"Les Cafés Républicains dans l’Histoire" par Valentin MARTIN

Danton, Marat et Robespierre au Café de la rue du Paon.

« C’était dans ce café que se rencontraient parfois à peu près secrètement des hommes tellement puissants et tellement surveillés qu’ils hésitaient à se parler en public. C’était là qu’avait été échangé, le 23 octobre 1792, un fameux baiser entre la Montagne et la Gironde…» (Victor Hugo, Quatre-vingt Treize)

Un lieu discret...

Interdits ou surveillés de près, les associations politiques ont depuis le XVIII ème s. affectionné les cafés pour leurs réunions. Pendant la Révolution, ils abritent les sièges des sociétés patriotiques et autres clubs. Le Procope accueille tour à tour le Club des Cordeliers, très proche des classes populaires, ou le Club des Jacobins, plus élitiste

De là, à l’abri des regards, partent les émeutes et les coups d'Etat de demain. C’est sur une table du café de Foy que monte Camille Desmoulins, le 13 juillet 1789, veille de la prise de la Bastille, appelant la foule aux armes. : «Des bataillons suisses et allemands sont groupés dans le Champ de Mars, ils en sortiront pour nous égorger. Il ne nous reste plus qu'une seule ressource, c'est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître. »

Sous l’Occupation également, des cafés comme le café Flore ont servi de refuges à diverses initiatives de résistance.

Mais pour être discret, à la différence du cercle ou du salon, le café reste populaire car ouvert à tous. En cela il est l’emblème des républicains. Fréquenté par Diderot, Rousseau, Franklin, Voltaire, un café comme le Procope a pu être appelé l’ « autel républicain ». A la mort de Voltaire, Marat et Saint-Fargeau, leurs cendres y ont même été exposées.

Un lieu stratégique...

Parce qu’il est discret et qu’il constitue souvent un terrain neutre, il a permis à des politiques de faire des alliances efficaces. C’est dans une arrière-salle du café de la Rue du Paon que s’échange un 23 octobre 1792, le « fameux baiser entre la Montagne et la Gironde » dont parle Hugo.

Ils favorisent les unions, comme ils peuvent favoriser les dissensions. Lieux du contre-pouvoir, les cafés abritent un tel bouillonnement intellectuel et politique qu’ils peuvent aussi exaspérer leurs contemporains. C’est qu’il est le lieu idéal de la contestation et de l’opposition, mais pas celui du gouvernement.  C’est ainsi qu’Hugo dans son Quatre-vingt treize  fait dire à Marat, qui lui-même avait fait ses premières armes au café Procope, que le seul péril à affronter pour les meneurs de la Révolution, c’est les « cafés et les tripots ». Ceux-ci ne sont plus maîtrisables à force de division : « café de la Régence contre Brissot, café Corazza pour, café Procoppe jure par Diderot, café du Théâtre Français par Voltaire, cafés du Perron, on parle de Finance ». « Voilà ce qui est sérieux, dit Marat, partisan du retour de la dictature, club des Noirs, club des Fédérés, club des Dames, club des Impartiaux ». Ainsi, les cafés ont bien été un élément central du processus révolutionnaire, mais ont pu être dangereux, même pour l’unité de la République naissante.

Plus tard, face à un régime parlementaire très fluctuant, il est enfin un terrain propice aux alliances des Républicains. Ainsi c’est au café Riche que s’organise en 1877, le rassemblement  du Centre Gauche et l’Union Républicaine autour du Républicain Gambetta, ce qui lui permit de remporter la majorité à l’Assemblée, face aux monarchistes de Mac Mahon.

Sous la Troisième République, le café acquiert une nouvelle fonction : celle de lieu de réunions pour les journalistes républicains. A une époque où la presse connaît une révolution, et en l’absence d’agence d’information nationale, journalistes et rédacteurs des différents journaux républicains y échangent les informations et décident de leurs soutiens. Les cafés permirent le soutien de Gambetta par toute la presse républicaine jusqu’en 1876.

Un lieu agréable...

Ivresse du café, ivresse de l’alcool. Importé par le Sicilien Procopio, le café énerve, pousse à la conversation élevée, et stimule l’intellect des orateurs, quand l’alcool servi dans les assommoirs donne une humeur plus badine. Montesquieu en 1721 regrettant l’alcool des tavernes d’antan, voulait l’interdire : « l’ivresse que leur verse le café les rendait dangereux pour l’avenir du pays. »

Lors de la Seconde République, certains conservateurs disaient que le café était devenu « l’école normale de la politique ». Avec l’avènement de la Troisième République, Daudet parle du « règne des piliers  de brasserie ». Et les caricatures d’abonder sur le triomphe du suffrage universel qui ne serait autre que celui du café du commerce où s’enchaînent les discussions inconsistantes et alcoolisées.

D’abord, parce qu’il continue d’être un lieu agréable qui réunit beaucoup de monde, par la boisson, les jeux, et aussi par les petites vertus qui fleurissent dans les arrières-salles. La Commune fut ainsi perçue par les conservateurs comme un monstrueux « accès d’alcoolisme aigu ». Une des premières mesures anti-républicaines fut à ce titre la fermeture des débits de boisson comme les café de Madrid, café Frontin, grand U, le Gaulois.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance des lieux dans le développement des idées républicaines. Bien souvent la sociabilité précède le politique, et certaines historiens républicains comme Maurice Agulhon se sont attachés à montrer en quoi certains lieux – il prend l’exemple des chambrées dans les dortoirs ouvriers du Var – ont servi l’enracinement des idées républicaines. Le café fait de toute évidence partie de ces lieux, et reste promis à un bel avenir.