MAROC : "DES SALAFISTES INTÈGRENT LE JEU POLITIQUE ET PACTISENT AVEC LE ROI" par Jean-Michel Salgon (*)

Les élections régionales et municipales au Maroc ont été marquées par la percée relative du Parti de la justice et du développement (PJD). Ce parti « à référentiel islamique » (1) domine la vie politique marocaine avec deux organisations réputées proches du monarque, l’Istiqlal et le Parti Authenticité et Modernité (PAM). Les islamistes du PJD, traditionnellement bien implanté en milieu urbain et dans le nord du Maroc, ont notamment remporté les mairies de plusieurs grandes villes (Casablanca, Rabat, Fès, Agadir, Tanger…).
Depuis plus d’une année au Maroc, une vaste recomposition politique est initiée par le roi, « commandeur des croyants » qui depuis le début de son règne, s’applique à gérer l’espace politique accordé aux divers représentants de la mouvance islamiste et ce dans un contexte international marqué par la croissance du terrorisme. Cette recomposition offre à des islamistes, qui ont un temps revendiquer le recours à la lutte armée, la possibilité d’intégrer la sphère politique officielle par le biais d’adhésion à des partis politiques.
Le roi garant de la paix sociale, de la sécurité, dans le royaume compte par ce biais lutter contre le terrorisme et renforcer les bases de la monarchie parlementaire. Préalable indispensable à toute « régularisation » politique il faut, pour les concernés, publiquement renoncer au recours à la violence, prôner la paix et reconnaître l’autorité royale. Le salafiste Mohamed Fizazi, condamné à trente ans de prison, à la suite d’une longue procédure judiciaire, dans le cadre du procès des attentats de Casablanca de 2003, a bénéficié d’une grâce royale, après huit années de détention le 14 avril 2011. Il prêche désormais publiquement pour une concorde nationale, pour le respect des institutions et condamne régulièrement les attentats commis au nom de l’islam, en occident comme dans d’autres pays musulmans.
Dans le cadre de cette politique, le roi et ses conseillers ont favorisé récemment l’intégration au sein d’une formation politique déjà existante, le Mouvement démocratique et social (MDS), d’islamistes liés à la mouvance salafiste ; l’un des membres du bureau politique de cette organisation, classée jusqu’au présent dans les formations de « centre-droit » Abdelouahed Darwich, affirmant à cette occasion : « Ces citoyens se sont remis en cause et ont exprimé leur attachement aux constantes de la nation. Les intégrer politiquement aidera à leur réinsertion dans la société ». Le salafiste djihadiste Abdelkarim Chadli ancien détenu, et Faouzi Abdelkrim cadre de l’organisation Chabiba islamiya, l’une des plus anciennes organisations islamistes marocaines très actives durant les années 1970-1980 sont désormais cadres du parti MDS. La presse et plusieurs membres de la formation ont annoncé l’engagement de plusieurs centaines de nouveaux adhérents.
Par cet acte et pour « neutraliser » une partie de la mouvance islamiste radicale, Mohamed VI s’est inspiré directement de son père. Hassan II, avait opté durant les années 1990 pour une ouverture politique en intégrant des islamistes, dont l’actuel premier ministre Abdelilah Benkirane dans une formation politique à l’audience limitée dirigée par un homme politique réputé proche du palais. En 1996, des islamistes de l’organisation Réforme et Renouveau (Al Islah Wal Tajdid) ont intégré au sein d’un parti de faible audience le Mouvement Populaire Démocratique et Constitutionnel. Deux ans plus tard, à la suite d’un congrès exceptionnelle, la formation désormais contrôlée par les islamistes, changeait de dénomination : le Parti de la Justice et du développement, organisation de l’actuel premier ministre était créé.
La paix politique et sociale implique pour le palais le pardon, et cette stratégie semble du moins à court terme être efficace.
Jean-Michel SALGON*
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(*) Jean-Michel SALGON est politologue, spécialiste du Maghreb, auteur du Dictionnaire de L’islamisme au Maghreb, édition l’Harmattan, 2012. Il est membre de la rédaction de Politique-actu.com.
Note :
(1). Les dirigeants du PJD récusent le terme d’islamiste et préfère l’expression de « parti à référentiel islamique ».