Débats

« Une société sans armée, c’est une nation sans politique » par le Général(2S) Jean-Claude Thomann

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[La Garde nationale de Paris part pour l’armée, septembre 1792, (1836), Léon Cogniet - musée du Château de Versailles.]

Nous vivons dans une société qui est en train de perdre ses curés et ses militaires, pour leur substituer imans et policiers. Ne s’en étonnent que ceux qui nient l’inversion démographique en cours et l’impératif de sécurité face à la délinquance et la menace terroriste.

Or, si la bascule démographique nous interroge sur notre identité nationale, la disparition du militaire du paysage sociétal s’inscrit dans le primat de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif, en l’occurrence la sécurité générale du territoire et de la communauté nationale à moyen et long terme.

Les politiques, confrontés à l’immédiateté des menaces internes, à la guerre économique et à la dette publique, leur donnent une priorité absolue tandis qu’ils détricotent allégrement, à coup de réformes successives, l’outil militaire et le budget qu’ils ont pourtant voté, et ce dans une indifférence totale qui ignore délibérément les appels des Cassandre alertant sur une éventuelle surprise stratégique considérée au demeurant comme une coquetterie de langage propre aux experts, autoproclamés ou non.

Cette indifférence, douloureusement vécue par les militaires qui ont bien pris conscience de leur déclassement vertigineux dans la hiérarchie des soucis de nos concitoyens, a de multiples causes. En exergue, la méconnaissance abyssale des armées, de leurs capacités, de leur fonctionnement, tant chez les responsables politiques que chez nos concitoyens pour lesquels, depuis la suspension de la conscription, ces armées sont une véritable "boîte noire".

La complexité des opérations modernes de gestion de crise n’en facilite certes pas la compréhension. Par ailleurs, ces opérations "extérieures" au territoire national, souvent bien lointaines et aux enjeux non évidents, souffrent d’une légitimité contestable puisqu’elles ne mettent pas en jeu nos intérêts vitaux et résultent de choix politico-diplomatiques régaliens englués dans le multinational et par définition critiquables.

Désormais outil d’influence plus que de défense, la force armée est un instrument parmi d’autres, dont la spécificité est de plus en plus contestée comme en témoignent la victimisation et la judiciarisation croissantes lorsque des pertes sont subies. Cette fragilité des décisions prises sans pratiquement en référer à la représentation nationale induit, dans le contexte actuel, une interrogation beaucoup plus fondamentale : alors qu’il n’y a plus (provisoirement ?) de menaces aux frontières, mais aussi qu’il n’y a plus de frontières aux menaces, notre outil de défense est-il bien adapté aux enjeux majeurs de demain et après-demain ?

En d’autres termes, quelle armée, pour quelle défense ? Alors qu’en dehors de la vieille Europe, la quasi-totalité des grands Etats réarme, alors que se multiplient les causes potentielles de conflits violents sur une planète dont il va falloir redistribuer les ressources essentielles, le moment est sans doute venu, en particulier dans le cadre de la prochaine échéance présidentielle, d’interpeller avec force nos politiques et nos concitoyens sur une problématique, certes bien éloignée de leurs soucis quotidiens, mais qui engage leur survie et celle de la cité à plus ou moins court terme. Il faut à ce propos refuser le recours incantatoire à une Europe de la Défense qui n’existe pas et n’est pas près d’exister car, dans tous les Etats, la Défense est au coeur des responsabilités régaliennes et engage leur survie physique et celle de leurs citoyens dès lors que les intérêts vitaux sont menacés.

CRÉATION D’UNE GARDE NATIONALE ?

Parmi les pistes de réflexion ayant vocation à faire débat, le rôle des armées, et en particulier des forces terrestres, sur le territoire national devrait faire l’objet d’une nouvelle réflexion, car, si le politiquement correct a fait de cette question un tabou sulfureux, l’exemple des révolutions récentes en Tunisie ou en Egypte montre l’importance de forces armées gardiennes de valeurs pérennes dans la maîtrise du chaos. Une question subsidiaire est l’éventuelle création d’une Garde Nationale permettant une certaine mobilisation des citoyens pour une cause qui les concerne directement.

Enfin, l’examen ne pourra que constater la dégradation des capacités et la paupérisation accélérée de l’institution militaire. Peut-on se satisfaire d’une capacité de projection de forces qui, en engageant 5% de ses moyens en Afghanistan, ne laisse guère que des possibilités résiduelles d’entraînement aux 95% qui n’y sont pas ? Cette remise en cause globale tant de l’institution militaire que de la place qu’occupe aujourd’hui le militaire dans la société doit par ailleurs s’accompagner d’un examen de conscience des militaires eux-mêmes. Grâce à une manoeuvre habilement fondée sur le discours de "recentrage sur le coeur de métier", ils ont été ravalés subrepticement et avec un certain mépris au rang de simples techniciens par une classe dirigeante tournée vers le profit et le "soft power".

De ce fait, les militaires sont absents du débat stratégique, bien que la stratégie soit une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls politiques. Corsetés dans le refus – au demeurant indispensable- du syndicalisme, ils se réfugient dans une tradition de mutisme et confient à leurs chefs qui n’en peuvent mais la responsabilité d’ouvrir les yeux des politiques et de défendre leurs intérêts professionnels. N’imaginant pas de violer la loi, à l’instar des magistrats ou autres CRS, ils se taisent d’autant plus que lorsqu’ils tentent de s’exprimer, comme cela se fait dans toutes les autres démocraties, le fameux "devoir de réserve", dont le contenu reste imprécis, leur est opposé avec menaces et sanctions à la clé.

Dans notre société de communication, il faut que, forts de leur compétence et de leur réflexion, les militaires, d’active comme de réserve, et les associations regroupant les citoyens préoccupés par les questions de défense, s’expriment avec vigueur, s’adressent aux étudiants, nos cadres de demain, et à nos concitoyens par l’ouverture de débats pédagogiques sur les véritables enjeux de nos relations internationales et de notre défense. Ils doivent aussi, localement comme au niveau national, mettre les autorités politiques devant leurs responsabilités et recréer, dans le cadre d’un dialogue sans a priori ni exclusive, et sans plaidoyer corporatiste, une véritable proximité de relation avec un citoyen qui mesure difficilement les enjeux d’un domaine qui lui est tout sauf familier.

Mais il faut également que notre personnel politique consente à montrer plus d’intérêt pour une institution qui n’est pas qu’un héritage, vaguement désuet, de l’Histoire, dont on ferait bien, d’ailleurs, de se rappeler les leçons.

La Défense est l’affaire de tous. Elle n’est pas un sujet politicien mais le véritable fondement de la politique d’une nation.

A ce titre, l’institution militaire et ses serviteurs méritent plus d’attention et doivent cesser d’être, pour nos dirigeants, un outil diplomatique auxiliaire et une bien commode variable d’ajustement budgétaire. Les condoléances officielles à l’occasion des obsèques de soldats morts pour la France en opération extérieure et les discours flatteurs sur les prouesses de nos forces ne sauraient masquer l’affaiblissement critique de nos capacités et du lien entre les armées et la nation : sur cette pente, à quand une poignée de mercenaires d’Etat pour une politique toujours plus imprévoyante ?

Général (2S) Jean-Claude Thomann

Source :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/20/un-societe-sans-armee-c-est-une-nation-sans-politique_1509969_3232.html

 

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