avec la pesée de l'inconscient théologique, donc guerrier, de la politique mondiale ne s'arrête pas à mi-chemin: la main de velours de Mme Nougayrède nous conduit au terme de l'analyse comparée du mythe religieux et du mythe démocratique, donc à l'examen du fonctionnement parallèle des deux vassalisations. Car le christianisme se contentait d'installer dans le néant un souverain du cosmos et du vide devant lequel toutes les créatures se trouvaient nivelées à seule fin de ne dresser aucun obstacle à l'omnipotence en expansion d'un roi de l'immensité et de l'éternité. Le mythe démocratique, lui, est bel et bien construit sur le même modèle: il égalise tout le monde devant sa face d'ange, mais seulement afin d'assurer à coup sûr, et en coulisses, l'ascension du bénéficiaire véritable de l'opération, le nouveau chef immaculé et le maître de justice de la politique internationale.
Du coup, l'analyse anthropologique d'un éditorial de Mme Nougayrède inconsciemment greffé sur le mythe de l'Exode et du salut conduit à une spéléologie de nature à nous éclairer sur l'avenir de la "sortie d'Egypte" de la politique et de la culture européennes. Car la Renaissance avait ouvert une brèche dans la forteresse des "essences" et des "quintessences"; et elle avait commencé de fractionner la cosmologie pharaonique de l'époque: les langues et les croyances soudainement diversifiées et dispersées en une mosaïque sur la planète des coutumes et des mœurs y perdaient l'autorité monolithique que seul le monothéisme biblique s'était trouvé en mesure de leur accorder. De même, la découverte, il y a soixante ans, de l'ADN a brisé l'universalité artificielle du concept d'homme et rouvert tout subitement les sciences humaines à une connaissance abyssale du singulier dont la Renaissance avait seulement tracé la voie.
Mais, à l'instar du XVIe siècle, on voit une phalange d'avant-garde du savoir et de la pensée se heurter à la résistance acharnée d'une arrière-garde démocratique construite sur le modèle superficiel et verbifique de la théologie du Moyen Age. Le mythe pseudo-unificateur de la "Liberté" ne fait que servir un nouveau monolithisme de la foi, non plus celui d'un créateur imaginaire de l'univers, mais celui d'un empire exercé à brandir des totems démocratiques tentaculaires - des concepts au service d'une scolastique vorace de l'abstrait.
Une étape nouvelle du décryptage du simianthrope conceptualisé s'annonce à l'heure où l'Etat idéocratique dépose sur les autels de la Liberté l'universalité artificielle, niveleuse et despotique de son langage des idéalités, donc d'une égalisation mythologique des créatures chargée d'assurer le triomphe d'un ciel de confection. L'empire américain est devenu le substitut d'une nouvelle incarnation du dieu biblique; mais, cette fois-ci, les armes de la connaissance d'un sacré vassalisateur ne sont plus seulement celles de la philologie renacentiste et d'une histoire rationnelle des religions qui faisait ses premiers pas, mais celles d'une science qui conduit à l'analyse psychobiologique comparée de l'asservissement théologique et de son parallèle, l'asservissement au mythe démocratique.
Le tournant décisif de la pensée occidentale est celui qui ouvre un champ immense à la connaissance rationnelle du singulier et aux conquêtes nouvelles de l'individualisme. Le Moyen Age des modernes se révèle celui de la fausse autorité intellectuelle que conquiert une scolastique du concept de "Liberté". Décidément, si l'agonie politique d'une Europe subrepticement théologisée nous conduit à la caverne d'Ali Baba où se cache le trésor d'une seconde Renaissance de la raison et de la pensée, celle du nominalisme retrouvé et fécondé, il faut remercier Mme Nougayrède d'avoir voulu élever la France au rang de "force motrice" de la course à l'abîme, mais d'avoir vendu la mèche sans s'en douter, puisqu'il lui faut feindre que les troupes d'occupation auraient quitté l'Europe jusqu'au dernier char d'assaut pour que la démocratie réapprenne à sortir du monastère des droits de l'homme abstrait et à s'initier au regard réaliste que les vrais Etats portent sur le genre humain.
Le 4 mai 2013
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« Lech Walesa n'a découvert qu'après coup que si l'Eglise peinte aux couleurs de toutes les nations ne poursuivait pas des "intérêts d'Eglise" unifiés, elle n'existerait pas, Vaclav Havel était tellement persuadé que l'Amérique se retirerait de la Tchécoslovaquie libérée avec son appui qu'il était allé gentiment remercier le grand Samaritain de Washington et s'était ridiculisé devant le Congrès. Même un François Mitterrand a cru que la France récolterait quelques avantages diplomatiques d'avoir participé avec une belle ardeur à la première guerre du Golfe et Jacques Chirac a été surpris, lui aussi, par la fureur monocolore du peuple américain outragé par l'hérésie d'une France soudain désobéissante et butée sur son refus de combattre un moulin à vent - une fiole censée contenir un poison foudroyant pour notre astéroïde. »