Agriculteur ou Energiculteur ? Une idée pernicieuse ! (Coordination Rurale)
[Dossier suivi par Eric Rogalle - Responsable national pour les questions agricoles pour "Penser la France"]
Produire la nourriture ne paye plus alors… vive le carbone ?
Lancée le 1er décembre 2015 pendant la COP21, l’initiative 4 pour 1000 vise à développer des pratiques agricoles permettant d’obtenir une croissance du carbone stocké dans les sols à partir d'une augmentation du taux de matière organique de 4‰ par an, taux censé enrayer l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère.
Suite à la Conférence environnementale présidée par François Hollande, une rémunération de ce stockage serait désormais envisagée.
Pour la Coordination Rurale, si l’idée peut paraître bonne, elle est en réalité pernicieuse et analogue à celle encourageant les éleveurs à construire des méthaniseurs pour tenter de retrouver un revenu décent.
Demain, tous « énergiculteurs » et stockeurs de carbone ?
Est-il acceptable que l’agriculteur, ne tirant plus aucun revenu de sa production de nourriture, devienne « énergiculteur » ou « stockeur de carbone » ? N’y a-t-il pas là dénaturation du sens de son métier qui est depuis des milliers d'années celui de nourrir les autres ? L’agriculteur sera-t-il exposé à une volatilité supplémentaire, celle d’un marché du carbone complètement artificiel ?
Quel terrible aveu d’échec de nos responsables politiques, incapables de nous sortir de cet état de crise chronique qui frappe l’agriculture !
L’agriculteur produit déjà de l’énergie renouvelable (la nourriture, énergie la plus noble parce qu'indispensable à la vie), dans le cadre du cycle du carbone (via la photosynthèse) combiné avec tous les autres cycles naturels (eau, azote…). Et cette production mérite par elle-même un revenu digne.
Au-delà du principe, une rémunération de l’agriculteur sous l’angle de l’initiative 4 pour 1000 laisse entrevoir la constitution d’une nouvelle usine à gaz. Quels en seraient les critères et modalités de contrôle ? Au prix de combien d'analyses de sol approximatives ? (et à faire sous contrôle d'huissier ?) Verrons-nous les agriculteurs poussés à devenir sylviculteurs puisque la forêt stocke plus de carbone ?
Attention aux non-sens agronomiques !
Ce que doivent faire les agriculteurs, ce n'est pas considérer leurs sols comme des espaces de stockage de tel ou tel élément mais chercher à satisfaire au mieux les besoins nécessaires à un bon équilibre durable et à une bonne productivité de cette terre, matrice de la vie, dont la complexité échappe manifestement à nos grands penseurs nationaux. L'approche par le seul biais d'un « 4 pour 1000 » est certes médiatisable dans le cadre de l'agroécologie mais n'a rien à voir avec l'agronomie qui doit rester la colonne vertébrale de l'agriculture.
C'est ainsi que les ministères de l’écologie et de l’agriculture devront rapidement trancher un dilemme : pour qu'un sol puisse stocker du carbone, il faut également lui apporter l'azote et l'eau pour nourrir l'activité biologique. Cycle de l’azote et cycle du carbone fonctionnent de concert sous le commandement de l'eau. Chercher à réduire l’un et à stocker l’autre tout en s'ingéniant à bloquer toute action de stockage de l'eau constitue une équation agronomique impossible !
Pour préserver l’environnement, la production de nourriture doit redevenir rémunératrice !
Plutôt que de détourner les agriculteurs de leur vrai métier, il convient de les considérer et de les respecter pour ce qu'ils sont : des entrepreneurs d'un genre particulier puisque sans eux, il n'y aurait rien à manger. Il suffit pour cela de s'appuyer sur leurs savoir-faire hérités de la pratique ancestrale de l'agriculture autant qu'acquis par leur modernité et leur soif de connaissances.
Ainsi reconnus, ils sauront nourrir la société et fourniront en sus beaucoup mieux que ce 4 pour 1000. Ils assureront le parfait entretien de la nature et auront à cœur de transmettre à leurs successeurs des terres aux qualités sans cesse améliorées.
Alors au lieu de concepts gazeux, que nos gouvernants se préoccupent de réparer très vite notre politique agricole commune avant qu'elle ne finisse de se dissoudre.
SOURCE:
http://www.coordinationrurale.fr/produire-de-la-nourriture-ne-paye-plus-alors-vive-le-carbone.html