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"Les espions français face au KGB" Invité Roland Pietrini - ancien membre des MMFL (Janvier 2023)

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La Mission militaire française de liaison près du haut commandement soviétique en Allemagne (MMFL), fondée en 1947 en même temps que ses homologues britannique et américaine, allait répondre en grande partie à cette épineuse question. Seule unité militaire française pouvant se déplacer « librement » sur le territoire de la République démocratique allemande (RDA), elle se transforma, au cours de la guerre froide, en la plus étonnante unité de renseignement opérationnel « derrière les lignes ennemies ». Ces missions de renseignement constituèrent le combat méconnu d’une poignée d’hommes qui, 24 heures sur 24 et 365 jours par an, sillonnèrent le territoire de la RDA pour observer discrètement les forces soviétiques et est-allemandes, rendre compte de leurs capacités et, dans la mesure du possible, de leurs intentions.

 

            C’est à la relative ignorance de leur existence que veut remédier Roland Pietrini, ancien membre de la MMFL de 1979 à 1983 à Potsdam et secrétaire d’ambassade, adjoint opérationnel de l’attaché de défense, en poste à Varsovie de 1983 à 1989. La décennie 1979-1989 qui  recouvre les activités de l’auteur est cruciale dans l’histoire de la guerre froide et l’évolution des forces du Pacte de Varsovie, car c’est durant cette même période que la guerre en Afghanistan et la crise polonaise vont convaincre Gorbatchev de l’impossibilité du maintien par la force de l’empire soviétique en Europe de l’Est. Au travers de son témoignage, nous allons plonger dans le monde méconnu  des sentinelles de la guerre froide.

Des sentinelles, mais à la différence de plantons figés devant leurs guérites, les « missionnaires » seront des éclaireurs très mobiles qui vont faire toute la lumière sur l’évolution des matériels et des tactiques, et sur le niveau de préparation de l’ancien allié que le cours de l’histoire a transformé en redoutable adversaire. Dès les premiers chapitres, l’auteur nous entraîne de l’autre côté du mur dans une sorte de jeu de piste grandeur nature. Mais c’est tout un monde inversé que le lecteur va découvrir. Car les pancartes de ce « Signe de Piste », indiquent le chemin à ne suivre qu’à ses risques et périls. Pour ces étranges « missionnaires », seul le sens interdit donne du sens à leurs activités. Loin des sentiers battus et le plus souvent sur des pistes labourées par les chenilles des chars, se déroule une passionnante et dangereuse partie de gendarmes et de voleurs. Pour se sortir d’un mauvais pas, ils ne peuvent compter que sur leur bonne étoile, celle qui orne le capot de leur Mercedes, isolés qu’ils sont en territoire hostile, sans liaison avec le commandement, car à cette époque les téléphones et ordinateurs portables, les appareils photo numériques et les GPS n’existaient pas, même sur la planche à dessins. Les cartes, instrument de pouvoir à usage militaire dans les pays de l’Est, étaient volontairement fausses et surtout, il fallait des trésors de courage et de ruse pour échapper aux poursuivants de la STASI.

Mais le rôle d’un préfacier est plutôt de souligner les points clés de l’ouvrage et d’évoquer quelques-uns des apports nouveaux du livre qu’il présente par rapport aux précédents livres traitant du même sujet, car cet ouvrage entre dans la courte liste des livres, travaux et mémoires déjà parus sur la MMFL Il peut paraître, ici ou là, ingrat parce qu’il est souvent technique. Mais il est technique parce qu’il est très précis pour tout ce qui concerne la chronologie, la géographie, les unités, les effectifs, les procédures, les tactiques, les matériels, leurs caractéristiques et leur fiabilité. Chacun trouve d’ailleurs naturel que les spécialistes s’expriment sur leur métier, car lorsque les choses sont vues de l’intérieur, cela donne aux descriptions et aux critiques une force particulière. Au fil des pages, dans les coulisses de la guerre froide, la fureur des poursuites et le tumulte des blocages, on comprend mieux la vraie nature de cette guerre du renseignement où se dévoilent la solidarité, l’initiative et la motivation d’équipages soudés et audacieux face à de très puissants adversaires.

Ce livre n’a pas été écrit pour les anciens membres de la Mission qui n’ont plus besoin de miroir pour savoir ce qu’ils ont fait. Il est plutôt destiné à ceux qui ne seront jamais « missionnaires » et qui apprendront ainsi ce qu’un petit groupe d’hommes est capable de faire avec du courage, de bons équipements et de la volonté. A la frontière du renseignement et de la diplomatie, les activités de la MMFL, tout comme celles du travail en ambassade, ont constitué durant des décennies une expérience humaine suffisamment marquante pour que leurs anciens membres restent liés par le sentiment commun d’avoir été aux avant-postes de la guerre froide, pour le meilleur et pour le pire.

Et puisque nous évoquons le pire, malgré les ouvrages déjà édités, les films documentaires diffusés et les travaux universitaires publiés, il nous faut souligner que la discrétion, le secret et l’inévitable part d’ombre de ces unités de recherche du renseignement, françaises et alliées, sont à l’origine d’une double malédiction en pérennisant leur méconnaissance d’abord, des années après leur disparition, et en oubliant ensuite de témoigner à leurs membres une reconnaissance concrète pour ces missions si particulières. L’auteur tente de réparer cette injustice et ce n’est pas en vain que le sang corse coule dans ses veines. Il n’a jamais cru que le respect de son engagement le contraignait à la neutralité et au silence. Il constate que les démarches entreprises jusqu’à présent pour faire reconnaître les mérites des missionnaires n’ont pas abouti. Les distinctions et titres de reconnaissance, qui sont à la fois des marques de courage, de patriotisme et de civisme, ne leur ont pas été décernés alors que les missionnaires ont le sentiment d’avoir mené un vrai combat, une guerre sans armes assimilable à une opération extérieure, comme le prouvent la mort et les blessures de nombre de leurs camarades. Ils ont vécu des jours qui ont changé leur vie. La satisfaction de ce besoin humain de reconnaissance ne coûterait pourtant pas cher à la République.

Les précédents ouvrages visaient à mieux faire connaître les missions alliées tandis que ce livre vise essentiellement à faire reconnaître les mérites des anciens missionnaires qui ont été les principaux contributeurs d’une évaluation précise de la menace qui a fait trembler le monde. Cela ne serait que simple justice d’accorder à ses membres le titre qu’ils sollicitent. De la lutte quotidienne qu’ils ont menée en prenant beaucoup de risques, les missionnaires sont sortis vainqueurs et ils aimeraient que cela se sache et qu’ils en soient récompensés. Telle est la conviction de l’auteur. 

Paradoxalement, ce sont les rapports très détaillés de la STASI, que l’on peut consulter aujourd’hui, qui rendent un hommage bien involontaire aux missionnaires en prouvant l’efficacité de cette recherche du renseignement et le professionnalisme de ceux qui l’ont pratiquée. Au contact permanent de l’adversaire et l’observant d’un œil professionnel sur terre et dans les airs en bravant bien des dangers, les étranges « reporters » des trois missions militaires de Potsdam devinrent la source la plus fiable pour évaluer la menace des forces armées soviétiques et est-allemandes, et surtout pour déceler toute tentative de leur part d’attaquer l’Ouest par surprise.

Au lecteur de découvrir maintenant la dure réalité de la guerre froide décrite par un de ceux qui l’ont faite dans un environnement particulièrement hostile au milieu d’une population étroitement surveillée par le régime et prompte à la délation. Le livre nous invite enfin à réfléchir sur la place essentielle du renseignement dans une guerre pas toujours très  froide, et tout spécialement sur la place de la recherche humaine.

Mais puisque l’ingratitude est trop souvent la seule récompense d’actions méritantes, il ne reste plus qu’à se tourner résolument vers Sénèque pour qui « la vraie récompense des bonnes actions consiste à les avoir faites. »

Général Patrick Manificat 

Ancien « missionnaire » de Potsdam


  L’attribution du Titre de Reconnaissance de la Nation concerne les  426 personnels civils et militaires qui ont servi à la Mission Militaire Française de liaison de 1947 à 1991. Celle-ci n’entraine aucune compensation pécuniaire. Les seuls « avantages » sont : l’attribution de la médaille du TRN, la constitution d’une rente mutualiste, l’accueil dans les maisons de retraite dépendantes de l’ONACVG et le drap tricolore sur le cercueil. Pour les fonctionnaires du secrétariat d’Etat aux anciens combattants, il semble que les opérations de collecte du renseignement réalisées par la MMFL en RDA ne remplissent aucun des critères d’attribution du TRN.

 Cela concerne aussi nos amis britanniques. Malgré leur pragmatisme bien connu et la rédaction d’un mémoire de 68 pages particulièrement argumenté, ils n’ont pas réussi, à notre connaissance, à obtenir pour leurs 900 membres l’attribution de la General Service Medal pour services exceptionnels.


 [RP1] Le général Patrick Manificat, saint-cyrien de la promotion « Vercors » (1960), a servi dans diverses unités parachutistes, d’abord au 11e Bataillon parachutiste de choc à Perpignan, puis comme instructeur au Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Mont-Louis-Collioure. Il a notamment commandé le Groupement opérationnel du 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine à Bayonne, le Centre d’entraînement des réserves parachutistes de Cercottes et le 11e Régiment parachutiste de choc. Par la suite, après avoir été professeur à l’Ecole supérieure de guerre et auditeur à l’IHEDN, il a dirigé le Bureau Renseignement de l’armée de Terre et la sous-direction Recherche de la Direction du renseignement militaire. Outre les opérations spéciales du 1er RPIMa et les opérations clandestines du 11e Choc, le général Manificat a participé à de nombreuses interventions. Il a également passé trois ans derrière le Rideau de fer à récolter les renseignements sur les forces soviétiques et est-allemandes au sein de la Mission militaire de liaison près le haut commandement soviétique à Postdam (MMFL). Il a terminé sa carrière à la tête de l’Ecole nationale des sous-officiers d’active de Saint-Maixent.

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