"Général Jean-Yves Lauzier, L’Europe contre l’Europe" - La chronique anachronique de Hubert de Champris

_
La chronique anachronique de Hubert de Champris
- Général Jean-Yves Lauzier, L’Europe contre l’Europe, L’Herne, 248 p., 14 €.
L’auteur a notamment été responsable de l’enseignement géopolitique et stratégique à l’Ecole de guerre et a commandé en fin de carrière les 23 écoles de l’Armée de terre.
Féru de géopolitique, il nous montre qu’on ne peut l’être à bon escient que si l’on y intègre une passion pour la géographie humaine, l’économie politique et l’histoire.
On répondra que cela va de soi.
Eh bien, sachez que, de nos jours, ce n’est pas le cas ; nous connaissons quelques historiens en « histoire contemporaine » qui n’ont que dédain pour la prise en compte du passé, la mise en perspective, le rapport de causes à effets…
Mais efforçons-nous d’être complet au sujet de l’auteur, officier général prenant pour un acquis que le sabre a d’autant plus de chances de demeurer au fourreau que le goupillon fait son œuvre : sa critique de l’Union européenne est aussi une critique de l’idéologie post-libérale (ou postmoderne) qui animent ses thuriféraires.
Nous retenons ici quelques axes d’un ouvrage qui doit être lu, annoté crayon à la main (et relu avant tout scrutin) :
· Tout part de l’Empire romain ;
· Il y a, il y a eu des périodes de nostalgie collective à chaque fois qu’un empire commençait à se désintégrer, quand il n’exerçait plus sa fonction centralisatrice minimale (ou, du moins, fédératrice), par exemple, à la fin de l’Empire romain d’occident face à l’emprise des peuples barbares indo-européens, à la fin de l’Empire carolingien (face aux Vikings) ;
· Tous les empires sis sur l’aire géographique européenne ont été des tentatives de décalques de l’Empire romain plus ou moins réussies, plus ou moins durables : l’Empire carolingien, l’empire lotharingien, le Saint Empire romain germanique, l’empire napoléonien (avec la Confédération germanique et la Confédération du Rhin), l’Empire allemand, le Troisième Reich et, enfin, ce que le général Lauzier appelle l’empire du libre-échange (« notre » UE).
· A chaque étape, à chaque empire constatons-nous que l’idée (l’idéal, la valeur suprême) qui l’anime régresse : l’UE revendique ne reposer que sur l’avoir non sur l’être, écrit l’auteur.
· L’entité mi-concrète, mi-abstraite qu’on appelle « nation » a en permanence travaillé de l’intérieur le cadre impérial qui l’enserrait. En ce sens, on peut dire que la nation (avec la notion de peuple naturel et de peuple ‘‘politique’’ qu’elle recouvre) est une réalité naturelle qui ne se fixe, qui ne prend forme culturelle que par le biais de l’Etat.
· Il est capital de ‘‘faire’’ en permanence de l’histoire pour envisager, si ce n’est prédire, les chances de réussite de la forme d’entité territoriale nommée « empire », forme par définition artificielle.
· L’Europe contre l’Europe est particulièrement pertinent lorsqu’il analyse les causes de désintégration de l’Empire carolingien, soit entre le Traité de Verdun (843) et le début du règne d’Othon Ier, (969), précédant de peu l’élection du premier des capétiens (987), soit encore cette période où la Francia occidentalis dans la direction qu’elle va prendre avant de se séparer de ce qui deviendra l’Allemagne ;
· A la lecture du général Lauzier, on comprend qu’il existe des nations qui, quoique fédérale, n’en sont pas moins artificielles. Ainsi, grosso modo, la partie de l’Allemagne actuelle recouvrant l’ancienne Prusse pourrait parfaitement se détacher de l’Allemagne du Sud et constituer, nonobstant leur germanité commune, une unité nationale séparée (et non plus un ensemble d’Etats fédérés inclus dans l’Etat fédéral d’Allemagne) ;
· Ce livre montre bien que trois des principaux fondateurs de l’Europe « intégré », Adenauer, de Gasperi et Robert Schuman étaient originaires d’anciennes terres d’empire. Ils étaient, dirons-nous, à la fois de foi et de bonne foi dans leur entreprise : il est patent qu’ils n’avaient jamais envisagé moins encore voulu l’Union européenne actuelle et qu’ils en seraient horrifiés. Jean Monnet n’avait rien d’européen et De Gaulle a déjà dit ce qu’il fallait en penser.
La lecture de Ramu de Bellescize, Comment rétrécir la France en plus grand ? – A propos de quelques dommages collatéraux de la « construction » européenne sur la France -, F.-X. de Guibert et d’Alain Bournazel, Etienne Tarride, L’Europe des réalités, éd. Arnaud Franel pourra compléter L’Europe contre l’Europe du général Lauzier, lequel, comme tous les officiers généraux qui ont le goût de la stratégie, donc de l’avenir, doit s’irriter et déplorer qu’en Europe, bien des exécutifs soient si ce n’est allergique, en tous cas étrangers à sa pensée juste, exhaustive et profonde.
Hubert de Champris
_____
[NDLR : La redaction de politique-actu.com est heureuse d'acceuillir de nouveau les chroniques d'Hubert de Champris dont nous apprécions la qualité d'analyse et la liberté de ton. Merci à cette plume exceptionnelle. JLPujo]