« L’OTAN … Au vent mauvais ! » Jean-Luc Pujo
- Article publié dans le Journal LE SARKOPHAGE - Novembre 2007 -
___
En élisant Nicolas Sarkozy, les français ont largement mésestimé la rupture diplomatique et stratégique programmée. Nous y voilà. La France va rejoindre le commandement militaire intégré de l’OTAN, pour complaire aux pouvoirs qui ont porté le nouvel occupant de l’Elysée.
Cette décision s’inscrit en contradiction avec la tradition française, avec les choix stratégiques et diplomatiques des cinq décennies passées.
La situation française peut-elle s’accommoder de la nouvelle stratégie portée par l’OTAN ? Ou doit-on conclure aux dangers éminents de ce rapprochement ?
Il faut le reconnaître, la Défense française a une particularité. Elle porte l’arme nucléaire, qui a fait d’elle une des plus grandes puissances stratégiques de la planète.
Dès la IVème République, les dirigeants français de tous bords — comme les militaires — ont considéré que « la première raison de faire la bombe vers 1954—1955 était d’avoir le même statut que les britanniques et les américains au sein de l’OTAN » rappelle Bruno Tertrais (Fondation de la Recherche stratégique).
Couteux, ce programme s’est inscrit depuis dans des limites technologiques étroites. Le choix important et récent de la simulation — pris en 1994 par F. Mitterrand — a tout naturellement poussé la France à envisager des coopérations notamment avec nos amis du Royaume Unis. En vain.
Aujourd’hui, seuls deux pays occidentaux sont dotés de moyens de simulations — les Etats-Unis et la France — avec les efforts budgétaires importants que l’on imagine.
Malheureusement, « Les choix stratégiques français — arrêtés à la fin des années 90 — laissent la France sans véritable marge d’évolution après 2015—2020, tant par la paresse de la réflexion qu’en raison de choix structurants et durables sur les équipements » critique Louis Gautier, ancien Conseiller Défense du Premier Ministre.
La France doit nécessairement chercher la coopération, ce, pour trois raisons : stratégiques (la France n’est pas un isolat stratégique en Europe), financière (la France n’a plus les moyens de financer la modernisation de son arsenal nucléaire, le maintien et la remise à niveau technologique), et enfin technique (les armes nucléaires sont confinés dans un rôle stratégique limité aux situations extrêmes).
« En clair — précise Louis Gautier — sans intégration au niveau stratégique de la défense européenne, la dissuasion française va inéluctablement en se périmant. »
La situation actuelle se présente malheureusement sous la forme d’une alternative assez simple : La France va-t-elle convaincre les européens de prendre en main leur destin ? Ou faut-il définitivement déléguer notre sécurité aux Etats-Unis d’Amérique ?
Depuis que les britanniques ont renoncé à la chaîne technologique nucléaire en se soumettant à la technologie américaine, seule la France dispose du Saint Graal nucléaire, outil indispensable pour bâtir une défense européenne autonome. La France représente — à ce titre — une véritable chance pour l’Europe.
Mais la France peut-elle encore supporter seule un effort technologique et financier aussi important ? Certains ne se privent pas de critiques : ceux qui veulent renoncer, maintenant ; ceux — les atlantistes — qui ont renoncé, de tout temps. Tous sont partisans d’un rapprochement avec l’OTAN.
Un rappel historique n’est pas ici sans intérêt. Il éclaire le débat politique actuel d’une étonnante gravité. Les relations de la France avec l’OTAN ont en effet varié. Le 4 avril 1949, Robert Schuman — ministre des Affaires étrangères — signe pour la France le fameux traité, né en juin 1948 — après le vote de la résolution Vanderberg au Sénat Américain, préconisant « le soutien des Etats-Unis aux accords régionaux et collectifs de légitime défense […], fondée sur une auto-assistance et sur une aide mutuelle permanente […] dans la mesure où ils affectent la sécurité nationale des Etats-Unis ».
Qui se souvient que — quelques mois plus tôt, dès mars 1948 — la France, le Royaume-Unis et le Benelux avaient pris une initiative semblable, continentale, — le Pacte de l’Union Occidentale — visant à instaurer un système d’assistance mutuelle automatique — l’article IV — face aux menaces grandissantes pesant sur la Norvège, la Grèce, la Turquie… dans une période marquée par le blocus de Berlin et le coup d’Etat de Prague ?
L’article 5 — véritable pierre angulaire du traité OTAN — reprend ce même principe central et stipule que « les pays membres conviennent de considérer une attaque armée contre l’un d’eux, en Europe ou en Amérique du Nord, comme une attaque dirigée contre tous. » Cette assurance-vie ne sera jamais employée … pas avant les attentats du 11 septembre 2001 !
Dotée — dès la guerre de Corée — d’une structure politique et militaire permanente, l’OTAN va se voir opposer le Pacte de Varsovie créé … en mai 1955.
Cinq ans plus tard, en 1960, l’Europe tente d’affirmer la nécessité d’une défense européenne autonome par rapport aux Etats-Unis, structurée autour du noyau central de l’Alliance Atlantique : le « pilier européen de l’Alliance ». Pourquoi ce souci européen ?
C’est dans ce contexte que la France insatisfaite des conditions décisionnelles imposées par les maîtres américains, va quitter le commandement militaire intégré en 1966, en pleine guerre froide. Pourquoi ce pas en arrière du Général de Gaulle ?
Fidèle à cette position, la Gauche — elle-même — s’est convertie à la fin des années « 70 » à cette stratégie, « rendant ainsi possible son accession au pouvoir » (Louis Gautier). Et quand il fut question de recueillir « les dividendes de la paix », c'est-à-dire d’accepter — enfin ! — de s’aligner, en 1991, après la chute du mur de Berlin, la fin de l’URSS et la fin du Pacte de Varsovie, c’est à nouveau la Gauche qui réaffirma la nécessité d’assurer une continuité stratégique. Non pas toute la Gauche, mais une certaine gauche, toujours la même, attachée à une certaine Idée de la France et — pourquoi ne pas le dire ? — par deux fois, ceux qui — JP Chevènement en tête — opposés à une Gauche atlantiste, décervelée ou achetée, ont réussi à affirmer une volonté gaullienne d’indépendance stratégique nationale.
Pourquoi — aujourd’hui — la France devrait-elle rejoindre le commandement militaire intégré de l’OTAN ? Rompre avec une stratégie, une diplomatie, que deux chocs pétroliers puis une alternance politique majeure n’ont pas changé ?
Ce tournant est d’autant plus inacceptable que l’OTAN vient de changer de philosophie et de stratégie : aujourd’hui, l’OTAN a décidé d’attaquer.
La fin du Pacte de Varsovie a privé l’OTAN de sa principale raison d’être. Alliance foncièrement défensive, l’OTAN aurait dû logiquement disparaître ayant rempli sa mission de dissuasion et d’équilibre.
Au même moment, l’Union européenne est apparue comme un véritable pôle de stabilité, déclenchant ainsi une véritable concurrence entre différentes architectures de sécurité. Les américains devaient-ils quitter le continent européen ?
Pour des raisons géopolitiques et stratégiques, les américains ont décidé que « non », et Warren Christopher ainsi de proclamer : « L’Otan est au cœur de la stratégie européenne des Etats-Unis ».
Une véritable bascule stratégique a alors été opérée au sommet de Rome (1991) : dorénavant, on ne parlerait plus de « menace d’attaque massive » mais de « risques d’instabilité », non plus de « défense des territoires nationaux » mais de « conception élargie de la stabilité et de la sécurité ». (Bernard Wicht «L’OTAN attaque »).
Ce changement de nature de l’Organisation a constitué une véritable révolution, permettant de substituer au but de légitime défense, le choix des interventions extérieures.
Mais ce changement stratégique externe de l’OTAN a découlé d’une révolution interne autrement plus importante : la prise de pouvoir de l’US Air Force sur la Marine et sur l’armée de terre américaine, au sein de l’OTAN comme au sein de l’appareil militaire américain. Pour quelles raisons ?
Les intérêts industriels, économiques et financiers qui se cachent derrière l’US AIR FORCE — fleuron du complexe militaro-industriel américain (CMI) — sont insoupçonnés. Les enjeux financiers sont immenses pour Boïng, Loockeed Martin… mêlant d’ailleurs complexe militaro-industriel et complexe militaro-médiatique. Ainsi, la Général Electrique (GE) vend le missile Patriot, le missile Tomahawk, le bombardier invisible F 117 A Stealth, le bombardier B-52, l’avion radar Awacs, le satellite espion Navstar… et dispose de trois des plus grands réseaux commerciaux de télévisions américains : CBS, ABC, et la NBC.
La fin de l’OTAN a donc posé directement la question de la survie de ce complexe scientifique et industriel. Comment doter le CMI d’une nouvelle raison d’être, alors que de toute façon, les commandes du Pentagone ne seraient jamais plus aussi importantes que durant la guerre froide ?
Le CMI a ainsi conçu les moyens de sa survie en opérant une double rupture : imposer la domination de l’US Air Force au sein de l’appareil militaire puis opérer un changement fondamental de stratégie : « ce que le Pentagone ne pouvait plus commander aux usines du Complexe, le monde extérieur le ferait. » (Bernard Wicht).
Pour imposer ces changements internes, rien ne valait mieux que le terrain, c'est-à-dire une nouvelle guerre. Les interventions de l’OTAN en Yougoslavie (RFY) — suite aux négociations volontairement avortées de Rambouillet — revêtaient un double intérêt : d’une part, démontrer aux européens leur incapacité à se gérer et par la même imposer une présence américaine sur le sol européen ; d’autre part, démontrer l’utilité d’une révolution dans les affaires militaires (RMA) par le succès d’une surveillance aérienne 24 heures sur 24, par des frappes dites « chirurgicales »... et le spectacle d’une impressionnante guerre technologique.
Cette fuite en avant a généré en quinze ans de multiples opérations conduites principalement par l’Armée de l’air américaine (USAF) : Just Cause (Panama -1989), desert Shield / desert Storme (Golfe -1990 et 1991), Deliberate Force (Bosnie - 1995)… puis le développement par l’OTAN d’opérations (Afghanistan, …), de programmes d’élargissement (Ukraine, Géorgie…) et de surveillances menaçantes pour les Russes (boucliers anti-missiles) …
L’USAF a ainsi réussi à s’imposer comme seule capable d’assurer la sécurité des Etats-Unis dans un nouvel environnement stratégique mondial et d’imposer les Etats-Unis comme la plus grande Nation aérospatiale.
« Face à l’expansion guerrière de l’empire, il n’y a que deux logiques possibles : celle de la soumission et celle du combat. » rappelle le philosophe Manuel de Diéguez.
Comment en effet dans ce contexte, la France peut-elle — Au pire des moments !— imaginer rejoindre l’OTAN ? Il ne s’agit plus là d’une faute politique mais bel et bien d’un crime !
Crime contre l’Europe, en la privant de toute perspective d’autonomie possible. Crime contre la France, en soldant le cœur stratégique de notre défense nationale. Heureusement, à ce crime, la Constitution répond par un dispositif récemment renforcé, en février dernier. L’hommage à Jacques Chirac s’impose de lui-même : « La destitution » ? Etonnante prémonition !
***
(*) ARTICLE publié dans le Journal LE SARKOPHAGE - Novembre 2007 - Toujours d'actualité !
Commentaires