« Réussir l’Humanité » Jean-Luc PUJO, écrivain.
[NDLR : Ce texte a été publié dans l’ouvrage collectif « L’autre voie pour l’Humanité - 100 intellectuels s’engagent pour un post-capitalisme » dirigé par le poète et penseur André Prone. Edition DELGA - décembre 2018. L'auteur a décidé de l'offrir gracieusement aux lecteurs de POLITIQUE-ACTU.com - Bonne lecture !
Re-publié en septembre 2020 dans le dernier livre de Jean-Luc PUJO "TRACES - Textes politiques", il doit être lu avec un autre texte "Biopouvoir : Menaces pour l'humanité" pour mieux comprendre l'opération mondiale #Covid19.
En cette fin d'année 2024, face aux menaces d'embrasement planétaire et de risques nucléaires, il est bien sûr possible de relire ce texte de réflexion.]
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Le capitalisme est l’incarnation du miracle Prométhéen.
Comment d’ailleurs contester le saut technologique et scientifique – historique - de l’humanité en deux siècles ?
En mutation constante, le capitalisme est cet « illimité » entrevu par Marx (accroissement des capitaux illimité), annoncé par Jaures (nature infinie), cerné par Illich (Illimitation) et Marcuse (monopole radical).
Il aboutit aujourd’hui à un stade exceptionnel caractérisé par l’autonomisation d’un processus révolutionnaire : il se révèle - non plus seulement comme « fait social total » (Michea) – mais comme processus totalisant-totalitaire faisant emprise ni plus ni moins que sur le vivant. Il est un véritable processus métastasique, que rien n’arrête pas même la guerre (1) qui le revivifie.
À l’aune de cette réalité, l’ensemble des paramètres de l’analyse marxiste doit bien sûr être reconsidéré : Comment penser le salariat à l’heure de la disparition du travail ? Penser la propriété privée à l’heure de la disparition de l’Etat ? Penser la loi de l’offre et de la demande quand le processus est beaucoup plus qu’un fait économique ? Plus encore, la complexité du processus aux conséquences infiniment plus graves que la simple accumulation-concentration de capital appelle une réponse autrement plus élaborée, au spectre infiniment plus large. Ignota, nulla curatio morbi (2).
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Processus totalisant-totalitaire, le capitalisme procède classiquement par réification du monde végétal et du monde animal. Il n’épargne pas l’Homme puisque c’est lui qui est d’abord visé.
La brevetisation du vivant s’opère à vitesse forcée. Semences et plantes médicinales sont ainsi extraites du champ de la propriété universelle pour être non seulement privatisées mais recodifiées en ressources maitrisées non reproductibles.
De la même façon, le monde animal est déjà sous l’emprise de la techno-reproduction, qui s’imposera non seulement par sa privatisation mais aussi par sa reproduction « zéro défaut ». L’humain – lui-même – va faire l’objet de cette production rendant obsolète voire illégale toute reproduction biologique naturelle, donc risquée.
Si le processus d’emprise sur le vivant est déjà en cours, il opère avec subtilité sur l’humain. Mais tout va très vite. Il faut d’abord procéder par vidage de l’humain dans l’Homme afin de limiter les résistances et préparer sa migration. Vers où ? Vers quoi ?
La Human engeneering répond bien sûr à cette volonté d’hybris (Anderson) qui appelle au préalable un processus de glissement de la promotion de l’Homme de désir (Magnard), de l’Homme produit (Lacan) au sujet flottant (Dufour) accouchant de cet Homme sans intérieur (Breton) pour transformer l’humain en sable (Nietszche).
Le processus ancien a d’abord consisté à déraciner l’Homme en le coupant de son milieu naturel qui fonde la source de sa vie morale, intellectuelle et spirituelle (Weil).
Nous avons pu ainsi glisser successivement du sujet kantien-raisonné au sujet freudien-névrotique puis au sujet deleuzien-schizophrénique (Dufour), le tout baignant dans une mer de mal macro-social où règnent les sociopathes (Lobaczewski) et où les individus sont forcément atteint de cette fatigue d’être-soi (Dufour) avant de connaitre le dernier degré d’appauvrissement de la vie (Magnard déclinant Freud)
L’idée est bel et bien de préparer la phase ultime du processus totalisant : sortir le vivant du biologique et imposer la reproduction du techno-vivant.
Nous approchons d’ailleurs de ce stade du contrôle total de la matière au niveau atomique (Peterson) alors que nous atteignons déjà le stade du Converging technologies qui conjugue nanosciences et nanotechnologies, biotechnologies et biomédecines, informations avancées, calculs et big-data, sciences cognitives et neurosciences cognitives (Dufresne), le tout placé sous l’annonce pleine de promesses d’intelligence artificielle, portée par les puissants GAFA.
Les expériences les plus diverses comme les projets de Clonage, le projet Biosphère I et II ou le programme Artificial Life de création d’être cyborg (Langton - Université de Santa Fe) illustrent cette volonté de maîtrise pour dépasser le territoire du vivant.
Cette maitrise scientifique et technologique exceptionnelle s’effectue au moment même où s’efface le sujet humain. S’interroger encore sur notre capacité à rester raisonnable et humain (Axel Khan) semble déjà dépassé.
Prométhée enchainé (Eschyle), puis libéré (Shelly) a lancé un processus irréversible totalisant-totalitaire au service d’une nouvelle élite la hyper-hyper class mondiale (Rothkopf) appelée à dominer une sous-humanité en gestation – le fameux parc humain (Sloterdijk) - avant qu’un jour, « un homme, un seul homme, maître de tout puisse refuser à tous les autres hommes tout le sol de la planète [le vivant] (…) et que l’humanité soit acculée (…) à un immense suicide » (Jaures). Nous y sommes.
On peut sérieusement s’alarmer, certes, mais « La Vérité n’est-elle pas en embuscade, qui attend l’homme au tournant prête à lui asséner un coup de massue sur la tête ?» (Steiner).
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Puisque le processus en cours n’est rien moins qu’une mise en abîme du vivant, comment sauver l’Homme ? Puisque tel est – sommes toute - notre question essentielle.
Il nous faut faire le pari philosophique sur le sens du sens (Steiner) pour redécouvrir le sacré du vivant (Magnard).
Il faut libérer l’Homme pour que dans le jardin des espèces, il renoue alliance entre tous les règnes du vivant par la redécouverte de la convivialité entre les espèces (Magnard).
Ce ressourcement par la redécouverte du sacré implique une mise à distance du mystère (Magnard), qui passe par cette injonction à retrouver le sens vraiment religieux de la vie et de l’univers (Jaures).
La démarche de ré-enracinement de l’Homme (Weil) est ce préalable afin que celui-ci redécouvre cette indispensable dignité humaine par la resymbolisation du sujet (Dufour).
Cette dignité de l’homo sapiens, passe encore et toujours par la découverte de la sagesse, la quête d’un savoir désintéressé, la création de beauté (Steiner).
Cela impose l’école et la transmission aujourd’hui morte (Magnard) et nécessairement la redécouverte de la force de la vie intérieure, la puissance de l’âme et la nécessaire injonction de rester vous-même (Jaures).
Il faut élever l’Homme à sa propre conscience (Weil), pour enfin comprendre que l’Homme est seul toute l’espèce (Kierkegard), c’est-à-dire cet être exceptionnel, le seul capable à marcher dans le vide (Damascius), véritable pontonnier de l’absolu (Magnard).
Il nous faut redécouvrir la capacité de l’Homme à rassembler (Magnard) et accoucher d’une véritable politique de civilisation qui consisterait à « solidariser, ressourcer, convivialiser, moraliser » (Edgard Morin).
Plus encore, il faut réaffirmer l’Homme comme seul rempart à la catastrophe qui vient, engendrée par l’immense processus en cours.
Il faut entrer en résistance contre Prométhée devenu fou, opposer un refus tenace au chao qui s’annonce.
Le nouvel impératif éthique consiste bel et bien à faire de cet Homme - en charge de lui-même - le comptable du bien et du mal, ce qui - d’ailleurs - fonde sa grandeur comme sa misère (Magnard). Il lui faut aussi concevoir sa nature comme limitée par cet autre impératif catégorique l’Homme est cet animal – le seul - capable de s’interdire à lui-même (Camus).
Il faut enfin redire que l’Homme progresse non pas par la puissance et la force (Spencer) mais par ces lois de l’évolution consacrées : la communication et l’échange (Darwin). Parce que l’être est relation, il ne se définit pas en termes de concept (…) mais de convivialité (Magnard).
Sujet éthique et sujet-politique, l’Homme doit reconquérir la Cité notamment par la Culture des grandes idées humaines (Steiner).
Quitte à lever au moins partiellement l'équivoque qui le caractérise dans sa relation à la simplicité de la vie animale (Merleau-Ponty), l'Homme doit prendre pleinement conscience de son utilité au sein même de l’universel biologique, et retrouver ainsi un rôle historique : il doit travailler à re-sacraliser le vivant.
Pensée religieuse ou pensée socialiste authentique, l’affirmation de la vie sacrée devient ainsi l’Alpha et l’Omega de toute pensée de résistance à ce capitalisme prométhéen qui menace toute l’humanité.
Jean-Luc PUJO*
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NOTES
[1] Cf. le texte américain confidentiel dit « de la montagne de fer » sur les bénéfices de la guerre ;
[2] « Il est impossible de traiter le mal que l’on ne connait pas ».
Sources :
- « Pour une politique de civilisation » Edgar Morin ;
- « Une certaine idée de l’Europe » Georges Steiner ;
- « L’art de réduire les têtes » Dany-Robert Dufour ;
- « Vers la fin de l’Homme ? » sous la direction de Christian Hervé et Jacques J. Rozenberg :
- « Pourquoi la religion ? » Pierre Magnard ;
- « La ponérologie politique » Andrew M. Lobaczewski ;
- « Nostalgie de l’absolue » Georges Steiner ;
- « La convivialité » Ivan Illich ;
- « Question à l’Humanisme » Pierre Magnard ;
- « L’enracinement » Simone Weil ;
- « L’Homme unidimensionnel » Marcuse ;
- « Le socialisme est une morale « Jaures ;
- « De la réalité du monde sensible » Jaures ;
- « L’obsolescence de l’Homme » Gunther Anders ;
- « Bioéthique, avis de tempêtes » Hervé Chneiweiss et Jan-Yves Nau ;
- « L’Homme biotech : humain ou post-humain ? » sous la direction de Jean-Pierre Beland ;
- « Humain post Humain » Dominique Lecourt ;
- « Super class – The global power elite and the world they are making » David Rothkopf;
- « Règle pour le parc humain » Peter Sloterdijk ;
- « Aurore » Frédéric Nietzsche ;
- « La leçon de ce siècle » Karl Popper ;
- « L’abolition de l’Homme » Clive Staples Lewis
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*Jean-Luc Pujo est écrivain, président des clubs « Penser la France », rédacteur en chef de Politique-actu.com. Il a déjà publié roman et essais. Il est membre de la Société des gens de Lettres (SGDL) et de la SACEM.
« L’autre voie pour l’Humanité - 100 intellectuels s’engagent pour un post-capitalisme »
page consacrée au livre : http://www.politique-actu.com/actualite/autre-voie-pour-humanite-100-intellectuels-s-engagent-pour-un-post-capitalisme-sous-la-direction-d-andre-prone/1757390/