Débats

"Le Kosovo, un an après " Par Alexis TROUDE,

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Il y a un an, le Kosovo proclamait unilatéralement son indépendance. Comment en est-on arrivé là ?

Le 17 février 2008, le Parlement de Pristina votait une déclaration unilatérale d’indépendance, faisant sécession d’avec la Serbie. Or cet acte reconnaissait, pour la première fois depuis 1945 et en période de paix, la scission d’un territoire sans précédent étatique dans l’histoire. Pour comprendre cette situation, il faut revenir en arrière.

Situé dans une région de moyennes montagnes, à l'ouest des Balkans, le nouvel État du Kosovo s’étend sur 10 887 km2. Il est formé des plaines du Kosovo à l’est et des hauts plateaux de Métochie à l’ouest. Le Kosovo rassemble 1 956 000 habitants, majoritairement Albanais ( 86 %).

Mais y vivent aussi 135 000 Serbes, 80 000 Roms, 60 000 Bosniaques et de nombreuses autres communautés comme les Turcs, les Égyptiens ou les Croates

Or cette région enclavée se trouve être au cœur de deux projets nationaux à la fois, albanais et serbe. Arrivés au viie siècle dans les Balkans, les Serbes installent au xie siècle leur noyau politique en Rascie, dans le nord actuel du Kosovo. La dynastie des Némanjides y développe son État impérial et Pec devient en 1233 le siège de l’archevêché serbe. Les Albanais, eux, fondent en 1190 leur premier État historique, la principauté d’Arbanie, à Kruja au sud du Kosovo actuel. Les Ottomans s’emparent du Kosovo-Métochie après la victoire du Champ des Merles sur la Serbie, le 28 juin 1389. Cela entraîne un processus d’islamisation des Albanais, alors que l’État serbe disparaît ; les tensions entre Albanais et Serbes s’avivent. A la fin du xviie siècle, 200 000 Serbes quittent cette région, remplacés par des Albanais descendus des montagnes occidentales.

Sous la domination ottomane, les nationalistes albanais fondent en juin 1878 la Ligue de Prizren, qui revendique l’autonomie de la Grande Albanie comprenant la future Albanie, le Kosovo, la moitié de la Macédoine et l’Épire grecque. L’Albanie obtient son indépendance en novembre 1912, pendant que les Albanais deviennent majoritaires au Kosovo. Alors que, dans la province du Kosovo-Métochie de la Yougoslavie socialiste, la population serbe se stabilise entre 1948 et 1971, les Albanais passent de 500 000 à 1,6 millions d’habitants en 1981 (82 %).

En 1974, Tito avait accordé une quasi autonomie à la région. Milosevic, arrivé au pouvoir à Belgrade en 1989, remet en question cet équilibre fragile en abrogeant la même année ce statut et en proclamant l’état de siège au Kosovo. Alors que la Slovénie, la Croatie, puis la Bosnie-Herzégovine s’embrasent entre 1991 et 1995 et finissent par obtenir leur indépendance, au Kosovo s’ouvre une période de répression : les Albanais sont progressivement exclus du système public, toute manifestation est écrasée. Un conflit ouvert éclate en novembre 1997 entre les forces serbes et l’Armée de libération du Kosovo (UCK), albanaise. Il s’amplifie de mars 1998 à février 1999, avec des massacres serbes de civils albanais.

Pour mettre fin aux exactions des forces serbes, l’Otan lance une campagne de bombardements massifs sur la Serbie du 24 mars au 10 juin 1999, date à laquelle les troupes de l’Otan entrent dans la province. La Mission des Nations unies pour le Kosovo (Minuk) s’y installe selon les termes de la résolution 1244 votée en juin 1999.

Au total, la guerre de 1998-1999 aurait fait 10 000 morts et disparus albanais ; 800 000 personnes ont été expulsées entre janvier et juin 1999.

Dans le Kosovo sous mandat de l’ONU, les tensions interethniques se poursuivent, dont pâtissent cette fois les Serbes et autres minorités, face à des Albanais animés par un esprit de revanche. Entre 1999 et 2004, sur les 235 000 Serbes, Tziganes, Goranis et Turcs chassés du Kosovo, seuls 12 000 ont pu revenir dans leurs foyers. 1 197 non-Albanais ont été assassinés, 2 300 kidnappés. Plus de 150 églises et monastères orthodoxes ont été détruits, et des milliers de maisons démolies.

En outre, le gouvernement de Pristina mène une politique d’albanisation culturelle, avec par exemple l’obligation de l’albanais à l’école primaire, éradiquant l’utilisation des langes serbe, turque ou goranie. Le multiethnisme promis par Bernard Kouchner, haut représentant de l’ONU au Kosovo en 1999-2000, ne s’est pas réalisé.

Depuis 1999, la communauté internationale a accordé 2,7 milliards d’euros d’aide au Kosovo suivis par de nouvelles tranches d’aides de 700 millions promises en juillet 2008. Les résultats sont maigres : taux d’espérance de vie le plus bas d’Europe, chômage touchant 47 % de la population active et 37 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté. De plus, le Kosovo est devenu la plaque tournante du trafic de drogue en Europe : 80 % de l’héroïne venant d’Asie et destiné à l’Europe occidentale y transite.

C’est ce territoire déchiré qui a proclamé son indépendance en février 2005. Cette décision unilatérale, prise hors du cadre de l’ONU, arrive à l’issue d’une intense activité diplomatique menée sous l’égide du Finlandais Martti Ahtisaari (qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2008). La résolution 1244 prévoyait en effet que le statut final du Kosovo devait être négocié. Mais les tentatives de médiation sont restées vaines, les positions des Serbes et des Kosovars restant inconciliables et la mission Ahtisaari a elle-même fini par conclure au caractère inéluctable de l’indépendance.

Celle-ci est bien le résultat d’une montée aux extrêmes ; elle ne va pas sans problèmes.

L’équilibre international datant de 1945, fondé sur l’intangibilité des frontières internationalement reconnues, est mis à mal par cette indépendance, hors du cadre de l’Onu.

En octobre 2008, seuls 51 pays sur 205 l’ont reconnue. La Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie l’ont refusée. Par crainte d’un morcellement de territoires plurinationaux, les continents sud-américain et africain et des nations phares du monde musulman, comme l’Indonésie, l’Égypte, l’Iran ou l’Algérie, ont massivement refusé la sécession kosovare. Dans l’Union européenne, 20 pays l’ont reconnue, ressoudant par contre-effet une partie du bloc slave-orthodoxe – Slovaquie, Roumanie, Grèce, Chypre – et en dehors – Russie, Ukraine, Biélorussie – opposé lui à l’indépendance.

L’exemple kosovar risque de provoquer un émiettement des Balkans. Le lendemain même de la Déclaration d’indépendance kosovare, les maires albanais de trois communes de Serbie du Sud ont déclaré leur volonté de se rattacher au Kosovo. A leur tour, les Albanais de Macédoine ont demandé au Parlement de Skopje une forte autonomie territoriale ; ils sont appuyés par des groupes armés qui font craindre la constitution d’un « Grand Kosovo ».

Au-delà, en Europe orientale, l’indépendance du Kosovo a pu donner des arguments aux autonomistes. L’Ossétie du sud et l’Abkhazie ont dans les deux semaines qui ont suivi l’indépendance du Kosovo demandé que leur sécession de la Géorgie, de facto

réalisée depuis 1992, soit reconnue par les institutions comme l’ONU et le Conseil de l’Europe ; après le conflit des 7 au 13 août 2008 entre la Russie et la Géorgie, ils ont été reconnus par la Russie et quelques alliés. Le précédent kosovar n’a peut-être pas fini de faire école.

Alexis Troude - Chercheur à l’Académie internationale de géopolitique

Mot clés : kosovo - Balkan - OTAN - poudrière - guerre

Commentaires

de josette
"Dans l’Union européenne, 20 pays l’ont reconnu, ressoudant par contre-effet une partie du bloc slave-orthodoxe – Slovaquie, Roumanie, Grèce, Chypre – et en dehors – Russie, Ukraine, Biélorussie – opposé lui à l’indépendance".
Je croyais que 22 pays de l'EE avaient reconnu le Kosovo et que 5 ne l'avaient pas reconnu, sur 27 ?
L'Espagne, la Roumanie, où les idées séparatistes des minorités nationales sont en effervescence ou ressurgissent périodiquement, n'ont pas voulu jusqu'à présent reconnaître l'ancienne province serbe. La Slovaquie reconnaît les passeports du Kosovo, mais sans qu'il y ait de reconnaissance officielle au niveau de l'Etat. La Grèce et Chypre sont soudées autour de la "défense du nom" : pour elles "le Kosovo est serbe comme la Macédoine est grecque" et elles refusent le nom de Macédoine à l'ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine).
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27 September - 11h08

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