« La désindustrialisation de la France » Nicolas Dufourcq - La chronique anachronique de Hubert de Champris
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Mercredi 18 octobre 2023,
La chronique anachronique de Hubert de Champris
Nicolas Dufourcq, La désindustrialisation de la France, 1995-2015, Odile Jacob poches.
C’est l’histoire d’une faute, d’une très grande faute que nous narre ici l’actuel directeur de la BPI (Banque publique d’investissement), soit un peu la contribution du pêcheur au rachat de sa faute voire à la rédemption économique et financière de la France puisque l’auteur fut un des dirigeants de France Telecom et de Capgemini, entreprises dont on peut dire qu’elles ont mis du leur dans cette entreprise générale tous corps de métiers de désindustrialisation du pays. « Je ne m’exclus pas de la critique » écrit en note notre auteur.
Ces passages bien sentis expriment bien ce que Dufourcq nomme un « drame ». « L’élite du pays n’a plus porté son regard sur le monde de l’usine. Les promotions des grandes écoles (…) ont préféré se diriger vers la finance et les services. Dans ces années 2000, il est devenu presque impossible d’avoir avec les cercles dirigeants à Paris une discussion argumentée sur l’industrie, car plus personne n’en maîtrisait les cadres de référence. (…). C’est dire à quel point on sous-estime la rupture culturelle des années 2000, jusqu’à la crise des subprimes. La jeunesse française a clairement répondu à l’appel de la mondialisation anglo-saxonne, progressivement à partir de 1990, fébrilement après l’an 2000. (…). Une époque de domination idéologique sans partage du monde atlantique, lui-même très éloigné du capitalisme rhénan. Une époque aussi où l‘on se dit que, pour vivre la mondialisation, il faut être à Paris ou, mieux, à Londres. Or, l’industrie, c’est la province. La société française des grandes villes a fait son choix : elle ne fait plus corps avec son industrie, et se désintéresse du choc qu’elle est en train de subir. »
Ce que nous nommerons les causes mineures de cette faramineuse désindustrialisation sont énumérées : entrée de la Chine dans l’OMC (Organisation mondiale du commerce), dévaluation interne allemande induite tant par le nouveau droit du travail allemand en défaveur du salarié que par la sous-évaluation d’au moins 10% de l’euro pour l’Allemagne, la fin de la « solidarité de filière » (qui consiste à toujours favoriser ses sous-traitants nationaux, soit la responsabilité de la direction des achats des entreprises), la réduction de l’empreinte des grands groupes (qui consiste, ici, tant dans le fameux phénomène de la délocalisation que dans le surinvestissement à l’étranger et pour le seul bénéfice financier et social de cet étranger), l’introduction généralisée de la semaine de 35 heures (qui aurait dû demeurée facultative et sectorielle), le principe même sinon l’abus des accords de libre-échange et ainsi de suite…
Dufourcq le dit bien : ce qui ressort est un tableau de responsabilité générale de la société française. Tout le monde a ses empreintes digitales sur la désindustrialisation du pays, car elle est le résultat d’une préférence collective. Le monde ouvrier, pourtant le premier touché, n’a pas lui-même vraiment défendu son objet (responsabilité de la CFDT, moins de la CGT).
Parmi les causes majeures du phénomène figure certes le virage idéologique de la gauche. Mais celui-ci doit être situé bien avant 1995. Louis Gallois voit juste en nous rappelant que LE (c’est Gallois qui use de la majuscule) grand virage a eu lieu en 1983 ; pour moi, écrit-il, c’était une rupture de contrat : le maintien « quoi qu’il en coûte » du franc, voulu par Mitterrand, dans le SME (Système monétaire européen) fut le (premier) vers dans le fruit de l’industrie du pays. Gallois estime à juste titre que l’on pouvait se maintenir dans le SME, mais en l’accompagnant impérativement d’une dévaluation interne. Après… après, souligne-t-il, l’Acte unique européen est passé en douce.
Bref, nos dirigeants politiques, nos économistes mainstream n’ont pas voulu admettre qu’il existait aussi en matière économique des structurelles naturelles qui se vengent lorsque l’Homme ne respectent pas leurs proportions : le secteur primaire, la pêche, l’agriculture et les mines, le secteur tertiaire, soit ce que recouvre les services, l’impalpable, l’immatériel. Demeure au milieu le ‘‘gros du lot’’ : le secteur secondaire soit ce qui est concrètement, matériellement fabriqué… le « dur » et ce qui doit être appelé à durer, l’industrie. En ne voulant pas, en ne voulant plus respecter cette donnée, en cédant sur la pente du confort immédiat et de la facilité, nos dirigeants politiques ont failli. En matière de faillite, le droit commercial édicte des procédures de redressement voire de sanctions personnelles des dirigeants. Il nous semble que ces ‘‘mesures’’ devraient en premier lieu être administrées à ces derniers.
Hubert de Champris
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[NDLR : La redaction de politique-actu.com est heureuse d'acceuillir de nouveau les chroniques d'Hubert de Champris dont nous apprécions la qualité d'analyse et la liberté de ton. Merci à cette plume exceptionnelle. JLPujo]
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