"LA PRUNELLE DE NOS YEUX" Michel Debray, vice-amiral en deuxième section.

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« La puissance d’une nation, le respect qu’elle inspire, le poids qu’elle pèse dans les affaires du monde se mesurent aux preuves qu’elle donne de sa volonté de défense. C’est là que réside la garantie première de son avenir. »
Maurice Druon (le Figaro magazine – mars 1983)
C’est bien de l’avenir de la France qu’il s’agit quand on parle de ses moyens de dissuasion nucléaire.
Et il faut en parler aujourd’hui, alors que sont évoqués publiquement des projets ou des plans de fusion ou de rapprochement entre des entreprises multinationales des domaines aéronautique et spatial, EADS et BAE pour parler clair.
La France doit tenir à ses moyens de dissuasion nucléaire comme à la prunelle de ses yeux. C’est fragile, une prunelle, et mal protégé, et pourtant chacun, instinctivement, spontanément, par réflexe, met tout en œuvre pour garder intact cet instrument essentiel de son autonomie.
Il en va de même des moyens dont s’est doté, à grand prix et de façon méritoire, notre pays pour que, quelque puissant, quelque malveillant que soit l’interlocuteur, on soit en mesure de lui adresser ce message : « Ce qui est inacceptable pour moi, je le rends inacceptable pour toi. » Si nous n’en sommes pas totalement et seuls maîtres, ces moyens ne servent plus à rien, et le monde sait que notre volonté de défense n’existe plus.
Or aujourd’hui, nous avons démantelé les silos du plateau d’Albion, nous avons signé de multiples accords d’interdiction des essais nucléaires, nous évoquons avec une insouciance confondante un « partage » de l’utilisation de notre porte-avions avec les Britanniques, nous avons laissé les Américains interdire d’éventuelles utilisations militaires du programme spatial européen Galileo. Il est temps que cette série de démarches dangereuses prenne fin !
Quels sont nos moyens actuels ? Des missiles stratégiques, à têtes multiples, lancés par des sous-marins à propulsion nucléaire en plongée, et des missiles aéroportés, dotés de têtes moins puissantes mais que l’on ne peut souhaiter à personne de recevoir, tirés par des avions partant du sol national ou de notre seul porte-avions. Pour qu’une arme soit tirée, il faut qu’un ordre parfaitement authentifié ait parcouru toute la chaîne entre le chef des armées et le dernier contact de mise à feu. Et il faut aussi que rien ni personne, entre la conception de l’arme et sa mise à feu, n’ait pu s’interposer de façon consciente pour compromettre le succès du tir. Si quiconque, en effet, se sent en mesure de dire : « les Français veulent tirer mais leur arme ne fonctionnera pas », il n’y a plus de dissuasion. Celle-ci est liée à la sécurité de la navigation de nos sous-marins (absolue, soit dit en passant, depuis quarante ans), à la sûreté et à la discrétion de tous les moyens de transmission utilisés, à la précision des manœuvres de manutention des innombrables équipements spécifiques liés à l’armement nucléaire.
Si nous éprouvons le besoin de rappeler toutes ces évidences, c’est que l’« ennemi » ne désarme pas. Il désarme d’autant moins que l’«ennemi » c’est tout le monde. Le monde entier a intérêt, un intérêt mal compris d’ailleurs, à ce que disparaisse la capacité française de dissuasion. Et les attaques, sournoises ou visibles, se succèdent : campagnes médiatiques « antinucléaires », propositions de mise en commun des moyens, au nom de la « solidarité », européenne ou atlantique, pressions économiques voire politiques, enfin tentatives de mainmise sur les éléments énumérés plus haut, de conception, de réalisation, de mise en œuvre de nos moyens.
VEILLONS PLUS QUE JAMAIS SUR NOTRE DISSUASION COMME SUR LA PRUNELLE DE NOS YEUX
Michel DEBRAY*
(*) M. Michel DEBRAY est vice amiral en deuxième section.