TERRORISME : Attentat du BATACLAN - Qui savait ? Témoignage.

[NDLR : Témoignage exceptionnel de M. Stéphane GUYOT, sur son blog "Au pays des souris" - Trés bien rédigé, il fait écho à quelques questions essentielles restées encore sans réponse et qui nous ont tous assaillies après les horreurs du Bataclan]
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13 novembre : Mister Dunet
2 ans jour pour jour après les terribles attentats du 13 novembre, je vous invite à (re)découvrir le texte rédigé le lendemain du massacre alors que je réalisais que le gouvernement avait connaissance de l'imminence d'une attaque
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Depuis plus de 10 ans, mon petit commerce à l'honneur d'être un des fournisseurs du Ministère des Finances à Bercy. ''Le Ministère'', comme nous l'appelons entre nous, représente une manne financière non-négligeable et pèse de tout son poids dans le chiffre d'affaires d'un commerce familial davantage habitué à sa clientèle de quartier qu'au silence feutré des salons officiels.
Depuis plus de 10 ans, je livre donc mes bouquets dans les bureaux de Bercy. Fleurs dans les bureaux des Ministres (que j'ai vu défiler au gré des élections et/ou remaniements successifs), centres de table pour le restaurant de ces messieurs, bouquets ''remise décoration'' lors de cérémonies internes...
Mais n'entre pas qui veut. Car les accès sont évidemment surveillés et protégés. Ainsi, pour franchir les barrières de sécurité, il faut montrer pattes blanches, présenter au douanier un badge et accepter la fouille de son véhicule.
Autant dire qu'au bout de 10 ans, à raison de livraisons quasi quotidiennes, les douaniers qui surveillent avec zèle l'accès au Ministère me reconnaissent, moi et surtout ma très discrète camionnette jaune. Ainsi, lorsque j'ouvre le coffre de mon vieux Vito, le douanier de faction à plus souvent tendance à commenter les bouquets (oh la belle bleue, oh la belle rouge) plutôt que de se lancer dans une fouille méticuleuse. Il m'est même arrivé de passer sans m'arrêter sur un signe d'un fonctionnaire qui, me voyant arriver de loin, avait déjà levé la barrière !
Vendredi 13 novembre 2015, vers 14h, en arrivant à Bercy pour y déposer des centres de tables pour le restaurant, je suis accueilli par 3 barrages espacés d'une dizaine de mètres. Les fonctionnaires habituels me reconnaissent mais ils sont encadrés par des agents de sécurité, type FBI, portant brassard et talkie walkie. Je n'ai pu franchir ces barrages qu'en expliquant qui j'étais, qui j'allais voir, qui avait commandé les bouquets, quand avait été passée la commande, pourquoi mon véhicule n'avait pas été préalablement annoncé par le service concerné, et surtout...pourquoi mon badge d'accès n'était plus à jour !
Sur le moment, je me suis dit que cet excès de sécurité était dù à la présence d'une personnalité du gouvernement, voire d'un président étranger, comme ce fut le cas quelques mois plus tôt lors de la visite de l'ambassadeur des Etats-Unis. Mais devant le spectacle sécuritaire de vendredi, je me suis pris à sourire en imaginant que le Pape lui-même était venu discuter de quelques avoirs divins planqués en Suisse.
Quelle ne fût pas ma surprise en arrivant dans la cour d'honneur. Point de délégation officielle. Point de chef d'état. Pas la moindre trace des ces caméras de TV habituellement si nombreuses lorsqu'il s'agit d'assister aux communiqués des ministres, aussi stériles soient-ils. Une cour d'honneur déserte, triste comme un jour d'automne. Les C6 officielles des ''serviteurs'' de l'Etat garées sur leurs places attitrées avec à leur volant des chauffeurs désœuvrés, tuant le temps en se plongeant dans les pages de l'Equipe ou de Libé.
En découvrant vendredi soir l'horreur absolue au Bataclan, je n'ai pas immédiatement fait le lien avec cette présence policière inhabituelle. Comme tout le monde, j'étais sous le choc. Un choc face à l'ampleur du carnage, gratuit et méthodique. Un choc en réalisant que le seul crime de ces victimes était juste d'avoir eu envie de vivre normalement. Un choc en apprenant avec effroi que ''Mister Dunet'', le professeur d'anglais de mon fils de 9 ans, avait eu la mauvaise idée d'assister ce soir-là à un concert au Bataclan.
Ce n'est que samedi soir, l'onde de choc une fois passée, que le lien entre les attentats de la veille et l'extraordinaire cordon de sécurité mis en place plus tôt dans la journée à Bercy fut évident : Le gouvernement savait que les terroristes allaient frapper !
Il n'y a évidemment rien de choquant à ce que nos services de renseignements obtiennent ce type d'informations. L'inverse serait même particulièrement inquiétant. Ce qui m'interroge en revanche c'est la nature de ces informations. Car quelles qu'elles aient été, il fallait bien qu'elles soient suffisamment sérieuses et crédibles pour qu'on transforme un bâtiment officiel en forteresse. Et c'est bien là que le bas blesse. Car si la DGSI disposait d'informations tangibles, pourquoi les mesures préventives n'ont-elles pas été appliquées à l'ensemble de l'espace public comme l'a fait la Belgique ? Un blockout de la ville qui, même s'il n'aurait rien empêché, aurait certainement contrarié les plans macabres des terroristes.
Entendons-nous bien, je ne suis pas un théoricien du complot. Le 11 septembre a bien existé, Neil Armstrong a bien posé le pied sur la Lune et la Terre n'est plus plate depuis Galilée. Je ne fais que m'interroger sur des dysfonctionnements dans l'exploitation des informations et les décisions qui auraient pu - qui auraient dù - être prises. Dysfonctionnements dans la chaine de commandement, comme l'a dénoncé le politologue Thomas Guénolé dans sa chronique du 16/11 sur RMC, ce qui lui a valu d'ailleurs d'être viré de la chaine. Dysfonctionnements dans la prévention de tels actes, comme le prouve le témoignage d'un riverain du Bataclan publié dans les colonnes du Figaro. Dysfonctionnement de notre Renseignement Intérieur qui n'a pas su interpréter les informations à sa disposition et prévenir un danger pourtant identifié quelques mois plus tôt par le juge Trevidic, curieusement muté à Lille pour des raisons que les familles des victimes ne comprendront sans doute jamais..
En avril dernier, une tentative d'attentat dans une église de Villejuif était déjouée grâce à la maladresse de son auteur lui-même. Un vrai miracle, en fait, que cet abruti soit aussi con que maladroit. C'est un autre miracle, et le courage de 3 américains, qui éviteront le 21 aout un carnage à bord d'un Thalys reliant Bruxelles à Paris. Mais les services de renseignements français ne pourront s'en remettre éternellement à l'intervention divine pour éviter de nouveaux bains de sang. Nous savons aujourd'hui, malheureusement, que Dieu n'a rien fait pour épargner le Père Hamel à St-Etienne-du-Rouvray ou les victimes de Nice.
Ce vendredi 13 novembre 2015 en tout cas, pour ''Mister Dunet'' comme pour les 129 autres victimes des attentats parisiens, le miracle n'a pas eu lieu...
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