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"De Gaulle est l'homme à qui la France doit d'avoir survécu" CHEVENEMENT

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Jean-Pierre Chevènement était L'invité des Matins animé par Guillaume Erner sur France Culture, le mercredi 24 avril 2019. Thème de l'émission : 50 ans après la démission du général de Gaulle : quel est son héritage ?

Verbatim 

  • Guillaume Erner : Quel est votre sentiment sur l'évolution de la démocratie ? Beaucoup de chefs d'Etat sont considérés comme « bonapartistes » y compris de Gaulle, et on vous a parfois classé dans cette catégorie. 

    Jean-Pierre Chevènement : De Gaulle nous a légué une conception sacerdotale de l'Etat, du service de la chose publique. Aujourd'hui, il y a une campagne très idéologique visant à discréditer la démocratie citoyenne : celle qui part du peuple souverain, dont chaque citoyen est une composante, et qui fait du peuple la source du droit. 
    J'ai entendu Martin Wolf, en tout cas les citations qu'on en a faites : mélanger Erdogan, Poutine, Bolsonaro, Xi Jinping, Trump, Orban est un subterfuge un peu grossier. Il faut garder de la mesure et analyser la spécificité de chaque régime. Par exemple, Vladimir Poutine s'est plié à la Constitution russe de 1993 en ne sollicitant pas un troisième mandat ; il a laissé la place à Medvedev. On peut dire que tout cela était arrangé, mais qu'est-ce qui n'est pas arrangé dans la vie politique ? 

  • A l'époque où de Gaulle se défendait d'être un dictateur alors que la Gauche, Mitterrand en tête, l'accusait de coup d'état permanent, qu'en pensiez-vous ? 

    Je suis né plutôt à gauche dans une famille qui votait socialiste. J'ai été très impressionné par la figure de Pierre Mendès France dès l'âge de 15 ans et j'ai même failli adhérer au Parti radical. Mais j'ai vu en 1958 que de Gaulle avait la capacité d'éviter à la France une guerre civile, de dénouer et de trancher le nœud gordien qu'était la guerre d'Algérie. J'avais lu ses Mémoires de guerre et beaucoup de ses écrits. Au fond de moi-même, je suis devenu gaulliste dans les dernières années de la guerre d'Algérie.
  • Ensuite vous avez dirigé le CERES, l'une des tendances les plus à gauche de l'époque. Pouvait-on être gaulliste en même temps ? 

    Le problème posé fin 1960 début 1970 était l'après-Gaullisme. Qu'allait-on mettre après ? Le CERES a intégré dès le départ des éléments du Gaullisme. Nous voulions trouver une issue à gauche au Gaullisme et modifier la politique économique et sociale qui était menée par Pompidou. Pour autant, les gaullistes de gauche n'ont jamais été qu'un petit affluent dans la marée gaulliste. Si j'avais pris ma carte à l'UDR à l'époque, moi qui venais d'une famille de gauche laïque, je me serais renié. Il s'agissait de renouveler l'offre politique par l'union de la gauche, qui n'existait pas encore. Il fallait amener François Mitterrand à adhérer au parti socialiste, faire en sorte que ce dernier se rapproche du parti communiste et fasse un programme commun avec lui, redéfinisse sa doctrine, devienne le premier parti de la gauche et accède enfin au pouvoir. 

  • Que dire de la manière qu'avait de Gaulle d'exercer le pouvoir ? 

    Aucun pouvoir ne se passe de verticalité. De Gaulle est venu au pouvoir en 1940 alors qu'il n'y avait plus rien. Il est l'homme à qui la France doit d'avoir survécu, nous ne devons pas l'oublier. Mon premier réflexe vis-à-vis du général de Gaulle est donc une profonde reconnaissance car dans notre histoire, il n'y a pas d'équivalent, sauf peut-être Jeanne d'Arc. Sans lui, la France aurait été précipitée au fond de l'abîme et ne se serait jamais relevée. Les discours des 18 et 22 juin 1940 méritent de figurer dans une anthologie de la mémoire nationale. Il reste de de Gaulle une vision ample, mondiale, humaine et républicaine, car il se situait toujours du côté du bien commun, au service de la France. 

  • Pourquoi cet homme qui a sauvé la France venait-il de la droite ? 

    Le Front populaire avait malheureusement comme devise, « le pain, la paix, la liberté » alors qu'Hitler était au pouvoir depuis plus de 3 ans. Par conséquent – on l'a vu avec la non-intervention dans la guerre d'Espagne mais aussi avec Munich – le Front populaire, n'a pas été à la hauteur du défi. A gauche, il y a eu des personnalités tout à fait honorables. Quelqu'un comme Jean-Moulin, qui était au cabinet de Pierre Cot, va se révéler pendant la Seconde Guerre mondiale et va même apporter un appui décisif au général de Gaulle pour faire reconnaître sa légitimité par les Américains, car il rassemble les mouvements de Résistance et les partis derrière de Gaulle. Jean-Moulin est un homme de gauche ; de Gaulle se situe au-dessus de la droite et de la gauche. Il est militaire, commet des ouvrages militaires, tous de très beaux ouvrages qui méritent d'être relus et médités. On voit là une pensée à l'échelle de l'histoire, on voit là ce qui le prépare à être l'homme qui relève les tronçons brisés du glaive en juin 1940. 

  • Considérez-vous que de Gaulle est inclassable politiquement ? 

    Je ne cherche pas trop à le rapprocher des concepts de droite et de gauche, qu'il faut resituer historiquement. La droite était le parti du veto royal, du droit divin ; la gauche en 1791, le parti de la souveraineté populaire. Mais ces définitions ont beaucoup évolué. De Gaulle tenait de son père une tradition catholique sociale, comme on le voit dans l'idée de la participation à laquelle il est resté fidèle. Mais je pense qu'il échappe à ces catégories. Rappelons-nous qu'en juin 1940, alors que de Gaulle pense à démissionner du gouvernement de Paul Reynaud lorsque celui-ci envisage l'armistice, Georges Mandel le convainc de rester. Sans Mandel, nous n'aurions peut-être pas eu le même destin. 

  • Assiste-t-on aujourd'hui, avec le régime des partis, à « la pagaille » dont parlait de Gaulle en 1965 ? Ou même à la « chienlit » ? 

    Il y a une différence entre le « régime des partis » qu'a combattu de Gaulle et les partis, qui sont nécessaires à la démocratie. Mais il y a une correspondance entre la crise des Gilets jaunes actuelle et ce qui s'est passé dans la foulée de mai 1968. Parler de pagaille aujourd'hui serait excessif. Tout le problème de la démocratie est de faire correspondre le pouvoir, qui implique la verticalité, et la démocratie, qui implique le débat, l'horizontalité. Cela demande que l'on ait une haute idée du peuple, des citoyens, de l'intérêt général. Or c'est cela qui s'est perdu et qui me fait souffrir : je sens qu'en France, on a perdu le respect de l'autre, ce souci de l'argumentation, de la conviction raisonnée. On sombre trop vite dans l'injure, le procès d'intention, les analyses toutes faites qui empêchent de penser. 

  • Dans les années 1960, la situation n'était pas plus apaisée. 

    Il y avait tout de même un souci de l'argumentation, d'une grille de lecture englobante. Quand Kassovitz fait un film qui s'appelle « La haine », qui oppose « les keufs » et « les beurs », c'est quand même une lecture très sommaire de la société. Mai 1968 a été un grand moment d'explosion de l'hyper-individualisme libéral. Mettre l'imagination au pouvoir, c'est bien, adjurer chacun de vivre et de jouir sans entrave, c'est plus problématique. Les idées de République, de citoyenneté, de l'Etat, se sont perdues à ce moment-là. 

  • Avez-vous évolué politiquement durant ces 50 ans de vie politique ? 

    J'ai oscillé entre la figure de Mendès France et celle de de Gaulle. J'ai fait un détour par le parti socialiste, qui était alors la SFIO en 1964, mais pour l'amener à une position qui n'était pas la sienne, pour construire une nouvelle offre politique. Fondamentalement, je n'ai pas beaucoup changé. 

  • Vous étiez l'une des figures du CERES, courant du PS. Quand vous voyiez certains militants trotskistes ou ex-trotskistes qui adhéraient au PS, comment le perceviez-vous ?

    Il faut manifester beaucoup de bienveillance pour l'itinéraire de ces jeunes gens qui ne savaient pas très bien dans quel sens s'orienter. Certains regardaient vers Cuba et Che Guevara, d'autre vers la Révolution culturelle, le Maoïsme, d'autres encore voulaient se ressourcer dans une tradition léniniste supposée intacte avec Trotski... La bonne démarche était d'entrer au PS et d'essayer de le changer de l'intérieur. 

  • Il y a des chevènementistes qui se sont engagés au RN. Qu'en pensez-vous ? 

    Je pourrais vous en citer d'autres qui sont à la FI ou LREM. J'ai conçu quelque chose qui était au-dessus de la droite et de la gauche, il y a des gens très divers qui m'ont soutenu, même le Président de la République, dit-on ! Bien que je ne décerne pas de brevet de chevènementisme, il me semble que l'extrême droite est incompatible avec la ligne républicaine que j'ai essayé de dessiner pendant 50 ans. 

  • Que pensez-vous des évolutions de de Gaulle ? De la manière dont il a réussi à s'adapter aux événements ? 

    Ses années de formation sont avant la guerre de 1914. De Gaulle était aussi un élève de Bergson, de l'Evolution créatrice. Il lisait Nietzsche. C'était un homme éminent par la connaissance du passé. C'est aussi pour ça qu'il était capable de se projeter loin dans l'avenir. Si nous prenons la question coloniale, de Gaulle a toujours vu qu'il y avait deux peuples en Algérie, mais il a longtemps pensé, comme Bugeaud l'a écrit en 1850, que l'on pouvait arriver à la fusion du peuple français et du peuple arabe. Ca ne s'est pas fait et de Gaulle en a tiré les conséquences. Il a choisi d'éviter la guerre civile entre Français qui aurait pu se produire, comme cela a commencé à être le cas en Algérie mais aussi en métropole avec l'OAS. Il a choisi de tourner une page, celle de l'Empire colonial puis de l'Union française, et il voulait en ouvrir une autre. 

  • De Gaulle explique comment les choses lui ont échappé en 1968. Il a choisi le référendum, il a perdu et il a démissionné. Etait-ce la seule issue ? 

    Ce départ, empreint d'une sobre grandeur, a suscité beaucoup d'émotions car il y avait un lien particulier entre le général de Gaulle et le peuple français. Il y avait une recherche que je qualifierais de spirituelle chez de Gaulle, et il est parti sur des questions qui ne le méritaient pas. Mais il a eu une exigence et c'est ce qui fait son originalité. Il y avait peut-être un excès de confiance car il avait remporté toutes les élections jusqu'en 1967, mais il voulait aller au-delà de l'aspect technique des choses et faire partager sa philosophie de ce qu'il appelait « la participation ». De Gaulle voulait laisser un message social : non pas une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, pour lesquels il avait des mots très durs, mais il recherchait à insuffler un esprit de participation. Au fond, c'est l'idéal républicain : tout homme est maître de son destin. C'est cette même idée que l'on retrouve chez Jaurès, chez Péguy et beaucoup d'autres. 

    Source : L'invité des Matins - France Culture

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