"Hollande et Sarkozy me semblent prisonniers de l'horizon du triple A"
[Photo : PARIS MATCH Campagne conjointe pour le "OUI" en 2005 - Nous n'oublierons jamais !]
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Jean-Pierre Chevènement était mardi 8 novembre 2011 l'invité du Chat du Monde.fr. Voici ses réponses ci-dessous.
Antoine : Soutenez-vous les indignés qui manifestent à la Défense ?
Jean-Pierre Chevènement : Oui, je suis de cœur avec eux. Cette crise fait beaucoup de victimes. Y compris, souvent, chez les jeunes. Pour beaucoup, l'avenir s'est rétréci. Il est scandaleux que l'Europe soit enkystée dans une stagnation économique de longue durée. L'euro devait nous protéger mais dans la zone euro, il y a plus de 10 % de chômeurs.
Est-il normal que la Banque centrale européenne puisse prêter des centaines de milliards d'euros aux banques à 1,25 %, que les banques puissent acheter des titres d'Etat qui leur rapportent entre 2 et 7 %, et que la Banque centrale ne puisse pas intervenir sur les marchés de la dette pour casser d'emblée la spéculation?
Si on savait que la Banque centrale pouvait casser une spéculation à la hausse, les spéculateurs y perdraient leurs chemises, ils renonceraient. Pour moi, la seule manière de sauver la monnaie unique serait de donner à la Banque centrale européenne les mêmes prérogatives que celles de la Banque centrale américaine, la Fed. Cette dernière a acheté près de 2 000 milliards de bons du trésor américain.
Visiteur : Quel est votre avis sur la façon avec laquelle Nicolas Sarkozy (et ses ministres de l'intérieur) a (ont) traité la question des minorités en France ?
Jean-Pierre Chevènement : Ils ont oublié que le peuple français se définit comme un peuple de citoyens. Je suis hostile à la stigmatisation aussi bien qu'à l'instrumentalisation de telle ou telle minorité ou communauté.
J'aimerais dire quelque chose à propos de M. Sarkozy. Tel Tarzan qui saute de liane en liane, il ébaubit le peuple. Mais jusqu'à quand ? Prenons le sommet de Bruxelles. Le Fonds de stabilité européen se révélait insuffisant. On allait créer un véhicule spécial pour attirer les investisseurs internationaux, chinois, brésiliens, américains, etc... et M. Sarkozy de tendre la sébile à M. Hu Jintao [le président chinois] et à Mme Tilma Roussef [la présidente brésilienne].
Que croyez-vous qu'il arriva ? La sébile resta vide. Le mendiant aurait dû ravaler son humiliation. Heureusement, M. Obama, lui-même en mal de réélection, l'a couvert d'éloges. Ceux-ci ont fait oublié l'échec sensationnel du G20 dont personne ne semble encore s'être avisé. Mais maintenant, c'est M. Fillon qui a saisi une autre liane, nous entraînant dans un ballet torride dont les Français commencent à se demander s'il ne serait pas temps de l'arrêter.
Guest : Comment jugez-vous les résultats de la politique industrielle menée ces dernières années ? Que proposez-vous pour les années à venir ?
Jean-Pierre Chevènement : La France a abandonné sa politique industrielle depuis une trentaine d'années. Elle a choisi la monnaie forte et celle-ci a favorisé les délocalisations industrielles.
Une monnaie moins chère est une condition essentielle de la réindustrialisation de la France. Ce n'est évidement pas la seule. Il faut mettre le paquet sur les technologies nouvelles et, d'abord, sur celle du numérique. Sans oublier aucun des secteurs que vous avez mentionnés.
Car comme me le disait un de mes prédécesseurs, Pierre Dreyfus, il n'y a pas de vieilles industries, il n'y a que des technologies obsolètes. Bien entendu, il faudrait canaliser notre épargne très importante, 17 % de notre revenu, vers l'industrie plutôt que vers des placements à l'étranger.
Savez-vous que ceux-ci étaient de 80 milliards d'euros quand j'étais ministre de l'industrie en 1982, et qu'ils dépassent aujourd'hui 1 600 milliards ?
Minitel : La crise financière, la crise de l'Euro vous donne en grande partie raison. Comment se fait-il alors que votre parti soit si marginal et votre candidature jugée illégitime ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne sais pas si j'ose vous répondre par une citation de Barrès : "Le ventre et l'esprit se nourrissent à des sources différentes".
AutrePolitique : Peut-on réindustrialiser la France sans quitter l'Union Européenne, qui interdit le protectionnisme ?
Jean-Pierre Chevènement : L'Europe doit se protéger des concurrences déloyales. Elle le pourrait mieux déjà si sa monnaie n'était pas surévaluée de 25 % par rapport au dollar et bien davantage par rapport au yuan. Il sera difficile d'aller vers un protectionnisme européen, compte tenu de l'opposition de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne et des PECO. Mais on peut sans doute créer une taxe carbone et maintenir des droits anti-dumpings sur un fondement social ou environnemental.
Ce sont les Etats-Unis qui donneront le la en matière de protection. L'Europe en est malheureusement incapable.
Franck : Vous critiquez l'horizon du triple A, mais quelle alternative proposez vous pour pouvoir continuer a emprunter ?
Jean-Pierre Chevènement : Je propose une action politique vigoureuse auprès de l'ensemble des acteurs politiques et sociaux, en Allemagne d'abord, mais aussi dans les autres pays d'Europe. Le but serait d'élaborer un plan de relance à l'échelle européenne se substituant à la conjugaison d'un grand nombre de plans d'austérité dans pratiquement tous les pays d'Europe.
Pour cela, il faudrait admettre que la Banque centrale puisse faire des avances au Fonds européen de stabilité financière. Les moyens de celui-ci sont dramatiquement insuffisants, avec 250 milliards d'euros disponibles alors que la dette des cinq pays sous tension dépasse 3 000 milliards. L'Italie, aujourd'hui, emprunte à 6,7 % à dix ans.
Ces échéances de dettes en 2012 atteindront 300 milliards d'euros. C'est intenable. On nous a beaucoup parlé de la Grèce, mais l'arbre grec nous cache la forêt de l'euro et d'abord l'arbre italien, sans parler de l'arbre espagnol, de l'arbre portugais et peut-être un jour de l'arbre français.
La deuxième préconisation, c'est un emprunt européen pour financer, par exemple, un plan de transition énergétique, la construction de transports et de villes durables, un grand effort de recherche dans toutes les technologies de l'avenir (biotechnologie, nanotechnologie, énergies nouvelles, etc.).
Marini : L'écologie est-elle un concept incompatible avec la croissance et donc toute sortie de crise ?
Jean-Pierre Chevènement : Non. Encore faut-il s'entendre sur ce que l'on appelle écologie. Si on entend par là la conscience des limites physiques de notre planète, je suis pour. Mais trop souvent, l'écologie sur le plan culturel se présente comme une idéologie de la peur. Cette idéologie s'est développée en Allemagne après la fin de la deuxième guerre mondiale. Un philosophe allemand, Hans Jonas, avait parlé de l'heuristique de la peur. En français, la peur est bonne conseillère.
Cela a donné la société du risque d'Ulrich Beck et puis le principe de précaution qui a été introduit dans notre constitution en 2004, alors que ce principe n'a rien de scientifique. Pour ma part, je reste cartésien, je crois aux ressources de la raison. Je suis pour la liberté de la recherche et je crois que celle-ci peut apporter beaucoup de solutions aux problèmes que nous nous posons et qui peuvent rester provisoirement irrésolus.
L'homme n'a vraiment volé qu'avec Clément Ader puis Louis Blériot. Il a attendu pour cela quelques millénaires.
Lazzuli : Que pensez-vous de la déclaration de François Hollande qui veut préserver la construction d'un EPR de Flammanville ?
Jean-Pierre Chevènement : C'est l'intérêt de la France. L'électricité d'origine nucléaire est deux fois moins chère que celle qui provient de l'éolien marin. Et cinq à six fois moins cher que celle qui vient du solaire photovoltaïque, dont les panneaux sont fabriqués en Chine. Nous sommes en négociation avec la Grande-Bretagne (six EPR), la Chine (deux EPR), l'Inde (deux EPR), la Finlande, la Pologne, la République tchèque et d'autres pays encore.
Ginette Dugeno : Voulez-vous faire sortir la France de l'Union européenne ?
Jean-Pierre Chevènement : Non. Mais je pense que l'Union européenne n'est pas mûre pour le fédéralisme. Elle peut être une confédération car les nations européennes sont une famille de peuples.
Il faut faire évoluer avec pragmatisme la construction européenne sans jamais perdre de vue l'objectif qu'avait fixé jadis le général de Gaulle. Une Europe européenne, actrice de son destin qui soit elle-même un pôle dans le monde de demain qu'on nous décrit comme multipolaire. Bien entendu, cette Europe sera à géométrie variable. Il faut avancer avec ceux qui le veulent, conformément à la doctrine posée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Je regrette que trop peu de Français ne connaissent pas ses attendus. Ceux-ci sont pourtant lumineux. L'Union européenne est une organisation internationale, elle juxtapose une trentaine de peuples et la souveraineté réside dans chacun d'eux. C'est pourquoi les droits du Parlement, en l'occurrence le Bundestag doivent être respectés. Il faut réconcilier l'Europe avec le progrès et avec la démocratie. Voilà ma ligne, elle n'est pas nationaliste, ni souverainiste, elle est tout simplement républicaine.
sim : Vous êtes candidat à l'élection présidentielle, qu'est-ce qui vous distingue de Nicolas Dupont-Aignan ?
Jean-Pierre Chevènement : Nous n'avons pas le même itinéraire, même si nous pouvons converger sur de nombreux points. J'ai de l'estime pour M. Dupont-Aignan. Je pense néanmoins que sa préconisation de sortie de l'euro a besoin d'être sérieusement étayée, nuancée. Autant, on pouvait être contre le traité de Maastrich, qui a créé la monnaie unique en 1992, autant, aujourd'hui, la monnaie unique est un fait, certes fragile, attaqué de toute part par la spéculation. Mais quand un avion a pris de la hauteur, on ne saute pas par le hublot, on cherche à en prendre les commandes pour atterrir en douceur.
Je me résume. Je souhaite que de cette période très difficile, les peuples d'Europe puissent se sortir à moindres frais.
CMC : Pourquoi n'avez vous pas été candidat à la primaire socialiste ?
Jean-Pierre Chevènement : Parce que c'étaient des primaires socialistes. Ouvertes, certes, mais le centre de gravité devait inévitablement déboucher sur la désignation d'un candidat social libéral. Sur ce point, François Hollande et Martine Aubry ne se distinguent guère. Arnaud Montebourg est arrivé troisième avec un score remarquable de 17 % qui m'a impressionné.
Je ne suis pas sûr que je l'aurais fait, même si j'aurais fait mieux que 0,6 % comme M. Baylet. Bref, je ne voulais pas me mettre à la merci de l'opinion majoritaire au sein du Parti socialiste ou dans sa mouvance. Je représente une sensibilité républicaine. Je suis un homme de gauche indépendant. Je préfère avoir un dialogue avec les autres partis de gauche. Sans me fondre d'emblée dans une absence épaisse.
Yoann : Que répondez-vous à ceux qui pensent que votre candidature risque de nous faire revivre le même scénario que le 21 avril 2002 ?
Jean-Pierre Chevènement : Le 21 avril 2002, c'est l'extincteur du débat politique. Une fois que l'on a crié "21-avril", il n'y a plus de place pour argumenter. En 2002, je critiquais déjà l'omnipotence des marchés financiers, je préconisais le redressement de l'Europe, l'élargissement des missions de la Banque centrale européenne au soutien à la croissance et à l'emploi, le renouveau de la politique industrielle, l'affirmation de repères clairs en matière d'éducation, de sécurité et d'intégration. Je n'avais que le tort d'avoir raison trop tôt.
Louloutte : Que pensez-vous de la candidature de Mélenchon ?
Jean-Pierre Chevènement : M. Mélenchon a fait beaucoup de progrès depuis le traité de Maastricht. J'ai de la sympathie pour son effort qui est méritoire. Mais je ne crois pas qu'il sera présent au second tour.
Sim : Quels sont vos points de désaccord avec le Front de Gauche ?
Jean-Pierre Chevènement : Mon principal désaccord est le suivant. Je pense qu'il faut s'appuyer sur la souveraineté nationale pour exercer un effet de levier, en Europe et dans le monde. Accessoirement, bien que ces sujets soient importants, je ne suis pas pour la sortie du nucléaire, qui renchérirait de 50% la facture de l'électricité des couches populaires, auxquelles M. Mélenchon et moi-même nous nous adressons. Et je n'ai jamais été pour une régularisation générale des sans-papiers.
Relique : Quelles mesures soutenues par Hollande ou par Mélenchon pourraient vous permettre de les soutenir ?
Jean-Pierre Chevènement : Je pense que M. Hollande a défini deux axes qui me paraissent justes. La priorité à la jeunesse et à l'éducation et la nécessité d'une réforme fiscale qui réponde au souci de la justice sociale. L'effort est nécessaire, mais il doit être équitablement partagé. Et surtout, il doit avoir un sens. Or, aujourd'hui, M. Hollande comme M. Sarkozy me paraissent prisonniers de l'horizon du triple A.
Jean Bar : Arnaud Montebourg propose que les députés ne puissent être investis après 67 ans. Vous qui le soutenez, ne devriez-vous pas renoncer ?
Jean-Pierre Chevènement : Oui, c'est un léger point de divergence que j'ai avec lui. Beaucoup de nos grands hommes d'Etat avaient dépassé cet âge. Je ne suis pas pour des limites d'âge. Il y a des jeunes qui sont déjà vieux et des vieux qui restent jeunes très longtemps.
Aurélien : Quel regard portez-vous sur le ralliement de plusieurs de vos anciens soutiens à Marine Le Pen ?
Jean-Pierre Chevènement : C'est le cas d'un seul, Bertrand Dutheil de La Rochère, qui a été exclu dans l'Eure et n'a entraîné absolument aucun militant derrière lui. Dutheil a oublié qu'entre le MRC et le FN, il y a une différence, c'est 1789, la citoyenneté, l'égalité humaine. Valeurs auxquelles nous avons la faiblesse de tenir.
Modeste : Vous engagerez vous à quitter votre appartement du parc social de la Ville de Paris que vous occupez depuis de nombreuses années afin qu'une personne plus nécessiteuse puisse en profiter à juste titre ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne suis pas dans un appartement HLM. Ma situation est parfaitement légale. Je paie le loyer que le bailleur me demande puisque je suis dans un appartement ILN, immeuble à loyer normal. Un homme politique doit s'attendre à toutes les attaques. Et celle-là ne me surprend pas.
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