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« Simone Weil, philosophe en résistance ! » Par Jean-Luc Pujo, président des Clubs "Penser la France"

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- Intervention prononcée par Jean-Luc Pujo, président des Clubs "Penser la France" à Béziers, le jeudi 20 décembre 2012, dans le cadre des Entretiens d’Olympe de Gouges sur le thème « Femmes en résistance » -

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- Remerciements -

 [Mesdames, Messieurs,

Mes premiers mots seront des remerciements. Ils seront triples.

Je veux ici remercier  M. Laurent Vassallo et l’IUT de Béziers pour avoir pris cette initiative heureuse, organiser des entretiens « Olympe de Gouges » en partenariat avec le portail d’information POLITIQUE-ACTU que j’ai l’honneur de diriger.

Je veux également remercier M. Laurent Vassallo pour cette invitation : participer à ce premier Entretien sur un thème aussi passionnant « Femmes en Résistance ».

Enfin, je veux remercier Mme Peggy ALBERT pour avoir accepté cet échange autour de deux figures intellectuelles françaises : Olympe de Gouges et Simone Weil.

Simone Weil aurait-elle pu exister en tant que femme et intellectuelle si Olympe de Gouges n’avait mené – un siècle plus tôt - ce combat historique pour l’émancipation et la reconnaissance des femmes : je ne le pense pas.]

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Simone Weil est une intellectuelle française étonnante. Sa lecture m’a enthousiasmé, car sa pensée est une des plus brillantes du XXème siècle.

Quel regret que sa disparition si rapide à l’âge de 34 ans !

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Je vous propose en un premier temps un rapide rappel biographique avant d’examiner son œuvre sous plusieurs angles plus politiques :

-1°) je vous propose - tout d’abord - une relecture de « L’Enracinement », une de ses œuvres majeures ;

-2°) Je vous invite – ensuite -  à illustrer cette pensée par l’examen de ces écrits historique et politique consacrés au Génie d’OC, à la civilisation occitane et notamment à Béziers dont elle parle à plusieurs reprises ;

3°) Enfin, je terminerai en vous proposant un dialogue – non pas un dialogue convenu - attendu - avec une Edith Stein ou une Hannah Arendt – mais plus original et surprenant … entre Simone Weil et Albert Camus.

I – ELEMENTS BIOGRAPHIQUE :

Des éléments biographiques tout d’abord.

Simone WEIL est née en 1909.

Elle est décédée en 1943 à Ashford en Angleterre, des suites de la tuberculose.

Nous fêterons en 2013 les 70 ans de sa disparition.

Elle est née dans une famille d’origine juive, mais agnostique. Elle est la fille d’un médecin, acquis à la pensée positiviste de la science de son époque. Elle est fortement marquée par son frère – André Weil – enfant prodige, de trois ans son aîné.

Elle obtient en 1925 le baccalauréat de philosophie à l’âge de 16 ans et entre au Lycée Henri IV où elle a pour professeur le philosophe ALAIN, qui restera son maître.

Elle entre à l’école normale supérieure en 1928 et obtient son agrégation de philosophie en 1931 et entame une carrière d’enseignante.

Enseignante au Puy, elle se joint au mouvement de grève des ouvriers, ce qui provoque un scandale.

Elle milite au sein de l’enseignement, écrit des revues et rejoint le cercle communiste démocratique de Boris Souvarine. Elle est communiste antistalinienne.

A l’été 1932, elle passe quelques semaines en Allemagne pour comprendre la montée en puissance du Nazisme et écrit dès son retour des articles dont il est dit qu’ils étaient d’une grande lucidité.

En 1934-35, elle abandonne provisoirement son métier d’enseignante pour travailler comme ouvrière chez Alstom puis chez Renault. Elle écrira ses impressions d’usine.

Sa mauvaise santé l’oblige à quitter l’Usine. Elle redevient enseignante et donne une partie de ses revenus à la « Caisse de Solidarité des mineurs ».

Elle prend part aux grèves de 1936 puis à la Guerre civile espagnole pour combattre Franco.

Petit à petit, elle se rapproche du christianisme à partir de l’année 1938 et sera accompagné par le Père Joseph-Marie Perrin  à Marseille où elle se réfugie en 1940 - 1942.

En 1942, elle emmène ses parents en sécurité aux Etats-Unis puis rejoint – elle-même – la Grande Bretagne où elle s’engage au sein de la France Libre du général de Gaulle, notamment comme rédactrice.

Déçu par le refus de l’organisation de la voir rejoindre  la résistance sur le terrain, elle quitte l’organisation de la France libre.

Elle décède au sanatorium d’Ashford, le 24 août 1943, à l’âge de 34 ans, atteinte de tuberculose.

D’après les témoignages du médecin légiste, elle se serait laissée mourir de faim.

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Parmi son œuvre je rappellerai notamment :

- « la condition ouvrière » - 1937;

- « la pesanteur et la Grâce » - 1940-1942;

- « Intuitions préchrétiennes » – 1942-43 ;

« L’agonie d’une civilisation vue à travers un poème épique » et « En quoi consiste « l’inspiration occitanienne » 1943 ;

« L’enracinement » – 1943 ;

« Les fameux « Cahiers » - 1942-1943 ;

Ce survol biographique sera complété par la lecture des biographies classiquement recommandées :

- « Simone Weil » par Huguette Bouchardeau (28 avril 1995) ;

- « La Vie de Simone Weil » par Simone Pétrement,  Paris, Fayard, 1973, seconde édition 1997.

Mais passons - si vous le voulez bien - au vif du sujet.

Je vous propose d’examiner une de ses œuvres magistrales : « L’enracinement 

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II – Une œuvre majeure : « L’enracinement »(1)

L’Enracinement  - publié en 1949 – est un texte magistral présenté comme « Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain ».

Ce livre se décompose en trois parties :

1 – Les besoins de l’âme ;

2 – Le déracinement ;

3  - L’enracinement ;

Dans la première partie – « Les besoins de l’âme » - Simone Weil va tenter de distinguer Droits et obligations qui fondent les rapports entre l'individu et sa collectivité.

Elle écrit :

« La notion d'obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond ; l'accomplissement effectif d'un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. »

Elle poursuit :

« L'obligation ne lie que les êtres humains. Il n'y a pas d'obligations pour les collectivités comme telles. (…)

Des obligations identiques lient tous les êtres humains, bien qu'elles correspondent à des actes différents selon les situations. Aucun être humain, quel qu'il soit, en aucune circonstance, ne peut s'y soustraire sans crime ;»

« L'imperfection d'un ordre social se mesure à la quantité de situations de ce genre qu'il enferme. » p.11

Et ce, depuis la nuit des temps de l’histoire de l’humanité …

« La conscience humaine n'a jamais varié sur ce point. Il y a des milliers d'années, les Égyptiens pensaient qu'une âme ne peut pas être justifiée après la mort si elle ne peut pas dire : « Je n'ai laissé personne souffrir de la faim. » Tous les chrétiens se savent exposés à entendre un jour le Christ lui-même leur dire : « J'ai eu faim et tu ne m’as pas donné à manger. » Tout le monde se représente le progrès comme étant d'abord le passage à un état de la société humaine où les gens ne souffriront pas de la faim. »

Alors bien sûr …

« Parmi ces besoins, certains sont physiques, comme la faim elle-même. Ils sont assez faciles à énumérer. Ils concernent la protection contre la violence, le logement, les vêtements, la chaleur, l'hygiène, les soins en cas de maladie. »

« D'autres, - poursuit Simone Weil - parmi ces besoins, n'ont pas rapport avec la vie physique, mais avec la vie morale (…) C'est-à-dire que s'ils ne sont pas satisfaits, l'homme tombe peu à peu dans un état plus ou moins analogue à la mort, plus ou moins proche d'une vie purement végétative,

Ils sont beaucoup plus difficiles à reconnaître et à énumérer que les besoins du corps. Mais tout le monde reconnaît qu'ils existent. »

Autre exemple …

« On doit le respect à un champ de blé, non pas pour lui-même, mais parce que c'est de la nourriture pour les hommes.

D'une manière analogue, on doit du respect à une collectivité, quelle qu'elle soit – patrie, famille, ou toute autre –, non pas pour elle-même, mais comme nourriture d'un certain nombre d'âmes humaines. »

Pourtant certaines collectivités nient ce besoin vital …

Elle précise : « Il arrive très souvent que le rôle soit renversé. Certaines collectivités, au lieu de servir de nourriture, tout au contraire mangent les âmes. Il y a en ce cas maladie sociale, et la première obligation est de tenter un traitement ; dans certaines circonstances il peut être nécessaire de s'inspirer des méthodes chirurgicales. »

Mais alors comment définir ces besoins de l’âme ?

« La première étude à faire est celle des besoins qui sont à la vie de l'âme ce que sont pour la vie du corps les besoins de nourriture, de sommeil et de chaleur. Il faut tenter de les énumérer et de les définir. »

Et Simone Weil de dresser la liste de ces besoins vitaux

L'Ordre, tout d’abord

« L’ordre » doit être compris dans l’articulation entre droit et obligation.

« Aujourd'hui,- écrit-elle -  il y a un degré très élevé de désordre et d'incompatibilité entre les obligations.

Quiconque agit de manière à augmenter cette incompatibilité est un fauteur de désordre.

 Quiconque agit de manière à la diminuer est un facteur d'ordre.

Quiconque, pour simplifier les problèmes, nie certaines obligations, a conclu en son cœur une alliance avec le crime. »

L’ordre consiste donc à mettre en place un équilibre qui satisfasse la réalisation maximale des obligations.

Ainsi, et c’est évident,  « Cet ordre est le premier des besoins, il est même au-dessus des besoins proprement dits. Pour pouvoir le penser, il faut une connaissance des autres besoins. »

Alors justement, quels sont les autres et véritables besoins de l’âme humaine ?

D’emblée, Simone Weil affirme :

« Une nourriture indispensable à l'âme humaine est la liberté. »

C'est-à-dire ?

« La liberté, au sens concret du mot, consiste dans une possibilité de choix. Il s'agit, bien entendu, d'une possibilité réelle. Partout où il y a vie commune, il est inévitable que des règles, imposées par l'utilité commune, limitent le choix. »

Autre besoin vital de l’âme humaine … l’Obéissance.

« Elle est de deux espèces : obéissance à des règles établies et obéissance à des êtres humains regardés comme des chefs. Elle suppose le consentement, non pas à l'égard de chacun des ordres reçus, mais un consentement accordé une fois pour toutes, sous la seule réserve, le cas échéant, des exigences de la conscience.»

 Mais il y faut aussi des limites.

« C'est pourquoi, là où un homme est placé pour la vie à la tête de l'organisation sociale, il faut qu'il soit un symbole et non un chef (…) ; il faut aussi que les convenances limitent sa liberté plus étroitement que celle d'aucun homme du peuple. »

Autre besoin : la Responsabilité.

« L'initiative et la responsabilité, le sentiment d'être utile et même indispensable, sont des besoins vitaux de l'âme humaine. »

Et avec beaucoup de modernité, elle s’interroge sur la condition ouvrière, sur celle du chômeur qui se retrouve alors sans initiative, sans responsabilité. Elle écrit :

« La privation complète à cet égard est le cas du chômeur, même s'il est secouru de manière à pouvoir manger, s'habiller et se loger. Il n'est rien dans la vie économique, et le bulletin de vote qui constitue sa part dans la vie politique n'a pas de sens pour lui.

Le manœuvre est dans une situation à peine meilleure. »

Et cette conclusion sans appel – comment ne pas la partager ?

« Toute collectivité, de quelque espèce qu'elle soit, qui ne fournit pas ces satisfactions à ses membres, est tarée et doit être transformée. »

Totalement d’accord.

Et puis l’Egalité ….

« Elle consiste – dit-elle - dans la reconnaissance publique, générale, effective, exprimée réellement par les institutions et les mœurs, que la même quantité de respect et d'égards est due à tout être humain, parce que le respect est dû à l'être humain comme tel et n'a pas de degrés. »

Quelle magnifique définition !

Et cet exemple éclairant :

« En temps de guerre, si une armée a l'esprit qui convient, un soldat est heureux et fier d'être sous le feu et non au quartier général ; un général est heureux et fier que le sort de la bataille repose sur sa pensée ; et en même temps le soldat admire le général et le général admire le soldat. Un tel équilibre constitue une égalité. Il y aurait égalité dans les conditions sociales s'il s'y trouvait cet équilibre.

Cela implique pour chaque condition des marques de considération qui lui soient propres, et qui ne soient pas des mensonges. »

Autre besoin … La Hiérarchie

« La vraie hiérarchie a pour effet d'amener chacun à s'installer moralement dans la place qu'il occupe »

Le respect de la hiérarchie appelle … «  Une certaine vénération, un certain dévouement à l'égard des supérieurs, considérés non pas dans leurs personnes ni dans le pouvoir qu'ils exercent, mais comme des symboles. Ce dont ils sont les symboles, c'est ce domaine qui se trouve au-dessus de tout homme et dont l'expression en ce monde est constituée par les obligations de chaque homme envers ses semblables. »

Et l’Honneur

« Le respect dû à chaque être humain comme tel, même s'il est effectivement accordé, ne suffit pas à satisfaire ce besoin ; car il est identique pour tous et immuable. » (…)

« Par exemple, pour que le besoin d'honneur soit satisfait dans la vie professionnelle, il faut qu'à chaque profession corresponde quelque collectivité réellement capable de conserver vivant le souvenir des trésors de grandeur, d'héroïsme, de probité, de générosité, de génie, dépensés dans l'exercice de la profession. » (…)

« Le degré extrême de la privation d'honneur est la privation totale de considération infligée à des catégories d'êtres humains. Tels sont en France, avec des modalités diverses, les prostituées, les repris de justice, les policiers, le sous-prolétariat d'immigrés et d'indigènes coloniaux... De telles catégories ne doivent pas exister.»

Puis le Châtiment

« (…) le châtiment le plus indispensable à l'âme est celui du crime. Par le crime un homme se met lui-même hors du réseau d'obligations éternelles qui lie chaque être humain à tous les autres. Il ne peut y être réintégré que par le châtiment, pleinement s'il y a consentement de sa part, sinon imparfaitement. »

« Il faut que le châtiment soit un honneur, que non seulement il efface la honte du crime, mais qu'il soit regardé comme une éducation supplémentaire qui oblige à un plus grand degré de dévouement au bien public.»

Et Simone Weil de dénoncer comme risque politique supérieur « l’impunité », « un des problèmes politiques les plus difficiles à résoudre ».

Autre besoin … La liberté d’opinion.

« (…) la liberté d'expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu'elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l'intelligence. »

Simone Weil aborde là plusieurs aspects d’expression de la liberté d’opinion : le syndicalisme, la politique, la presse, - et porte un regard sans concession.

Des syndicats : « s’il y reste encore une étincelle de vie véritable – visiblement elle en doute -,  ils pourraient redevenir peu à peu l’expression de la pensée ouvrière, l’organe de l’honneur ouvrier »

Elle dénonce - dans cet esprit - les partis politiques :

 « La solution pratique immédiate, c'est l'abolition des partis politiques. La lutte des partis, telle qu'elle existait dans la Troisième République, est intolérable ; le parti unique, qui en est d'ailleurs inévitablement l'aboutissement, est le degré extrême du mal ; il ne reste d'autre possibilité qu'une vie publique sans partis. »

« Aujourd'hui, pareille idée sonne comme quelque chose de nouveau et d'audacieux. Tant mieux, puisqu'il faut du nouveau. Mais en fait c'est simplement la tradition de 1789. (…) Une vie publique telle que la nôtre au cours du dernier demi-siècle aurait paru - aux yeux des gens de 1789 - un hideux cauchemar ; ils n'auraient jamais cru possible qu'un représentant du peuple pût abdiquer sa dignité au point de devenir le membre discipliné d'un parti. »

Que ces sentences sonnent douloureusement à nos oreilles en ce début de XXIème siècle …

Autre besoin … la Sécurité.

« La sécurité signifie que l'âme n'est pas sous le poids de la peur ou de la terreur. La peur ou la terreur, comme états d'âme durables, sont des poisons presque mortels, que la cause en soit la possibilité du chômage, ou la répression policière, ou la présence d'un conquérant étranger, ou l'attente d'une invasion probable, ou tout autre malheur qui semble surpasser les forces humaines. »

Autre besoin … Le Risque 

C’est le piquant de la vie …

 « Le risque est un danger qui provoque une réaction réfléchie ; c'est-à-dire qu'il ne dépasse pas les ressources de l'âme au point de l'écraser sous la peur. Dans certains cas, il enferme une part de jeu ; dans d'autres cas, quand une obligation précise pousse l'homme à y faire face, il constitue le plus haut stimulant possible. »

Et ces propos d’une étonnante modernité ... concernant la propriété.

Privée tout d’abord :

« L'âme est isolée, perdue, si elle n'est pas dans un entourage d'objets qui soient pour elle comme un prolongement des membres du corps.»

« Si la propriété privée est reconnue comme un besoin, cela implique pour tous la possibilité de posséder autre chose que les objets de consommation courante. »

« (…) il est désirable que la plupart des gens soient propriétaires de leur logement et d'un peu de terre autour, et, quand il n'y a pas impossibilité technique, de leurs instruments de travail »

Et son pendant … La Propriété collective

Avec des propositions révolutionnaires …

« Là où il y a véritablement une vie civique, chacun se sent personnellement propriétaire des monuments publics, des jardins, de la magnificence déployée dans les cérémonies, et le luxe que presque tous les êtres humains désirent est ainsi accordé même aux plus pauvres. Mais ce n'est pas seulement l'État qui doit fournir cette satisfaction, c'est toute espèce de collectivité. »

Enfin, le dernier des besoins – supérieur …La Vérité

« Le besoin de vérité est plus sacré qu'aucun autre. Il n'en est pourtant jamais fait mention. »

« Il y a des hommes qui travaillent huit heures par jour et font le grand effort de lire le soir pour s'instruire. Ils ne peuvent pas se livrer à des vérifications dans les grandes bibliothèques. Ils croient le livre sur parole. On n'a pas le droit de leur donner à manger du faux. »

« À plus forte raison est-il honteux de tolérer l'existence de journaux dont tout le monde sait qu'aucun collaborateur ne pourrait y demeurer s'il ne consentait parfois à altérer sciemment la vérité. »

«  Tout le monde sait que, lorsque le journalisme se confond avec l'organisation du mensonge, il constitue un crime. »

Et Simone Weil de décrire un mécanisme où la lutte contre le mensonge serait une mission partagée par tous.

« Dans ce système, il serait permis à n'importe qui, ayant reconnu une erreur évitable dans un texte imprimé ou dans une émission de la radio, de porter une accusation devant ces tribunaux. »

« Il n'y a aucune possibilité de satisfaire chez un peuple le besoin de vérité si l'on ne peut trouver à cet effet des hommes qui aiment la vérité. »

Il faut s’accoutumer à aimer la vérité ! nous dit Simone Weil.

***

Voilà définie les besoins de l’âme humaine : L'Ordre - La Liberté -  L’Obéissance - La Responsabilité - L’Égalité - La Hiérarchie - L'Honneur - Le Châtiment - La Liberté d’opinion - La Sécurité - Le Risque - La Propriété privée - La Propriété collective - La Vérité.

***

Dans une seconde partie – « Le déracinement » - Simone Weil va décrire le mal de notre siècle. Nous y sommes encore.

Il faut à l’Homme un enracinement !

« L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie »

Or,

« Il y a déracinement toutes les fois qu'il y a conquête militaire, et en ce sens la conquête est presque toujours un mal. Le déracinement est au minimum quand les conquérants sont des migrateurs qui s'installent dans le pays conquis, se mélangent à la population et prennent racine eux-mêmes. Tel fut le cas des Hellènes en Grèce, des Celtes en Gaule, des Maures en Espagne. Mais quand le conquérant reste étranger au territoire dont il est devenu possesseur, le déracinement est une maladie presque mortelle pour les populations soumises. »

« Même sans conquête militaire, le pouvoir de l'argent et la domination économique peuvent imposer une influence étrangère au point de provoquer la maladie du déracinement. »

«  L'argent détruit les racines partout où il pénètre, en remplaçant tous les mobiles par le désir de gagner. Il l'emporte sans peine sur les autres mobiles parce qu'il demande un effort d'attention tellement moins grand. Rien n'est si clair et si simple qu'un chiffre. 

Simone Weil va alors décrire deux situations de déracinement :

-         « Le déracinement ouvrier »

-         « Le déracinement paysan »

Puis traiter de l’incidence entre : « Déracinement et nation »

- A - « Le Déracinement ouvrier » tout d’abord

Elle écrit : « Il est une condition sociale entièrement et perpétuellement suspendue à l'argent, c'est le salariat, (…) C'est dans cette condition sociale que la maladie du déracinement est la plus aiguë. »

« Le chômage est, bien entendu, un déracinement à la deuxième puissance. »

Et de poursuivre sur les ouvriers eux-mêmes …

« Ils ne sont chez eux ni dans les usines, ni dans leurs logements, ni dans les partis et syndicats soi-disant faits pour eux, ni dans les lieux de plaisir, ni dans la culture intellectuelle s'ils essayent de l'assimiler. »

« (…)  le second facteur de déracinement est l’instruction telle qu'elle est conçue aujourd'hui.»

«(…) le désir d'apprendre pour apprendre, le désir de vérité est devenu très rare. Le prestige de la culture est devenu presque exclusivement social, aussi bien chez le paysan qui rêve d'avoir un fils instituteur ou l'instituteur qui rêve d'avoir un fils normalien, que chez les gens du monde qui flagornent les savants et les écrivains réputés. »

Et par des mécanismes de sélections contestables…

« Les examens exercent sur la jeunesse des écoles le même pouvoir d'obsession que les sous sur les ouvriers qui travaillent aux pièces. Un système social est profondément malade quand un paysan travaille la terre avec la pensée que, s'il est paysan, c'est parce qu'il n'était pas assez intelligent pour devenir instituteur. »

Et cette sentence :

« Qui est déraciné déracine. Qui est enraciné ne déracine pas. »

Des exemples historiques …

« Les Romains étaient une poignée de fugitifs qui se sont agglomérés artificiellement en une cité ; et ils ont privé les populations méditerranéennes de leur vie propre, de leur patrie, de leur tradition, de leur passé, à un degré tel que la postérité les a pris, sur leur propre parole, pour les fondateurs de la civilisation sur ces territoires. Les Hébreux étaient des esclaves évadés, et ils ont exterminé ou réduit en servitude toutes les populations de Palestine. Les Allemands, au moment où Hitler s'est emparé d'eux, étaient vraiment, comme il le répétait sans cesse, une nation de prolétaires, c'est-à-dire de déracinés ; l'humiliation de 1918, l'inflation, l'industrialisation à outrance et surtout l'extrême gravité de la crise de chômage avaient porté chez eux la maladie morale au degré d'acuité qui entraîne l'irresponsabilité.

Les Espagnols et les Anglais qui, à partir du XVIe siècle, ont massacré ou asservi des populations de couleur étaient des aventuriers presque sans contact avec la vie profonde de leur pays.

Il en est de même pour une partie de l'Empire français, qui d'ailleurs a été constitué dans une période où la tradition française avait une vitalité affaiblie. »

***

Simone Weil va alors  dénoncer les carences du système capitaliste, la négligence des patrons ; décrire les nécessités de la formation de la jeunesse ouvrière, etc.

Puis s’attacher à dénoncer les obstacles à la culture ouvrière :

- 1° les obstacles matériels – tout d’abord :

« Les obstacles matériels – manque de loisir, fatigue, manque de talent naturel, maladie, douleur physique – gênent pour l'acquisition des éléments inférieurs ou moyens de la culture, non pour celle des biens les plus précieux qu'elle enferme. »

2° le second obstacle est qu’à la condition ouvrière correspond une disposition particulière de la sensibilité ;

Elle écrit : « Le second obstacle à la culture ouvrière est qu'à la condition ouvrière, comme à toute autre, correspond une disposition particulière de la sensibilité. Par suite, il y a quelque chose d'étranger dans ce qui a été élaboré par d'autres et pour d'autres.

Le remède à cela, c'est un effort de traduction. Non pas de vulgarisation, mais de traduction, ce qui est bien différent. »

- 3° le troisième obstacle, c’est l’esclavage ;

« La pensée est par essence libre et souveraine, quand elle s'exerce réellement. Être libre et souverain, en qualité d'être pensant, pendant une heure ou deux, et esclave le reste du jour, est un écartèlement tellement déchirant qu'il est presque impossible de ne pas renoncer, pour s'y soustraire, aux formes les plus hautes de la pensée. »

Alors, quelle solution ?

« Une culture ouvrière a pour condition un mélange de ceux qu'on nomme les intellectuels (…) avec les travailleurs. » p.96

« En résumé, la suppression de la condition prolétarienne, qui est définie avant tout par le déracinement, se ramène à la tâche de constituer une production industrielle et une culture de l'esprit où les ouvriers soient et se sentent chez eux. »

Simone Weil conclu avec des propositions révolutionnaires.

« Il est donc urgent d'examiner un plan de réenracinement ouvrier, dont voici, en résumé, une esquisse possible. »

 « Les grandes usines seraient abolies » p.98 ;

« Le travail n'y serait que d'une demi-journée, le reste devant être consacré aux liens de camaraderie, à l'épanouissement d'un patriotisme d'entreprise, à des conférences techniques pour faire saisir à chaque ouvrier la fonction exacte des pièces qu'il produit (…) À cela s'ajouterait de la culture générale. Une université ouvrière serait voisine de chaque atelier central de montage. » p.99

Après le déracinement ouvrier, Simone Weil aborde celui des paysans.

B - « Le Déracinement paysan »

« Le problème du déracinement paysan n'est pas moins grave que celui du déracinement ouvrier. Quoique la maladie soit moins avancée, elle a quelque chose d'encore plus scandaleux ; car il est contre nature que la terre soit cultivée par des êtres déracinés. Il faut accorder la même attention aux deux problèmes. » p.104

« Un des symptômes les plus graves a été, il y a sept ou huit ans, le dépeuplement des campagnes se poursuivant en pleine crise de chômage.

Il est évident que le dépeuplement des campagnes, à la limite, aboutit à la mort sociale.» p.106

« Le complexe d'infériorité dans les campagnes est tel qu'on voit des paysans millionnaires trouver naturel d'être traités par des petits bourgeois retraités avec une hauteur de coloniaux envers des indigènes. Il faut qu'un complexe d'infériorité soit très fort pour ne pas être effacé par l'argent. » p.108

« Le besoin d'enracinement, chez les paysans, a d'abord la forme de la soif de propriété. C'est vraiment une soif chez eux, et une soif saine et naturelle. » p.109

« Une mesure qui toucherait le cœur des paysans serait celle par laquelle on déciderait de regarder la terre comme un moyen de travail, et non comme une richesse dans la répartition des héritages. Ainsi on ne verrait plus le spectacle scandaleux d'un paysan endetté tout au cours de sa vie envers un frère fonctionnaire qui travaille moins et gagne davantage. » P.109

Des solutions ?

« Des retraites, même minimes, pour les vieillards auraient peut-être une grande portée. L'humiliation des vieux est souvent grande à la campagne, et un peu d'argent, accordé avec des formes honorables, leur donnerait du prestige. » p.110

« Un petit paysan commence à labourer seul vers quatorze ans ; le travail est alors une poésie, une ivresse, quoique ses forces y suffisent à peine. Dans les villages les plus chrétiens, une telle fête devrait avoir un caractère religieux. » p.110

« Il faudrait donner à tous les jeunes paysans la possibilité de voyager sans dépenses d'argent, en France et même à l'étranger, non pas dans les villes, mais dans les campagnes. » P.110 (tour de France)

Et les choses de l’esprit p.114-115

« Le problème de la culture de l'esprit se pose pour les paysans comme pour les ouvriers. À eux aussi il faut une traduction qui leur soit propre ; elle ne doit pas être celle des ouvriers.

Pour tout ce qui concerne les choses de l'esprit, les paysans ont été brutalement déracinés par le monde moderne. Ils avaient auparavant tout ce dont un être humain a besoin comme art et comme pensée, sous une forme qui leur était propre, et de la meilleure qualité. (…) Il faut inventer des méthodes pour empêcher que les paysans restent étrangers à la culture d'esprit qui leur est offerte. »

« La première condition d'un réenracinement moral de la paysannerie dans le pays, c'est que le métier d'instituteur rural soit quelque chose de distinct, de spécifique (…) mais totalement autre que celle d'un instituteur des villes. »

« La deuxième condition est que les instituteurs ruraux connaissent les paysans et ne les méprisent pas, ce qu'on n'obtiendra pas simplement en les recrutant dans la paysannerie.»

De même écrit-elle …

« Il serait bien avantageux aussi que les Églises fassent de la condition de curé ou pasteur de village quelque chose de spécifique. »

Et cette conclusion magistrale qui nous concerne encore :

« Notre époque a pour mission propre, pour vocation, la constitution d'une civilisation fondée sur la spiritualité du travail. » P.125

« Les populations malheureuses du continent européen ont besoin de grandeur encore plus que de pain, et il n'y a que deux espèces de grandeur, la grandeur authentique, qui est d'ordre spirituel, et le vieux mensonge de la conquête du monde. La conquête est l'ersatz de la grandeur. »

« La forme contemporaine de la grandeur authentique, c'est une civilisation constituée par la spiritualité du travail.» P .127

Et ces mots conclusifs …

« Une civilisation constituée par une spiritualité du travail serait le plus haut degré d'enracinement de l'homme dans l'univers, par suite l'opposé de l'état où nous sommes, qui consiste en un déracinement presque total. Elle est ainsi par nature l'aspiration qui correspond à notre souffrance. » p.129

Après le déracinement ouvrier et le déracinement paysan, Simone Weil aborde l’incidence entre : « Déracinement et nation ».

-  C - Puis traiter de l’incidence entre : « Déracinement et nation »

LIRE LA SUITE :

SIMONE WEIL, philosophe en résistance (Suite n°1)

Commentaires

de Paul De Florant
Simone Weil, une pensée exceptionnelle - Un ressourcement spirituel ... intervention de Jean-Luc Pujo - jeudi 20 décembre dernier. Pour respirer sur les cimes ... Bravo Jluc pour ce travail.
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03 January - 18h54

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