Débats

"Illusions Françaises, impuissance européenne" jean-luc Pujo

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Nicolas Sarkozy présente le programme de la présidence française de l'Union européenne devant le Parlement européen, à Strasbourg, le 10 juillet 2008. (Photo : Reuters/Vincent Kessler)

- Article publié dans le Journal LE SARKOPHAGE - janvier 2009 -

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Crise financière, baril de Brent à plus de 140 $, crise Géorgienne, alternance à la Maison Blanche… La présidence française de l’UE a traversé — il faut le reconnaître — un contexte international particulièrement agité, un de ces moments historiques particuliers qui révèle la véritable texture d’un dirigeant à ses gouvernés, autant son génie que sa médiocrité. Constat sans appel : Il n’y eut point de génie français.

Illusions et impuissances ont ainsi caractérisé une présidence qui aura réussi – n’est-ce pas son seul mérite ? - à incarner la forme paroxystique de ce que sont devenus aujourd’hui et notre continent, et notre pays.

Annoncée avec tambours et trompettes, la présidence française promettait grandeur et magnificence. Des objectifs déterminés comme essentiels, un gouvernement entier sur le pont et en ordre de bataille, des annonces internationales à grands renforts de déclarations tonitruantes…tout était ainsi réuni pour assister à du grand spectacle. Ce ne fut que reculades, esbroufes et, au final, déconsidération totale d’un pays, de sa diplomatie, de son art politique. La France réduite à n’être plus que l’ombre d’elle-même. Episode baroque s’il en est. Versailles livré à une fausse aristocratie, inculte, dépravée. Le Sarkozysme dans toute sa splendeur au monde révélé.

Développement durable/énergies, immigration, Europe de la défense et agriculture, les quatre axes de la présidence s’affichaient comme tableau de maître. Au bout de quelques semaines, les objectifs français inadaptés et mal acceptés par la quasi-totalité de nos partenaires ont été remisés au second plan quand s’afficha l’activisme d’un président se livrant à un véritable show médiatique international, salué – d’ailleurs - par la seule claque médiatique française.

L’énergie soulève des questions stratégiques cruciales. Sécurité d’approvisionnement, mutualisation des stocks, cohérences des projets de diversifications de sources d’énergie, relations avec les pays fournisseurs (Russie, Norvège, Algérie, Asie centrale et Moyen Orient) puis avec les pays de transit (Caucase, Ukraine et Turquie) la tâche de la présidence était complexe tant les disparités nationales restent importantes. Elles n’ont pas été dépassées.

De la même façon, l’objectif de l’environnement devait permettre d’engager la promotion des énergies renouvelables et la réduction des émissions de dioxyde de carbone en vue de préparer en 2009 un accord international « post Kyoto ».

Le fameux « paquet Energie-Climat » adopté par le conseil européen des 11-12 décembre 2008 s’est soldé par un échec patent. Le compromis adopté s’est accompagné de nombreuses exemptions totales ou dégressives pour l’industrie automobile allemande, les centrales électriques au charbon de Pologne ou les secteurs soumis à concurrence internationale recevant leur « droit à polluer ». Dans le même temps, le silence de plomb sur le Nucléaire ne pouvait qu’interroger quand la France se place - grâce à cette énergie - dans les tous premiers pays les moins polluants d’Europe (6,2 tonnes de CO2/tête) contre 10,2 pour les allemands et 8,8 pour les Danois. Enfin, le système d’échange et d’achat de permis d’émission (ETS) s’est accompagné d’un allégement des ambitions initiales sans justification. Nouvelles déceptions.

Le dossier de l’immigration - annoncé comme une des priorités majeures de cette présidence – devait se traduire par la mise en place d’une politique européenne commune dotée d’une agence centralisée chargée de l’asile. Ce projet a rencontré l’opposition de la quasi totalité de nos partenaires. L’adoption d’un pacte européen s’est soldée par la réaffirmation de la compétence nationale des Etats et des avancées toutes modestes sur des objectifs fixés depuis déjà plusieurs années : les missions de l’Agence Frontex ou le bureau d’appui européen décidé en 2007. Si les dispositions de contrôles aux frontières ont été renforcées – rien de neuf -, le « paquet asile » - largement inspiré par la politique française - a subi de profonds bouleversements à la baisse. La grande messe de Vichy n’a d’ailleurs pu dissimuler l’insuccès français. Les rares accords de partenariats et de coopérations signés par la France avec les pays sources illustrent ainsi le refus de nos partenaires européens d’adopter une politique française jugée très discutable.

Enfin, l’objectif Défense et sécurité s’est soldé – décidemment - par un semblable échec que l’absence de consensus européen sur les enjeux de sécurité et de défense explique largement.

Mais pas seulement. La France a manqué autant d’ambition que de vision à long terme. Il faut le reconnaître, les lacunes capacitaires et financières de l’embryonnaire défense européenne restent un obstacle important quand l’architecture européenne de défense se pense uniquement en déclinaison d’une OTAN sous commandement américain. L’Europe ne veut plus devenir une puissance militaire mondiale. Ce n’est pas l’augmentation des forces de projection intervenant sous commandement OTAN qui changeront ce constat alarmant. Le budget français de la défense illustre largement notre renoncement collectif : le rapport Trucy, Masseret et Guené met en évidence la constitution d’une petite armée de métier française dédiée à des opérations de projection lointaine au service de l’Empire (1). Plus de défense française, pas de défense européenne. Notre mort politique est donc entérinée et le retour de la France au sein de commandement intégré de l‘OTAN - annoncé très courageusement pour … avril 2009 – reste un choix stratégique catastrophique.

Concernant la PAC, la préparation de la réforme de 2013 devait permettre de fixer de nouveaux objectifs et amorcer grâce au bilan santé de la PAC une réorientation politique dès 2009. Si le Conseil Agriculture a décidé – c’est louable - la distribution de fruits et légumes dans les écoles (!), aucun changement du cadre juridique et budgétaire n’a été opéré. La future réforme de la PAC a bel et bien été renvoyée à plus tard. Bilan bien mince pour une présidence française.

Enfin, la mise en œuvre laborieuse du projet d’Union pour la Méditerranée ne peut être occultée (2).

Le projet annoncé avec fracas – c’est une méthode – pour mettre fin à l‘immobilisme du processus de Barcelone a tout de suite pris de court tous nos partenaires, irrité fortement l’Allemagne et surpris les pays du Maghreb. Le projet pharaonique se termine en une organisation de coopération installée … à Barcelone et dont la seule prétention est d’avoir réussi à réunir des représentants israéliens et palestiniens au sein d’une même organisation régionale. Le rêve méditerranéen du président Nicolas Sarkozy « is deadlocked (3) » peut ainsi conclure non sans raison l’International Herald tribune.

Ce triste bilan limité aux objectifs affichés ne doit pas occulter l’immense tâche dévolue à toute présidence. La France a dû faire face à plusieurs défis, avec - là aussi - un réel insuccès.

La présidence française a compté plus de dix sommets internationaux et une cinquantaine de réunions ministérielles. Dernier semestre utile avant les élections européennes, cette présidence devait accompagner la dernière phase de travaux législatifs (directives, règlements) et ce fut le cas pour la majorité d’entre elles. La continuité législative a donc été assurée sans surprise que ce soit les décisions-cadres adoptées par le Conseil Justice et Affaires Intérieures ou l’adoption du modeste paquet « Erika 3 » du Conseil Energie. La création d’un Groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union illustre bel et bien l’impasse dans laquelle s’est trouvée cette présidence mal préparée.

Dans le même temps, la préparation de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a bien sûr été bousculée par le « Non » Irlandais. L’incroyable attitude française a suscité de fortes critiques.

Même validée par le Conseil européen, elle en dit long sur la nature démocratique de la construction Européenne : voilà les Irlandais sommés de retourner aux urnes pour donner … la « bonne réponse ».

Enfin, le bilan d’une présidence européenne ne s’apprécie qu’au regard de plusieurs autres présidences conjointes : celles de l’UEO, de la Troïka européenne puis de l’Euro-group ! La succession très problématique de la Tchéquie illustre s’il en était besoin le climat de défiance régnant au sein de la Troïka. Cet éparpillement de la fonction présidentielle est de plus renforcé par deux autres présidences extracommunautaires : la présidence du Conseil de l’Europe et celle de l’OSCE. Comment dès lors croire l’Europe capable d’efficacité, paralysée par un système complexe de présidence tournante et une absence de volonté politique véritable ?

Enfin deux crises internationales majeures ont été « gérées » par la présidence française dont l’examen finira d’illustrer ce triste bilan.

La crise financière internationale tout d’abord s’est conclue par un activisme impressionnant de la part de la présidence de l’UE : le sommet international du G20 convoqué à Washington s’est soldé par un échec total sur les processus de régulations internationales annoncés. La plupart des Etats ont mal reçu les déclarations françaises : le plan de cent jours de la présidence européenne n’a pas été accepté et tout a été renvoyé pour règlement en mai 2009 quand Barack Obama sera aux affaires et Nicolas Sarkozy n’y sera plus. Le fameux Bretton Woods 2 annoncé a finalement accouché d’une souris, alimentant par ailleurs les rancœurs anti-françaises comme notre discrédit à un degré largement sous-estimé. Enfin, la réunion des membres européens du G8 élargit et l’adoption d’un ridicule plan de relance ne peut masquer la désunion économique et financière d’une Europe aux abois. L’euro divergence se poursuit alors qu’il aurait fallu parler de grands travaux d’infrastructures européens, d’emprunt d’Etat, de relance des secteurs automobile, de mesures politiques fortes : pénalisation des produits non sécures, rejets des dumpings social, fiscal et environnemental…relocalisation des emplois. Rien de tout cela. Demain, la crise internationale du Dollar entraînera une crise de l’Euro et la sortie probable de certains pays de la zone. Les classes moyennes occidentales servant plus que jamais de variables d’ajustement, les conditions d’une véritable crise politique et sociale sont maintenant réunies. « Nos élites sont-elles à ce point intellectuellement désarmées » ?

Enfin, la figure présidentielle de l’UE sera complétée utilement par l’expression simiesque qu’en donna M. Medvedef, dirigeant russe, mimant Nicolas Sarkozy comme le ravi du village ou bien son agité, devant les journalistes du monde entier. La crise géorgienne résolue par la présidence française ? On en rit encore des cabanes de l’Oregon jusque dans la moindre Datcha des bords de la Volga ! Washington et Jérusalem nous sourient apitoyées quand Moscou et Pékin nous méprisent. Tristes illusions Françaises ! Triste impuissance Européenne !

Qu’est devenue l’Europe, « Idéal des Lumières », du progrès et de l’élévation des Hommes quand partout – ou presque – ils rampaient sous le joug de la puissance folle et de la seule force ?

Où sont donc passés les « puissants guerriers armés du sceptre de la Raison totémique » ? Qu’est devenue la France, cœur de l’Europe, incarnation la plus aboutie de la pensée des Lumières ? La voilà livrée à la plus dangereuse des prétentions : l’illusion de soi-même, quand son action n’est plus qu’un pathétique mime, que s’éloigne le monde réel…avec son fracas - peut-être – mais aussi d’abord et avant tout, avec ses magnifiques espérances.

Alors « Morte la France » ? « Morte l’Europe » ? Plus que jamais, la France et l’Europe se grandiraient à porter cette espérance comme une vérité : l’Humanité doit encore et toujours s’élever, se libérer. Incarner cette ambition, penser les formes nouvelles d’organisation, porter contre l’Empire, la voix des pays sans voix, affirmer - même avec prétention - que Socialisme et République sont les outils rêvés de l’émancipation. Voilà ce que serait une Présidence européenne prenant rendez-vous avec Clio : elle porterait une véritable ambition politique à travers un immense projet : La France à refonder ! L’Europe à relever ! Le Monde à éclairer !

1 Cf. « Otan, au vent mauvais » – Le Sarkophage N° 3 – novembre 2007 ;

2 Cf. « Union pour la Méditerranée : Diplomatie de la puissance ou ruse du capitalisme » – Le Sarkophage N° 4 – janvier 2008 ;

3 « is deadlocked » : est dans l’impasse.

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