SCANDALE : « Le Conseil d'Etat ordonne une hausse des tarifs réglementés d’Electricité »
« Energie : arrêt du Conseil d'Etat du 1er juillet 2010 sur les tarifs réglementés jaune et vert »
En plein débat sur la loi NOME, le Conseil d'Etat ordonne une hausse des tarifs réglementés jaune et vert. Par arrêt du 1er juillet 2010, le Conseil d'Etat, sur requête de la société Powéo a annulé l'arrêté du 12 août 2008 relatif au prix de l'électricité "en tant qu'il n'a pas fixé à un niveau plus élevé l'augmentation des tarifs réglementés jaune et vert de l'électricité".
En l'espèce, la société Powéo avait formé un recours tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 août 2008 du Ministre en charge de l'Energie au motif qu'il n'avait pas prévu une augmentation plus importante des tarifs réglementés.
La question sous jacente était bien entendu celle du respect du principe de libre concurrence. Pour simplifier : si les tarifs réglementés de fourniture d'électricité par EDF (et les DNN) sont trop bas, les tarifs à prix libre pratiqués par les autres fournisseurs apparaîtront moins attractifs. Telle est la raison pour laquelle la société Powéo demandait une augmentation des tarifs réglementés.
le Conseil d'Etat va tout d'abord rappeler la règle de calcul des tarifs réglementés, fondée sur la nécessaire couverture des coûts exposés par EDF pour la fourniture d'électricité à ces tarifs :
"il appartient aux ministres compétents, à la date à laquelle ils prennent leur décision, pour chaque tarif, premièrement, de permettre au moins la couverture des coûts moyens complets des opérateurs afférents à la fourniture de l'électricité à ce tarif, tels qu'ils peuvent être évalués à cette date, deuxièmement, de prendre en compte une estimation de l'évolution de ces coûts sur l'année à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à cette même date, et troisièmement, d'ajuster le tarif s'ils constatent qu'un écart significatif s'est produit entre tarif et coûts, du fait d'une sous-évaluation du tarif, au moins au cours de l'année écoulée"
Au cas présent, le Conseil d'Etat constate que l'arrêté du 12 août 2008 n'a pas permis un rattrapage de l'écart entre tarifs et couts moyens pour l'année précédant son adoption. En clair, l'arrêté de 2008 ne permettait pas de compenser le fait que l'arrêté précédent de 2007 ne garantissait pas que le niveau des tarifs couvrent les coûts moyens complets d'EDF. Les tarifs réglementés sont trop bas et faussent donc la concurrence.
Le Gouvernement a deux mois pour augmenter les tarifs réglementés jaune et vert.
Le texte de l'arrêt est le suivant :
Conseil d'État
N
° 321595
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Martin, président
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Collin Pierre, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, avocats
Lecture du jeudi 1 juillet 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 octobre 2008 et 14 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE POWEO, dont le siège est 27, rue de Berri à Paris (75008) ; la SOCIETE POWEO demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 12 août 2008 du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire et du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi relatif au prix de l'électricité, en tant qu'il n'a pas prévu une augmentation plus importante des tarifs de l'électricité ;
2°) d'enjoindre aux ministres concernés de prendre, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard, un arrêté fixant une augmentation des tarifs réglementés de l'électricité permettant de satisfaire aux exigences légales ;
3°) à titre subsidiaire, de solliciter l'avis de l'Autorité de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 462-3 du code de commerce ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 96/92/CE ;
Vu le code de commerce ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
Vu le décret n° 88-850 du 29 juillet 1988 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la SOCIETE POWEO,
- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la SOCIETE POWEO ;
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité : I. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence s'appliquent aux tarifs réglementés de vente d'électricité (...) / II. Les tarifs mentionnés au premier alinéa du I du présent article sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures ; (...) / Matérialisant le principe de gestion du service public aux meilleures conditions de coûts et de prix mentionné à l'article 1er, les tarifs réglementés de vente d'électricité couvrent l'ensemble des coûts supportés à ce titre par Electricité de France et par les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, en y intégrant notamment les dépenses de développement du service public pour ces usagers et en proscrivant les subventions en faveur des clients éligibles (...) ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 29 juillet 1988 relatif au prix de l'électricité, alors applicable : La tarification de l'électricité traduit les coûts de production et de mise à disposition de cette énergie aux usagers. / Pour chaque contrat, le tarif de l'électricité comporte une redevance forfaitaire d'abonnement et un prix de l'énergie effectivement consommée. / Le montant annuel de la prime fixe d'une part, le prix de l'énergie d'autre part, dépendent : / - de la puissance souscrite par l'abonné ; / - de la tension sous laquelle l'énergie est fournie ; / - du mode d'utilisation de ladite puissance au cours de l'année ; qu'aux termes de l'article 3 du même décret : L'évolution des tarifs traduit la variation du coût de revient de l'électricité qui est constitué des charges d'investissement et des charges d'exploitation du parc de production et du réseau de transport et de distribution ainsi que des charges de combustibles ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les tarifs réglementés de vente d'électricité ne peuvent être inférieurs aux coûts moyens complets de chaque opérateur ; que les ministres chargés de l'économie et de l'énergie, compétents pour prendre les décisions relatives à ces tarifs en vertu du deuxième alinéa du III de l'article 4 de la loi du 10 février 2000, sont tenus de répercuter dans les tarifs qu'ils fixent, au moins une fois par an, les variations, à la hausse ou à la baisse, des coûts moyens complets de l'électricité distribuée par Electricité de France et les distributeurs non nationalisés ; que, compte tenu des dispositions précitées du premier alinéa du II de l'article 4 de la loi du 10 février 2000 et de l'article 2 du décret du 29 juillet 1988, la couverture par les tarifs des coûts moyens complets des opérateurs doit être appréciée pour chaque tarif, au regard des coûts moyens complets exposés pour la fourniture de l'électricité à ce tarif ; que, pour satisfaire à ces obligations, il appartient aux ministres compétents, à la date à laquelle ils prennent leur décision, pour chaque tarif, premièrement, de permettre au moins la couverture des coûts moyens complets des opérateurs afférents à la fourniture de l'électricité à ce tarif, tels qu'ils peuvent être évalués à cette date, deuxièmement, de prendre en compte une estimation de l'évolution de ces coûts sur l'année à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à cette même date, et troisièmement, d'ajuster le tarif s'ils constatent qu'un écart significatif s'est produit entre tarif et coûts, du fait d'une sous-évaluation du tarif, au moins au cours de l'année écoulée ;
Considérant que la SOCIETE POWEO soutient que les augmentations prévues par l'arrêté du 12 août 2008 relatif au prix de l'électricité pour les tarifs jaune et vert, qui concernent respectivement les sites raccordés au réseau de basse tension et souscrivant une puissance comprise entre 36 et 250 kilovoltampères et les sites raccordés au réseau de haute tension, sont insuffisantes pour assurer le respect des dispositions précitées du II de l'article 4 de la loi du 10 février 2000 et des articles 2 et 3 du décret du 29 juillet 1988 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis de la Commission de régulation de l'énergie en date du 9 août 2007, et qu'il n'est pas sérieusement contesté en défense, que les tarifs jaune et vert résultant de l'arrêté du 13 août 2007, précédant celui attaqué, étaient insuffisants, à la date de cet arrêté, pour assurer la couverture des coûts moyens complets exposés par Electricité de France pour la fourniture de l'électricité à chacun de ces tarifs ; qu'il n'est pas allégué que cet écart initial entre tarifs et coûts devrait être remis en cause en raison des conditions de production de l'électricité par Electricité de France pendant la période d'application de l'arrêté du 13 août 2007 ; qu'il ressort des écritures en défense des ministres que les tarifs résultant de l'arrêté attaqué permettaient seulement, à la date où cette décision a été prise, de couvrir les coûts moyens complets exposés par Electricité de France, tels que les ministres les évaluent à cette date ; qu'il n'est pas soutenu que ces tarifs auraient pris en compte une estimation à la baisse de l'évolution de ces coûts, sur l'année à venir après l'adoption de l'arrêté attaqué ; qu'ainsi, les tarifs jaune et vert résultant de l'arrêté attaqué n'ont, au moins, pas permis d'assurer le nécessaire rattrapage, au titre de la période d'un an avant son adoption, des écarts significatifs entre ces tarifs et les coûts ; qu'ils sont ainsi manifestement inférieurs au niveau auquel ils auraient dû être fixés en application des principes résultant de l'application du II de l'article 4 de la loi du 10 février 2000 et des articles 2 et 3 du décret du 29 juillet 1988 ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 82 du traité instituant la Communauté européenne : Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. / Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : / a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables (...) ; que l'article L. 420-2 du code de commerce prohibe l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;
Considérant qu'en ce qui concerne le tarif réglementé bleu, correspondant aux sites raccordés au réseau de basse tension et souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, la société requérante soutient que l'arrêté attaqué, qui aurait prévu une hausse insuffisante de ce tarif, combiné aux conditions auxquelles Electricité de France est tenue de vendre aux distributeurs autres que les distributeurs non nationalisés l'électricité de base de long terme, en application de l'engagement proposé par cette entreprise et rendu obligatoire par la décision n° 07-D-43 du 10 décembre 2007 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre par Electricité de France, aurait pour effet, en raison d'un effet de ciseau tarifaire, de placer Electricité de France en situation d'abuser automatiquement de sa position dominante sur le marché pertinent de l'électricité vendue aux clients résidentiels et petits professionnels, et méconnaîtrait ainsi les règles de concurrence qui résultent de l'article 82 du traité instituant la Communauté européenne et de l'article L. 420-2 du code de commerce ; que, toutefois, si la décision n° 07-D-43 du Conseil de la concurrence a donné un caractère obligatoire aux conditions auxquelles Electricité de France a accepté de vendre aux distributeurs autres que les distributeurs non nationalisés l'électricité de base de long terme, ces conditions de vente, qui avaient d'ailleurs pour objectif d'améliorer la situation de concurrence entre les opérateurs sur le marché de la vente aux petits professionnels à des tarifs non réglementés, ne résultent en rien de l'arrêté attaqué, qui ne pourrait donc être regardé comme à l'origine, par lui-même, de l'éventuel effet de ciseau tarifaire allégué par la SOCIETE POWEO ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 12 août 2008 en tant qu'il n'a pas fixé à un niveau plus élevé les tarifs réglementés jaune et vert de l'électricité ;
Sur les conclusions des ministres tendant à ce que le Conseil d'Etat limite dans le temps les effets de l'annulation :
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'annulation de l'arrêté du 12 août 2008, en tant qu'il n'a pas fixé à un niveau plus élevé les tarifs réglementés vert et jaune de l'électricité, soit de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits que des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de limiter les effets de l'annulation prononcée ;
Sur les conclusions de la SOCIETE POWEO tendant à ce qu'il soit enjoint aux ministres de prendre un nouvel arrêté :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;
Considérant que la société requérante demande qu'il soit enjoint aux ministres compétents de prendre, dans un délai de quinze jours, un arrêté fixant une augmentation des tarifs réglementés de l'électricité mettant un terme aux insuffisances tarifaires constatées ; que la présente décision implique nécessairement que soit pris un nouvel arrêté en ce qui concerne les tarifs jaune et vert ; qu'il suit de là qu'il y a lieu de prescrire aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie de prendre, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, un nouvel arrêté fixant une augmentation des tarifs réglementés jaune et vert de l'électricité conforme aux principes énoncés par la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SOCIETE POWEO d'une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 12 août 2008 relatif au prix de l'électricité est annulé en tant qu'il n'a pas fixé à un niveau plus élevé l'augmentation des tarifs réglementés jaune et vert de l'électricité.
Article 2 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat et à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, un nouvel arrêté fixant les tarifs réglementés jaune et vert de l'électricité conformément aux principes énoncés dans la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE POWEO une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE POWEO, ainsi que les conclusions des ministres tendant à ce que le Conseil d'Etat limite dans le temps les effets de l'annulation qu'il prononce, sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE POWEO, au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat et à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Une copie sera adressée pour information à la Commission de régulation de l'énergie.
[Merci à Claude]