SAHELISTAN : «Il n’y aura pas de paix au Sahel sans le règlement de la crise libyenne» Eric DENECE (CF2R) - EL WATAN
[Éric Denécé. Directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)]
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Le MAE algérien vient d’annoncer la reprise des négociations inter-maliens en juin. Quelles sont, d’après vous, les chances de succès d’une telle initiative soutenue par Bamako ?
C’est très difficile à dire. Ces négociations auraient dû reprendre depuis longtemps, mais le gouvernement malien ne semble pas avoir voulu les conduire à leur terme. La réconciliation nationale ne paraît pas être sa priorité, ce qui explique l’instabilité persistante du pays. Il importe que les acteurs extérieurs qui comptent (France, Algérie) fassent comprendre à Bamako que, malgré les événements passés, la réconciliation est absolument impérative pour commencer à rétablir la paix et la stabilité dans le Nord et éviter une reprise des affrontements.
-Est-il juste de dire que l’opération Serval a échoué, au-delà de la mission strictement militaire, à imposer une feuille de route politique pour la pacification du Mali ?
Non. Serval était une opération destinée à empêcher la prise de contrôle du sud du Mali par les groupes terroristes et à affaiblir significativement ces derniers. Elle a donc été une réussite totale. La France n’a jamais dit qu’elle allait éradiquer les bandes armées djihado-criminelles du Sahel. Elle n’en a ni les moyens ni l’ambition. Cela ne peut être qu’avec une action conduite par les Etats de la région, certes avec des soutiens extérieurs. Toutefois, depuis la fin de l’opération Serval, la situation ne s’est pas améliorée : les militaires maliens ne font guère preuve d’efficacité sur le terrain, le gouvernement de Bamako ne brille pas par son sens politique vis-à-vis des Touareg, les autres Occidentaux (Européens et Américains) se sont à peine engagés sur le terrain pour stabiliser la situation. De plus, Paris n’a pas d’objectifs aussi clairs que pendant la campagne de 2013, d’autant que ses moyens militaires, de plus en plus limités, sont sollicités sur de nombreux théâtres.
-La recrudescence des actes de violence à Kidal est-elle un simple soubresaut ou une preuve que la crise entre le nord touareg et Bamako reste entière ?
Ce ne sont pour l’instant que des soubresauts, des réactions d’exaspération devant certains impairs de Bamako. Mais les torts sont partagés. Les Touareg sont extrêmement sensibles et surréagissent souvent à la moindre occasion. Ils ne doivent pas non plus oublier qu’ils ont été les alliés des djihadistes, quelle qu’en ait été la raison, et qu’ils ont pris la vie de nombreux militaires de l’armée malienne. Les blessures sont longues à cicatriser des deux côtés. D’où la nécessité de négocier. La question touareg demeure d’une extrême complexité.
-Certains prêtent à la France une volonté de s’installer durablement au nord du Mali via une base militaire. Qu’en est-il exactement, selon vous ?
Non, il n’y a aucune volonté de cette nature. Mais devant la persistance des mouvements terroristes et l’incapacité des Etats de la région à y faire face, la France risque de rester quelque temps dans la région sahélienne. Nous avons des accords de défense avec plusieurs pays de la bande sahélienne, des ressortissants et, bien sûr, des intérêts économiques à protéger. C’est pour cela que notre dispositif français a été réorganisé entre le Mali, le Burkina, le Niger et le Tchad. Si demain, les forces françaises se repliaient (et tant que l’armée algérienne se refusera à intervenir hors de ses frontières), il est certain que tous les Etats de la région connaîtront une situation chaotique.
Paradoxalement, nous sommes critiqués si nous intervenons…tout comme lorsque nous n’intervenons pas ! L’idée d’un néocolonialisme français est un fantasme qui a cours en Afrique depuis longtemps et qui va durer. Mais c’est une contre-vérité absolue. La France n’en a ni la volonté ni les moyens. Nous avons assez de problèmes à régler chez nous. Pourquoi voulez-vous que nous en ajoutions d’autres ?
-Quel a dû être, selon vous, l’objet de la visite de M. Le Drian en Algérie, au-delà du communiqué officiel évoquant sommairement la coopération sécuritaire dans le Sahel ?
D’une part, expliquer aux autorités algériennes les objectifs de la France dans la région ; d’autre part, demander la coopération d’Alger dans la lutte contre les groupes djihadistes, dont certains continuent à trouver refuge sur son territoire. Enfin, évoquer la situation en Libye, qui est un vrai «nid de guêpes» terroristes. Il me paraît essentiel que nous multiplions les échanges de vue et de renseignement entre nos deux pays, car Alger et Paris disposent chacun d’expériences et de compétences reconnues en la matière.
-Pensez-vous qu’on puisse régler le conflit au Mali compte tenu de la persistance de la crise en Libye, principal pourvoyeur d’armes aux extrémiste maliens ?
Non, le retour à la paix et à la stabilité dans l’espace sahélo-saharien ne pourra être obtenu sans que soit résolue la question libyenne. Et il convient de rappeler une nouvelle fois que nous, Français, même si nous ne sommes pas les seuls, portons une responsabilité majeure dans le chaos qui règne dans ce pays. Je suis d’ailleurs totalement scandalisé que nous ayons autorisé, il y a quelques semaines, la venue de Abdelhakim Belhadj, ancien leader du Groupe islamiste combattant libyen en France ! Je me demande parfois quelle est notre logique ? Il existe cependant deux raisons d’espérer : d’une part, les Occidentaux sont vraiment inquiets de l’évolution de ce pays et songent à intervenir. Espérons qu’il ne recommettront pas les erreurs de 2011. D’autre part, l’élection du maréchal Al Sissi en Egypte devrait être un facteur majeur de stabilisation de la région. Le Caire doit absolument être étroitement associé à la recherche de solutions, politique ou militaire concernant son turbulent voisin.
Hassan Moali -29 mai 2014
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