« Une histoire de l’intelligence » Manuel de DIEGUEZ
« Depuis plus d’un siècle, l’évolutionnisme joue, dans notre connaissance des êtres vivants, le rôle qu’à joué autrefois la révolution copernicienne dans notre connaissance de l’univers. Pourquoi, dans ces conditions, la plupart des sciences humaines demeurent-elles encore à l’écart du champ d’analyse ouvert par Darwin, qui fit de toute pensée une dimension de l’histoire ? Pourquoi la philosophie, qui conditionne toutes nos théories de la connaissance depuis deux millénaires et demi, puisqu’elle a pour ambition une pesée de notre intelligence, n’a-t-elle pas réellement pris en charge l’évolutionnisme ? L’Histoire de notre raison ne s’est-elle pas révélée la clé de notre destin biologique ?
C’est donc afin de jeter un pont entre la paléontologie et la philosophie que j’ai tenté de poser les premiers fondements d’une discipline nouvelle de la recherche – l’idéocritique – dont la tâche est d’étudier l’histoire de notre intelligence à partir d’une spectrograhie critique de l’idée que se sont faite de la notion de raison les neuf Gulliver essentiels, à mes yeux, de notre Occident : Platon, Aristote, Descartes, Hume, Kant, Hegel, Nietzsche, Husserl et Heidegger.
Mais la raison animale et la raison humaine sont-elles déjà réellement différenciées ? Une logique rigoureuse ne nous oblige-t-elle pas à constater que nous manquons d’un critère décisif pour déterminer notre degré d’intelligence actuel puisque, par définition, il n’y aurait plus d’évolution si le statut de notre encéphale était déjà définitivement fixé ? Peut-être l’intelligence proprement humaine ne fera-t-elle son apparition que le jour où notre cerveau sera devenu capable de soumettre nos sciences à une psychanalyse transcendantale des méthodes qui président à leurs démonstrations et d’apercevoir les idoles qui se promènent dans nos têtes ? »
FAYARD – janvier 1986