"Lettre au Citoyen Luc Chatel, Ministre de l'Education Nationale" par Jean-Paul MARTIN, instituteur retraité

Citoyen Luc Chatel, Ministre de l'Education Nationale, de la Jeunesse et de la vie associative,
110 rue de Grenelle - 75357 - Paris SP 07
Citoyen Ministre, la forme orthodoxe républicaine voudrait que je te tutoie, l'usage m'imposera de vous vouvoyer pour ne choquer personne.
Par deux fois et par deux de vos prédécesseurs, j'ai été honoré, sans avoir jamais rien sollicité, il y a longtemps déjà par une haute distinction universitaire: les Palmes Académiques, parce que cette distinction récompensait à l'époque le "dévouement à la cause du savoir, de la formation et de la jeunesse", ce que j'ai essayé de pratiquer quotidiennement, comme tous mes collègues instituteurs, tout au long de 37 ans et demi de services.
À l'inverse de ce que font certains aujourd'hui, je ne vous renverrai pas mes Palmes Académiques, pour les raisons suivantes:
1/ D'abord parce que ce geste vous laisserait totalement indifférent, ce n'est pas vous qui me les avez attribuées.
2/Ensuite parce que j'ai reçu ces distinctions, (dont je suis fier!) à l'époque, dans le cadre d'une reconnaissance que l'on attribuait aux serviteurs de l'Ecole de la République, à ses Maîtres. Y renoncer aujourd'hui serait insulter ces valeurs républicaines et mépriser ceux qui me les ont attribuées. Par contre, si je les recevais aujourd'hui je ne sais si je les accepterais, car je ne me sens plus en phase avec les orientations actuelles pour assurer l'avenir de l'Ecole républicaine .
3/ Enfin, parce que j'espère les porter sur mon cœur, le jour où je manifesterai pacifiquement, en qualité de citoyen, contre les entreprises que je juge destructrices pour l'Ecole de la République, auxquelles nous assistons en ce moment, ainsi que pour la laïcité honteusement récupérée par un parti d'extrême droite, sans aucune réaction des autres partis modérés!
Le peuple de France a confié à ses élus républicains la belle et lourde charge de mettre tout en place pour instruire ses enfants, avenir de La France; et leur permettre ainsi de réaliser plus tard leurs souhaits de connaissances et d'emploi. Croyez-vous qu'en fermant des postes d'enseignants, en restreignant les budgets, en limitant les formations des maîtres, l'Etat finalisera cette mission? Votre action ministérielle est au service d'un "peuple libre, éduqué et instruit" comme l'a dit Jules Ferry. Elle n'est surtout pas destinée à accepter de réduire les moyens d'éducation, certes coûteux et bien moins électoralistes que d'autres mesures et discours populistes.
Une première excellente initiative serait déjà de remettre devant les élèves tout le personnel enseignant excédentaire qui encombre les couloirs de l'administration.
Je me permets de vous adresser l'instructive intervention de Victor Hugo devant ses pairs il y a déjà 163 ans et que vous trouverez en annexe.
Reçois, Citoyen Ministre l'expression respectueuse des sentiments de doute et d'amertume d'un Officier des Palmes Académiques, fier de l'être, ancien simple Maître d'école d'un village de France.
Rabouillet le 17 février 2011
Jean Paul Martin
Instituteur et Directeur d'école publique retraité.
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Annexe:
Extraits du discours prononcé le 10 novembre 1848 par Victor Hugo devant l’Assemblée nationale : rien n'est plus d'actualité!
« Personne plus que moi, messieurs, n’est pénétré de la nécessité, de l’urgente nécessité d’alléger le budget.
...Je viens de vous montrer à quel point l’économie serait petite ; je vais vous montrer maintenant combien le ravage serait grand.
...quel est le grand péril de la situation actuelle ? L’ignorance.
...L’ignorance encore plus que la misère. L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes.
Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies.
...Je voterai contre toutes les réductions que je viens de vous signaler et qui amoindriraient l’éclat utile des lettres, des arts et des sciences.
Je ne dirai plus qu’un mot aux honorables auteurs du rapport.
Vous êtes tombés dans une méprise regrettable ; vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de gloire que vous faites. Je la repousse pour la dignité de la France, je la repousse pour l’honneur de la République. » V.H.