Réforme droit du Travail : « Pièges et Idées baroques » par Etienne TARRIDE (Billet)

Chers Amis,
Vous me pardonnerez ce trop long message sur une question qui me préoccupe.
Pour autant qu'on puisse l'imaginer en l'état la réforme du Droit du Travail telle qu'elle est envisagée à travers le projet de Loi d'habilitation est dangereuse.
Elle repose en effet sur une idée fausse et un pari pour le moins hasardeux.
Commençons par dire que la notion de "Contrat de mission", extension de ce qui existe déjà dans les BTP peut être utile. Il n'est pas absurde d'imaginer que les employeurs recruteront plus volontiers en présence de commandes importantes s'ils ne craignent pas de se trouver contraints de conserver des salariés devenus inutiles au terme de l'exécution de la dite commande. Il conviendra d'être néanmoins très attentif quant à la rédaction du texte qui doit comporter des conditions rigoureuses d'utilisation de ce contrat et des contreparties.
L'idée fausse se résume à l'exigence essentielle sinon unique du Patronat et notamment de la CGPME, le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les "petits patrons" seraient terrifiés par le risque considérable que leur fait courir la juridiction prud'homale et renonceraient à embaucher plutôt que de le prendre.
C'est oublier :
- Que les employeurs sont paritaires au sein des conseils de prud'hommes.
- Que les prud'hommes statuent sous contrôle de la Cour d'Appel
- Que les règles du Code Civil et précisément de l'article 1382 obligent "toute personne qui cause un dommage à autrui à le réparer en totalité.
Il n'est donc pas certain que le plafonnement passe l'étape du Conseil Constitutionnel.
Il pourrait bien arriver, par ailleurs, qu'un salarié licencié subissant un dommage qu'il estime supérieur au plafond prévu agisse sur les bases de 1382 devant le Tribunal civil non contre l'entreprise mais contre l'employeur personne physique qui aurait à répondre sur ses biens personnels. Les représentants des patrons feraient bien d'y réfléchir. Dans bien des cas, la notion de harcèlement moral pourrait y suffire et ce n'est qu'un exemple. Les textes qui se contredisent génèrent toujours des inconvénients
Le pari hasardeux est que la discussion interne à l'entreprise peut se substituer à la discussion au sein de la branche. Cette idée peut se révéler plus que désastreuse non seulement pour les droits des salariés mais encore pour l'économie française.
- Les salariés des PME et TPE sont évidemment affaiblis en face de patrons dont ils dépendent économiquement. Ils le seront encore plus si les indemnités pour licenciement abusif sont réduites.
- Imagine-t-on bien l'atmosphère d'une entreprise grande ou moyenne au lendemain d'un référendum sur un point important ?
Imagine-t-on la réaction des vaincus ? Imagine-t-on la réaction des catégories de salariés qui auront majoritairement voté Oui si le Non l'emporte du fait d'autres catégories ? Des salariés d'un site qui aurait voté Non si le Oui l'emporte du fait d'autres sites ?
Il y a là de quoi atteindre gravement la production française dans des secteurs importants du fait des troubles qui résulteront de ces consultations. Une entreprise n'est pas une Nation ou chacun s'incline devant la majorité
S'en tenir aux Contrats de Mission en prenant bien soin à la rédaction du texte. Réfléchir à d'autres pistes de réforme et notamment à l'assouplissement de sanctions excessives en cas d'erreurs vénielles. Renoncer à des idées baroques issues des dîners en ville. Eviter de faire grossir encore un Code du Travail qu'il est d'usage de présenter comme trop épais dans les débats télévisés.
Tel est mon point de vue.
Etienne Tarride*
Ancien Président d'audience au Conseil des Prud'hommes de Paris
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*Etienne TARRIDE - ancien avocat au barreau de Paris, gaulliste de gauche - publie des billets en exclusivité pour POLITIQUE-ACTU.COM. Il est aussi romancier