"La garde à vue à la Française sanctionnée" Syndicat des avocats de France
La garde à vue à la Française jugée, non seulement contraire à la Constitution, mais aussi à la Convention européenne des droits de l’homme :
Le gouvernement est contraint de revoir son projet
Par trois arrêts de principe de ce jour, la chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, vient de juger que les règles de la garde à vue actuellement applicables en France, y compris pour les régimes dérogatoires concernant la criminalité organisée et le terrorisme, violent les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à un procès équitable dont notamment le droit à l’assistance d’un avocat, et que, pour les rendre conformes aux exigences conventionnelles, les trois principes suivants doivent être respectés :
- la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit de garder le Silence
- la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat dans des conditions lui permettant d’organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l’avocat doit pouvoir participer ;
- la restriction au droit d’être assisté, dès le début de la mesure, par un avocat, doit être justifiée par des nécessités impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché.
Or, le projet de loi du Garde des Sceaux, présenté le 7 septembre 2010 et adopté en conseil des ministres le 13 octobre 2010, est loin de répondre à ces exigences : s’il rétablit, sous la contrainte du Conseil Constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, la notification du droit au silence et comporte des innovations positives, telles que l’énonciation du principe fondamental du respect de la dignité ou la mise en oeuvre de conditions restrictives liées à l’enquête pour justifier le placement en garde à vue, ce texte ne garantit cependant pas la protection effective des droits des centaines de milliers de personnes placées chaque année en garde à vue.
En effet, d’une part, il permet au procureur de la République de décider de ne pas faire droit à la demande de consultation, par l’avocat, des procès-verbaux d’audition de la personne gardée à vue ou de différer la présence de l’avocat jusqu’à la douzième heure, « en raison de circonstances particulières tenant à la nécessité de rassembler ou conserver les preuves », fondement très large et de nature à rendre l’avocat suspect, ce qui est inadmissible et non conforme aux exigences de la Cour de Strasbourg et de la Cour de cassation qui ne permettent une telle dérogation qu’à titre exceptionnel et exclusivement pour des « raisons impérieuses tenant aux circonstances de l’espèce ».
D’autre part, il écarte de la réforme l’ensemble des régimes dérogatoires (stupéfiants, terrorisme, criminalité organisée), au motif que le Conseil Constitutionnel aurait validé le système actuel, affirmation parfaitement inexacte, le Conseil Constitutionnel ayant simplement déclaré irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité sur ce point. Or, deux des trois arrêts de ce jour concernent précisément des procédures dérogatoires, s’agissant de gardes à vue en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants, dans lesquelles la Cour de cassation censure le régime dérogatoire d’intervention de l’avocat différée à la 72ème heure, fondé sur la seule nature du crime ou délit reproché.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement fait fi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui prévoit, au contraire, que plus les faits reprochés sont graves plus les garanties offertes au citoyen doivent être importantes et précise même que les dérogations ne peuvent être systématiques et doivent être appréciées au cas par cas.
Le projet de loi crée par ailleurs une nouvelle garde à vue sans droits de la défense, appelée audition libre, possible même en cas d’arrestation, ce qui est pour le moins surprenant et constituerait de fait une nouvelle forme de privation de liberté et d’interrogatoire par la police sans aucun droit de la défense et, en particulier, sans aucune intervention d’un avocat !
Or, la Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner la France, le 14 octobre 2010, pour violation de l’article 6, parce qu’une personne, placée en garde à vue dans une affaire de tentative d’assassinat, n’avait pu bénéficier, ni du droit de ne pas s’auto-incriminer, ni de celui de garder le silence, ni de celui d’être assisté par un avocat pendant ses interrogatoires, que l’intéressé n’avait rencontré qu’à la 20ème heure de garde à vue, selon la loi de 1993 alors en vigueur.
Ce qui n’a pas empêché Mme Michèle ALLIOT-MARIE lors de l’assemblée générale du Conseil National des Barreaux le 15 octobre 2010, au lendemain de cette condamnation pourtant sans équivoque, de prétendre que la Cour avait en l’espèce condamné le régime de 1999 qui n’était déjà plus en vigueur !
Alors pourtant que la notification du droit au silence, instaurée en 2000, a été supprimée en 2003 et que l’assistance par un avocat pendant ses interrogatoires n’est toujours pas prévue !
Enfin, la Cour de cassation diffère la prise d’effet des nouvelles règles à la date d’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime de la garde à vue, ou, au plus tard, au 1er juillet 2011.
Le S.A.F. déplore qu’au nom du principe de sécurité juridique et de la bonne administration de la justice, la violation, par la France, des exigences conventionnelles qui s’imposent pourtant à elle, indépendamment de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, puisse perdurer pendant plusieurs mois.
Il demande que la législation française soit, dans les meilleurs délais, enfin mise en conformité avec les règles de la Convention européenne des droits de l’homme, s’étonne à cet égard qu’aucun calendrier parlementaire ne soit, en l’état, fixé, et souhaite que la procédure d’urgence, en l’espèce pleinement justifiée, soit utilisée.
Le Gouvernement doit donc nécessairement, et d’urgence, revoir entièrement sa copie et proposer au Parlement un texte qui mette la législation française en conformité avec les exigences conventionnelles et constitutionnelles.
Dès à présent, et sans attendre l’indispensable réforme législative, le SAF appelle tous les avocats à contester la validité de toutes les gardes à vue réalisées au mépris des droits fondamentaux reconnus par les plus hautes juridictions européennes et françaises : droit au silence, droit de ne pas s’auto-incriminer, droit à l’assistance d’un avocat pendant toute la garde à vue, y compris les interrogatoires, confrontations et perquisitions.
Le SAF continuera à se battre pour que la réforme garantisse effectivement les droits de nos concitoyens.
Paris, le 19 octobre 2010
Contact : saforg@orange.fr Tél.01 42 82 01 26
Jean Louis BORIE Président du SAF
06 07 13 09 37