"Grèce : austérité et rejet de la classe politique traditionnelle !" Par Gilda Lyghounis
Traduit par Mandi Gueguen
Le Pasok du Premier ministre Papandréou a dominé les dernières élections locales, malgré sa politique d’austérité. Cependant, l’analyse du scrutin révèle d’autres tendances lourdes : abstention record et rejet des cadres traditionnels, autant ceux du Pasok que ceux de Nouvelle Démocratie, l’opposition de droite. Dans un pays en crise, ne s’agit-il pas d’un désaveu généralisé pour la classe politique ?
Pour Nikitas Russos, 62 ans, pharmacien de profession, la politique était toujours restée une grande inconnue. Il a été élu maire de l’île d’Amorgos dans les Cyclades, à une voix de différence sur son adversaire, Nikolaos Fostieris, lui aussi indépendant. Un ballotage digne d’un vrai thriller qui a tenu en haleine les rares habitants qui restent dans l’île après le départ des touristes. Le nouveau maire a obtenu 601 voix contre 600 pour Nikolaos Fostieris. « Ce qui m’a valu cette voix en plus, ce sont les conseils sur les petits ennuis de santé que j’ai pu procurer aux anciens rencontrés pendant la campagne électorale », explique en blaguant le maire fraîchement élu.
Toutefois, le duel d’Amorgos est symbolique, avec la victoire d’un retraité à peine revenu sur son île, après 35 ans passés à travailler comme Président des pharmaciens à Heraklion, chef-lieu de Crète. L’activité de maire, une responsabilité nouvelle pour cet homme, qui n’est affilié à aucun parti, devient le symbole des élections administratives grecques du 14 novembre 2010.
Le rejet de la politique traditionnelle
L’abstention atteint 54% au niveau national, et un niveau record à Athènes, où seulement un électeur sur trois s’est rendu aux urnes. « C’est une fuite qui exprime la désillusion des gens à l’égard des partis habituels de droite comme de gauche – nous explique Thasos Veremis, doyen de la chaire d’Histoire moderne à l’Université d’Athènes. Ce n’est pas un hasard si les rares personnes qui sont allés voter ont choisi des ‘nouveaux visages’ ».
Le meilleur exemple en est la victoire à Athènes de George Kaminis, ancien Protecteur des citoyens (désigné à cette fonction par le Parlement). Soutenu à contre-cœur par le Mouvement socialiste panhéllenique (Pasok) et les Verts, il a ravi, avec 52% des voix, le fauteuil de maire de la capitale, occupé depuis 1982 par les conservateurs.
L’autre bouleversement politique inattendu est dû au triomphe d’un candidat indépendant, Ioannis Boutaris, soutenu par les socialistes et la Gauche Démocratique, qui devient maire de Thessalonique, deuxième grande ville grecque, tenue depuis 26 ans par le centre droit. Il a gagné malgré, ou peut-être justement grâce à l’anathème de l’archevêque Anthimos, connu pour ses idées hypernationalistes : « Tant que je serai métropolite de Thessalonique, tu ne seras jamais maire », avait assuré le prélat. Sauf que la prophétie s’est révélée fausse.
Par conséquent, Athènes et Thessalonique passent à gauche après presque trois décennies. Dans toute la Grèce, par ailleurs, le Pasok, seul ou allié à la gauche réformée, a conquis huit préfectures sur treize, y compris celle de l’Attique, la région d’Athènes, où vivent quatre millions d’habitants, soit la moitié de la population grecque.
C’est justement le Pasok, dirigé par le Premier ministre George Papandreu, qui a demandé l’aide du FMI et de l’Union Européenne pour sauver le pays de la banqueroute, en obtenant un mégaprêt de 110 milliards d’euros à rembourser en trois ans. Un SOS qui a entraîné un premier lot de mesures anticrise, approuvé en mai 2010 et appliqué en coupant presque 1/5 des salaires et des pensions et en portant la TVA à 23%, avec comme conséquence directe l’augmentation des prix.
Résignation à la politique d’austérité
Les Grecs ont cependant approuvé, avec résignation, les choix draconiens du gouvernement, accusé, lors de cette campagne électorale, d’avoir « abandonné le pays au FMI ». La Nouvelle démocratie estime qu’au cours des cinq dernières années (2004-2009), le gouvernement de George Papandréou a fait s’envoler les dépenses publiques, tout en déclarant seulement un déficit budgétaire de l’ordre de 6% du PIB pour 2009. En réalité, les contrôles d’Eurostat ont constaté pour la même année un déficit de 1,.4%, pointant le danger de la banqueroute dans toute sa tragique évidence.
A l’occasion de ces élections locales, George Papandréou a appelé les électeurs à faire « un choix de responsabilité pour l’avenir du pays ». Cela fut presque un référendum pour ou contre les mesures anticrise, avec « menaces » d’élections législatives anticipées si le Pasok venait à essuyer un échec cuisant. « J’ai besoin de savoir si les choix de mon gouvernement sont partagés et si les sacrifices de tous les Grecs pourront donner des résultats ou s’ils seront vains », a déclaré George Papandréou dans son allocution télévisée.
Les urnes lui ont donné raison, même si les Grecs n’ont pas répondu par un vote massif. Ceux qui ont voté ont choisi des candidats indépendants, détachés de la bureaucratie des partis, qui – de droite comme de gauche – ont toujours gouverné sur la base du clientélisme et des petits arrangements pré-électoraux.
« Dans toute la Grèce, un maire sur trois est élu pour la première fois. Les gens n’en peuvent plus de ceux qui sont collés à leur fauteuil », précise Thasos Veremis, le professeur d’histoire. La victoire du centre-gauche au pouvoir reste toutefois un fait incontestable. Même si tout le monde savait que les élections locales seraient immédiatement suivies de nouveaux sacrifices.
La page grecque à peine tournée, la troïka du FMI et de l’UE s’est tournée vers l’Irlande, autre pays de l’euroclub en danger de banqueroute. Les deux institutions européennes ont encore demandé à la Grèce de faire un autre effort financier en réduisant de 4 milliards d’euros la dépense publique pour baisser le déficit budgétaire de 9,4, comme le prévoit Eurostat pour 2010 à 7,4, objectif pour l’année 2011.
En janvier 2011 arrivera le troisième tiers du mégaprêt. Le gouvernement vient de présenter la loi de finances pour 2011 devant le Parlement : « Il n’y aura pas d’autres coupes dans les salaires, ni de licenciements », a assuré le ministre de l’Economie. Or, les citoyens verront arriver des notes salées pour le chauffage et l’électricité : par exemple un litre de fioul coûtera 1,3 euro au lieu de 0,7 actuellement. Sans compter que les contrats arrivés à terme dans l’administration publique ne seront pas renouvelés. Peut-être vous souvenez-vous des travailleurs précaires qui ont bloqué l’entrée de l’Acropole il y a quelques semaines ? Ce sera le sort de tous les titulaires de CDD travaillant pour le ministère de la Culture.
Le gouvernement promet un grand combat contre l’évasion fiscale. Reste à voir ce que cela donnera. Car les Grecs, touchés au plus profond par la baisse des salaires (de 740 à 590 euros), sont descendus sur la place publique avec les étudiants à Athènes, le 17 novembre 2010, à l’occasion du 37ème anniversaire de la révolte du Polytechnique contre la dictature des Colonels, pour faire savoir qu’ils n’acceptent plus de payer tout de leur poche.
Tristes anniversaires
Le cortège du 17 novembre 2010, un rendez-vous traditionnel de la gauche grecque, s’est conclu avec des incidents relativement maîtrisés, vu le climat actuel que traverse le pays. Récemment, à Thessalonique, il y a eu trois explosions : une contre un centre électoral de Nouvelle Démocratie et une autre au bureau de l’administration publique. La troisième a fait long feu. Aucune victime n’a été déplorée.
Après l’anniversaire de la révolte du Polytechnique, les Grecs commémoreront le 8 décembre le second anniversaire de la mort d’Alexis Grigoropoulos, l’adolescent de 15 ans tué par un policier (condamné à perpétuité) : une mort qui avait provoqué une véritable guérilla urbaine durant l’hiver 2008-2009.
Sur Propilei, l’entrée monumentale de l’Acropole, on voit toujours flotter la banderole hissée par les travailleurs précaires en CDD du ministère de la Culture qui ne verront pas leurs contrats renouvelés à cause des politiques d’austérité. Au congrès de la CDU à Berlin, Angela Merkel avait tonné : « accepter la Grèce dans la zone euro fut en 2000 une décision légère prise par le gouvernement Schroeder ».
Malgré sa victoire, George Papandreu aura beaucoup à faire.
SOURCE :
http://balkans.courriers.info/article16368.html
[Merci à Josette VOSSOT]