"La République, la Nation" Jean-Pierre CHEVENEMENT
Intervention de Jean-Pierre Chevènement lors de la rencontre de République Moderne "La République et la nation", tenue à l'Assemblée Nationale, le 30 mars 2016.
Introduction
La République, la Nation, il faut toujours y revenir parce que c’est à la fois le nœud de la crise et que c’est dans le réagencement de ces concepts qu’on peut discerner un dépassement de cette crise. Dans la tradition républicaine, on n’oppose pas la Nation à la République. L’une est la matrice de l’autre. C’est la France qui a permis la République et parachevé la construction de son identité. Il n’y a pas lieu d’opposer une France particulariste et une République universaliste. La France se doit de respecter les principes que la Révolution française a posés : C’est ainsi qu’elle a surmonté ses crises : l’affaire Dreyfus à la fin du XIXe siècle et la guerre d’Algérie au milieu du XXe siècle. Elle a fait triompher le principe universel (la Justice, le Droit des peuples) sur le particularisme (l’infaillibilité de l’Etat-Major, l’existence de faux départements français outre Méditerranée). Et cela dans son intérêt même.
Mais, en même temps, la République tire sa force de son enracinement dans la France. Sans elle, non seulement la République n’aurait pas été possible. Il fallait l’œuvre des rois pour que fût proclamée la souveraineté nationale et trois ans après, la République. Rousseau avait pensé le Contrat social, traduisible en toutes les langues, mais c’est en français que les Etats Généraux transformés en « Constituante » ont donné sa première Constitution à la France.
Simultanément, c’est en se ressourçant dans l’héritage millénaire de la France, que la République tire sa force. Le patriotisme républicain, c’est le patriotisme français plus les principes posés par la Révolution.
I – Or, aujourd’hui le couple Nation-République a été atteint : c’est le nœud de la crise que nous traversons.
La Nation comme cadre privilégié de la démocratie a été sapée d’une part par le néolibéralisme et par la nouvelle division du travail qu’il induit, d’autre part par le développement d’une Europe faite selon la méthode Monnet, pour contourner les nations, et enfin, pour parler comme Marcel Gauchet, par une « société des individus » oublieux de la République des citoyens, qui seule d’ailleurs peut garantir les droits des premiers.
Les piliers de la République ont ainsi été ébranlés :
1. La citoyenneté avec l’exigence qu’elle implique (le citoyen doit se mettre à la hauteur de l’intérêt général) est sapée par l’abandon de la souveraineté, déléguée à des instances non démocratiques.
2. La laïcité n’est plus comprise comme exigence de participation de tous à la vie publique.
3. L’Ecole comprend sa mission non plus comme formation du citoyen mais comme contribution à l’épanouissement personnel des élèves qui lui sont confiés
4. La Culture, enfin, est en passe de perdre la position centrale qu’elle tenait dans la République.
Comme l’a noté Marcel Gauchet dans son dernier livre « Comprendre le malheur français », le modèle républicain français n’est plus compris de ses acteurs : le meilleur exemple en est la décomposition du corps des hauts fonctionnaires et la disparition du « Surmoi moral » qui faisait le service public.
II - C’est dans le réagencement des concepts de Nation et de République que réside la solution des problèmes qui nous assaillent.
1. L’euro est une bombe à retardement. Le système de la monnaie unique dont le vice de conception est aujourd’hui reconnu sautera quand la Banque Centrale européenne cessera de prêter à taux zéro et quand les écarts des taux (« spreads ») se tendront à nouveau entre le Bund allemand et les « bons du Trésor » des pays que le mécanisme de la monnaie unique tend à marginaliser économiquement, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les pays de l’Europe du Sud, dont la France. Si la monnaie unique n’est pas viable à terme, une monnaie commune pourra la remplacer. République Moderne organisera sa prochaine rencontre sur les questions économiques, industrielles et monétaires. Je ne m’y attarderai donc pas.
2. J’insisterai aujourd’hui sur les défis que représentent le terrorisme djihadiste et l’accroissement prévisible des flux migratoires. L’Europe semble désarmée face à ces défis, et la France apparaît, dans ce domaine, comme le maillon faible. L’Europe ne s’est pas jusqu’à présent pensée comme une entité stratégique autonome. Pendant très longtemps, la menace paraissait être à l’Est : c’était l’URSS. La réponse a été l’Alliance atlantique.
Aujourd’hui, les défis viennent clairement du Sud. Il faudra du temps pour que l’Europe en prenne conscience et se dote des moyens d’y faire face. Nous avons besoin d’un projet européen recentré sur l’essentiel avec des nations qui le comprennent et par conséquent à géométrie variable. Les illusions du post-national se sont dissipées. Pour la France principalement menacée, le patriotisme républicain est le plus sûr recours contre les ferments de dissociation et de guerre civile que porte en lui le défi du terrorisme djihadiste.
Mais nous avons aussi besoin de la coopération des autres pays européens, comme ceux-ci d’ailleurs ont également besoin de la nôtre. Il faut donc nous orienter vers une Europe des nations, ayant vocation à exister comme puissance stratégique autonome, bref une « Europe européenne », pour reprendre l’expression du général de Gaulle. Nous avons un besoin urgent de coopération européenne policière, douanière et même militaire pour contrôler et défendre mieux nos territoires.
III – J’aborderai maintenant les problèmes multiples auxquels la société française doit simultanément faire face. Avec une intensité variable, ils se posent également aux autres pays européens.
La société française pourra-t-elle s’accoutumer stoïquement aux attentat terroristess ? Elle ne pourra le faire que par un travail de soi sur soi qui requerra l’effort conjoint de toutes ses composantes :
- Nos concitoyens issus de l’immigration doivent comprendre, dans leur intérêt même, le pays dans lequel ils ont choisi de vivre, son Histoire et sa culture. La laïcité ne les empêche pas de pratiquer leur culte mais elle exige une certaine discrétion dans sa pratique, car le débat civique implique que priorité soit donnée à l’échange argumenté sur l’expression directe de la foi religieuse.
- Quant aux Français de vieille souche, que j’appellerai plutôt indigènes, ils devront déjouer le piège de la peur et de la guerre civile que leur tendent les terroristes djihadistes, accepter l’idée qu’un bon musulman peut être aussi un excellent Français, et enfin se faire à l’idée que des disciplines collectives sont nécessaires pour relever les défis qui sont devant nous pour longtemps, bref rompre avec un certain angélisme qui se refuse à voir les problèmes aussi bien qu’avec les automatismes de la pensée.
Une chose est sure : on ne pourra plus ensevelir les problèmes sous la « moraline » et sous le déni et pas davantage nous n’y répondrons par une paranoïa que guette l’adversaire. Nous sommes devant un affrontement de longue durée, non seulement avec le djihadisme mais avec nous-mêmes. Nous devons accepter l’idée et la nécessité de mutations profondes dans nos comportements et dans notre société.
Ce qui me frappe d’abord dans les réactions de beaucoup de nos responsables politiques c’est leur difficulté de penser ensemble les problèmes, et par conséquent d’y trouver des solutions. J’ajoute que leurs maladresses et leurs hésitations sont compréhensibles, étant donné l’ampleur et la multiplicité des défis.
1. Ce serait déjà bien si le problème des réfugiés principalement syriens qui abordent aux côtes égéennes de l’Europe, incitait à une réflexion sur la manière de stabiliser le Moyen-Orient. Par exemple, en permettant à l’Irak et à la Syrie de recouvrer les territoires aujourd’hui occupés par Daech en rendant leurs Etats enfin vivables pour leurs populations.
2. Mais le problème de l’afflux des réfugiés en Europe ne se résume pas à l’exode des populations syriennes et irakiennes fuyant la guerre. Il est infiniment plus vaste. Il est lié aux déséquilibres démographiques et économiques et à l’interconnection du monde en temps réel, aujourd’hui généralisée. La bombe que constituent à terme rapproché les migrations venues des pays du Sahel commence à peine à être perçue.
3. J’ajoute que l’avenir des flux migratoires n’est que superficiellement pensé en termes de sécurité. Le terrorisme djihadiste est devenu une menace globale non seulement dans l’immensité du monde arabo-musulman mais pour le monde entier. Gilles Kepel a distingué trois âges dans le djihad : le djihad afghan (1979-1988), le djihad planétaire d’Al Quaïda, de 1992, date des premiers attentats en Afrique orientale, à 2011, mort de Ben Laden, et enfin le djihad territorialisé de Daech, depuis que la destruction de l’Irak par les forces américaines a livré les provinces sunnites de l’Ouest irakien à la vindicte sectaire du gouvernement chiite de Bagdad. Le califat islamique proclamé à Mossoul en avril 2014 pourra bien disparaître. Daech est devenu une réalité planétaire. Gilles Kepel parle à juste titre de djihadisme « réticulaire ». Or, très peu de nos responsables politiques ont intégré l’objectif et la stratégie de Daech : porter la guerre civile au cœur même des sociétés européennes, en jouant sur leurs faiblesses.
4. La principale n’est peut-être pas la présence d’une immigration musulmane nombreuse, mais l’incapacité de l’Europe elle-même à agir de manière cohérente. On ne peut attendre de l’Europe que ce qu’elle peut donner, et d’abord un resserrement de la coopération entre ses Etats. Cela est vrai d’abord en matière policière. Mais l’Europe en tant que telle n’est pas en état d’adopter une politique migratoire commune. Chaque Etat a sa démographie, une immigration spécifique, un taux de chômage plus ou moins élevé. On peut certes – et jusqu’à un certain point seulement – harmoniser la politique des visas. Mais le système de Schengen a montré ses limites. On peut sans doute remédier à certaines de ses carences : Frontex ne disposait en 2015 que d’un budget inférieur à 100 millions d’euros. La faiblesse constitutive de Schengen est ailleurs : la sécurité des frontières de l’Europe ne peut reposer ni sur la responsabilité de pays périphériques insuffisamment outillés ni sur une organisation bureaucratique pseudo « fédérale » mais incapable de prendre des décisions politiques, en l’absence d’une volonté politique commune et partagée.
L’Europe est faite d’une trentaine de nations qui ont chacune leur Histoire et leurs problèmes. Et la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Ce serait déjà bien si ces Etats étaient capables de se rapprocher et d’abord de mettre leurs problèmes sur la table : on pourrait alors commencer à les résoudre. De l’Europe on peut attendre beaucoup en matière de coopération : d’immenses progrès sont possibles. A rien ne sert de se lamenter hypocritement avec l’arrière-pensée de faire basculer vers Bruxelles de nouveaux champs de compétences que la technocratie européenne, coupée de toute régulation politique démocratique s’avèrera incapable d’exercer. Le resserrement des contrôles nationaux est aussi inévitable qu’est souhaitable celui de la coopération européenne.
5. La dérive des institutions européennes a conduit à une situation où la Chancelière allemande s’autorise à prendre des initiatives solitaires, au prétexte de devancer les risques de paralysie. Cela s’est vu en matière énergétique (sortie unilatérale de l’Allemagne du nucléaire en 2011) ou plus récemment de politique migratoire. En août 2015, Mme Merkel annonce l’accueil sur trois ans, d’un million de réfugiés par an, sans s’être concertée avec les autres Européens : les accords de Dublin donnant en matière d’asile compétence au pays d’accueil passent ainsi à la trappe. Deux mois plus tard, la Chancelière ferme la frontière austro-allemande, puis, après les incidents de Cologne (décembre) nouveau changement de pied : elle négocie directement avec la Turquie la réadmission dans ce pays de tous les réfugiés sur la base d’un engagement de reprendre autant de demandeurs d’asile syriens qu’il en aura été refoulés. Curieux pacte avec la Turquie de M. Erdogan dont la faisabilité pratique n’est pas plus démontrée que la conformité au droit international. Mars 2016 : les autres nations européennes, placées devant le fait accompli, acceptent, « par consensus », ce qui risque bien de n’être qu’un « marché de dupes » . L’Europe est « le ventre mou » du monde. M. Erdogan, pour prix de sa coopération, a obtenu de l’Europe la libéralisation des visas en provenance de la Turquie, à l’heure même où il a choisi de réprimer les Kurdes et de bâillonner son opposition. Est-ce bien raisonnable ?
6. Cette faiblesse de l’Europe se ressent en d’autres lieux et en d’autres domaines. Elle achève de dresser les peuples européens contre des institutions censées les unir, quand ce n’est pas contre eux-mêmes. La crise politique intérieure se dessine non seulement en Grèce, mais dans de grands pays comme l’Espagne, l’Italie et la France. Les forces centrifuges l’emportent, comme on le voit en Grande-Bretagne aussi avec la crise du Brexit. Il n’est pas jusqu’à l’Allemagne dont l’équilibre intérieur ne soit compromis par la montée d’un parti comme l’AFD, compliquant la formation des alliances gouvernementales et avivant les tensions internes, au risque de rompre le traditionnel consensus allemand. Ainsi le défi migratoire, comme la menace du terrorisme djihadiste, ont-ils tendance à déplacer le centre de gravité de la vie politique européenne vers la droite et l’extrême-droite tandis que la crise de l’euro suscite dans certains pays un nouveau paysage contestataire (Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Mouvement Cinq Etoiles en Italie).
7. L’intrication de tous les problèmes – diplomatiques, sécuritaires, migratoires, de politique intérieure et européenne enfin – explique la difficulté des gouvernements à dégager des politiques claires et cohérentes, et d’abord à se fixer des objectifs accessibles.
a) C’est ainsi qu’au Moyen-Orient, les diplomaties occidentales, au lieu de jouer la carte de l’intégrité territoriale des Etats, en cherchant à amender leur comportement par une magistrature d’influence, ont préféré sacrifier à des effets de communication (ne pas rater le train des révolutions arabes) voire à l’ingérence caractérisée : c’est ainsi qu’a été importée en Syrie une guerre par procuration entre l’Iran et « l’axe chiite » d’une part et les puissances sunnites (Arabie Séoudite, Quatar, Turquie) d’autre part. Avec quel effet, sinon la prolongation d’une guerre ravageuse, au risque de radicaliser toujours plus l’opposition au régime syrien ?
b) Les maux d’aujourd’hui résultent des inconséquences d’hier. En matière de politique extérieure, comme en matière d’immigration ou de politique de l’intégration, l’Europe a trop longtemps pratiqué la politique de l’autruche. Elle n’a pas vu venir le coup qui mijotait depuis plus de trente ans, avec la montée de l’islamisme radical au Moyen-Orient aussi bien que dans nos banlieues abandonnées aux prédicateurs salafistes, au prétexte de la paix sociale.
c) Il y a bien longtemps que j’avais mis en garde contre les ingérences commises dans le monde arabo-musulman au prétexte d’y défendre ou d’y promouvoir les « droits de l’Homme », au mépris bien souvent des droits des citoyens et des peuples. De même, ai-je suscité, en 1999, comme ministre de l’Intérieur, une Consultation des musulmans en vue d’encourager, face à la montée du fondamentalisme, la naissance d’un Islam de France, compatible avec les principes de la République et avec la laïcité, conçue comme espace commun de débat civique. Je mesure aujourd’hui le temps perdu, faute qu’une volonté politique ferme se soit manifestée dans la durée. Je fais une exception pour la politique d’Obama au Moyen-Orient, beaucoup plus sage que ne le disent ses contempteurs. Ceux-ci, il est vrai, sont bien souvent des néoconservateurs qui persistent dans leurs erreurs, simplement recouvertes d’un badigeon « droit de l’hommiste ».
8. Si aucun de ces immenses problèmes n’est soluble séparément, plus encore que la vision d’ensemble, manque le sens qui permettrait d’ordonner leur solution en surmontant le nihilisme en lequel ces maux s’enracinent : la perte d’un horizon non pas seulement spirituel mais tout simplement humain ; le désespoir de masses miséreuses interdites de développement ; la peur de populations confrontées là-bas à des guerres sans fin, et ici, à la hantise de perdre leur âme et leurs repères ; l’absence d’espoir de la jeunesse en une vie meilleure qui jette certains dans une radicalisation mortifère. C’est ce grand vide qu’il faudrait avant tout combler. Le néolibéralisme n’est pas la fin de l’Histoire, mais il pourrait être, à défaut d’une telle vision, celle de l’Humanité.
IV – Pour relever tant de défis qui montent à l’horizon, il faut être réaliste, mais il faut aussi être idéaliste.
1. Il faut être réaliste :
a) les problèmes migratoires sont devant nous. L’accueil ne peut qu’être proportionné à la capacité d’intégration de nos sociétés. La vraie réponse est dans le co-développement, à condition que celui-ci ne soit pas qu’un mot.
b) Les terroristes djihadistes veulent nous détruire. Leur moyen est de nous précipiter dans une guerre civile. On ne peut répondre à ce défi que par une stratégie de rassemblement en vue du salut public. La réponse est dans le civisme. Or, il n’y pas de civisme sans patriotisme. La France a la chance de sentir se ranimer dans son peuple le patriotisme républicain. Celui-ci n’est pas le « patriotisme constitutionnel » cher à Habermas. Il plonge beaucoup plus loin ses racines : c’est le patriotisme français qui nous vient des anciens temps, mais dont le couronnement a été la Révolution française et la proclamation de ses « immortels principes » qu’il convient de faire revivre, à condition d’abord de les comprendre : droits de l’homme oui, mais inséparables de ceux du citoyen. Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et donc refus de l’ingérence, seule l’ONU fixant ses limites à la « responsabilité de protéger ». Séparation des pouvoirs oui, mais à condition qu’ils coopèrent. Laïcité conçue comme la recherche en commun par tous les citoyens de ce qu’est le bien public, ceux-ci s’efforçant, au-delà de leurs différences, de trouver un langage argumenté qui ne soit pas d’abord l’affirmation de leur croyance religieuse, dont ils sont libres, à condition de ne pas vouloir l’imposer dans l’espace public. Laïcité signifie donc dépassement.
c) L’intégration de nos concitoyens de tradition musulmane est une priorité. Il faut la vouloir de part et d’autre.
De leur part d’abord : ils ont parfaitement le droit de conserver leur quant à soi, leur lien avec leur culture d’origine. L’intégration à la France répond au souci de leur donner l’accès aux codes sociaux qui sont la clé de leur liberté. C’est donc leur intérêt.
Et il faut aussi que les Français de souche plus ancienne veuillent cette intégration : nous ne chasserons pas les cinq millions d’habitants de tradition musulmane qui vivent en France et dont la plupart sont maintenant des citoyens français. L’amour de la France doit nous porter vers eux. Nous n’oublions pas notre Histoire commune, certes souvent faite de violences, mais aussi de combats et de réalisations partagées. La conscience est meilleure conseillère que la repentance.
La France est une communauté de citoyens : Assumons ensemble cette Histoire, avec ses contradictions. « Faire France » à nouveau, voilà le grand défi. Pour l’avenir de ce grand continuum humain qui va de l’Afrique aux Flandres, il faut que le « bateau France » tienne la mer, car son naufrage serait la noyade de tous.
2. Il faut être réaliste donc, mais aussi idéalistes :
On ne fera rien de bien en dehors d’une grande vision d’Humanité. Il faut :
a) repenser la démocratie et d’abord dans l’entreprise. On nous vante le modèle allemand : inventons un statut de l’entreprise qui ferait toute sa place aux travailleurs salariés et au management à côté des actionnaires.
b) les institutions de la Ve République ont cherché le point d’équilibre entre un Président arbitre qui soit l’homme de la Nation et un Parlement représentatif des aspirations populaires changeantes par définition. Le raccourcissement à cinq ans du mandat présidentiel a été une erreur qu’on doit corriger. Le retour au septennat permettrait de revaloriser le rôle du Parlement. La question du maintien ou non du 49.3 se pose. La revalorisation du rôle du Parlement ne peut signifier le retour au régime d’assemblée qui a perdu la IIIe et la IVe Républiques.
c) Repenser l’Europe avec ses nations. C’est le projet politique et non la concurrence qu’il faut remettre au cœur de la construction européenne.
d) Remettre à plat les rapports de l’Orient et de l’Occident, chargé de trop lourds ressentiments.
e) Lancer et soutenir une grande initiative de co-développement avec l’Afrique.
f) Et pour cela, ne jamais oublier de recaréner la République, pour « faire France » à nouveau. Car la France est à la fois, indissociablement, la fin et le moyen d’une Histoire qui ne doit pas s’interrompre : « Il y a, disait Charles de Gaulle, un pacte séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde ». L’effondrement du communisme n’est pas la fin de l’Histoire. La République a préexisté au socialisme. Elle nous incite à chercher nous-mêmes un sens à l’aventure humaine. Quel est le sens de la vie ? « C’est, disait Vercors, dans « le silence de la Mer », de lui donner sens par nous-même. » Voilà ce que signifie être républicain aujourd’hui : construire une Europe européenne à la hauteur des défis du XXIe siècle.
g) J’ai parlé du patriotisme républicain. Comme Ferdinand Buisson, comme Jaurès, je ressens le besoin d’un carburant spirituel pour aider la République à faire face au défi de l’islamisme radical puisqu’il faut l’appeler par son nom.
Le rapport de la République à la religion n’a jamais été simple. La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ne règle pas le problème. Elle définit un cadre, mais ce cadre n’est pas un cadre vide. La religion de la République, telle que l’avait pensée Ferdinand Buisson, permettait l’exercice de toutes les religions, dès lors qu’elles acceptaient de s’inscrire dans le cadre républicain. C’est une idée qui reste très moderne. La France ne doit pas abandonner les concepts de nation civique, de citoyenneté, de laïcité : ils sont plus que jamais nécessaires au monde dans lequel nous allons vivre. Encore faut-il bien les comprendre et bien les expliquer. Ils s’enracinent dans toute notre Histoire mais ne perdent pas le cap de l’Universel. Régis Debray, il y a dix ans, a très bien défini ce qu’il appelle « la communion à la française » : « C’est ce qui met la jeunesse sur le pont par gros temps, quand se trouvent menacés les idéaux de souveraineté populaire, de laïcité et de raison. C’est une foi commune dans les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est une certaine conviction républicaine que ces valeurs doivent s’appliquer à l’Humanité entière et que le pays qui les a le premier proclamées à la face du monde, a une vocation particulière à parler pour tous les autres ».
Cette « communion » s’enracine dans l’Histoire tout entière de la France. Quand celle-ci est attaquée, nous défendons plus qu’une philosophie, une manière d’être et de sentir, bref une civilisation. C’est ainsi que le patriotisme français fait corps avec le patriotisme républicain. Résumons-nous, la France ne doit pas baisser pavillon. La reconquête de l’estime de soi et de la fierté d’être français est la condition de notre redressement.
V – Les axes du redressement.
La France a encore un rôle majeur à jouer, en Europe et dans le monde.
1. D’abord il faut, pour redonner confiance au pays, réaffirmer la souveraineté sans laquelle la citoyenneté n’a pas de sens. Mandater par référendum le gouvernement pour ouvrir la renégociation des traités européens et la réorientation de l’Europe :
Avec trois priorités qui peuvent mobiliser d’autres peuples que le nôtre :
- la sécurité ;
- la croissance et la résorption du chômage ;
- la capacité collective enfin à relever les défis scientifiques et technologiques de notre temps.
L’essentiel est dans la restauration d’une capacité stratégique de l’Europe dans le monde du XXIe siècle.
L’utilisation du référendum manifestera le rétablissement de la souveraineté nationale et donc de la citoyenneté.
2. Pour réorienter l’Europe, il faudra de proche en proche redonner aux peuples européens la conscience de leurs intérêts stratégiques communs. Il nous faudra, ensemble si possible et sinon avec les volontaires :
a) promouvoir une coopération renforcée contre le terrorisme djihadiste ;
b) assurer le contrôle des flux migratoires pour proportionner l’accueil à la capacité d’intégration de chaque pays ;
c) veiller à l’intensification et la coordination de l’effort militaire en fonction des défis de sécurité qui nous sont propres. La priorité n’est pas le « bouclier antimissiles balistiques » (DAMB) mais la recréation d’un service national court pour mettre sur pied une garde nationale chargée de la protection des territoires et des populations, sans préjudice de la constitution d’une force de projection autonome de concert avec les grands pays européens ;
d) cadrer politiquement notre mise en défense :
- par une initiative de co-développement vis-à-vis de l’Afrique et notamment des pays du Sahel
- par une redéfinition de notre politique au Moyen-Orient en donnant la priorité à la reconstruction des Etats ;
3. Revoir notre rapport à l’Islam :
a) à l’intérieur par le renouveau de l’intégration républicaine ;
b) en politique extérieure, en retrouvant une politique d’indépendance au Moyen-Orient, fondée sur la non-ingérence et la reconnaissance des peuples à disposer d’eux-mêmes.
4. Revoir notre approche de la globalisation. Il y a, en effet, manière et manière de s’inscrire dans la mondialisation :
a) monnaie commune ;
b) primat donné à la politique industrielle européenne, sur la politique de la concurrence ;
c) suspension de la négociation du TTIP tant que le problème de l’extraterritorialité du droit américain ne sera pas réglé.
5. Redéfinir le partenariat stratégique UE/Russie : il est la condition de l’émergence d’une « Europe européenne ». Les intérêts communs et les complémentarités l’emportent sur les divergences. Dans le XXIe siècle l’Europe et la Russie doivent agir de concert. Et s’il le faut que la France donne l’exemple !
6. A l’intérieur il faut renouer avec les fondamentaux républicains :
a) l’effort, le mérite ;
b) mettre un terme aux privilèges indus ;
c) dissoudre une nomenklatura honnie en supprimant symboliquement l’ENA. Celle-ci est devenue l’Ecole de légitimation des élites installées. Ces dernières se sont approprié à la fois les hauts postes dans la Fonction publique, la direction des grandes entreprises publiques et privées et la représentation politique elle-même, au détriment du reste de la population. Il faut revenir à des systèmes de sélection et de promotion internes.
Pour combler le fossé qui s’est creusé entre les élites et le peuple, l’outil principal restera cependant la lisibilité restaurée de l’action politique sans laquelle il n’y a pas de participation civique digne de ce nom.
Conclusion
Le pari sur le redressement repose sur la capacité de notre peuple à faire face aux périls immenses qui le menacent et à faire bloc derrière un gouvernement républicain énergique. C’est cette vision d’ensemble que République Moderne entend promouvoir : la présence à cette tribune d’Arnaud Montebourg et d’Henri Guaino manifeste qu’il n’y a dans notre esprit nulle exclusive, bien au contraire. L’un et l’autre ont apporté des idées neuves à la vie politique française. Le peuple français attend une parole de vérité. Ceux qui sauront la faire entendre trouveront son oreille, car l’attente est forte !
SOURCE:
http://www.chevenement.fr/La-Republique-la-Nation_a1823.html