Elus & Maires

« Vers l’effacement de notre diplomatie culturelle » JP CHEVENEMENT

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Intervention de M. Jean-Pierre Chevènement, discussion en séance publique au Sénat du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’Etat, lundi 22 février.

Monsieur le Président, 
Monsieur le Ministre, 
Mes chers collègues, 

« Le pape, combien de divisions ? » 
On se souvient de la célèbre apostrophe de Staline à Churchill. 
On serait tenté, Monsieur le Ministre, de vous poser la même question à propos des moyens consacrés à notre action culturelle et technique à l’étranger, sans vouloir diminuer votre rayonnement personnel, qui n’est quand même pas à la hauteur de l’influence spirituelle du Pape ... 

Vous nous proposez de créer deux grands opérateurs : une Agence chargée de l’action culturelle extérieure et une Agence pour l’expertise et la mobilité internationale, l’AFEMI, toutes deux sous forme d’EPIC et en cohérence avec la création, au sein du Ministère des Affaires étrangères et européennes, d’une direction de la Mondialisation. Je n’ai pas d’hostilité de principe à cette réforme. On peut regrouper, rattacher, restructurer, autant qu’on voudra. En matière d’organisation, ce qui compte c’est la vision politique et ce sont surtout les moyens, par exemple pour offrir une carrière digne de ce nom aux personnels de l’action culturelle. Mais est-ce bien là le propos de la réforme que vous nous présentez. Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ?

Au moment où l’on parle de la « diplomatie d’influence », où nos partenaires et concurrents étrangers, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi la Chine, renforcent les moyens consacrés à leur diplomatie culturelle et leur influence, notamment en Asie, en Afrique et même en Europe, comment expliquer que notre pays soit le seul à réduire drastiquement les moyens consacrés à son rayonnement culturel et linguistique ? Notre collègue Duvernois parle de débâcle budgétaire sans précédent pour ce qui est des services de l’Etat ou dépendant de lui juridiquement. S’il n’y avait pas le réseau associatif, et en particulier le millier d’Alliances françaises qui accomplissent un travail admirable et largement autofinancé pour développer notre langue, celle-ci qui, selon Fernand Braudel, constitue l’identité de la France, serait en perdition. Le nombre des Alliances françaises, de 2000 à 2009, a augmenté de 8 %, celui des Instituts et centres culturels a diminué de 20 %. 

Notre pays a pourtant été le premier à mettre en place une diplomatie d’influence. 

Faut-il rappeler qu’au lendemain de la défaite de 1870, la France a pris l’initiative, grâce à des personnalités comme Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur, Ernest Renan ou Jules Verne, de mettre en place ce magnifique réseau des Alliances françaises, qui joue un rôle majeur pour promouvoir notre culture et notre langue hors de nos frontières ? 

Aujourd’hui encore, notre pays dispose du réseau culturel le plus dense et le plus étendu. 

Mais il suffit de se rendre dans nos ambassades, dans nos centres ou instituts culturels ou même de voyager à l’étranger, pour constater la faiblesse croissante des moyens dont disposent nos diplomates, nos conseillers culturels, nos directeurs d’Instituts et de centres culturels et l’ensemble des personnels de notre diplomatie culturelle, à l’engagement et au dévouement desquels je veux rendre l’hommage qu’ils méritent, mais qui ne peuvent compenser, à la longue, le rétrécissement des crédits et les suppressions de postes. 

Comment s’étonner dans ce contexte que partout l’usage de notre langue et la présence de la culture française diminuent, y compris dans des zones d’influence traditionnelle de la France, comme en Europe centrale et balkanique, au Maghreb et même en Afrique francophone ? 

Faut-il rappeler que, si le français est l’une des trois langues de travail des institutions européennes, la part des documents rédigés en français au sein de la Commission européenne a chuté de 38 % en 1996 à moins de 12 % en 2008 ? 

Dans le même temps, la part des documents rédigés en anglais est passée de 45 à 72 %. 

Dans ce contexte, comment expliquer la nomination de Mme Catherine Ashton à la tête de la diplomatie européenne, alors que celle-ci, contrairement à une coutume bien établie, ne semble pas parler notre langue ? 

Voilà qui peut laisser songeur pour l’influence de notre pays au sein de la nouvelle diplomatie européenne. 

Il y a un domaine que je connais bien, c’est celui de notre enseignement supérieur grâce à l’effort réalisé en 1997-1998, sous l’impulsion de MM. Allègre, ministre de l’Education, Védrine, ministre des Affaires étrangères, et de moi-même alors en charge de l’immigration et par conséquent de l’accueil des étudiants étrangers, le nombre de ceux-ci dans l’enseignement supérieur français au sens large est passé de 160 000 en 1999 à 266 000 en 2008. 

Toutefois, la France accueille un faible nombre d’étudiants étrangers en provenance des grands pays émergents, comme l’Inde, la Russie ou le Brésil, et la plupart des futurs cercles dirigeants de ces pays auront une culture anglo-saxonne. Il en va de même en Europe où nous sommes largement devancés par la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Il faut dire que les moyens de promotion de « Campus France » qui a pris le relais d’« Edufrance » sont dérisoires, comparés à ceux du British Council ou du Goethe Institut. Le problème des tutelles ministérielles sur l’AFEMI n’est pas réglé mais il me semblerait raisonnable que s’agissant de l’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers la co-tutelle du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche soit préservée. Cette question évoquée par M. Kergueris a été renvoyée à un décret mais elle est essentielle et me paraît mériter de figurer dans la loi. 

Le budget consacré par la France à son rayonnement culturel et scientifique a connu une forte diminution ces dernières années, avec des baisses pouvant aller jusqu’à 20 ou 30 % selon les pays. 

Tout laisse à penser que le budget et les effectifs du ministère des affaires étrangères vont continuer à subir des coupes claires dans les prochaines années… 

Car votre budget, Monsieur le Ministre, est pris en étau entre le marteau de la RGPP et l’enclume des contributions internationales, qui connaissent, quant à elles, une hausse exponentielle. 

Je rappelle que le montant total des contributions internationales versées par la France s’élève à plus de 740 millions d’euros. 

A titre de comparaisons, l’ensemble des moyens consacrés à notre action diplomatique, au sens strict, ne représente que 90 millions d’euros. 

Notre contribution à l’OTAN représente à elle seule 170 millions d’euros. 

Et, lorsque l’on consulte la liste des organisations internationales qui reçoivent une contribution de la France, on peut légitimement s’interroger.

Est-il réellement utile de contribuer financièrement à l’association pour la conservation des albatros et des pétrels, malgré toute l’admiration que je porte à Baudelaire ? 

De même, ne serait-il pas utile de revoir notre participation à des organisations telles que l’organisation internationale des bois tropicaux, le comité international du coton, la commission interaméricaine du thon des tropiques ou encore le groupe d’études international du caoutchouc ? 

Nos participations internationales amputent d’autant les moyens dévolus aux actions bilatérales, qui contribuent pourtant de manière déterminante à notre rayonnement à l’étranger. 

Le soutien au multilatéralisme, que vous prônez, n’est bien souvent qu’un des aspects de l’effacement de la France. Voilà le grand mot lâché : l’effacement de la France. On n’y remédiera pas, Monsieur le Ministre, en réduisant la multiplicité de nos opérateurs. Sans doute faut-il resserrer le dispositif. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, la société de l’audiovisuel extérieur de la France, l’Agence pour la diffusion de l’information technologique ont créé des précédents éclairants. Il y a sûrement des leçons à tirer pour la création des deux nouveaux opérateurs. Une chose est sûre cependant : si vous n’avez pas des moyens substantiellement accrus au budget de 2011, mieux vaut ne pas engager des réformes précipitées qui ne feraient qu’ajouter la confusion à la disette. Laissez les bourses universitaires au CNOUS et n’engagez d’expérimentations de rattachement des Instituts culturels au nouvel opérateur, qu’avec des moyens substantiellement accrus. Surtout, en matière « d’expertise internationale », ne vous aventurez pas sur le terrain glissant des mises à disposition de fonctionnaires français auprès de « think tanks » étrangers, ou encore de facturation de services d’expertises à des entreprises étrangères dans des domaines ne relevant pas nécessairement de l’intérêt public, tout en restant subventionnés par l’Etat français. Le cœur de cible doit rester notre coopération scientifique et technique et il faut conjurer le risque de dérive mercantile, surtout si les moyens budgétaires ne sont pas suffisants. 

Vous parlez de « modernisation » : en vérité, vous êtes prisonnier de cette fameuse RGPP, dont le regretté Philippe Seguin avait critiqué l’application indiscriminée, et ne pourrez donc maintenir, au fil des réductions qui se succèdent année après année, la présence universelle de notre diplomatie, dont vous convenez vous-même qu’elle est encore l’un de ses principaux atouts. Je souhaite me tromper, mais je crains qu’avec la création de l’opérateur culturel, le Ministère des Affaires étrangères n’ait trouvé une solution pour ne jamais harmoniser la situation salariale des recrutés locaux de ses divers réseaux diplomatiques. Le passage sous statut privé signifierait l’échec du projet d’harmonisation sociale qui seul répondrait à l’ambition d’une grande politique culturelle extérieure, offrant à ceux qui s’y consacrent, des perspectives normales de carrière et d’épanouissement. 

Le projet de loi que vous nous présentez, Monsieur le Ministre, ne saurait tenir lieu à lui seul de réponse à la crise que traverse notre diplomatie culturelle. 

Ce n’est pas en créant une nouvelle agence, même si on décide de l’appeler « Institut Victor Hugo », que l’on pourra réellement espérer un renforcement de notre action culturelle. J’aurais préféré, pour ma part, le nom plus sobre d’« Institut Français » à l’image du « British Council ». Victor Hugo, « notre plus grand poète hélas ! », ne résume pas toutes les faces de la culture et de la littérature françaises. 

Les amendements apportés par la commission des Affaires étrangères et de la Défense apportent certes des améliorations bienvenues, notamment en ce qui concerne les ressources de ces établissements. 

En revanche, j’avoue, Monsieur le Ministre, que je suis médiocrement convaincu par le rattachement à cette agence des services de coopération et d’action culturelle des ambassades ou des centres et instituts culturels. 

Ne serait-ce pas là le signe d’un renoncement à une composante essentielle de notre diplomatie ? 

Le ministère des affaires étrangères et les ambassadeurs sur le terrain ne risquent-ils pas d’être tenus à l’écart et privés de cet outil majeur d’influence, comme c’est déjà le cas en matière économique, avec UbiFrance, ou l’aide au développement, avec l’Agence française de développement ? La culture peut encore moins être dissociée du politique. 

En définitive, l’Etat sera-t-il toujours en mesure de conduire une diplomatie culturelle ? 

J’espère, Monsieur le Ministre, que vous pourrez nous rassurer sur ce point. 

Pour terminer, Monsieur le Ministre, vous avez évoqué dans une interview au Journal du Dimanche, il y a deux jours, la création d’un Etat palestinien, avant même la négociation sur ses frontières. On n’en attendait pas moins du créateur de « Médecins sans frontières ». Mais ne craignez-vous pas dans le rapport de forces actuel, d’entériner ainsi les avancées de la colonisation israélienne des territoires occupés ? Quel est sur ce sujet l’avis de M. Mahmoud Abbas ? Et celui des Etats-Unis ? 

Sur ce sujet aussi nous aimerions être rassurés.

SOURCE :

http://www.chevenement.fr/Vers-l-effacement-de-notre-diplomatie-culturelle_a924.html

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