Tribunes de Philosophes

« Un regard du dehors est-il possible? » par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains.

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[Gravure : Encre représentant le  transfert de la dépouille de Jean-Jacques Rousseau d’Ermenonville au Panthéon en octobre 1794 - halte au jardin des Tuileries (alors Jardin National)]

***

- L'école de simianthropologie de Paris - 

Jusqu'au 6 mai compris, je continuerai de convier le lecteur à s'installer au balcon de l'an 2050 et de jeter un regard rétrospectif sur notre temps.

Je rappelle le texte d'introduction mis en ligne la semaine dernière:

"Le 7 avril 2012, Le Monde titrait : "La planète brûle et ils regardent ailleurs".

Au premier siècle, l'empire romain commençait de s'effondrer et ils regardaient ailleurs. Au Moyen Age, les Lettres et les arts se trouvaient engloutis et les clercs regardaient ailleurs. Au XVIIIe siècle, les philosophes français changeaient la face du monde et ils regardaient ailleurs. Au XIXe siècle, la zoologie et l'inconscient débarquaient dans l'histoire et ils regardaient ailleurs. Au XXe siècle, le ciel des ancêtres et la géométrie d'Euclide s'effondraient et ils regardaient ailleurs. Au XXIe siècle, le monde entier s'effondrait et les classes dirigeantes de la démocratie appelaient le corps électoral au secours de leurs privilèges.

C'est le moment de se demander: "Où donc le sceptre de la raison est-il passé?"

*

 1 - Les premiers pas de la simianthropologie 
 2 - La politique à l'école des tempêtes 
 3 - Les démocraties et la sortie du fabuleux
 4 - Qu'est-ce qu'une nation?
 5 - L'apprentissage d'un regard du dehors
 6 - Les premiers pas de l'Ecole de Paris
 7 - De l'universalité de la folie 
 8 - Le thermomètre de la démence
 9 - Le rêve et la vie
 10 - Le singe onirique en laboratoire 
 11 - Les funambules

*

1 - Les premiers pas de la simianthropologie

Avant 2012 l'intelligibilité du monde passait encore pour aussi naturelle et évidente que celle dont disposeraient les chevaux s'ils bénéficiaient du trésor d'une conscience allant de soi de leur équinité native. Et pourtant, dans les coulisses, l'interprétation anthropologique de l'évolution cérébrale de l'humanité avait commencé de féconder une mémoire historique dont la vocation culminait précisément dans la spéléologie de la cécité originelle du pithécanthrope. Car l'histoire de cet animal ne passe plus pour aussi compréhensible à ses yeux que les courses hippiques dont les spectateurs observent à la jumelle les péripéties sur les champs de course.

Je ne réciterai pas la liste des précurseurs méritants de l'Ecole de Paris. Chacun sait qu'ils ont placé la nouvelle rétine de Clio sous la lentille de la simianthropologie générale dont notre temps se glorifie désormais sur les cinq continents. Je rappellerai seulement qu'un siècle et demi seulement après les grands défricheurs du XIXe siècle, nous avons cessé de prendre des clichés inutiles des chimpanzés d'un côté et des hommes censés achevés de l'autre et de comparer leurs performances respectives au bénéfice évident des seconds, comme s'il s'agissait de deux espèces dont les gènes accomplis se seraient immobilisés à jamais. Dès 2012, on avait commencé d'abandonner cette problématique à sa stérilité et de passer à la pesée méthodique de l'inachèvement cérébral spécifique dont souffre le primate détoisonné que vous connaissez. Aujourd'hui, nous observons au microscope électronique les séquelles que la zoologie a transmises à la bête adamique, tellement un quadrumane à fourrure les a laissées vivantes dans nos neurones. De nos jours, la pesée prudente et l'interprétation prospective de ces résidus de nos ancêtres velus se situent au cœur des triomphes de nos chercheurs.

2 - La politique à l'école des tempêtes

Je rappelle une fois de plus au lecteur qu'il y a un demi-siècle seulement, la politologie mondiale manquait de la balance dont les plateaux enregistrent maintenant sous nos yeux le poids mental de l'animal encore en route entre deux espèces et que tous nos savants appellent le simianthrope. Je rappelle également que les élections de 2012, qui avaient hissé un certain François Hollande à la présidence de la République française, ont fait franchir une étape décisive à la méthodologie dont dispose notre anthropologie critique. Les enseignements que nos premiers télescopes de la politique nous avaient apportés dès l'an 2000 ont ridiculisé les prises de vue en noir et blanc des Thucydide et des Tacite.

Mais il nous a fallu attendre 2012 pour que les citoyens des démocraties catéchisées de l'époque fussent contraints de rénover leur système d'enseignement périmé et de se plier à un apprentissage élémentaire du contenu réel des notions de démocratie et de souveraineté des peuples. Depuis lors, une loi sévère précise les devoirs du citoyen français ambitieux d'exercer une fonction publique. C'est à notre exemple que plusieurs démocraties disposent d'un code pénal qui interdit à des candidats ignorants et que leur sottise réduit à jouer les marionnettes et les potiches sur la scène internationale de briguer la magistrature suprême dans le pays.

Jusqu'alors des politologues apostoliques et soigneusement évangélisés à l'écoute des principes de 1789 enseignaient une démocratie doctrinale et naïvement officialisée par sa propre catéchèse. Nous avons appris à peser cette dogmatique. Le premier verdict de l'école est tombé en 2012: nos ancêtres avaient mis en place un régime exclusivement conçu afin d'assurer au mieux la navigation des nations sur un océan apaisé. Naturellement, sitôt que le temps de l'histoire se gâtait quelque peu ou faisait seulement entendre quelques grondements dans le lointain, la passivité, l'oisiveté et le repos de ce régime de croisière faisaient eau de toutes parts. Alors, les gouvernements surpris par la tempête improvisaient une politique de secours épouvantée; mais ils y mettaient une telle précipitation que la complexion psycho-cérébrale du simianthrope affolé demeurait indéchiffrée de génération en génération. C'est à ce titre que l'Europe tranquille et titubante du début du XXIe siècle était devenue la proie d'un monde plongé dans un profond sommeil et qu'une paix léthargique et trompée par des fantoches s'était changée en poupée mécanique de la planète.

Nos premiers simianthropes ont cloué au pilori les médecins fiers seulement de l'exactitude de leurs diagnostics. Ils ont établi qu'il suffisait de lire les évangiles pour connaître l'état du malade; mais pour le soigner il fallait apprendre à distinguer les infirmités incurables des guérissables.

3 - Les démocraties et la sortie du fabuleux

Bientôt le coup de boutoir d'un ébranlement mortel de la crédibilité de la monnaie du Vieux Monde a rappelé aux dormeurs que leurs dirigeants l'avaient mise en circulation aveuglément et sans avoir exprimé aucune volonté politique claire et réfléchie. De leur côté, nos premiers simianthropologues s'étaient livrés à une réflexion inaugurale sur la nature et l'origine des mentalités nationales des traditions, des confessions et des langues; et les verdicts de leur tribunal ont guidé les recherches de l'Ecole de Paris jusqu'à nos jours.

Leur renommée est résultée, une fois encore, de leur ancrage originel dans les enseignements de la zoologie: la bête simio-humaine, disaient-ils, serait demeurée reptative sur la terre si elle n'avait pas expédié des interlocuteurs imaginaires derrière le décor. Le basculement de l'encéphale primitif dans le fabuleux fut un progrès immense et indispensable - si la terre, le soleil, la mer, le vent, puis l'amour, la guerre, le commerce n'étaient devenus des personnages censés réels et séparés de leur fonction, le simianthrope n'aurait pas débarqué sur la terre. Mais, huit ou dix mille ans plus tard, les cerveaux retardés se sont révélés religieux, parce que la raison a changé de dégaine. L'heure a sonné d'observer à la loupe les acteurs fabuleux du cosmos que nos ancêtres envoyaient les rassurer dans les nues.

Vers 2020, l'Ecole de Paris a commencé d'ausculter les trois dieux uniques et à placer leur effigie physique et mentale sous vitrine afin d'apprendre la politique à l'école des documents anthropologiques qu'on appelait des théologies. Ce matériau d'observation a conduit l'Ecole à placer les identités nationales sous un projecteur d'une puissance nouvelle et inégalée: pour la première fois, les nations se révélaient des corps et des dieux étroitement mêlés

4 - Qu'est-ce qu'une nation ?

Exemple: bien que la Suisse eut proclamé sa neutralité perpétuelle, donc sa sortie définitive de l'histoire du monde en 1815, elle n'était jamais parvenue à se donner l'identité reconnaissable d'une nation mise à la double école de son corps mental et de son territoire. Tout peuple unifié est à lui-même un personnage schizoïde, donc habité par son double. Aussi tout pays privé de la bipolarité vitale propre aux nations ne tarde-t-il pas à choir dans une société polymorphe et multicolore que préside un conseil d'administration anonyme. Les arpents germaniques du territoire de l'Helvétie sont habités par une population biphasée dont la portion instruite lit Goethe et Schiller, tandis que la masse se partage entre autant de baragouins et de lopins dont le patriotisme, donc l'unité, se réduit à cultiver un esprit de clocher dialectal.

La fraction française de l'Helvétie des partis est composée des cantons de Neuchâtel, de Genève, de Fribours, de Vaud et d'une partie du Valais. Elle tente vainement de boire aux mamelles d'une civilisation gauloise dont elle connaît le vocabulaire, mais sans en partager la tonalité, le rythme et le coloris, donc le corps. A l'instar de la Confédération helvétique, l'Europe de 2010 se trouvait réduite à une gigantesque Suisse.

5 - L'apprentissage d'un regard du dehors

Les simianthropologues de l'Ecole de Paris ont également fait débarquer dans la politologie mondiale les documents psycho-vocaux qu'on appelle des théologies. Les premiers, ils ont permis aux sciences humaines de porter un regard de l'extérieur sur l'homme semi-zoologique et sur l'histoire de son cerveau, les premiers, ils ont donné à l'Europe mourante de leur temps une connaissance claire de la nature et du destin de ses voix. Et maintenant, ils nous démontrent pourquoi ce continent n'est qu'une entreprise commerciale aux cent têtes, faute qu'il soit possible à cette titanesque Helvétie de se doter d'une capitale cérébrale et politique confondues, donc capable de se forger une unité nationale face à la montée de l'Asie, du monde arabe, de l'Amérique du Sud et de l'Afrique.

Ce fut la prise de conscience tragique de ce que le Vieux Monde ne formerait jamais un peuple et que ni sa bureaucratie, ni son économie ne l'empêcheraient de prendre son congé de l'arène de l'histoire, ce fut cette prise de conscience dramatique, dis-je, qui a assuré, en revanche, l'essor d'une anthropologie critique désireuse d'observer et d'analyser les rouages et les ressorts universels d'un animal phonétisé et relativement cérébralisé. Toutes les tentatives antérieures des sciences humaines de se distancier de leur propre échiquier avaient échoué. Platon, Thomas More, Swift, Cervantès, Kafka, n'avaient pas réussi à mettre l'humaine condition entre parenthèses. Mais la ruine de la physique à trois dimensions, la découverte de l'évolution des espèces et l'exploration des empires de l'inconscient ont rendu enfin possible un voyage sur Sirius plus étoffé que celui du Micromégas de Voltaire et qui a permis pour la première fois au genre humain de tracer une frontière entre le possible et l'utopie.

6 - Les premiers pas de l'école des simianthropologues de Paris

Les premiers spéléologues du singe parlant ont bénéficié d'un globe oculaire dont la rétine mettait à sa juste place la plume des Molière, des Rabelais, des Aristophane. On avait abandonné la satire pour projeter sur écran un animal poussif, incohérent et tragiquement inachevé. Les critères de la conversion des Etats à une monnaie abstraite, l'euro, avaient été falsifiés par un Ulysse fatigué. Le héros vieilli de l'Odyssée avait obtenu d'un banquier américain, Morgan-Sachs, une présentation truquée des comptes fantastiques du pays.

En 2011, on découvrait que, faute de contrôle des billets, Athéna payait le transport des habitants de sa ville sur les coussins d'un métro luxueux, on découvrait que les fonctionnaires de l'Hellade avaient doublé en nombre en dix ans et qu'ils coûtaient plus de six mille euros par mois en moyenne, on découvrait que les Lotophages ne payaient pas d'impôts, on découvrait que les percepteurs des Phéaciens recevaient de la main des contribuables les plus riches des enveloppes bourrées de billets, on découvrait que les vingt mille piscines privées de Circé étaient inconnues du Trésor public de son île, on découvrait que les Crésus de l'île des Sirènes avaient niché des centaines de comptes secrets en Troade, on découvrait que six cents professions étaient déclarées "ardues et périlleuses", dont celles des pâtissiers, des animateurs à la radio, des coiffeurs et des masseurs et que ce prolétariat pour bains turcs partait à la retraite avec quatre vingt quinze pour cent de son salaire et à l'âge de cinquante cinq ans seulement, on découvrait que Pallas fermait les yeux sur les huit cents aveugles pensionnés dans l'Etat de Médamothi et qu'ils n'en exerçaient pas moins au grand jour des métiers dont le regard perçant assurait la survie, tel celui de chauffeur de taxi.

7 - De l'universalité de la folie

Mais si les descendants des héros de l'Iliade demeuraient endormis ou engourdis sur un continent en lambeaux, il fallait le recul d'une anthropologie trans-homérique pour se distancier de la guerre de Troie des modernes et apprendre un regard de l'extérieur sur la cité de Priam. La science de l'évolution cérébrale de notre espèce attendait un globe oculaire attentif à l'écoulement des siècles et à l'agonie des grandes civilisations.

En 2010 et 2011, la Grèce, le Portugal, l'Irlande, l'Espagne et l'Italie se sont révélées les parties les plus flasques et les plus corrompues d'une alliance monétaire et commerciale privée de tout avenir international, de toute volonté ferme et de toute ambition politique à l'échelle de la planète. Aussi cet assemblage hétéroclite de mentalités, de traditions, de cultures et de dieux courait-il tout droit vers une bâtardise qu'il fallait éclairer de la lumière d'une Athènes nouvelle.

Certes, quelques voix s'étaient élevées en Europe pour prétendre que si vous prêtez sans fin de l'argent à un débiteur accablé de dettes et aux poches percées, il ne remboursera jamais la somme sans cesse croissante qu'il vous devra ; et le pauvre sera précipité chaque année dans un gouffre plus profond que le précédent. Mais dès 2010, les premiers simianthropologues n'ont pas manqué d'observer qu'aux Etats-Unis, le Président Barack Obama menaçait la population d'une cessation catastrophique des paiements de la nation et d'un désastre monétaire irréparable si l'on ne recourait subito à une chimio-thérapie d'une intarissable générosité, celle qui sauverait un Etat au bord de la banqueroute. En 2011, il fallait relever sur l'heure et pour la quatre-vingt seizième fois le plafond autorisé de la dette du pays, et cela pour un an seulement, afin de ne procéder au quatre-vingt dix-septième coup de baguette pharmacologique qu'après la réélection du Président en 2012.

On voit que le spectacle planétaire de la folie simiohumaine échappait aux lunettes enfumées de la science historique et de la politologie classiques et qu'il fallait conquérir de toute urgence un regard de la stratosphère sur l'histoire simiohumaine tout entière et en tant que telle.

8 - Le thermomètre de la démence

Dès le début du XXIe siècle, les premiers simianthropologues de notre Ecole ont compris, comme il est dit plus haut, que si leur discipline encore juvénile n'imposait pas d'emblée le regard d'une psychobiologie adulte à une science historique et à une politologie demeurées "scientifiques" à titre embryonnaire, tout approfondissement méthodologique ultérieur manquerait de l'assise des évidences les plus criantes et les plus strangulatoires. Seules, dans le passé, quelques têtes de haut vol avaient inspiré les mutations cérébrales qui avaient permis d'arracher leur époque aux folies de l'enfance. Lorsque les premières idoles avaient cessé de convaincre, il avait fallu lancer dans le cosmos des effigies raréfiées et décorporées, mais plus gigantales et plus unifiantes que les précédentes; et maintenant que le simianthrope découvrait qu'il ne s'était jamais entretenu avec un autre interlocuteur que lui-même dans le vide de l'immensité et qu'il s'adressait seulement à divers déguisements de sa propre nature, le péril était grand que le sacré débarquerait avec d'autant plus de furie sur la terre qu'il ne disposait plus d'exutoire psycho-physique.

Aussi, la conquête la plus décisive de l'Ecole fut-elle la révolution qui donnait à la politologie un regard de l'extérieur sur la construction et le fonctionnement du globe oculaire du genre simiohumain. La simianthropologie mondiale de l'Ecole de Paris a commencé de remporter cette victoire aux environs de 2015. Ses conclusions ont tout de suite paru évidentes et d'une grande simplicité aux observateurs les plus attentifs de la généalogie des notions de raison et d'intelligibilité de l'époque: il était aisé, disaient-ils, de constater que l'homme est un animal livré de naissance à des univers délirants par nature et qu'il se transporte continûment, donc toujours à titre héréditaire dans le compréhensible qu'il se construit.

Le jour où Britannicus avait rendu l'âme, les temples de Rome avaient été assaillis de jets de pierre et les autels des dieux avaient été renversés. Le lendemain, le bruit s'était répandu que l'illustre général était rétabli. Aussitôt, on avait couru de toutes parts vers les sanctuaires, avec des flambeaux dans les mains et des chariots chargés de victimes à sacrifier - on avait immolé quelque deux cent mille bêtes, selon Suétone. Du coup, les portes des sanctuaires avaient été brisées sous l'assaut des croyants redevenus impatients d'honorer leurs dieux subitement améliorés ou ramenés dare dare à de meilleurs sentiments à l'égard de leurs adorateurs. Mais quand la mort de Britannicus avait été officiellement confirmée, le deuil public avait été prolongé pendant les fêtes du mois de décembre, ce qui, surtout chez les Hébreux, témoignait d'un désespoir sans remède.

Au Moyen Age, on avait vu le torrent d'une cosmologie religieuse plus fantastique que celle des temps homériques débarquer dans l'histoire du simianthrope et submerger les encéphales sous les flots impétueux d'une folie universelle. L'armée entière d'Henry IV d'Allemagne avait été soudainement précipitée dans les flammes de la damnation éternelle par un simple motu proprio du représentant du ciel nouveau sur la terre. Puis, au XVIe siècle, des peuples entiers s'étaient sauvagement entre-égorgés parce que le bruit avait enflé que, pendant un millénaire et demi, l'Eglise et le diable s'étaient mis de mèche et en secret afin de mentir de conserve à tout le monde et de prétendre que le pain et le vin de la messe ne se transformaient nullement en chair et en sang d'une victime par le seul effet des paroles du récitant des formules de la consécration. Puis au XXe siècle, un nouveau prophète des pauvres avait annoncé à la planète entière et à coups de syllogismes irréfutables que la décapitation des marchands du temple et la pendaison haut et court des profiteurs feraient enfin descendre le royaume des cieux sur toute la terre habitée - et aussitôt des massacres d'une ampleur planétaire avaient réduit le carnage de la saint Barthelemy à une miniature des croisades.

9 - Le rêve et la vie

Mais en 2015, une nouvelle mutation neuronale de l'espèce a alerté les vigies d'une conscience simianthropologique en gestation depuis le début du siècle; car, jusqu'alors, les tueries salvifiques avaient nourri des mondes imaginaires par nature et par définition. Les encéphales des morts se transportaient dans un royaume des anges et les massacres collectifs s'exerçaient sur des masses de damnés relégués sous la terre, tandis que le XXe siècle avait subitement commencé de donner naissance à des univers fantasmatiques à l'usage exclusif des cerveaux dont la marche demeurait assurée sur la terre ferme. L'angélique et le séraphique avaient débarqué non seulement sur nos arpents, mais dans nos sciences exactes, et cela à la faveur de l'apocalypse guerrière dont nous équipions nos lopins. Certes, les délires du sacré des ancêtres ne s'étaient nullement évanouis pour si peu; mais l’atterrissage de la démence dans le temporel a conduit les premiers simianthropologues de la folie proprement simiohumaine à approfondir leurs premières analyses jusqu'au vertige. Ils en ont conclu que nous sommes la seule bête que son évolution cérébrale dans le fantastique a conduite à un type de conscience d'elle-même capable de la transporter réellement et avec armes et bagages dans des mondes imaginaires.

Enfin, tout au long du XXe siècle, ce n'étaient plus seulement les peuples que les Romains appelaient "simplices et religiosi", qui avaient bénéficié du débarquement foudroyant de l'Eden sur la terre, mais l'immense majorité de l'intelligentsia de l'époque. Du coup, l'annonciation, deux millénaires auparavant, de la sainteté et de la sublimité natives des miséreux s'était illuminée de l'avènement d'une sotériologie universelle. Les anges de leur propre pauvreté avaient définitivement démontré que le séraphisme politique est un songe gravé dans les gènes d'un animal au cerveau saintement dédoublé depuis les origines.

10 - Le singe onirique en laboratoire

Une victime des camps de concentration soviétiques, un certain Victor Kravtchenko, avait publié à Paris un ouvrage richement documenté sur l'extermination de type idéologique inaugurée par l'inquisition marxiste. Puis cet auteur avait intenté un procès payé par les Etats-Unis contre les théologiens du célèbre quotidien l'Humanité, qui l'avaient traité de "faussaire". On avait vu, à cette occasion, un savant atomiste de renommée mondiale, M. Joliot-Curie, venir témoigner à la barre du tribunal et la main sur le cœur que l'Eden avait effectivement déversé son Pactole sur le territoire miraculé de la nouvelle orthodoxie, dont le règne s'étendait pour l'instant de Vienne à Vladivostok et qu'il avait constaté le prodige de ses yeux.

Mais en 1989, l'immense cité du rêve prolétarien, vieille de soixante douze ans seulement, avait sombré dans l'hérésie en quelques jours seulement. Du coup, le religieux s'est trouvé à nouveau vacant. Mais ce n'est qu'un demi-siècle plus tard qu'une problématique du merveilleux atavique avait donné son armature théorique et sa méthodologie à une anthropologie générale des théologies. Depuis lors, l'Ecole de Paris pilote la science des anges sur un nouvel échiquier. Elle a découvert les chemins "rationnels" du surnaturel et de ses dialectiques que l'imagination religieuse ou para-religieuse des évadés de la zoologie emprunte depuis des millénaires et elle nous a appris à interpréter le capital psychobiologique des songes délirants que le simianthrope se transmet de génération en génération.

11 - Les funambules

A partir de 2012, le capitalisme avait porté ses ravages épidémiologiques bien au-delà des constats catastrophiques des chrétiens, puis des marxistes. Les salariés placés à la tête des entreprises progressivement enlevées à la voracité bourgeoise, joignaient maintenant leur rapacité financière à leur irresponsabilité économique. Des machines automatiques produisaient à bas prix des marchandises rendues d'avance invendables aux démunis. Un chômage universel menaçait une planète à la fois mécanisée et grouillante d'affamés. Les banques tenaient les Etats au bout de leur laisse. Des finances publiques de plus en plus incontrôlées accumulaient des montagnes de dettes dont les impôts des citoyens ne parvenaient plus à payer les intérêts. Des millions de fonctionnaires inamovibles avaient multiplié la classe des privilégiés de l'Ancien Régime. L'incompétence sur la scène internationale d'une classe dirigeante formée à l'école des municipalités ou des régions et privée de regard sur le globe terrestre avait permis la vassalisation de la civilisation occidentale par un empire américain lui-même titubant au bord du gouffre, parce que porteur des mêmes maux universels du capitalisme que ses vassaux.

Il était devenu ridicule de réfuter les nouvelles superstitions religieuses qui avaient succédé à celles du polythéisme. Il fallait apprendre à observer du dehors l'inégalité entre les hommes que Rousseau avait cru guérir en précurseur de Bernardin de Saint Pierre, il fallait lever les armées nouvelles de l'intelligence qui guideraient d'un pas sûr un animal prêt à tomber dans le gouffre à chaque pas.

La semaine prochaine, je raconterai les progrès de la science des précipices que nous devons à l'Ecole de Paris entre 2030 et 2040.

Le 22 avril 2012

Visiter le site officiel du philosophe Manuel de Diéguez

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