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« L’IMPRECATEUR » de René-Victor Pilhes

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[Ce roman offre aux lecteurs de pénétrer le système des entreprises multinationales et leur révèle  le fonctionnement de notre système financier mondial – publié en 1974, ce roman est un des plus modernes de la littérature mondiale sur le sujet - Il a obtenu le prix Médicis en 1974 -  A RELIRE d'urgence]

***

Que se passe-t-il dans ce livre ? Une entreprise multinationale mythique, c’est à dire plus puissante encore que les plus grandes entreprises multinationales existantes, dont les cadres et les dirigeants sont encore meilleurs et plus  » performants  » que ceux qui sont à l’oeuvre dans la réalité d’aujourd’hui, dont les produits sont encore plus parfaits et mieux vendus, eh bien voici que cette entreprise multinationale  » américaine et géante  » où, à priori,  » tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes  » va soudain connaitre des troubles mortels d’un ennemi inconnu et que personne n’attendait : l’ Imprécateur.

Un matin, les collaborateurs de cette entreprise en arrivant à leur travail trouvent tous sur leur bureau un rouleau de papier qui va soulever plusieurs problèmes.
Qui a distribué ce rouleau pendant la nuit ? Comment a-t-on pu distribuer ces rouleaux sans être vu par le personnel de sécurité ? Que signifie tout cela ? Le mystère s’aggrave quand on lit ce qui est écrit sur ces rouleaux. Telle est l’anomalie qui va déclencher les troubles et finalement dérégler puis détruire cette merveilleuse organisation économique qu’est l’entreprise en question.

L’Imprécateur raconte donc l’histoire d’un combat étrange entre des forces inconnues, mystérieuses, irrationnelles, occultes, et ce que le monde occidental a de mieux, de plus moderne, de plus exemplaire en cette fin de siècle, et qu’il présente comme tel : ses organisations technologiques, financières, administratives, économiques, qui se déploient partout dans le monde. Dans la hiérarchie des valeurs et des exemples, les  » managers « , les chefs de la  » guerre économique mondiale  » ont remplacé les instituteurs, les prêtres, les artistes, les militaires, les philosophes, les serviteurs de l’état. Harvard Business School est devenue le creuset des nouvelles élites mondiales. Or, voici que dans l’entreprise de l’Imprécateur, ces élites, ces généraux arrogants et vaniteux de la guerre économique, se trouvent devant une situation et un problème inconnu d’eux et dont aucun maître ne leur a jamais parlé dans leurs écoles : comment réagir quand un être mystérieux et insaisissable distribue la nuit, en toute impunité, des rouleaux sur toutes les tables, comment interpréter ce qui est écrit sur ces rouleaux, comment démasquer ce bouffon démoniaque ainsi que ses noirs desseins ? L’entreprise multinationale la plus puissante et la plus admirée de cette fin de siècle va-t-elle succomber sous des coups aussi ridicules et s’incliner devant les manoeuvres tordues d’un adversaire aussi grotesque ?

L’Imprécateur est donc une sorte de récit fantastique doublé d’un conte moral. L’auteur ne l’a pas écrit par hasard. Avant de se consacrer exclusivement à la littérature, il a exercé de nombreuses années le métier de la publicité. Il a même été l’un des dirigeants de la plus grande agence de publicité française. Il a donc occupé une position privilégiée pour qui veut observer le monde économique. En effet, par définition, les agences de publicité sont au centre du dispositif économique puisque leurs clients sont les entreprises. Toutes les sortes d’entreprises : des petites, des moyennes, des grandes. Il a donc vu arriver cette nouvelle race de seigneurs, cette nouvelle élite : les managers. Il a observé la montée de l’idée selon laquelle désormais rien ne comptait plus vraiment que l’économie, la vie de l’entreprise, avant même la vie de famille ou la tentative de se cultiver. Il s’est dit que cela ne pourrait pas marcher. Que l’humanité ne pourrait pas s’accrocher aux basques des entreprises et de l’économie, que l’homme ne pouvait vivre seulement de  » cash-flow  » et de publicité. Il a donc imaginé de donner, en quelque sorte, une leçon à cette société occidentale emportée par sa frénésie de consommation et son adoration des managers, ses nouvelles idoles. Alors il a composé ce livre qui fut traduit en plus de 20 langues. Et qui représente l’un des plus gros succès romanesque depuis 1945. Ce qui prouve qu’il a frappé au point sensible. Ce livre ne signifie pas que l’auteur soit résolument opposé a la fabrication de produits en grande série. Il pense au contraire que la population du globe doit trouver son bien-être en accédant à ce qu’on a appelé la  » grande consommation  ». Le roman signifie simplement que l’économie et le matérialisme doivent être contrôlé, cantonnés à leur place, et qu’ils ne peuvent en aucun cas se substituer à la culture et aux religions de l’homme, encore moins donner à la vie son sens véritable.

En 1974, alors que la situation économique des grands pays occidentaux commence à se fragiliser en raison d’une augmentation significative des prix du pétrole, René-Victor Pilhes sort au Seuil L’Imprécateur, un livre qui va marquer rapidement les esprits. Encensé par la presse, envisagé un temps pour le Goncourt – qui sera finalement attribué à La Dentellière de Pascal Lainé (Gallimard) – il obtient finalement le prix Femina. C’est à l’occasion de sa réédition récente chez Points Seuil que nous avons décidé de relire L’imprécateur pour le confronter à la crise actuelle et démontrer qu’il n’a pas perdu de son actualité près de quarante ans après.

Le roman entre très vite dans le vif du sujet rendant la tension palpable dès les premiers mots : Je vais vous raconter l’histoire de l’effondrement et de la destruction de la filiale française de la compagnie multinationale Rosserys & Mitchell. Qu’a-t-il bien pu se passer pour que l’une de ces sociétés aux reins solides s’effondre comme un château de cartes ? Le suspense dans l’Imprécateur est omniprésent, il sert le livre par les interrogations qu’il pose. Cette chute n’est pas la résultante de problèmes technologiques touchant la production, ou de grèves et manifestations effrayant les actionnaires et enclenchant l’effondrement de l’action en bourse. Non tel un ver dans une pomme, le mal viendra sournoisement de l’intérieur même et emportera tout sur son passage.

Comment cette chute a bien pu prendre forme ? Tout commence avec la mort d’un cadre majeur, Arangrude, sous-directeur du marketing pour le Benelux. Cette mort en soit ne laisse rien présager de bon, et, même si elle fait partie de la vie d’une grande firme, elle a le mérite de poser le climat dans lequel vont évoluer les personnages. Tout s’accélère ensuite lorsque les employés découvrent sur leur bureau un mystérieux rouleau contenant un message à leur intention, à mi-chemin entre le cours magistral d’économie et la satire du système et de la politique menée par les dirigeants avec à leur tête Saint-Ramé, le directeur général. Nous le découvrirons au fil du récit la société décrite ici et qui ressemble tristement à la notre semble vouée à fabriquer n’importe quel produit pourvu qu’il soit nouveau, faute de quoi notre système est ainsi fait qu’il s’écroulera à la moindre faiblesse, au plus petit raté (…) Trouvez-vous cela normal, d’inventer sans cesse non pour satisfaire des besoins mais pour nourrir la machine économique ?  C’est donc ce système, fragile et pernicieux qui est pointé du doigt car il met en évidence le décalage qui existe entre le besoin de tout un chacun, somme toute facile à satisfaire et celui des entreprises, qui doivent en créer de nouveaux pour subsister. Spirale sans fin qui possède en elle ses propres limites. Au fur et à mesure que l’histoire se déroule, que l’imprécateur assène ses messages, la tension croît au point que l’équilibre même de la multinationale semble rompu. L’auteur insiste ainsi, au travers de ce récit, sur les compromissions entre économie et politique qui gangrènent la société au point de la fragiliser aux moindres soubresauts des marchés mondiaux. René-Victor Pilhes nous confiait récemment que dès qu’une organisation économique et financière usurpe ses rôles et fonctions, se substitue aux organisations politiques ou religieuses afin non seulement de dominer un marché mais le monde et l’humanité, elle est punie et elle est vouée à s’effondrer. «Faire du monde une seule et immense entreprise? » Non. C’est cela l’Imprécateur.

Le roman aurait très bien pu se poser uniquement sur le volet politique mais ce n’est pas le but recherché par son auteur qui a lui-même travaillé dans une de ces firmes tentaculaires. Non René-Victor Pilhes va diriger son récit sur l’analyse même des comportements humains, en l’occurrence ceux des cadres dirigeants. Là réside sa grande force. Car au-delà des CV à rallonge que l’auteur met en évidence, au-delà des connaissances et des compétences économiques acquises, ces hommes semblent finalement redevenir quelconques dès lors qu’un problème dépassant leurs « compétences » survient. L’imprécateur sera en ce sens l’élément déclencheur de cette chute, car il va instaurer au sein même du bureau dirigeant doutes et paranoïa. Et cela va s’intensifier au fur et à mesure que le roman avance jusqu’à cette scène surréaliste dans les profondeurs de la firme, lorsque le gratin va s’engouffrer dans les sous-sols pour essayer de piéger celui qui leur échappe. Le spectacle pitoyable qu’offraient ces messieurs déguisés, boueux, grelottants, rassemblés dans cette sorte de crypte, méfiants, haineux, incapables de réagir, témoignait de la faillite des rapports humains qu’ils avaient fait semblant d’instaurer entre eux. Individualisme, arrogance, suffisance, mépris, dédain pour l’homme même. Alors que l’écoute doit présider à toute relation, nous découvrons des hommes fermés sur eux-mêmes, prêts à dénoncer l’autre pour gagner du temps sur leur irrémédiable chute, bref ces hommes à qui des millions d’années ont été nécessaires pour s’élever au-dessus de l’animal, y revien(nen)t parfois et pour son (leur) malheur en une ou deux secondes. Les mots sont forts, pesés par leur auteur, ils n’en deviennent que plus terribles au regard de ce que devient notre société et sa (fameuse) loi des marchés. Les failles du système, même si elles apparaissent avec une évidente limpidité, ne semblent pas remises en cause. Serions-nous devenus les êtres passifs d’une société gangrenée et délétère prête à gagner les abysses décrites dans L’Imprécateur ? Même si nous avons la force, ou la folie de ne pas y croire, notre avenir semble bien se diriger vers cette vision que nous livrait René-Victor Pilhes pour qui à l’évidence, malgré des apparences, les dirigeants asservissent en plein 21ème siècle, le monde du travail, soit à la chinoise, soit à la France-Télécom. L’imprécateur a connu un immense succès sur un malentendu : on y a le plus souvent vu une satire des cadres alors qu’il était d’une chute mortelle de « la maison Rosserys and Mitchell ». Voyez la situation morbide et pré-révolutionnaire de l’économie et de la finance dans le monde, songez à ce qui se passera un de ces jours aux USA et ailleurs, la « crise » n’ayant à rien servi. Ma multinationale détraquée est plus que jamais sous nos yeux, en symbole, et c’est pourquoi le roman tient et est si moderne. Mais on n’en fait plus la même lecture que jadis.

Un roman d’une grande modernité donc, qui pourrait servir de base à une étude des carences de notre système, près de quarante ans après son écriture… Un incontournable…

René-Victor Pilhes – L’Imprécateur – Points Seuil – 2002 (rééd. 2010) – 7 euros

SOURCE :

http://renevictorpilhes.wordpress.com/oeuvres/l-imprecateur/

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CADEAUX : à LIRE  absolument !

NOUVEAU RÉALISME, NOUVELLE MONNAIE:

L’ÉCONOMIE DES SIGNES DANS L’IMPRÉCATEUR DE RENÉ-VICTOR PILHES

Nathalie Buchet Rogers

Wellesley College

ou sur POLITIQUE-ACTU 

Etude américaine de Wellesley sur l’Imprécateur

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