Tribunes de Philosophes

« La Renaissance arabe et l’hémiplégie de la science historique » par Manuel de DIEGUEZ, un des plus grands philosophes contemporains

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[Photo : Porte avion USS George H. W. Bush (CVN 77)]


 1- L'Amérique face à la Chine 
 2 -
 L'observation des fourmis
 3 - Le retour des dieux 
 4 - Aux sources de la simianthropologie politique 
 5 - L'islam de la deuxième Renaissance 
 6 - L'islam potentiel
 7 - Qu'est-ce que l'étonnement philosophique ? 
 8 - L'apprentissage de l'étonnement 
 9 - L'avenir de l'islam civilisateur
 10 - La géopolitique d'un sacré
 11 - Il est réconfortant …
 12 - Mon itinéraire

*

1 - Les animaux et nous

Pour illustrer la nature et l'avenir du débarquement de l'islam sur la planète du XXIe siècle, l'anthropologie critique ouvre la trousse des Célestes et inspecte leur outillage, leur fourniment et leurs boniments d'hier et d'aujourd'hui. Elle observe en tout premier lieu que, depuis 1945, l'ambition des empires semblait être devenue plus commerciale et monétaire que guerrière; et pourtant l'empire américain est demeuré militaire de la tête aux pieds. On a pu constater le poids de cette évidence au cours de l'été: nous avons entendu le Nouveau Monde demander sans vergogne à la Chine "pourquoi elle croit avoir besoin d'un porte-avions". On sait que, pour sa part, le demandeur ne cache pas qu'il possède dix de ces géants des mers. Le seul George Herbert Walter Bush senior fait fonction de base aéronavale océanique. Il transporte quatre-vingt dix avions de combat et six mille membres d'équipage. Construit en 1998, il est équipé de quatorze radars de détection et de surveillance, d'un système de brouillage électronique, de deux batteries de missiles sol-air Sea Sparow MK 57 Mod3, de deux batteries de missiles RIM-116 Rollin Air Frame Missile, de quatre canons anti missiles de 20mm Phalanx. Sa propulsion est assurée par deux réacteurs nucléaires, de sorte que son autonomie est illimitée sur notre astéroïde.

L'empire du Milieu entend-il donc dominer le monde, poursuivait bénignement le questionneur? L'examinateur est-il candide, retors, provocateur, léger ou stupide? Pourquoi ajoute-t-il que la "confiance entre les nations" doit reposer sur une "transparence" séraphique, alors qu'il s'agit d'une réciprocité dans le translucide qui se moque du monde et dont l'impertinence devrait conduire tout droit à l'incident diplomatique.

Pour comprendre ce dialogue de sourds, ou ce gant jeté à la figure d'un interlocuteur supposé benêt, ou ce soufflet dans une cour d'école, ou ce défi enfantin de la fable du matamore et du moucheron que La Fontaine a oublié de rédiger, croit-on que l'effigie de la divinité qui se profile derrière les duellistes n'est pour rien dans leur échange de coups fourrés, de feintes calculées et de parades apprises? La Chine ne raconte que quelques fantômes stellaires. On y rencontre un dragon ; mais cette civilisation est la première à savoir qu'il n'existe aucun Dieu et qu'il faut jouer au tric-trac. Du coup, on négocie poliment, on ne saute pas trop haut, on garde l'épée au fourreau, parce que l'histoire de la terre est un jeu de go où le gain résulte d'un habile et imperceptible déplacement des pièces. Le ciel américain, lui, est occupé par un Dieu sûr de ses prérogatives, fier de l'exclusivité de ses apanages, sourcilleux et toujours sur ses gardes, convaincu de régner seul dans le cosmos et de dispenser à chacun des grâces proportionnées à ses mérites. Si nous ne savons pas pourquoi les verbes exister, expliquer et comprendre se conjuguent à l'école des théologies, des valeurs, des patries, des orgueils, si nous ignorons que les ciels les plus divers veillent tous sur leur cassette de signifiants, vous n'observerez jamais comment l'humanité se promène parmi les trésors qu'elle a entreposés dans sa tête.

2 - L'observation des fourmis

Comment sauriez-vous pourquoi la Chine s'est bien gardée d'envoyer promener l' effronté jeunet, pourquoi elle n'a pas ridiculisé le toupet de l'adolescent, pourquoi la moquerie n'est pas son fort, pourquoi elle a gentiment répondu que son unique porte-avions venait tout droit d'Ukraine, qu'il était fait de bric et de broc, qu'il ne serait achevé qu'en 2014 et qu'elle en faisait seulement l'essai? Non, non et non, a ajouté l'interrogé bienveillant et secret, la Chine ne cherche pas à "dominer le monde". Mais pourquoi un journal allemand, le Spiegel, a-t-il repris à son compte et en détail les questions puériles que le département d'Etat américain a osé poser au peuple de Confucius, qui compte un milliard deux cents millions d'habitants?

De même que l'observation des fourmis ressortit à l'entomologie universelle, la science qu'on appelle l'Histoire ressortit à une anthropologie planétaire. On y apprend que l'Allemagne actuelle se trouve occupée sur la totalité de son territoire par deux cents places fortes de son ennemi d'il y a soixante cinq ans. Comment se fait-il que cet Etat s'auto-vassalise à plaisir sur les planches, comment se fait-il que cette nation s'abaisse au point de demander à une puissance souveraine et en docile porte-voix de son maître d'outre-Atlantique, si Pékin ne cacherait pas des ambitions politiques pécheresses dans ses poches?

Voilà un document anthropologico-religieux par nature et par définition; et c'est à ce titre qu'il se présente à la pesée d'une théopolitique à la recherche de la distanciation méthodologique nouvelle qu'exige la connaissance scientifique d'une espèce tellement spécifique que nul ne sait encore comment l'appeler. Figurez-vous que c'est tout cérébralement que les descendants d'un quadrumane toisonné se laissent domestiquer, et cela à l'école de leur propre voix. Décidément, si nous n'acquérons pas une connaissance résolument simianthropologique des haut-parleurs célestiformes que la géopolitique colloque dans le vide de l'immensité, nous ne disposerons jamais de la connaissance de l'Histoire qu'exigera une discipline digne de conquérir le rang d'une science. A ce titre l'anthropologie critique installe son télescope dans l'infini; et elle rejette à la fois le conceptualisme faussement transparent de Voltaire et la feinte cécité de Shakespeare le visionnaire qui prétendait écouter un idiot.

3 - Le retour des dieux

Et puis, "Dieu" est revenu partager son encéphale avec le nôtre. Impossible de refuser plus longtemps d'apprendre à connaître les gigantesques acteurs imaginaires dont nos ancêtres avaient installé la stratégie sous l'os frontal de l'humanité. Le 26 août 2011, le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, le plus intelligent des chefs arabes, disait que "Jérusalem et la Palestine font partie de notre religion, de notre culture ,de notre jeûne, de notre prière et de notre jihad. Donc, sans Jérusalem, ces valeurs perdent beaucoup de leur sens. Nous allons prier prochainement dans la mosquée et l'église de Jérusalem."

Croit-on que cette ville n'est qu'un tas de cailloux éparpillés sur quelques arpents, sait-on que la Jérusalem réelle est une cité de l'âme, une forteresse intérieure , la Cité de Dieu de saint Augustin, le Mont Carmel des juifs et des musulmans, et non un objet livré aux topographes, aux géomètres et aux registres cadastraux? Mais alors, voilà une science de la mémoire en promenade autour du véritable habitat de l' espèce onirique dont elle est censée raconter l'histoire, voilà une discipline incapable de visiter et de rendre intelligible le monument psychique central des habitants d'un royaume méta-géographique! "Il faut surveiller de près ce qui se passe à Jérusalem, surveiller la judaïsation de ses quartiers, de ses rues, de ses marchés, de ses parcs, de son patrimoine culturel, surveiller la persécution israélienne des habitants de Jérusalem à laquelle se livre Israël, surveiller le vol de leur territoire et la menace réelle de judaïser Jérusalem", dit encore Sayyed Hassan Nasrallah.

La simianthropologie politique et critique constate que, deux cent vingt-trois ans après la mort de Voltaire, plus d'un siècle après celle de Nietzsche et environ deux millénaires après Lucrèce, la civilisation mondiale ne sait rien de l'encéphale surréel de l'humanité et que Clio nous raconte encore la vieille histoire d'une espèce dont elle n'a pas visité les rêves qui peuplent sa cervelle.

4 - Aux sources de la simianthropologie politique

En janvier 2011, les masses arabes sont descendues à grand bruit dans les rues. Depuis 1945, comme il est dit plus haut, l'histoire était subitement devenue industrielle, commerciale, et monétaire sous le fanion d'une puissance navale à l'échelle planétaire. La légende démocratique s'était-elle donc subitement figée sous le sceptre d'un souverain financièrement intéressé à toucher les dividendes du mythe de la Liberté? Voici que, non moins soudainement, le paysage anthropologique change de contenu, de texture et de rythme, parce que Chronos est toujours demeuré un témoin des songes cosmologiques de l'humanité, de sorte que l'épopée eschatologique que la révolution de 1789 tente d'incarner se révèle plus religieuse que jamais sans ses déguisements mêmes.

Chacun sait que raconter et comprendre font deux. Mais si comprendre, c'est expliquer, nombreux sont les discours soi-disant explicatifs. C'est pourquoi, depuis plus de dix ans, le lecteur de ce site observe avec quelqu'intérêt combien il est prometteur de tenter de conquérir une distanciation à la fois anthropologique et critique à l'égard des exploits et des défaites de Clio. La meilleures preuve en est que la science mémorieuse a commencé par s'égarer dans le fabuleux que les récits primitifs du sacré avaient forgé pour en venir à la narration tardive et muette. Quel double égarement! D'un côté, nous avons été livrés à la fausse profondeur de l'histoire sainte, de l'autre, à une chronologie aussi minutieuse qu'éborgnée.

Entre la courte-vue des greffiers du tragique et la presbytie délirante des représentations religieuses ou idéologiques du monde, ne serait-il pas plus fécond d'observer comment notre espèce ficèle la narration à la mythologie et la mythologie à la narration? Le XVIIIe siècle a soutenu que seuls les philosophes écrivent l'histoire sur les hauteurs. Mais la raison des philosophes jouit-elle d'ores et déjà du privilège inouï de connaître son objet à la seule lumière des feux de l'intelligence? J'ai déjà dit que Voltaire et Shakespeare racontent une aventure dont ils avouent l'incompréhensibilité, mais le grand Anglais ajoute que tout ce bruit et cette fureur, c'est un sot qui nous en fait le récit, tandis que Voltaire s'installe à trop peu de frais sur Sirius.

5 - L'islam de la deuxième Renaissance

Si la Révolution arabe n'était qu'une brise printanière, le souffle d'un renouveau aussi bienvenu que passager ou même un ébranlement seulement politique, elle serait vouée à l'éphémère des mutations sociales et des changements de gouvernements. Par bonheur, ce réveil inaugurera un bouleversement de la méthode historique que l'Occident avait élaborée depuis Thucydide en ce qu'il enseignera à Clio la pesée des hommes et des siècles à l'école de la contemplation et de la méditation nouvelles dont notre espèce cherche la balance. Cessons d'interpréter la Renaissance arabe comme une secousse, même tellurique, des paramètres de la géopolitique classique, alors que toutes les conditions du plus gigantesque séisme se trouvent enfin réunies, celles où l'histoire se révèlera le miroir énigmatique d'une espèce en évolution et dont il faudra modifier le globe oculaire afin de tenter de passer du récit historique aveugle à l'apprentissage de la raison visionnaire.

La première Renaissance n'était qu'une descente dans la mine d'or d'un passé englouti par le tsunami d'une prétendue révélation unique et définitive de tous les mystères de l'univers - révélation qui nous aurait mis en mains et à jamais les clés d'une "création". Mais la jeunesse arabe d'aujourd'hui bouillonne aux portes d'une tout autre annonciation, celle de la rencontre à venir entre un humanisme classique tombé en panne de sa véritable inspiration et les retrouvailles de l'humanité avec un "Connais-toi" enseveli sous les rites et les liturgies. Or, cet avenir se trouvait en germe dans le premier élan, certes audacieux, mais trop rapide et demeuré superficiel de la raison du siècle des Lumières. A l'heure des premiers télescopes sidérés par l'infini, Necker écrivait: "Que devient donc notre petite terre au milieu de ces immensités dont l'esprit humain essaie en vain de s'emparer? Qu'est-elle déjà relativement à cette quantité de globes terrestres dont nous pouvons former le calcul à l'aide de nos découvertes, ou du moins dirigés par des présomptions raisonnables? Seraient-ce donc les habitants de ce grain de sable, serait-ce un petit nombre d'entre eux qui auraient le droit de prétendre que seuls ils connaissent la manière dont on peut adorer le souverain Maître du monde ? […] Comment donc oseraient-ils annoncer à tous les âges présents, à tous les temps à venir, qu'on ne peut éviter les vengeances célestes si l'on s'écarte de quelques lignes des usages et des pratiques de leur culte?" (M. Necker, De l'importance des opinions religieuses, cité par Grimm, Correspondance, t. XV, 473-474, édition de 1821)

6 - L'islam potentiel

Le réveil partiel de l'intelligence critique européenne que fut le siècle de Voltaire aurait pu donner sa véritable descendance à la Renaissance si toute l'aventure n'avait tourné court du seul fait que les Encyclopédistes sont tombés dans la contradiction de croire en l'existence d'une divinité plus inaccessible, ultra séraphique et plus vaporeuse que celle du naïf Moyen Age. Du coup, ils ont qualifié de simples "opinions" les rudesses des dogmes et l'acier trempé des orthodoxies primitives. Mais l'heure n'avait pas sonné de les radiographier à titre de documents carnassiers, patelins et abyssaux, donc comme des effigies permanentes du singe à décrypter à l'école de son histoire proprement cérébrale.

C'est une mèche allumée à la main que l'islam virtuel, l'islam du courage cérébral le plus inouï attend son rendez-vous avec la civilisation occidentale. Quel tonneau de poudre qu'une humanité contrainte de se regarder dans sa véritable histoire, quel explosif qu'un monde arabe tout subitement armé des instruments de communication du monde moderne, quel détonateur qu'une religion de la raison qui demandera à l' humanité: "Qu'avez-vous fait de vos microscopes et de vos télescopes? Leur avez-vous enseigné à observer l'encéphale d'Adam et d'Eve? Les avez-vous braqués sur la boîte osseuse d'une espèce qui se bâtit des forteresses mentales dans le vide de l'immensité ? Pourquoi avez-vous peuplé le néant de personnages fantastiques, pourquoi leur demandez-vous de vous apprendre à penser?"

L'islam potentiel est le nouveau-venu et le tard-venu providentiel qui portera un regard neuf sur les étranges héritiers d'un quadrumane à fourrure et qui leur demandera: "Qui êtes-vous, que savez-vous, qu'avez-vous appris depuis cinq siècles que vous avez découvert Aristote, Plaute, Epicure et Lucrèce?

7 - Qu'est-ce que l'étonnement philosophique ?

L'anthropologie critique est moins imprudente que Voltaire l'extra lucide et plus disposée que l' "idiot" qu'évoque Shakespeare à prêter l'oreille aux criailleries des descendants d'une espèce aphone, puis vantarde et babillarde à souhait. L'avantage de cette discipline est d'émettre de prudentes hypothèses, puis de les vérifier avec soin et à l'écoute de la méthode la plus saine, celle que préconise l'Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard, parue en 1865, mais dont la portée philosophique demeure à décrypter.

Car figurez-vous que le verbe vérifier est aussi piégé que le verbe comprendre. Comment vérifier des signifiants, donc le sens réputé immanent aux évènements? Exemple: racontez- moi la guerre entre les protestants et les catholiques au XVIe siècle. Comment la rendrez-vous intelligible si vous ignorez comment et pourquoi un animal rendu erratique par un mécanisme secret de la nature se donne à tout vat des idoles fort sottes pour maîtres et pour guides?

Descendants d'un primate toisonné, voyez comme vous mettez la charrue avant les bœufs chaque fois que l'acier de vos plumes vous narre tout courant que vous comprenez ce que vous vous racontez à vous-mêmes, à savoir que les catholiques confessent le dogme de la "présence réelle", ce qui signifie qu'à leurs yeux ils mangent effectivement la chair crue et boivent à pleines gorgées le sang encore chaud d'un homme qu'ils croient ressuscité il y a deux mille ans et qu'ils s'imaginent exposé physiquement sur l'autel de leurs messes. Votre science historique est-elle explicatrice en ce qu'elle connaîtrait la généalogie des personnages fabuleux dont un chimpanzé tardif a peuplé le cosmos? Comment allez-vous vérifier des symboles, comment allez-vous expérimenter des songes?

L'anthropologie critique se garde de professer le dogme laïc selon lequel comprendre, reviendrait à projeter sur les évènements un savoir naïvement conceptualisé. Elle sait que la raison est une ignorante perpétuellement en apprentissage des méthodes qui la rendront apte à éclairer en profondeur l'objet de son attention, une effrontée désireuse de se procurer sans relâche les outils de la chasse et de la capture d'un animal inconnu et qui s'appelle la vérité, une ouvrière méfiante à l'égard des instruments censés parler tout seuls dans le cosmos. Mais comment vos expériences sont-elles censées démontrer les liens qui ficèleraient les faits à la hotte des signifiants qu'ils charrieraient sur leur dos si la vérité joue un jeu énigmatique avec les oracles que profère la parole?

Si Malbrough s'en-va-t'en guerre, son sac à dos est plein des signes et des signaux d'une signalétique militaire; s'il métamorphose du pain et du vin en corps à dévorer et en sang à boire, de quelles preuves serez-vous les vérificateurs et quel sera le territoire de vos expériences?

L'anthropologie critique est philosophique en ce qu'elle est étonnée en diable d'entendre des voix retentir de tous côtés dans l'univers du silence; et elle se montre non moins étonnée de la spécificité vocale du genre simiohumain que l'entomologiste dont je ne vous raconte pas l'ahurissement s'il entendait des fourmis lui expliquer les signaux qu'émettent leurs fourmilières.

8 - L'apprentissage de l'étonnement

Néanmoins l'histoire volubile et qui dévide aveuglément son chapelet d'évènements supposés loquaces n'en demeure pas moins instructive à sa manière, non seulement parce qu'il est étonnant que Clio ne s'étonne de rien, mais parce que le refus même de tout étonnement dont témoigne sa discipline fait l'objet de l'étonnement le plus précieux de la pensée, celui dont les surprises ne cessent de féconder la simiantropologie critique. Car enfin, le simianthrope a vécu pendant des millénaires sous l'égide de ses dieux; et pourtant, nul ne s'explique ni pourquoi ces haut-parleurs sont morts les uns après les autres, ni pourquoi un ultime locuteur est censé s'être subitement présenté dans le cosmos, ni pourquoi ce dernier est réputé exister pleinement et en solitaire triomphant pour avoir terrassé la polyphonie de ses prédécesseurs. Qui a édicté que tout l'héritage reviendront au dernier discoureur?

Décidément, une science historique qui ne connaît ni ne comprend la boîte osseuse des contemporains du ciel d'Homère ne sait pas non plus un traître mot du simianthrope mis à l'écoute de son dernier Jupiter. Il y a donc lieu de s'étonner grandement de ce que la science historique contemporaine ignore autant la nature et la provenance de l'abondante l'assemblée des idoles trépassées des Anciens que des trois orchestrateurs du cosmos encore supposés dans l'exercice de leur haute fonction.

9 - L'avenir de l'islam civilisateur

Quel est le lieu précis du rendez-vous de l'islam vivant avec l'humanisme pensant de demain et avec la philosophie mondiale à venir? Pour le découvrir, il suffit de remarquer que l'hémiplégie de la planète de l'intelligence a été clairement remarquée et vigoureusement soulignée par les philosophes arabes du XIIe siècle, qui ont dit au christianisme: "Nous ne comprenons pas votre "Allah". S'il est aussi puissant et miséricordieux que le nôtre, pourquoi a-t-il créé chez vous une humanité tellement faible d'esprit et tellement coupable des malfaçons dont elle souffre de naissance qu'elle se trouve fatalement condamnée à tomber dans le péché que vous qualifiez d'originel, et pourquoi lui a-t-il fallu racheter à un si grand prix la faute d'avoir croqué la pomme de l'arbre de la connaissance, afin de s'informer de son sort?" Saint Thomas a tenté de réfuter ces apories dans sa fameuse Somme théologique contre les musulmans, les "gentiles", c'est-à-dire les gens des "gentes", les tribus et des ethnies. On sait que cet ouvrage lui a valu le titre de docteur officiel de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, de sorte que le concile Vatican II de 1962 ne lui a retiré en rien son auréole et sa qualité inaliénable de lampion doctrinal des chrétiens.

Comment la pensée post-théologique de l'islam philosophique du XXIe siècle se trouvera-t-elle mieux armée que la raison scientifique de l'Occident actuel pour expliquer et comprendre qu'un débat hérité du Moyen Age se placera nécessairement au cœur de l'anthropologie critique et des sciences humaines du début du IIIe millénaire? Comment se fait-il que seul Muhammad le potentiel, le virtuel, le précurseur de Nietzsche et de Freud, conduira le génie arabe à retrouver la trace des sociétés pré-humaines que le christianisme originel avait abandonnée? Que dit Grimm au XVIIIe siècle? "On adopte, par exemple, le terme sacrifice de la langue latine et, pour pouvoir s'en servir, on change le repas de l'eucharistie en un sacrifice [prétendument] non sanglant. Ce sacrifice devient la messe, et une nomenclature latine devient l'origine d'une religion absolument différente du christianisme des premiers siècles. " (Grimm, Correspondances, t. IV, éd. 1813, p. 268)

10 - La géopolitique du sacré

On voit que si le simianthrope est un pécheur-né et s'il doit se trouver racheté à grands frais, c'est afin qu'il soit mis en mesure d'acquitter le tribut sanglant que son sacrificateur de père dans le ciel lui réclame à grands cris. Et pourquoi le lui réclame-t-il? Parce que les théologies réalistes sont condamnées à se greffer sur la guerre et sur la mort. Sinon, comment le rachat de la victime nourrirait-il la puissance et la gloire du maître? Le souverain du ciel présente donc un fidèle décalque d'une histoire oscillante entre deux obéissances alternées, celle que réclame le triomphe des glaives et celle que commandent les heures d'une paix profitable aux dirigeants des Etats.

Mais pourquoi seuls les penseurs de l'islam de la seconde Renaissance seront-ils armés pour remonter aux sources du meurtre sacré de l'autel sur lequel se fonde désormais la religion de la Croix? Parce que la philosophie arabe est la première qui ait pesé le Dieu payant et payeur la première qui ait osé situer le débat sur le sacrifice humain au cœur des civilisations. Qui rivalisera jamais avec les fécondateurs de l'humanisme mondial capables de plonger dans les abysses inexplorés du genre humain?

Mais encore? Pour réfuter la foi fondée sur le meurtre pieusement rémunéré des Isaac, des Iphigénie et du Nazaréen pour rejeter la foi dont l'histoire nourrit les offertoires depuis le paléolithique, il faut une psychanalyse des sources anthropologiques de l'assassinat religieux; et cela ne se peut que par le décodage et le démontage du mythe de l'incarnation. Or, les philosophes occidentaux ignorent tout des théologies et de leur histoire même événementielle. Comment se collèteraient-ils avec la légende sacrée de l'incarnation s'ils ne savent poser sur l'établi le crâne théologique du genre humain et en scruter l'ameublement? Or, pour cela, le philosophe arabe est mieux armé que le chrétien, parce qu'il n'a pas oublié les trucidations théologiques des siècles passés, tandis que le rationaliste français a été soigneusement décervelé par une éducation nationale qui, depuis 1905, a jeté les cosmologies mythologiques au rebut sans avoir examiné leur contenu anthropologique et qui, du coup, s'est trouvé privé d'avance et par le système même dont il est le produit, de tout moyen d'observer la moitié fantasmatique de l'encéphale simiohumain.

Le théologien arabe éveillé , lui, voit et comprend tout de suite que le dogme de l'incarnation a totalement reconduit le christianisme au paganisme, puisque Jésus-Christ est un dieu braillant dans son berceau, un dieu omniscient avant d'avoir appris à parler, un dieu doté d'un foie, d'une rate et de poumons divins, à l'instar de Zeus, de Mars ou de Neptune, ce que le Catéchisme romain de 1992 reconnaît en toutes lettres.

11 - Il est réconfortant …

Telle est également la raison anthropologique pour laquelle la philosophie arabe du XXIe siècle ne s'attardera pas ridiculement à réfuter la croyance, même physico-vaporeuse d'un Dieu présent quelque part dans l'étendue et sous quelque forme que ce soit. Les trois dieux "uniques" ne méritent pas davantage de se trouver réfutés que Diane, Athéna ou Junon; en revanche, la connaissance rationnelle et spectrographique du genre simiohumain actuel recèle la virtualité la plus féconde de l'islam de la pensée, parce qu'une religion qui, depuis les origines, rejette le mythe de la chosification corporelle des dieux et de l'esprit évite nécessairement et dans le même élan le piège de la substantification du sacrifice sanglant qui permet aux théologies barbares de tendre à l'histoire son principal appât animal, le sacrifice de sang, cette âme et cette machine confondues d'une espèce demeurée à l'Etat sauvage.

Il est réconfortant que l'avenir de la convergence intellectuelle entre l'islam de la seconde Renaissance et l'Occident encore en attente d'une anthropologie abyssale s'attaque au scandale le plus central de la barbarie, celui qui, depuis des millénaires, réduit les tractations primitives de l'humanité avec le sang de ses autels à un trafic dont l'arbitre s'appelle l'Histoire, il est réconfortant que l'islam se situera de nouveau à l'avant-garde de la pensée et de l'éthique de l'Occident, il est réconfortant que le progrès des civilisations passera toujours par la guerre de la pensée.

12 - Mon itinéraire

Les trois textes qui suivront seront consacrés à l'observation anthropologique de l'affrontement qui se prépare entre l'Olympe eschatologique des modernes et la vie dite "spirituelle" du simianthrope. J'observerai donc, en premier lieu les origines anthropologiques du monothéisme patriarcal de l'islam, puis l'évolution parallèle de la politique et du sexe, puis les questions fécondes que la notion de "vie spirituelle" pose aux démocraties pseudo rationnelles d'aujourd'hui et enfin la future alliance de la pensée rationnelle avec une vie de l'âme qui en appelle aux nouveaux éveilleurs de la liberté.

Certes, Washington tentera de contraindre l'Egypte à renforcer l'alliance d'Allah avec le peuple de Jahvé. Mais la Syrie, elle aussi, se réveillera au soleil de la Renaissance arabe. On dit que la route des armes entre l'Iran et le Liban va devenir plus difficile et que les conquêtes territoriales d'Israël en seront favorisées. Nullement: l'Etat de Xerxès et celui du Cèdre ont aussitôt et chaleureusement salué la chute du Colonel Kadhafi, ce qui signifie que la nouvelle Renaissance profitera au désir d'indépendance naturel que le peuple palestinien nourrit depuis 1947. Ce n'est pas ma faute si la véritable science historique se collète avec l'encéphale schizoïde d'une espèce déchirée entre la glèbe et le sacré.

Le 4 septembre 2011

  Visiter le site officiel du philosophe Manuel de Diéguez

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