Débats

« La Nation, idée de chair » par Jean-Luc Pujo

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Paris, le 16 août 2011

La Nation est une idée de chair.

Mouvante, évolutive, la Nation a tout de l’humain, de sa nature complexe, mêlant corps et esprit dans une ambivalence aussi prometteuse qu’inquiétante.

Institutionnalisée, codifiée, elle a tout de l’Idée politique à succès faites de rigidité, d’ordre, d’exclusive mais aussi de grandeur et de fraternité.

La Nation est faite d’intelligence humaine, de cette intelligence qui assemble le sang à l’esprit, l’histoire sanglante à la communion fraternelle des hommes, l’espérance individuelle à la plus folle des espérances collectives.

La Nation, c’est la vie. 

Qu’elle effraie, qu’elle enthousiasme, la Nation est une des dernières grandes idées politiques modernes.

Bien que discutée en ce début de XXIème siècle, la Nation reste le miroir des peuples. Elle reflète cette vérité vraie, la liberté des peuples émancipés.

***

La Nation est consubstantielle à la Liberté des peuples (I) et sa fin annoncée – ici ou là - n’est que la figure métaphorique imposée pour dire terminée la liberté de quelques peuples émancipés (II).

I - La Nation est consubstantielle à la Liberté des peuples

A - La nation est une idée de chair …

- A1 - La Nation est un produit de l’histoire.

Produit de l’histoire, la Nation apparaît comme un corps vivant parfait. Elle est cette cité seule où se distingue deux choses naturelles – la composition naturelle et le caractère naturel - et une chose artificielle – la langue, nous dit le philosophe ALFARABI (1)

L’origine même du sentiment national est difficile à situer.

Les dictionnaires de Furetière et de Trévoux précise - dès le XVIIème siècle – qu’il s’agit « d’un grand peuple habitant une même tendue de terre renfermée en certaines limites ou même sous une certaine domination »

Produit complexe, la nation est le fruit d’une conjonction de facteurs humains, spirituels et institutionnels.

Il y a bel et bien processus complexe, « fabrique » de nation, ce que démontre brillamment l’historien Claude Nicolet (2) pour la France, où le débat fut alimenté durant des siècles par les polémiques les plus vives sur l’origine de la France, sur la conception même de l’Idée « Nation ».

Claude Nicolet montre combien les sources sont multiples. Les débats passionnés non dénués d’enjeux politique éminents, ont vu triompher une conception française particulière mais discutée jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Idée incarnée, la nation a surgie en la personne du roi, nous rappelle Jean Jacques Chevallier(3).

Au cours de la querelle Bonifacienne, opposant le parti de l’Eglise et Boniface VIII - Unam Sanctam -  et le parti de l’Etat - Philippe le Bel, les régaliens - celui-ci fait adopter – en avril 1302 – par les représentants des trois ordres, l’énergique affirmation suivante que « tout comme ses prédécesseurs, il tenait son royaume de Dieu seul, et à n’importe quel prix, il en sauvegarderait l’indépendance pleine et entière ».

Dés lors, Philippe le Bel détenait à ce titre le pouvoir législatif ; il jouissait d’une souveraineté liberté dans l’appréciation de ce que requérait l’intérêt de la chose publique.

La première pierre était ainsi posée pour que l’état national et souverain, c'est-à-dire l’Etat-Nation, commence à s’épanouir sous la forme monarchique. Dès lors, son roi l’incarnait et le gouvernait.

Ce qui permet d’affirmer avec Pierre Nicolet : «  Chez nous, le roi a fait la nation, qui se forme à mesure que le domaine royal s’agrandit ».

Pour Bertrand de Jouvenel, le monarque est le centre de cristallisation du sentiment « national » : « le trône devient le lieu d’interférence d’émotions distinctes, le lieu de formation du sentiment national. Ce que les Bretons ont de commun avec les gens du Viennois, c’est que le duc des uns est le dauphin des autres »(4).

Enjeux de pouvoir, la Nation a pris forme en France entre incarnation et construction politique.

Elle revêt ainsi une forme particulière prenant appuie sur trois piliers fondamentaux.

- A2 – La Nation repose sur trois piliers fondamentaux

Peuple, territoire et culture, la Nation assure son unité grâce à ces trois piliers fondamentaux.

Il saute aux yeux que chacun de ces trois piliers a subis de profondes évolutions, adaptant formes et compositions au cours de l’histoire.

A2-a Le peuple :

Si aucune Nation moderne ne possède  une base ethnique donnée, comment définir le peuple ?

 « Qu’est-ce qui fait  qu’un peuple est un peuple ? » s’interroge JJ Rousseau.

Qu’est-ce qui fait unité ?  Comment ce processus opère-t-il ?

Pour Etienne Balibar, ce processus d’unification présuppose une forme idéologique spécifique : « Elle doit être à la foi un phénomène de masse et un phénomène  d’individuation, réaliser une « interpellation des individus en sujets » (Althusser) beaucoup plus puissante que la simple inculcation des valeurs politiques, ou plutôt intégrant cette inculcation dans un processus plus élémentaire de fixation des affects d’amour et de haine, et de représentation de « soi »(5).

Il faut – comme le dit Fichte (6)– que les frontières extérieures de l’Etat deviennent aussi des frontières intérieures ou que les frontières extérieures soient imaginées en permanence comme la projection et la protection d’une personnalité collective intérieure que chacun porte en soi.

La nation idéale est bien sûr définie autour d’une ethnicité fictive, nous dit Etienne Balibar, mais elle doit forcément porter le sentiment d’une appartenance commune.

Ainsi le patriotisme est ce lien indispensable entre ethnicité fictive et nation idéale, révélant ce sentiment d’appartenance, au double sens du terme : on s’appartient à soi-même et on appartient à d’autres semblables.

Mais le peuple seul ne fait pas la Nation.

A2-b Le territoire :

« Qui dit Nation, dit conscience des limites, enracinement dans la continuité d’un territoire, donc mémoire » nous dit pierre Nora.(7)

Le territoire est une des composantes essentielles de la Nation. Sans territoire, une nation est privée d’un des plus important attribue de la puissance.

C’est ce territoire qui lui donne ce corps, inscrit la Nation dans une réalité politique.

La France s’est ainsi construite par un long processus - du XIIIème au XVIème siècle,  des limites féodales aux frontières nationales - pour accoucher d’un projet à peu près achevé, celui de la France moderne.

La notion de limite, donc de frontières - autant géographique que symbolique - est un des aspects les plus importants de ce pilier fondamental, le territoire.

Et combien la France a-t-elle placé d’énergie pour construire ses propres limites, les défendre puis gérer ce territoire, l’organiser pour donner un corps structuré à la Nation.

Comment ignorer le Jardin français, véritable maîtrise du territoire en paysage, autre figure du génie français.

Mais peuple et territoire ne suffisent pas à faire Nation. Il y faut une commune vision du vivre ensemble. Culture - ou civilisation - en sont le corolaire indispensable.

A2-c Culture ou civilisation

Il s’agit là – très certainement – du pilier le plus important de tous.

Peuple et territoire peuvent tout aussi bien être construits et modelés par la force. La Culture ne le peut guère, qui demande de recourir un minimum à un processus d’adhésion. Adhésion à des valeurs, à ses modes de productions.

La culture est bien l’essence de la Nation.

Mœurs, langue, coutumes, croyances partagées fondent cette Culture, qui se décline alors dans un commun partagé sur la mort, la vie, l’homme et la femme, l’enfant. Pas d’uniformité, aucunement, mais une racine commune, oui.

Cette culture commune peut alors accoucher d’une conscience populaire - souvent produit de « force » et d’« éducation » (Gramsci) – transcendée en patriotisme, forme moderne de religion (Balibar).

« En ce sens, l’idéologie nationale comporte des signifiants idéaux sur lesquels peuvent se transférer le sentiment du sacré, les affects d’amour, de respect, de sacrifice, de crainte » (Balibar)(8)

***

Produit de l’histoire, reposant sur des fondements objectifs, la Nation est une idée de chair qui se construit dans le temps par son propre dépassement : l’institutionnalisation.

B -  … à la forme politique aboutie.

La nation est le fruit d’un processus toujours en cours. C’est l’Etat – particulièrement en France – qui l’a discipliné (1) pour lui permettre de prendre une forme politique parmi les plus élaborée(2)

B 1 – La Nation disciplinée :

La Nation a  été disciplinée par plusieurs outils élaborés.

B1 – a – La Famille et l’école :

La famille est certainement le lieu clés de production et reproduction de la nation.

Que sa forme ait évolué vers la famille nucléaire, qu’elle soit le résultat d’une forme bourgeoise de la sociabilité (9)ou bien le résultat d’une évolution plus ancienne dictée par le droit ecclésiastique et le contrôle des autorités chrétiennes(10), la Famille a toujours été un enjeu de pouvoir.

Droit des successions, contrôle des naissances … permettent à l’autorité d’entrer ainsi dans la vie familiale.

Quel paradoxe de voir surgir au même moment « la vie privée », « l’intimité familiale » et la notion nouvelle de population, « les techniques démographiques de sa mesure, de son contrôle moral et sanitaire, de sa reproduction » !

« L’intimité familiale moderne est tout le contraire d’une sphère autonome aux bords de laquelle s’arrêteraient les structures étatiques » remarque Etienne Balibar.

La famille est un enjeu : elle permet l’identification de la communauté nationale à une parenté symbolique, de se projeter dans une descendance commune.

Et tout n’allait pas de soi en France, « seul pays européen à abriter les trois formes d’organisation familiale qui divise l’Europe »(11).

Comme l’affirme Michel Foucault avec les systèmes de « biopouvoirs », Ecole et famille - si elles préexistent  à la Nation - restent des institutions clés pour son élaboration.

L’école joue là un rôle essentiel.

Elle reste bien sûr cet outil capable de former des citoyens, c'est-à-dire des individus préparés à la vie collective, conscients de leur communauté de destin.

Il s’agit « de former des Français, de faire adopter à la nation une physionomie qui lui soit propre et particulière » dit André Chénier(12) en 1793.

L’éducation a pour tâche « d’élever promptement les âmes au niveau de la constitution, et de combler l’intervalle immense qu’elle a mis tout à coup entre l’état des choses et celui des habitudes » proclame Mirabeau(13) en 1791.

C’est en ce sens éminemment politique que le monopole public de l’éducation doit être compris.

Cette école, « n’est pas seulement une promesse, mais une donnée ; d’emblée, ici on est égaux et semblables : on dépouille ses particularités en franchissant le portail  (…) ce qu’il y a de différent chez les enfants du sabotier, de la laveuse, de la couturière en journée […] n’a pas à être nié, mais à être candidement oublié »(14).

Ce qui fait conclure magistralement au philosophe Manuel de Diéguez : " les enfants sont socratique d’instinct : ils sentent que l’ignorance est le pire des maux. Ce qu’ils goûtent à l’école laïque, c’est précisément d’entrer de plein droit dans une société radicalement différente de celle où règne l’arbitraire des hiérarchies et des rangs sociaux ; c’est de découvrir la contingence du monde temporel, que l’Eglise appelait le « royaume d’ici-bas »(15)".

Le but n’est-il pas de « faire connaître la nation à elle-même » - pour reprendre la formule de Charles de Rémusat ?

« Famille et école » jouent donc un rôle primordial que certains vont même ériger en « appareil idéologique d’Etat », nouveau couple ayant détrôné le couple ancien « famille-église »(16), formulation que conteste  d’ailleurs Etienne Balibar(17).

A ce couple essentiel, il faut rajouter la langue, élément primordial, outil majeur de cette opération de transmission-élaboration.

B1- b – La Langue :

La langue est une institution « fasciste », affirme Roland Barthes.

Mais si « la communauté linguistique induit une mémoire ethnique terriblement contraignante » répond Etienne Balibar, « pour autant, elle possède une étrange plasticité : elle naturalise immédiatement l’acquis ».

« Si la communauté de langue ne suffit pas à la production de la nation, elle en est un des outils les plus efficaces. La communauté de langue est une communauté actuelle !  La langue « maternelle » n’est pas nécessairement celle de la mère réelle », rajoute-t-il.

L’important est que la langue devienne l’élément central à partager, « élément même de la vie du peuple ».

L’idée n’est-elle pas d’ailleurs de dégager un « amour de la langue »(18) qui fonde ce premier espace culturel en partage ?

La langue est donc un outil privilégié et incontournable : «  c’est toujours dans l’élément de la langue que les individus sont interpellés en sujets, car toute interpellation est  de l’ordre du discours. »

Même si la langue reste un puissant outil de ségrégation sociale - « Plus les sociétés bourgeoises sont scolarisées, plus les différences de compétence linguistique (donc littéraire, « culturelle », technologique) fonctionnent comme différence de caste, assignant aux individus des « destins sociaux » différents »(19) dénonce Etienne Balibar – elle reste un puissant outil d’unification politique.

Tel fut le cas de la France, divisée linguistiquement - comme le rappelle Fernand Braudel(20) - entre terre d’Oïl et terre d’Oc, opposition caricaturale souvent entretenue entre un Midi plein d’étourderie et un Nord plus sérieux.

« Notre étourderie vient du Midi et, si la France n’avait pas entrainé le Languedoc et la Provence dans son cercle d’activité, nous serions sérieux, actifs, protestants,  parlementaires » écrivait Ernest RENAN(21), auquel il est nécessaire d’opposer Mary-Lafon, ancêtre des défenseurs de l’Occitanie : « les Méridionaux du Moyen Age, raffinés et amoureux de la liberté, dénonçaient quand à eux la « brutalité barbare des « chevalier d’outre Loire », pillards, violents, fanatiques »(22).

Cette même France, si disparate va néanmoins réussir à s’unir – certes par la force - pour s’attacher très fort à sa langue - le français.

« Tout ce qui n’est pas clair, n’est pas français » (23)proclame Rivarol.

Et si Voltaire  admire «  le génie de la nation se mêlant au génie de la langue »(24), c’est bien la République qui a consacré son rôle unificateur au service de la Nation.

«  En vérité – écrit le philosophe Manuel de Diéguez - la Révolution n’aurait jamais pu forger une nation ouverte à la pensée si elle n’avait pas commencé par unifier la langue française et par enseigner la grammaire à tout le monde ».

Et de poursuivre : «  La République a voulu, en outre, que la France possédât une langue dont non seulement la syntaxe et la grammaire, mais également la prononciation, fussent bien établies sur tout le territoire »(25)

Quel volontarisme politique ! Et combien d’initiatives passionnées ? De travailleurs laborieux et géniaux ?

Ferdinand Bruno, véritable « citoyen linguiste », au service du français, résume ainsi son travail passionné : « analyser un phénomène de rencontre entre les innovations d’une langue à l’écoute du « peuple » et les normes reconnues de la langue classique, valeur sûre de l’idéologie française »(26).

Cette langue dont Paul Valery dira  que « rebelle aux formations des mots composés, aux facilités d’accord, au placement arbitraire des mots dans la phrase, et se contentant volontiers d’un vocabulaire assez restreint, [ elle ] est justement fameuse pour la clarté de sa structure qui, jointe à un goût fréquent chez nous des définitions et des précisions abstraites, fit concevoir et réaliser tant des chefs d’œuvres d’organisation verbales »(27).

La langue est bien cet outils puissant d’unification particulièrement en France, où, de manière paroxystique, elle est devenue l’illustration même du « génie français »(28).

***

Tous ces outils de discipline ont été utilisés pour transformer la société en Nation grâce au travail d’une institution particulièrement complexe : l’Etat.

B 2 – La nation s’érige en Etat-Nation :

L’Etat lui-même a profondément évolué de l’Etat Royal à l’Etat Nation, s’érigeant ainsi en véritable superstructure produisant normes et idéologie.

B2 – a) le rôle de l’Etat

«  La France ne devrait pas exister » proclame Hervé Le Bras et  Emanuel Todd(29) tant les divisions puissantes et anciennes de la France sont impressionnantes, validant du même coup le travail insatiable imposé par l’Etat.

L’Etat est lui-même bien sûr une création. « L’état est une Idée » - affirme Georges Burdeau – « C’est une forme du Pouvoir qui ennoblit l’obéissance »(30).

Siège du pouvoir, il devient enjeux et colonisé par ceux qui devraient le servir, il peut devenir « entreprise de domination », ce que dénonce Marx.

Il peut néanmoins devenir ce « régulateur de l’ordre et du mouvement », et construire puis garantir ce lieu d’institutionnalisation de la démocratie.

L’Etat est ce « chef d’orchestre qui, sans faire lui-même de musique, harmonise les activités de ceux qui en font et qui font les choses qui ont une valeur intrinsèques »(31), affirme John Dewey.

Et quand l’autorité agit dans l’intérêt général, en transformant la passion du peuple en vertu et obéissance au moyen de bonnes lois, alors « cet Etat est le meilleur dans lequel les hommes passent leur vie dans la concorde et dans lequel les lois sont maintenues inviolées »(32)

Le rôle de l’Etat en France a été essentiel comme nous l’avons dit. Rôle ancien, mais réaffirmé, prolongé et sublimé  par l’Etat Républicain.

Pierre Rosanvallon, décrit très bien comment l’Etat a produit de la norme en s’érigeant en instance de production du social, en remodelant le territoire comme les hommes.

Ce « Leviathan démocratique » est ainsi devenu tout à la fois  « instituteur du social » puis  « Etat providence » et « régulateur de l’économie »(33) nous dit-il.

Le rôle de l’Etat doit être mesuré à l’aune de son évolution propre.

L’état s’est démocratisé en soumettant son organisation de plus en plus complexe à des impératifs nouveaux : l’élan constitutionnaliste est l’expression nette de ce mouvement important.

B2 – b) L’Etat Nation républicain, garant de la démocratie

Il faut le noter, la mise en œuvre de l’Etat Républicain est étroitement marié à un processus juridique particulier : le processus constitutionnel.

C’est la révolution constitutionnelle – en exigeant une organisation particulière des pouvoirs -qui va garantir une véritable démocratisation.

En affirmant que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution »(34) la règle démocratique incontournable est donnée.

L’œuvre constitutionnelle va accompagner l’évolution de nos sociétés par un processus -lent mais irrémédiable- de démocratisation des organisations politiques, soumettant l’Etat à un ensemble de règle qu’il doit par ailleurs garantir.

En affirmant le principe de « souveraineté populaire » - devenu l’alpha et l’oméga de toute organisation démocratique - le processus constitutionnel va imposer cette démocratisation par l’organisation de la séparation des pouvoirs, la mise en œuvre de véritable contre-pouvoirs.

Ce développement  va faire de l’Etat le garant de la respiration politique essentielle, la vie politique démocratique.

C’est cette organisation qui tente – avec quelques réels succès – de contourner le jugement sévère de Jean-Jacques Rousseau : « l’Etat est une construction purement humaine dont l’origine est le besoin de survivre (…) Tous les Etats connus sont pleins d’inégalités de toutes sortes, de naissance, de richesse et d’honneur »(35).

L’Etat républicain va – de plus - accompagner ce processus par la production d’une idéologie propre, servi par un discours.

L’analogie entre  religion et patriotisme permet à Etienne Balibar de parler de « discours théologique » accompagnant la sacralisation de l’Etat, ce que confirmerait le lien du sacrifice entre les individus  ou la marque de « vérité »  attachée à la règle de droit (36)comme l’illustrent les travaux de Kantorowicz.

La France reste de ce point de vue exemplaire.

1789 est fondateur à plus d’un titre de ce « moment » républicain, qui va accoucher d’une idéologie et d’une organisation de l’Etat.

1789 bouscule tous les ordres établis.

« La révolution est grande parce qu’elle est outrée, exagérée, pleine de ténèbres, d’obscurités et de monstruosités. »

Mais qui ne voit « que le génie de la République doit assurer la relève de l’universalité chrétienne »(37) ?

Que « l’âme apostolique de la France ne fonde pas seulement son éthique de la vie spirituelle ; elle ambitionne en outre, de s’ouvrir à la vocation ascensionnelle de la pensée. Son messianisme exige que les grandes œuvres du génie humain témoignent pour les vérités qui ennobliront l’humanité et qui enfanteront des éveilleurs »(38).

Tel est l’esprit de 1789 : « la religion de l’intelligence dresse un temple aux créateurs » (39)

Manuel de Diéguez ne retrouve-t-il pas - dans cette France -  l’héritière d’Athènes ?

« Il m’a semblé que la France n’est pas une propriétaire des valeurs de l’esprit, mais l’emblème toujours bafoué d’une guerre spirituelle. Elle rappelle que la pensée naquit un jour de l’homme sacrifié qui vida la coupe de la mort au nom d’un dieu absent. « Ce matin, dit Socrate, le dieu est demeuré silencieux ». (…) c’est ce qui me porte de plus en plus à croire que la France n’est pas de ce monde et qu’elle est immortelle »(40).

« Je remercie la France de ce qu’elle annonce la grandeur de l’Homme » conclu le philosophe.

La France est avant tout une Idée car elle est ce feu d’esprit porté à l’humanité.

« Liberté, Egalité, Fraternité » et « Laïcité » tels sont les mots-tisons de ce feu brûlant et libérateur.

C’est dire que la singularité française a nécessité une construction très particulière pour porter un projet aussi révolutionnaire.

En ce sens la Nation « France » a dû accoucher d’un mécanisme complexe qui, disciplinant la Nation, garantissait sa souplesse réelle, et permettait une véritable respiration démocratique.

Ainsi, l’Etat-Nation républicain est cet instrument qui assure par la démocratie, la respiration de la Nation France.

Il faut alors constater que la forme de l’Etat-Nation républicain reste – avec la Cité Athéniennes -  la forme politique la plus démocratique au monde.

***

Paradoxalement, en ce début de XXIème siècle, cette architecture complexe et subtile – ici rapidement survolé – est totalement remise en question.

Pour quel dessein ?

II - La fin de la Nation, c’est la fin des peuples libres.

Il faut le constater, l’Idée de Nation - et son corolaire, l’Etat-Nation – est aujourd’hui l’objet de très sérieuses critiques … en Europe. « La Nation, c’est la guerre » proclame-t-on.

Dans le même temps, et partout dans le monde, la Nation est une idée jeune, synonyme  de puissance et de souveraineté, ce dont rêvent tous les peuples libres.

Pourquoi cette perception opposée ?

Il est possible ici de dresser un tableau de l’ébranlement de la Nation en Europe (A) pour dévoiler le projet qui sous-tend son abandon (B).

A - L’ébranlement de la Nation en Europe

L’ébranlement de la Nation est une réalité. Elle peut être décrite à travers l’ébranlement des trois piliers fondamentaux qui accompagne un discours idéologique revivifié, un nouveau « discours des esclaves ».

A 1 – l’ébranlement des trois piliers :

Les trois piliers fondamentaux de la Nation ont toujours été mouvants. Plus ou moins stabilisés, ces trois piliers connaissent aujourd’hui un ébranlement phénoménal que nous allons tenter de décrire.

A 1 – a) Le territoire

Nous assistons aujourd’hui à la contestation de la notion classique de territoire comme à l’émergence de nouvelles formes de territoire.

a-1 territoire contesté :

Le territoire se définit classiquement par ses limites.

Si la frontière est encore un enjeu réel dans le monde, cette notion est différente en Europe.

La Nation se dilue dans un espace Schengen qui ne dit pas son nom. L’entreprise de dépassement du national opère et travaille à fondre la Nation dans un espace floue qui n’a rien à voir avec un espace de coopération inter-national, mais correspond bien à un projet de dépassement de l’entité Nation.

Le supra national vise la disparition du national.

Le territoire n’a plus de lien avec la Nation. La notion même de limite ou de frontière est largement contestée au sein d’un « espace marché » n’ayant plus rien à voir avec l’espace national par ailleurs ouvertement contesté.

a-2 nouvelles formes de territoire :

Au moment même où les formes classiques de territoire sont remises en question, surgissent de nouvelles formes de territoires symboliques ou virtuels.

Les espaces de communication donnent ainsi naissance – grâce à des technologies de plus en plus sophistiquées – à des espaces de partages, de combinaisons ou de sociabilité qui entrent en concurrence avec les espaces classiques.

La toile – Internet – est ainsi un nouvel espace où se dessinent des territoires multiples où se fondent des vies véritables, développant des identités virtuelles ou réelles qui prennent parfois corps dans la résultante d’un projet commun.

Les limites et les frontières existent dans ces territoires dont la forme et la réglementation obéissent à des critères tout à fait classiques mais à la combinaison nouvelle. Ces formes de territoires concurrencent aujourd’hui les formes classiques.

Le territoire n’a alors plus rien à voir avec la géographie physique. Il se détache de la terre au moment même ou la nation se détache du territoire : Schengen a détrôné l’hexagone.

La France devient virtuelle. Elle peut donc demain s’effacer avec plus de facilité.

Nous assistons donc à un double mouvement, à de multiples fractures historiques aux conséquences immenses.

A1 – b) Le Peuple :

De la même façon, la notion de peuple connaît une évolution historique évidente.

Le peuple est une réalité mouvante qui a sans cesse évolué. Il connaît aujourd’hui en Europe des bouleversements sans précédents.

En Europe, certes mais également dans le Monde. Les flux migratoires connaissent une augmentation impressionnante, à un degré inégalé dans l’histoire de l’humanité.

La France, comme l’Europe, est concernée par cet important mouvement de migrations.

Si le phénomène est naturel, il faut reconnaître que nous avons été incapables d’anticiper son importance, de le juguler, en assurant notamment le développement d’un Sud misérable.

L’immigration étrangère en France est – contrairement aux idées répandues – un problème récent.

C’est un problème tant par la quantité d’immigrés arrivant en France que par la nature et la structure culturelle de ces populations nouvelles.

« L’appel à la tolérance ne suffira pas pour regarder avec lucidité l’immigration massive, prolétarienne dont nous sommes le point d’aboutissement » peut ainsi courageusement écrire Fernand Braudel.

Certes, réfugiés italiens ou espagnols ont choisi de devenir français, et se sont confondus vite dans les replis de notre civilisation.

« En France, l’immigration massive est relativement tardive : en 1851, les étrangers ne représentaient pas 1% de la population, puis 2% en 1872. Les Belges travaillant alors dans les villes, les mines et les champs de betteraves du Nord représentent, à eux seuls 40% de ces immigrants, suivis par les italiens. Assimiler ces étrangers, voisins proches, a été relativement rapide (…) vers 1914, le nombre d’étranger se stabilisa autour de 1.100.000, leur proportion demeurant un peu inférieure à 3% »(41)

Les étrangers sont 2.700.000 en 1931, soit 6,6% et seulement 1.700.000 en 1946, soit 4,4%.

C’est à partir de 1956 qu’une troisième vague se gonfle.

« En 1976, le nombre des immigrés s’estime à 3.700.000, soit 7% de la population totale.

Par sa structuration même, l’origine même des immigrants venus des anciennes colonies, l’immigration pose à la France une sorte de problème « colonial », cette fois planté à l’intérieur d’elle-même » conclut Fernand Braudel.

Faut-il être aussi pessimiste ?

« L’Islam n’est pas seulement une religion, c’est une civilisation plus que vivante, une manière de vivre » nous dit Fernand Braudel.

Ces questionnements datés des années « 80 » prennent aujourd’hui une acuité particulière :

Comment vont donc se marier lois tirées de la Bible ou du Coran  et lois de la République, alors que partout les phénomènes religieux – toutes religions confondues – deviennent importants ?

Ce qui semble relever de l’évidence, la supériorité de la loi républicaine l’est-elle pour tous ?

Comment seront résolus ces types de conflits ?

La concurrence de référents culturels différents pose avec acuité tout le problème de la Culture.

A1 – c) La culture&civilisation :

Troisième piliers fondamental, la Culture connaît également un véritable bouleversement.

Certes la culture n’a jamais été uniformisée mais elle s’est toujours trouvée homogénéisée autour d’une base commune de référents culturels.

La langue française est aujourd’hui largement concurrencée en France même.

De la même façon, la multiplicité des moyens de communications – télévision, Internet - permettent l’émergence et l’affirmation de communautés culturelles minoritaires, qui cultivent leur particularisme.

Ces phénomènes parcellisent le champ culturel. Ils l’enrichissent certes, mais affaiblissent du même coup le degré d’homogénéité de notre culture nationale.

Or, ce degré moindre d’homogénéité culturelle de la nation est – qu’on le veuille ou non - un signe d’affaiblissement.

La communautarisation de la culture répond à la communautarisation des populations qui apprennent à vivre leur tradition, leur culture, leur langue sur le territoire même de la Nation retardant ainsi le désapprentissage préalable à leur intégration.

Mais l’intégration est-elle encore voulue à l’heure où les français eux-mêmes semblent lassés par un modèle français à bout de souffle ? Ou des populations revendiquent de plus en plus ouvertement leur droit de vivre leurs traditions parfois même en infraction avec les lois de la République ?

Il est piquant de constater qu’une partie des élites universitaires européennes - et notamment française - s’appliquent à trouver dans le discours postcolonial une nouvelle posture révolutionnaire - cherchant à démasquer tout ce qui a pu accompagner les mécanismes de domination passé, sans se préoccuper de ce qui fondent aujourd’hui les nouvelles formes d’exploitations.

L’absence de véritable réflexion politique est là sidérante qui leur permet d’annoncer « la fin de l’Etat-Nation ».

Les attaques contre l’Etat-Nation, coupable de ce passé qui ne passent pas, permet – sous le coup de la bonne conscience – de préparer l’avènement de la transnation grâce notamment à l’avènement de la science sociale contre le patriotisme(42).

Pourtant, les inquiétudes fondées d’un Stuart Hall sur la situation du modèle britannique devrait les inciter à une prudence extrême(43).

D’autres - victimes d’hallucinations - mélangent concepts politiques, philosophiques et religieux. Ils rêvent à voix haute d’une république planétaire, d’une citoyenneté mondiale au service d’une humanité enfin unifiée, en démocratie universelle.

La critique de Derrida est sans appel : La démocratie universelle « est au-delà de toute structure étatique, de tout cosmopolitisme et de toute citoyenneté mondiale. (..) Elle est une espérance non tenue de l’Europe des Lumières : celle de l’émancipation ! »(44).

Il fait ainsi écho à la pensée toujours moderne de Bergson : « Ce n’est pas en élargissant la cité qu’on arrive à l’humanité : entre une morale sociale et une morale humaine, la différence n’est pas de degré mais de nature.»(45)

Pour Bergson, l’ouverture à l’humanité passe par une émotion, le sentiment de fraternité.

N’est-elle pas là, la réponse Universelle ?

***

Nous constatons ainsi que la crise culturelle et civilisationnelle n’est – loin sans faut – pas la résultante de la seule confrontation avec des populations étrangères plus nombreuses mais la conjonction de facteurs divers qui travaillent à l’affaiblissement de la Nation dans ce qu’elle a de plus essentiel : territoire, peuple et culture connaissent une crise sans précédent.

Qui plus est, l’Europe et particulièrement la France, sont aujourd’hui atteintes en leur cœur par des idéologies nouvelles qui révèlent un véritable projet politique : celui du renoncement.

A2 – Le nouveau « discours des esclaves » :

(LIRE LA SUITE)

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