"La mort de Pierre Bérégovoy - Dominique Labarrière " critique de M. Hubert de CHAMPRIS
[Exclusivité Politique-actu.com]
Dominique Labarrière, La mort de Pierre Bérégovoy, La Table Ronde, 160 p., 16 €.
Il y a peu, la chaîne de télévision privée Métropole 6 diffusait un documentaire prétendant vous démontrer que la thèse officielle était la bonne : Pierre Bérégovoy, ancien Premier Ministre de François Mitterrand s’était bien suicidé le 1er mai 1993. Parallèlement, la chaîne publique France 2, soit la chaîne d’Etat, «voie de la France» pour reprendre les termes employés par Georges Pompidou, prenait le contre-pied, laissant poindre l’assassinat de l’homme d’Etat. Ne sont-ce pas là des faits paradoxaux, sinon contradictoires qui nous vont dire que, décidément, l’ex ORTF n’est plus la porte-parole autorisée de la vision officielle des choses.. ? Car, convenons-en, il doit en avoir une, et relative à tous les secteurs de la vie, la vérité, dans une république qui se respecte, devant,- à vrai dire, ne pouvant - être réservée qu’aux initiés.
Cela tombe bien. Car la question se réduit à celle-ci : peut-on se faire une religion de ces choses-là ? J.-F. Kennedy dut-il au seul Lee-Harvey Oswald de trépasser à Dallas le 22 novembre 1963 ? Ou le complexe militaro-industriel, le vice-Président Johnson, la mafia, Cuba et l’URSS ont-ils agi en sous mains ? Vous avez le choix, et autant d’essais très documentés à l’appui de chaque version. Robert Boulin s’est-il noyé tout seul en 1979 ? Un peu anatomopathologie vous en fait douter et les services spéciaux savent rédiger les lettres d’adieux. Mais, plus largement, l’Histoire n’est-elle pas la science chargée de réduire les mystères en énigmes, lesquelles seraient, par vocation et longueur de temps destinées à se voir résolues.
On nage ici dans le domaine des convictions, d’autant moins convaincantes qu’elles sont intimes. Si vous ajoutez que le doute doit profiter à l’accusé, vous êtes encore moins avancé pour la bonne raison que ces deux principes à la fois s’épaulent et se contredisent : vous pouvez parfaitement éprouver au fond de vous une conviction qui cohabite avec un zeste de doute qui prend sa source dans le fait même que votre position n’est qu’une conviction, c’est-à-dire un avis dont vous ne pouvez imparablement démontrer l’absolu bien-fondé.
Il nous semble en être ainsi en regard des causes de la disparition de Pierre Bérégovoy. Vivait-il alors une phase dépressive ? Sa veuve nous assure du contraire. Mais ce n’est pas un argument suffisant. Beaucoup croit connaître leurs proches et en ignorent tout, même ce qui devrait sauter aux yeux. Surtout peut-on être suicidaire et ne pas mourir de son suicide. Le fameux prêt ? Une ridicule affaire. Il avait commencé à le rembourser et les circonstances dans lesquelles il avait été contracté montrent en elles-mêmes que Bérégovoy était un honnête homme, ses chaussettes mal assorties dont Pierre Joxe se gaussait confirmant l’homme trop pur perdu dans un panier de crabes. En fait, à l’instar des hommes idéalistes, intègres, psychorigides et, parfois, presque naïfs, le maire de Nevers en avait peut-être trop sous-entendu dans son discours à la Chambre qui le voyait agiter une liste de politiciens malfrats : il est beaucoup plus dangereux de sous-entendre que l’on peut dire que de nommer et, sans autre forme de procès, accuser. Donc, Bérégovoy manœuvre pour qu’on le laisse un moment seul au bord de ce canal. Une infirmière coureuse et un autre jeune homme au moins entendirent deux coups de feu (il est vrai que Bérégovoy a pu tirer en l’air pour essayer son revolver avant de le braquer contre sa tempe). La balle paraît avoir suivi un curieux parcours, pour ressortir par le haut du crâne. Un peu comme chez Boulin, il y eut du cafouillage sur la certification de l’heure effective de la mort. Le compte-rendu d’autopsie est, comme dirait l’autre, abracadabrantesque : sa conclusion ne peut découler de ses constatations.
Le dernier premier ministre de Mitterrand était sans doute anxieux. Il savait qu’il avait rendez-vous, mais pas avec lui-même.
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