Débats

« L’Union Méditerranéenne : diplomatie de la puissance ou ruse du capitalisme français » Jean-luc Pujo

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[DIMANCHE 13 juillet 2008 - 43 chefs d'Etat sont réunis à Paris autour de Nicolas Sarkozy pour lancer l'UPM.]

- Article publié dans le Journal LE SARKOPHAGE - Janvier 2008 -

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Plus riche nœud de civilisations, la Méditerranée reste le nœud géostratégique le plus complexe au monde.

Véritable Meta-civilisation, la Méditerranée a été une « fabrique de civilisations » (J.Berque) aussi riches que différentes : égyptienne, grecque, romaine, juive, chrétienne, arabo-musulmane.

Pourtant, la Méditerranée a-t-elle jamais vraiment vécu unie ?

Après la Mare Nostrum  garantie par la Pax Romana, la Méditerranée est restée tous ces siècles durant le centre du Monde - de notre Monde - avant de s’imposer, avec plus ou moins de bonheur, aux autres civilisations.

Espace d’affrontements stratégiques, ligne de fractures tragiques entre plusieurs mondes, la Méditerranée est devenue en quelques décennies — si peu au regard de l’Histoire — la périphérie du monde en mouvement. La voilà recluse au marche de l’histoire depuis que le centre de gravité du monde a glissé désormais en Asie, autour de l’axe Téhéran—Pékin—Tokyo, et son centre de gravité : le couple sino-indien (JFDaguzan).

Face à cette « dérive des continents économiques » (Régnault) au service d’une stratégie américano-asiatique, l’Europe exclue aurait dû puiser dans la Méditerranée, le théâtre d’une puissance à recouvrer. Que ne l’a-t-elle fait ?

C’est dans ce contexte mondial que survint le fameux 11 septembre.

Berceau de la nouvelle menace globale, la Méditerranée est ainsi redevenue « la matrice d’un nouveau défis à relever pour les américains » (Gérard Claude).  En remettant fondamentalement en cause le processus de désengagement, le 11 septembre a renvoyé les américains aux problèmes moyen-orientaux. La Méditerranée est ainsi entrée stratégiquement dans le « premier cercle ».

Aujourd’hui, il est ainsi possible d’affirmer : « la Méditerranée est de retour » !

Depuis plusieurs décennies, les initiatives Européennes en Méditerranée sont nombreuses. L’écheveau à démêler, impressionnant. Programmes, discours, initiatives, financements sont légions. Pourtant, tout le monde en convient. Les divisions persistent. L’échec est patent.

Il faut bien l’admettre, la concurrence alimentée par des enjeux énergétiques – pétrole, gaz - devenus cruciaux est aujourd’hui extrêmement rude.

La Méditerranée attise les convoitises nombreuses : européennes, certes, mais américaines, russes et maintenant chinoises. Dominé par les Etats-Unis, cet espace géostratégique est aujourd’hui verrouillé par la 6ème flotte US qui contrôle Gibraltar, Suez et les Dardanelles et la 5ème dans la Mer d’Oman, contrôlant Ormouz.

Pour autant, cet espace n’est pas sécurisé, les foyers de tensions persistent : la question du Sahara occidental mine les relations intra-maghrébines, le conflit Israëlo-Palestinien hypothèque toute chance de concert régional. Et que dire des foyers persistants dans les Balkans puis de l’instabilité généralisée de la péninsule arabique voisine ?

La situation est mauvaise. N’est-elle pas idéale pour tous ceux qui tremblent à l’idée de voir émerger une zone d’échange susceptible de concurrencer l’ALENA ou l’ASEAN ? Ou une zone de coopération politique, possible première puissance planétaire ?

C’est dans ce contexte difficile que la proposition d’Union Méditerranéenne lancée par Nicolas Sarkozy doit être examinée eu égard à deux autres projets : européen (Processus de Barcelone) et bien sûr américain (Grand Moyen-Orient).

Lancé en 1995, le Processus de Barcelone, initié par l’Espagne et la France a été et reste - grâce au travail remarquable du ministre Juppé - un réel succès.

Composé de trois volets  - Economique et financier ; Culturel, social et humain ; Politique et de sécurité - le processus de Barcelone a débouché sur plusieurs programmes et initiatives opérationnelles parmi lesquelles la  création de l’Assemblée parlementaire Euro-méditeranéenne (APEM), le réseau Euromesco reliant les différents instituts de politiques étrangères ou le réseau Euromed pour les droits de l’Homme. Il a permis le développement de programmes d’assistance pour la création d’emplois, le soutien aux PME, la mise à niveau d’infrastructures économiques dans les secteurs des transports, de l’énergie, du développement rural ou la mise en place de programmes  régionaux : forum des instituts de sciences économiques, union des confédérations d’entreprise. La Commission a elle-même lancé divers programmes : Medact de coopération entre les villes, Euromed jeunesse, Tempus (enseignement supérieur) Euromed audiovisuel ou encore Eumedis pour une société de l’information. Erasmus Mundus a développé les bourses de recherche, la Fondation Anna Lindh travaillé au dialogue interculturel.

Cet affichage prometteur s’est pourtant soldé par un échec magistral.  La démarche européenne – dont le vice initial a été dénoncé dès 1995 – s’est une fois de plus révélée contre performante.

L’objectif de toutes les politiques européennes  a toujours été d’appuyer les entreprises européennes pour « tirer un bénéfice immédiat, accroissant la dépendance et le déficit commercial permanent du sud » dénonce Sami Naïr.

Le processus de Barcelone n’a pas dérogé à la règle : Barcelone, c’est un échec politique et culturel, mais « un succès pour les entreprises européennes qui ont gagné de nouvelles parts de marchés au Sud, au détriment des économies régionales» (Sami Naïr).

Pourquoi donc les capitales du Sud de la Méditerranée ont-elles accepté ce marché de dupes ?  Une baisse générale des tarifs et l’élimination des barrières douanières non tarifaires - réduisant ainsi leurs marges préférentielles sans contreparties notamment dans le secteur agricole ?

Pourquoi a-t-il fallu attendre 2005, pour que les pays du Maghreb manifestent – enfin - une réelle fronde en exprimant leur désaccord face à la perspective du Voisinage ?

L’échec de Barcelone est un révélateur de l’incapacité de l’Europe a penser « développement ».

Nous voilà à mille lieux de la vision gaullienne : « Il y a de l’autre côté de la Méditerranée des pays en voie de développement. Mais il y a aussi chez eux une civilisation, une culture, un humanisme, un sens des rapports humains que nous avons tendance à perdre dans nos sociétés industrialisées et qu’un jour, nous serons très probablement très contents de retrouver chez eux ». 

Si l’Europe n’est pas une entreprise philanthropique, comment peut-elle ignorer à ce point ses propres intérêts stratégiques ?

Dans ce contexte catastrophique, rien n’a été plus simple pour les Etats-Unis, qui mènent une politique « pro active » et défendent bec et ongles leurs intérêts stratégiques,  d’imposer leur  vision.

Dans son discours sur l’état de l’Union du 2 février 2005, G.W.Bush  définit le panorama géopolitique de l’arc arabo-musulman du Maroc à l’Afghanistan. Il oppose l’Arc de réforme, du Maroc au Bahreïn, en passant par la Jordanie, puis « ceux qui peuvent montrer le chemin, à savoir l’Arabie Saoudite et l’Egypte » à « l’ Axe du mal (…) ces pays qui continuent à protéger les terroristes et à rechercher les ADM » en l’occurrence la Syrie et l’Iran. 

L’initiative « Région du Moyen-Orient élargi et de l’Afrique du Nord » (BMENA) s’appuie directement sur les trois pays phare – Maroc, Jordanie et Bahrein – avec lesquels les Etats-Unis ont signé des accords de libre échange en 2000 et 2005 consacrant ainsi leur rôle « d’ aiguillons  à l’égard des autres pays du GMO » (Gérard Claude).

La Jordanie a récemment accueilli  les « Forum pour le futur » succédant au Maroc, dont le souverain Mohammed VI s’est vu attribué le statut « d’allié majeur non-OTAN ». Bahrein allié privilégié n’accueille-t-elle pas d’ailleurs la 5ème flotte en Mer d’Oman, protégeant Ormuz ?

Certes, après avoir prôné le « coup de pied dans la fourmilière », les Etats-Unis ont en effet tiré les conclusions de leur échec – partout où des élections se sont tenues, les mouvements islamistes ont progressé. L’utilisation du hard power – générant soupçon et colère – laisse aujourd’hui la place à une stratégie du Smart power qui ne fait guère illusion : il s’agit de renforcer la présence des Etats-Unis dans une zone d’intérêt stratégique, et de sécuriser les routes d’approvisionnements énergétiques.

La Middle East Partnership Initiave (MEPI), la conclusion d’accord bilatéraux de libre-échange (FTA) préparent  - bel et bien - l’avènement d’une Middle East Free Trade Area (MEFTA) pour 2013, appuyé par une politique de « Nation building » vendue par le Bureau de la Reconstruction et de la stabilisation.

C’est dans ce contexte, d’une Europe politique inexistante et d’une domination impériale des Etats-Unis, que se présente la toute récente initiative française.

Véritable pavé dans la mare, le projet d’Union Méditerranéenne a d’abord été reçu comme une douche froide par la plupart de nos partenaires de l’Union européenne comme du sud de la Méditerranée. La plupart des pays de l’UE ont mal compris l’articulation avec le processus de Barcelone, et en premier chef l’Espagne elle-même. La Commission européenne l’a critiqué ouvertement par la voix de Benita Ferreo-Waldner, commissaire aux relations extérieures. Les pays de l’Euromed réunis à Lisbonne le 6 novembre l’ont tout aussitôt repoussé. Le roi Mohammed VI du Maroc - reprenant les réserves de la Commission européenne - a demandé au Président français d’agir avant tout au sein de l’UE,. Le secrétaire général de la Ligue Arabe a ironisé. Le ministre égyptien des affaires étrangères a déploré « cette une vue de l’esprit ».

Ce projet à « contretemps », au « contenu non encore finalisé » suscite « mauvaise volonté du côté de la Turquie , faible motivation des Etats arabes du machrek, méfiance même de nos partenaires européens » Que dire alors « du financement de ce projet qui reste un mystère » ? (Dorothée Schmid).

En quelques semaines, pourtant, le ton a étonnamment changé. Les capitales du Maghreb, puis Madrid et Rome affichent leur soutien. Que s’est-il donc passé ? Il faut le reconnaître, l’échec européen peut trouver dans ce projet le sursaut espéré. Il est bien trop tôt pour apprécier. Il reste que ce projet porte une double ambition française : économique, politique et culturelle.

Cette initiative accompagne, d’une part, les entreprises françaises à la recherche de nouveaux marchés : travaux publics, communication, nucléaire, armement, transports ; d’autre part, elle sert l’ambition diplomatique française de leadership sur la zone. Ainsi, la proposition d’Union Paris Alger sur le modèle du couple franco-Allemand est révolutionnaire. Elle renforce la position de la France face à l’axe Berlin Istanbul. L’Allemagne ne s’y est pas trompée qui ne décolère pas depuis l’annonce du projet français.

Mais cette ambivalence - économique et diplomatique - peut faire douter de la pérennité du projet : après avoir assuré le triomphe de son candidat à l’Elysée et commandé un rapprochement avec nos alliés américains, le capitalisme français est en train de ruser. Jusqu’où peut-il aller ? Qu’adviendra-t-il quand les marchés américains préemptés seront menacés ?

Les limites de la diplomatie de l’Elysée sont ainsi fixées : aux portes des intérêts du capitalisme français s’arrête le génie diplomatique français. Comment ne pas le déplorer quand on ambitionne de voir la France porter un projet humaniste supérieur : « construire une civilisation industrielle qui ne passe pas par le modèle américain et dans laquelle l’homme sera une fin et non un moyen » (de Gaulle) ?

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