« SENEGAL 2010 : Avis de tempête au pays de la Teranga » par Laurence Siran

Symbole de la crise que traverse le Sénégal, le monument de la Renaissance africaine saute aux yeux du nouvel arrivant à Dakar. Situé sur les Mamelles (ces deux collines portant bien leur nom), aux abords de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor, la vaste statue, voulue par le Président en exercice Abdoulaye Wade, cristallise nombre des maux que connait le pays.

Le projet pharaonique, à la hauteur de l’égo de son initiateur, suscite de nombreuses critiques.

Celles-ci  reprochent entre autres son coût, à l’heure où le pays connait de grandes difficultés économiques, comme l’attestent les manifestations de 2007 contre la vie chère. D’autant que le Président se réserve 30% des recettes, ad vitam aeternam.

La mise en œuvre par la Corée du Nord (d’où son aspect très stalinien) provoque l’exaspération et l’incompréhension. Ce monument à l’honneur de l’Afrique n’est même pas le fruit du génie africain.

Enfin, plus inquiétant, le projet suscite des tensions religieuses dans ce pays traditionnellement laïc. En effet suite aux critiques des Imams (opposés à la représentation du corps humain), le Président tenta de se défendre avec une maladresse confondante. Il argua du fait que les chrétiens  vénéraient dans leurs églises des statues du Christ  « qui n’est pas Dieu », provoquant la colère du Clergé et de la communauté chrétienne, majoritairement catholique.

N’Dour, chauffeur de taxi depuis 25 ans, me confirme ces craintes : « La situation est explosive. Wade doit se méfier. C’est la première fois dans l’histoire du pays que des tensions entre communautés religieuses apparaissent. Et si on ajoute à cela la vie chère… ».

Face à une opposition de plus en menaçante - la coalition Benno Siggil Senegal - qui a remporté les élections locales en 2009, le Président Wade semble prêt à jouer avec le feu pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir : anticipation des élections, manipulation de la commission électorale (dont il a limogé le président, pour excès de zèle et d’honnêteté !) et jeu de rivalités  entre les différentes communautés religieuses du pays (Wade tente de gagner les faveurs des Mourides, principale communauté maraboutique, musulmane, dont il est issu).

Selon Patrick, ressortissant français, vivant au Sénégal depuis une vingtaine d’années : « Tout est en place pour que cela explose en 2012, au moment des élections ».

Colonisé au XIX^ème siècle par le Général Faidherbe (la présence occidentale remonte cependant à 1444, avec le comptoir de l’ile de Gorée), le pays devient indépendant en 1960 et se donne pour premier président le très francophile Léopold Sedar Senghor. Catholique, dans un pays majoritairement musulman (90% de la population), Senghor instaure une forme de laïcité, bien conscient que l’unité et la viabilité de son pays, myriade d’ethnies et de confessions religieuses, ne pourrait survivre à la reconnaissance d’une religion d’état.

Il fait du Sénégal un ilot de prospérité démocratique (si l’on fait exception du cas de la Casamance) dans cette Afrique de l’Ouest ravagée par les conflits (Sierra Léone, Libéria, Guinée Conakry, Côte d’Ivoire). Son successeur Abdou Diouf maintient dans les années 80 et 90 cet état de fait. Il est battu démocratiquement en 2000 par Abdoulaye Wade. Réélu en 2007, il est accusé par l’opposition de fraudes. Depuis cette année les tensions n’ont pas cessé de croître.

Paradoxalement, dans cette Afrique encline à s’appuyer sur la France et à l’heure où son pouvoir est menacé, le Président Wade semble tourner le dos à l’ancienne métropole.

La France est - depuis l’indépendance - liée au Sénégal. Les entreprises françaises sont largement présentes notamment dans le secteur des infrastructures (Véolia pour le traitement des déchets, Sénégalaise des Eaux pour l’eau, Orange pour la téléphonie mobile, Total qui détient le quasi monopole de la distribution d’essence…). On dénombre 25 000 ressortissants français.

Mais surtout les deux pays sont liés dans le cadre des Accords de défense, signés en 1974. Les 1200 militaires français répartis sur la base de  Bel Air (23^ème  BIMA, Terre), l’Unité Marine, la Base Aérienne 160 et la Station d’Emission Interarmées de Rufisque, ont pour mission, en plus d’assurer la sureté des installations et l’évacuation des ressortissants en cas de crise, de participer à la formation des militaires sénégalais et de porter assistance aux Forces Armées Sénégalaises (environ 12 000 hommes) en cas de conflit.

Cependant, et de par la volonté de Nicolas Sarkozy, ces accords sont en cours de négociation, dans un contexte où, suite au discours tenu par le président français à Dakar en 2008, la France n’a plus le vent en poupe. S’ajoutent à cela, les velléités du gouvernement français dans le cadre de la RGPP de réduire les dépenses militaires. Cela s’est traduit par la fermeture du 43è BIMA à Abidjan, et de nombreuses rumeurs font état d’un arbitrage à venir sur le maintien des installations sénégalaises et gabonaises. La présence de deux bases interarmées sur la façade atlantique serait une richesse superflue.

Les discussions devraient aboutir au premier trimestre 2010. Le dispositif des Forces Françaises du Cap Vert (FFCV) devrait être profondément remanié. Il est question de la création d’une Base de Défense mutualisant l’ensemble des moyens interarmées, recentré sur l’Unité Marine (Dakar est un des principaux ports de la façade atlantique), avec les fermetures du 23^ème BIMA, dont le site appartenant au gouvernement sénégalais est situé dans une baie soumise à de fortes pressions immobilières, et de la  BA 160. Cette dernière perdrait de son intérêt en raison de la fermeture programmée de l’aéroport international et son déplacement à Sally, à proximité du domaine présidentielle de Popenguine, excentré de Dakar (symptôme supplémentaire de la fièvre sociale qui touche le Sénégal).

La France, affaiblie, se voit concurrencer par d’autres intervenants internationaux et ce toujours aux dépens du peuple sénégalais.

La communauté libanaise est extrêmement présente à Dakar, détenant le monopole du commerce « officiel » et ce depuis de nombreuses décennies. La crise aidant, la rancœur des Sénégalais à l’égard des descendants des Phéniciens devient très vive.

Ali, vendeur ambulant, me déclare : «  Les libanais sont partout. Ils nous asphyxient. En plus ils sont racistes, ils nous traitent avec mépris. Ils se prennent pour des toubabs (surnom péjoratif donné aux blancs). ».

Les masses originaires de la brousse viennent grossir les rangs des vendeurs à la sauvette, et autres escrocs ou mendiants qui grenouillent autour des vastes marchés de Sandaga, Kermel, Tilène.. Au point, que le nouveau maire de Dakar (qui a battu aux élections Karim Wade, le fils métis du président) a fait du désengorgement des rues son cheval de bataille.

L’essentiel de l’activité économique échappe aux sénégalais. Des quatre librairies de la ville, une seule est tenue par le diocèse local. Les trois autres sont aux mains des libanais et des chinois.

Le président Wade a négocié avec la Chine, un accord permettant aux pêcheurs de se pays d’exploiter les eaux territoriales faisant une concurrence déloyale aux artisans pêcheurs locaux et risquant de tarir la ressource halieutique, alors que le poisson est une des sources principales en protéine du pays.

L’exploitation du port de Dakar est tombée sous la tutelle de la société émirienne qui exploite déjà le port de Dubaï, et ce au nez et à la barbe du magnat français Vincent Bolloré, ami personnel de Nicolas Sarkozy.

Fin novembre 2011, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, a été reçu en grande pompe au palais présidentiel, pour sceller l’amitié irano-sénégalaise, notamment matérialisée par la joint-venture automobile Seniran, dont les véhicules remplacent progressivement le parc de taxis archaïques, majoritairement constitué de vieilles Renault. Changement d’époque.

Les Etats Unis ne sont pas en reste. Ils possèdent une des plus grosses ambassades, dans le quartier du Plateau, inaccessible aux locaux, les rues alentours ayant toutes été fermées. Le bâtiment de USAID, l’organisme gouvernemental d’aide au développement, couverture de la CIA, inviolable, du fait de son mur d’enceinte et de ses multiples caméras de surveillance, est localisé aux abords de la plage ultra chic de Ngor.

Il m’a été donné d’assister à un tableau des plus ironiques et des plus révélateurs. A une table du bar le Viking, tenu par un français en plein centre de Dakar, se tenait quatre individus envapés d’alcool. Un chinois hilare, un russe moustachu, un anglais chauve, ainsi qu’un sénégalais. Les trois premiers étaient plongés dans une vive discussion financière. Le dernier se contentait de traduire et de servir de guide… Quant au patron français il était en congé en métropole !

Enfin, l’Islam radical semble doucement faire son apparition dans le pays. Des amis français venus 6 ans auparavant ont pu constater la difficulté de trouver de la bière dans l’arrière pays. Les écoles coraniques se multiplient et on observe de temps en temps des femmes portant la burqa.

La poussée d’Al Qaida au Mahgreb (Ancien GSPC) dans le Sahel n’épargne pas le Sénégal. Même si les djihadistes n’opèrent directement dans le pays, ils semblent l’utiliser comme base logistique. Klaus, ressortissant suisse me déclare « Il existe de nombreux « voyous » mal intentionnés en provenance de Mauritanie, d’Algérie et du Niger… ». D’autres filières sont également présentes, notamment dans la communauté libanaise. Il est possible dans certaines échoppes de changer des chèques européens contre des francs CFA. Le propriétaire vous demande de ne pas marquer d’ordre. Mal vous en prend, vous financez le Hezbollah !

(*) Laurence Siran est correspondante de POLITIQUE-ACTU.COM en Afrique de l’Ouest.