« OUIGO-WIZZAIR » : Notre modernité low cost ! par Alexis TROUDE

- Le "Low Cost" : Un nouvel art de vivre ? -

Nous sommes rentrés, à l’heure du libéralisme effréné, dans une ère où décidément tout est possible, même les pires aberrations comme celle concernant l’une de nos premières libertés républicaines, celle de se déplacer. J’ai ainsi eu cet été l’occasion bien malheureuse de tester, à deux reprises, à quel point le capitalisme débridé a brisé toutes les chaînes que l’Etat républicain lui imposait jusque là, et cela en n’ayant pas peur de retomber dans les pratiques économiques que l’on croyait définitivement dépassées depuis la fin du XIX° siècle.

OUIGO : « avancée vers le passé »

J’ai ainsi eu la fâcheuse idée, à laquelle on ne m’attrapera pas deux fois, de prendre le très médiatisé « Ouigo ». Vous savez, ce train Paris-Marseille que la SNCF a mis en place en juin dernier, avant d’avoir à affronter la concurrence allemande ou italienne (merci la directive européenne sur les transports).

C’est une véritable épopée : je suis parti à 8 h de Marseille pour arriver à 11h45 à Marne et à 13h30  à Asnières-sur-seine : « ben oui les pauvres ont du temps mon cher monsieur puisqu’ils ne travaillent pas ces fainéants » !

Vous reconnaîtrez que l’on nous a présenté « Ouigo » comme le train pour tous, dans un doux euphémisme qui cache la dure réalité sociale de notre pays. « Ouigo » est le train des pauvres mais ne vous y trompez pas, il est plus cher que celui des riches. Faites le calcul : 35 euros pour le prix du billet sur internet + 8 euros de billet RER Marne-la -Vallée – Asnières-sur-Seine pour le pauvre banlieusard qui doit rentrer chez lui. Avouez que la farce est bonne, avec un tarif au total qui avoisine celui d’un billet classique !

En fait, en ajoutant les suppléments, c’est une véritable escroquerie car on paie presque aussi cher que sur un TGV normal : le tarif annoncé sur le site internet est un prix d’appel mais ensuite vous n’échappez pas aux suppléments !! Ah que le capitalisme est retors et sait si bien masquer ses effets pour vous entourlouper !

Le plus drôle est que pour un prix relativement élevé , vous n’en avez pas pour votre argent , ma petite dame. Le Ouigo est en effet un Train low cost sans équipement, et vous vous en rendez compte très vite.

-Une fois assis, première surprise, je veux jeter ma canette vide, et « mince ! où est la poubelle ? », or pas de poubelle ;

-Je veux me délester de mon havresac, mais « flûte ! Pas de pose bagages au-dessus de ma tête ! », donc mon bagage reste coincé entre mes genoux.

- Impossible d’incliner les sièges, mais « c’est connu, les pauvres ont le dos solide, ils n’ont pas besoin de ces fioritures » !

- Pas de filet à journaux non plus, « Car chez ces gens là,  Môssieur, on ne se salit pas les mains avec le papier journal ! »

-Pas de bar à l’horizon, « Des fois que les pauvres se saoûlent la gueule, vous comprenez »….

- Si vous voulez vous brancher à Internet , vous en serez de 12 euros, si vous avez un bagage trop volumineux, il vous en coûtera 5 euros etc… « Tout est à l’avenant mon très cher ».

Le pompon réside dans l’absence de service et là est la clé du succès pour les concepteurs du « Ouigo » : puisque les salaires ca coûte cher, eh bien on supprime les employés. A part le conducteur qui a encore sa place dans le train, vous chercherez en vain des contrôleurs… Mais vous croiserez une pléthore de petits jeunes, tâcherons de notre époque, qui une fois le train parti de Marseille quittent prestement les quais.  En trois heures de trajet, la seule « hôtesse »  rencontrée traversait les wagons sans même prendre le temps de répondre à ma question ingénue du genre « Svp Mademoiselle savez-vous où sont les poubelles ?» alors que je tenais mon trognon de pomme à la main !!

Sur un ton plus grave, on peut conclure de cette malencontreuse expérience que, plus les moyens techniques se développent, plus l’on semble revenu aux pratiques entrepreneuriales d’un autre âge. Les plus démunis, bernés par ces annonces alléchantes, ne sont re-devenus que des objets commerciaux qui, payant plus et voyageant plus longtemps que les autres, n’ont que leurs yeux pour pleurer.

WIZZAIR

Le nec plus ultra de l’absence de service est remporté  par les compagnies aériennes low cost WIZZAIR, que je décidai d’essayer pour aller dans les Balkans.

-Première étape,  il faut prendre le bus Porte Maillot pour gagner Beauvais, où se trouve l’aéroport.  Après une heure d’un morne voyage à travers  les ruelles de nos cités dortoirs de la banlieue nord pour éviter de payer l’autoroute, nous finissons par arriver au Roissy low cost, qui n’est rien de plus qu’un véritable hangar !!

-2e étape du parcours : ne pas avoir à payer la taxe de retard, aussi les passagers se précipitent en une horde sauvage pour arriver à temps.

-3e étape : avoir  la taille requise des bagages selon les formats suivants : bagage à main, petit, grand ou soute ; et,  faute d’avoir à disposition le bagage low cost idoine, vous ne pourrez vous  soustraire à l’amende de 15 euros.

-4e étape : l’embarquement. Une fois l’enregistrement et les contrôles de routines effectués, nous restons parqués  une heure trente dans un entrepôt,  puis plus d’une heure sous un soleil de plomb sur le tarmac. Vous serez d’accord avec moi, voir l’approvisionnement en kérosène d’un avion est un spectacle inoubliable ! 

A quoi bon, investir dans un hall d’attente équipé de sièges, en un bus qui transporterait les passagers sur le tarmac. Handicapés, ou malades, s’abstenir ! Diantre, eh oui  à l’aune du capitalisme débridé où chaque minute est comptée, on ne dépense pas inutilement en sièges ou en bus superflus.

Lorsque retentit le signal d’embarquement tant attendu, après une longue attente de 2heures et demie due au retard de l’avion,  la foule comme domestiquée s’empresse et se bouscule pour monter dans l’Airbus aux magnifiques couleurs rose et violette.  Tout le monde s’engouffre à qui mieux mieux  dans l’avion.

 Alors que je m’apprêtai à gagner les sièges  71, 72 et 73 figurant sur la carte d’embarquement, un homme déjà installé dans son siège s’écria en habitué du "low cost"  « mais non ici c’est placement libre » ; finalement, ce n’est pas mieux que se pousser  dans les tribunes d’un stade de seconde division.

Le service est sans pareil, jugez-en vous-même: entre le jeune homme à l’embarquement qui pour toute salutation n’a qu’un « vous n’avez pas le droit de porter un sac en bandoulière » (eh oui à l’ère des économies à la petite semaine il faut récupérer le plus d’espace possible ) et l’hôtesse qui n’a ni un bonjour ni un regard attentionné pour vous , on se croirait revenu au temps des cavernes, lorsque les êtres humains ne faisaient qu’anonner pour s’exprimer.

Là encore, le prix total se rapproche sensiblement d’un billet sur une grande compagnie. Si vous additionnez les 165 euros du billet initial + 16 euros de transfert Paris-Beauvais)+ 30 de supplément bagage et les 7 euros pour un malheureux sandwich-bière, il n’y a pas meilleure publicité pour notre compagnie aérienne nationale.

Là aussi le prix d’appel est séduisant pour le quidam moyen, mais s’avère très vite atteindre des sommets qui avoisinent les offres proposées par les grandes compagnies aériennes : il faut vouloir en baver pour gagner trois francs six sous. Mais essayer, pour moi vous l’avez compris ce n’est pas l’adopter !

Là encore, le constat reste consternant. Dans ces nouvelles pratiques des compagnies de transport "low cost", le voyage devient un combat sans aucun plaisir. Pour les maîtres de cette globalisation écœurante, le passager idéal est juste assimilé à un robot, déjà décérébré, sans estomac et bientôt nu. 

Alexis TROUDE*

*Alexis TROUDE est membre de la rédaction de politique-actu, membre de la direction nationale de "Penser la France"