SUITE 1 - « Biopouvoir : Menaces pour l’Humanité ?»
De la même façon, Giorgio AGAMBEN, propose une relecture de FOUCAULT à la lumière de SCHMITT et de HEIDEGGER pour établir une ligne de continuité entre l’Occident contemporain et la conception de la politique de l’Allemagne Nazi. Le camp devient ainsi l’espace politique paroxystique puisque le camp est « le lieu de décision radicale sur la vie nue »[i]
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Comment ne pas constater qu’aujourd’hui, le Biopouvoir bénéficie d’une conjonction favorable à son développement ?
Nous vivons un moment de crise politique et culturelle majeure qui remet en cause – dans son essence même - la démocratie, au sens grec. Nous vivons également un moment particulier où les sciences du vivant et les biotechnologies offrent une capacité de contrôle sur le vivant jusqu’ici inégalée dans l’histoire de l’Humanité.
Le « Biopouvoir » est - en effet - aujourd’hui renforcé par les récents bouleversements scientifiques et technologiques.
B – … renforcé par les récents bouleversements scientifiques et technologiques
Nous assistons depuis quelques années à une avalanche de découvertes et d’expérimentations concernant les sciences et les technologies du vivant.
Transgénèse des animaux et des plantes, thérapie génique, clonage, création de cellules souches, création de chimères humain/animal …
A ces innovations scientifiques répondent des innovations technologiques tout aussi impressionnantes : les « biotech sèches » constituent toutes les machines développées pour pallier les déficiences humaines telles que l’implant cochléaire qui restitue l’Ouïe à certains sourds, ou les organes artificiels comme ce poumon synthétique sur lequel planche des chercheurs de Pittsburgh. C’est aussi l’exemple de la société Neural Signal INC qui implante des électrodes dans le cerveau de tétraplégiques pour les relier « par la pensée » à un ordinateur.
Cette pluie d’innovation de ne devrait pas s’arrêter là. « Les progrès technologiques vont nous conduire vers un contrôle total de la matière au niveau atomique » explique Christine Peterson présidente de Foresight Institute, organisation soutenant le développement des nanotechnologies.
Déjà sont annoncés des systèmes plus fins, plus complexes que ceux de la Nature, par exemple des tissus et des organes n’ayant plus rien de biologique.
Autrement dit – conclut le philosophe Jean-Pierre BELAND[ii] – ces techniques nouvelles vont rendre désuets l’ADN et les mécanismes de l’évolution.
« Nous sommes aujourd’hui au Converging technologies, aux NBIC ( nano, bio, info, cogno), combinaison synergique de quatre secteurs majeurs de la science et de la technologie, chacun des secteurs progressant à un rythme rapide : a) nanoscience et nanotechnologie, b) biotechnologie et biomédecine, y compris le génie génétique, c) technologie de l’information, y compris le calcul et les communications avancées ; d) sciences cognitives, y compris la neuroscience cognitive » nous dit Jacques DUFRESNE.[iii]
Si de toute évidence nous marchons assurément vers une maîtrise du vivant et que nous disposerons d’ici peu d’une capacité de modifier, d’intervenir sur le vivant, nous pouvons d’ores et déjà constater que l’espace – notre espace - est de plus en plus quadrillé par les technologies.
Le territoire humain sera demain maîtrisé comme aujourd’hui l’espace public et privé est quadrillé par des technologies impressionnantes : vidéo, réseau de communication sans fils téléphoniques ou liaisons wi-fi, liaison satellitaire et contrôle localisé, GPS, …contrôle biométrique.
La capacité de l’individu d’échapper à ce maillage technologique est de plus en plus improbable.
A cette avancée technologique et scientifique, l’homme répond par une ambition sans égale. Les expérimentations les plus incroyables voient le jour.
Que ce soit les projets de Clonage, le projet Biosphère II ou le programme « Artificial Life »...
Tous ces projets obéissent à une même démarche : maîtriser le vivant, reproduire pour dominer la vie comme le territoire humain.
Le projet Biosphère II visait à recréer les cinq principaux Biomes de l’humanité en installant sous un hangar de verre en Arizona, 3400 espèces végétales, quelques espèces animales huit humains, quatre hommes et quatre femmes durant deux ans. Ces humains respiraient l’air produit par la végétation, se nourrissaient des végétaux qu’ils cultivaient et des produits des animaux qu’ils élevaient.
Le but de l’opération était d’éviter la pollution de la terre et créer une biosphère seconde et les conditions d’une purification totale de la planète, en même temps que prévoir un départ pour mars.
Cette quête permet d’ailleurs de s’interroger avec l’universitaire Lucien Sfez sur ce besoin de « purification générale de la planète » qui complète si bien – l’inquiétante « purification totale des corps »[iv].
Ce projet combine plusieurs images symboliques, notamment celle de la grande réconciliation entre technologie et nature.
De la même façon, le projet « Artificial Life » vise à créer des êtres artificiels dans l’ordinateur. Dotés d’un sexe, ils copulent, ont des enfants, se nourrissent d’une nourriture électronique, attrapent des maladies, déclinent et meurent. Assemblés en troupeaux, ils mènent une vie sociale riche d’échanges.
Le but de ce projet – mené par l’équipe de M. LANGTON à l’institut de Santa Fe est de créer un être supérieur, une autre forme de vie. « Ces êtres auront un jour une conscience, une volonté, une âme » proclame les chercheurs.
La création « d’êtres intermédiaires », d’un monde de cyborgs, ferait sourire si les avancées techniques et scientifiques n’étaient encouragées par certaines idéologies, nous en reparlerons.
Nous le voyons bien, tous les projets se tiennent : purification du corps individuel ( projet Génome), dans une planète purifiée ( Biosphère II) : le tout surplombé par des êtres électroniques.
Nous assistons ainsi à une nouvelle approche de la Biologie pour en faire la biologie « d’une vie possible »[v]
« Si en pratique, la biologie est l’étude scientifique d’une vie fondée sur la chimie d’une chaîne de carbone, aucune charte ne limite la Biologie à cela. (…) le vrai sujet de la biologie est la forme de la vie et non le matériau dans lequel elle s’inscrit »[vi] conclut dans cet esprit Lucien SFEZ.
Nous le comprenons alors : « La limite entre le vivant et le non vivant est dépassée et permet d’imaginer des successeurs éternels, hors d’atteinte des agressions de la vie et de la mort et pour toujours reproductibles, en état incessant d’émergence et d’évolution progressive par construction. L’Homme inventé. Travail d’alchimie. »
Nous pouvons ainsi entrevoir ce que les progrès de la science du vivant permettent d’envisager dans les toutes prochaines années.
Les progrès scientifiques et technologiques dans le domaine du vivant nous réservent les plus grandes surprises. Nous l’avons bien compris, « C’est la première fois dans l’histoire du vivant qu’une créature en arrive à lire l’écriture dont elle est l’expression. Avec cette boucle, un incroyable évènement est rendu possible : l’instant où la créature va pouvoir faire retour dans la création pour se refaire. L’instant où la créature va interférer dans sa création et se poser comme son propre créateur. »[vii]
Or, la tendance historique d’évolution du pouvoir, qui consacre l’intégration du vivant dans la sphère même du politique peut générer les plus grands dangers pour l’humanité.
La tendance historique qui caractérise l’évolution des formes de pouvoirs en biopouvoirs - telle que décrit par Michel Foucault - se trouve aujourd’hui renforcée par des outils scientifiques et technologiques d’une puissance jusque là inenvisageable.
Qui va décider des choix immenses auxquels nous allons être confrontés ? Au service de quels idéaux ?
Certaines idéologies – hier combattues, annihilées - retrouvent déjà une nouvelle jeunesse.
Que peut donner le mariage des technologies de contrôle du vivant avec l’exercice d’un biopouvoir renforcé ?
Le pire peut être imaginé. Comment l’éviter ?
C’est l’objet de la deuxième partie de cet exposé.
L’avènement du Biopouvoir dans les conditions actuelles appelle à reconsidérer très sérieusement aujourd’hui l’avenir de l’Humanité.
[i] « Le biopouvoir chez Foucault et Agamben » Katia GENEL – Penser le corps – revue Methodos – 4-2004
[ii] Jean-Pierre BELAND, philosophe, Université du Quebec à Chicoutimi ;
[iii] « L’âme des professions » Jacques DUFRESNE, les professions, l’agora, printemps 2005, vol.11 n°1,p.5 Jacques DUFRESNE
[iv] « Le rêve biotechnologique » Lucien SFEZ – Que sais-je – 2001 ; L.Sfez est professeur à Pris I, responsable du DEA « Communication, technologie et pouvoir » ;
[v] Christopher LANGTON, (ed.) Artificial Life. The proceedings of an inter-disciplinary Workshop on the synthesis and simulation of living Systems, Santa Fe Institute p. 1
[vi] « Le rêve biotechnologique » Lucien SFEZ – Que sais-je – 2001, p.60 ;
[vii] Dany-Robert DUFOUR « De la réduction des têtes au changement des corps. » Le Monde Diplomatique, avril 2005, p.14-15 ;
- « Biopouvoir : Menaces pour l’Humanité ?» par Jean-Luc Pujo -
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