Tribunes de Philosophes

« Les grands chefs d'Etat rament à contre-courant » par le Philosophe Manuel De Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains

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PHOTO : L'Irlande après le départ. Au président Eamon de Valera, de Gaulle dira : «J'ai trouvé ici ce que je cherchais : être en face de moi-même.» | Photo André Lefebvre

1 - Comment déjouer les ruses de l'Histoire?
2 - Qu'aurait fait le Général de Gaulle ?
3 - La science des Etats et la simianthropologie
4 - Un exemple d'incohérence mentale dans l'ordre politique
5 - L'homme et son éthique
6 - Sur quelle balance pèserons-nous la " responsabilité " ?
7 - La balance des civilisations
8 - L'immoralité de Dieu
9 - Le " formidable bon sens " et la vérité politique

***

1 - Comment déjouer les ruses de l'Histoire?

Il existe une convergence entre la vocation des grands chefs d'Etat et celle des hommes de génie en général et dans tous les ordres du savoir ; car les uns et les autres se livrent à un combat de Titans contre la courte vue ou la cécité de leurs contemporains. Comment l'homme d'Etat prend-il la mesure des obstacles que la médiocrité d'esprit propre à toutes les époques oppose à sa vision de l'avenir, comment s'engage-t-il dans l'action à long terme ou y renonce-t-il après une juste pesée des chances de réussite et des risques d'échec de sa vocation? La balance dont les plateaux s'appesantissent du poids des présages de la victoire ou de sa défaite n'est pas toujours si difficile à construire. Napoléon disait que le génie n'est qu'un formidable bon sens. Mais il n'était même pas nécessaire d'élever le bon sens à la simple clarté d'esprit pour savoir que le XIXe siècle n'était pas mûr pour fédérer les peuples de l'Amérique de Sud. Si Bolivar avait eu l'envergure de Richelieu ou de Mazarin, il ne se serait pas lancé dans une équipée tellement prématurée qu'elle n'empruntait les couleurs de l'espérance que dans les imaginations.

Il arrive également que l'homme d'Etat d'envergure lise l'avenir dans un livre ouvert à toutes les pages, tellement le prophète ne fait que constater ce qui devrait crever les yeux. Mais il peut juger nécessaire de laisser la médiocrité d'esprit de son temps non seulement lui aplanir le chemin, mais écarter d'avance de sa route les obstacles futurs les plus redoutable . Si le Général de Gaulle n'avait pas eu la patience de laisser à l'histoire le temps de rendre inévitable la décision du peuple français d'accorder l'indépendance à l'Algérie, il passerait dans nos manuels scolaires pour traître à la nation et sans doute l'aurait-on traduit en haute cour.

Il est également probable qu'après l'engagement politique résolu et victorieux de la France aux côtés de l'Irak en 2003 - on sait que cette stratégie a conduit les Etats-Unis à se lancer aux yeux de la planète entière dans une guerre fondée sur le viol des principes fondateurs du droit international - M. Poutine savait non seulement que les Etats-Unis refuseraient de sembler partager un instant avec Moscou un condominium planétaire fondé sur une mise à l'écart, sinon définitive, du moins durable de l'autorité morale et juridique de l'organisation des Nations-Unies, mais que les cinquante provinces rassemblées sous la bannière étoilée parviendraient en outre et sans peine aucune à étouffer dans l'œuf toute tentative des démocraties placées sous leur tutelle de proclamer l'illégitimité de l'invasion guerrière de l'Irak et de la faire condamner par l'opinion publique mondiale.

Pourquoi M. Poutine s'est-il précipité à Washington avec la certitude de paraître s'être laissé duper ? Pourquoi a-t-il rejeté les efforts diplomatiques acharnés en faveur de la morale et du droit de M. Chirac et de M. de Villepin, qui ont tenté en vain de rallier le Président russe à leurs vues et qui l'ont reçu en France à grand renfort de rappels des relations privilégiées que nos intellectuels du siècle des Lumières entretenaient avec la Russie de Catherine II? C'est que cet homme d'Etat d'envergure a estimé qu'il était plus sûr de parier sur la courte vue des Etats-Unis, qui exploiteraient naïvement les avantages politiques immédiats que la situation semblait leur offrir, que d'encourir les reproches véhéments, des historiens futurs, qui lui auraient nécessairement fait grief d'avoir passé, à les en croire, au large d'une chance exceptionnelle de faire accéder d'un seul coup l'ex-empire des tsars à un statut de co-dirigeant de la planète dont l'Histoire paraissait n'avoir jamais présenté l'occasion.

Mais tout grand chef d'Etat sait pertinemment que les empires n'ont pas d'amis, mais seulement des rivaux, des comparses, des complices ou des subordonnés complaisants et qu'ils feignent seulement de partager leur suprématie avec des protégés, qu'ils tirent sans cesse de nouveaux avantages de l'apparence qu'ils donnent d'une connivence effective avec des obligés, qu'ils consolident par ce moyen les positions acquises précédemment et qu'ils sont condamnés par nature à étendre leur puissance au détriment de leurs hommes-liges de passage. Sept ans plus tard, M. Medvedev tombait dans ce piège avec toute la candeur, lui, d'un gentil professeur de droit de l'Université de Saint-Petersbourg.

Mais M. Poutine n'était plus en mesure d'empêcher son pâle successeur de signer une capitulation diplomatique douloureuse - en 2010, il s'agissait principalement, pour les Etats-Unis, de mobiliser la planète entière contre l'Iran afin de perpétuer l'hégémonie que son armement nucléaire valait à Israël au Moyen Orient. Naturellement, quelques jours seulement plus tard, un second train de sanctions économiques nullement prévues dans les accords précédents avaient été votées contre Téhéran avec l'accord, une fois de plus, de la France et de l'Allemagne. Cette fois, Moscou et Pékin se couvraient de ridicule à protester trop tard et inutilement contre la démonstration qu'ils avaient eux-mêmes apportée de leur faiblesse d'esprit; et M. Gates, ministre de la défense des Etats-Unis, s'offrait le luxe de rire de la schizophrénie dont les dirigeants de ces deux nations inexpérimentées faisaient preuve face aux Machiavel de la démocratie mondiale.

2 - Qu'aurait fait le Général de Gaulle ?

A supposer que la France de M. Nicolas Sarkozy se trouvait d'ores et déjà trop affaiblie par son retour dans l'OTAN pour opposer un veto solitaire à la première vague de décisions punitives prises à l'encontre de l'Iran, le Président de la République pouvait-il néanmoins refuser de s'associer aux secondes sanctions d'un Conseil de sécurité maintenant réduit à trois membres par un coup de force qui, non seulement mettait la Russie et la Chine à l'écart de la direction du monde de l'époque, mais provoquait la colère du Brésil et de la Turquie contre Paris et enterrait l'achat du Rafale par Brasilia? Etait-il possible de proclamer illégales par nature des décisions minoritaires et de rappeler fermement, à cette occasion, que le siège de l'Allemagne dans cet aréopage demeurait artificiel et se rendait illégitime ipso facto, dès lors qu'il s'agissait d'ébranler les fondements du Conseil de Sécurité tel qu'il fonctionnait depuis six décennies. Etait-il admissible qu'on aboutisse sans débat à adjoindre purement et simplement un vassal de la taille de la Germanie à la puissance internationale des Etats-Unis? Bref, le Quai d'Orsay pouvait-il éviter de faire payer à la Russie et à la Chine un prix par trop exorbitant pour leur renoncement irréfléchi à l'exercice de leur droit de veto, ou bien est-il toujours suicidaire d'avoir raison trop tôt? Quelles chances avait-on de faire d'une pierre deux coups à se réconcilier définitivement avec la Russie et la Chine et de se placer à la tête du monde de demain? Car l'Europe avait grand besoin d'un électrochoc diplomatique de haut voltage pour donner un élan politique nouveau à une planète en panne de son destin depuis la chute du mur de Berlin.

Naturellement, la question n'est pas de savoir si la partie était encore jouable à la suite du retrait délibéré de l'arène internationale dont la France s'était rendue coupable - son prestige diplomatique se trouvait anéanti pour longtemps par son retour dans l'OTAN - mais de savoir si un Président de la République de 2010 qui aurait eu la stature du Général de Gaulle aurait pris une telle initiative avec des chances mûrement réfléchies de gagner la partie sur le moyen et sur le long terme, puisqu'il n'aurait eu qu'à consolider un demi siècle d'alliance de la France visionnaire avec la Russie et la Chine. Ou bien ces deux Etats confirmaient piteusement le reniement du soutien qu'ils avaient accordé à l'Iran depuis de longues années - et dans ce cas, d'un côté, ils perdaient leur influence dans le monde musulman tout entier, de l'autre, ils renonçaient purement et simplement à leur vocation naturelle de puissances en ascension - ou bien la France facilitait la préservation de la dignité de ces deux géants à favoriser leur retour au bercail du bon sens un instant déserté. On aurait expliqué que les capitulations diplomatiques entraînent toujours un abaissement moral durable des nations qui y ont consenti un seul instant. Qu'avait obtenu la Russie en échange du piétinement de ses propres prérogatives institutionnelle au Conseil de Sécurité ? Quelques avantages mercantiles, dont la construction de deux tours géantes dans le quartier de la Défense de Paris et l'entrée à genoux dans l'OMC.

Moins d'une semaine après le premier train de sanctions arbitraires décidées contre l'Iran, Moscou se croyait à nouveau en mesure d'apostropher l'Europe vassalisée - mais M. Medvedev se voyait taper sur l'épaule par son "camarade" de Washington, tandis que le FBI montait une farce de cour d'école à arrêter dix espions russes censés travailler en commun et au grand jour à transmettre à Moscou des renseignements figurant sur le Web.

3 - La science des Etats et la simianthropologie

Mais la question préalable de savoir sur quelle balance l'encéphale des Bolivar et des Machiavel se donnera à peser est loin de se trouver résolue par des exemples trop récents pour conduire à une analyse simianthropologique de la question. Henri IV a-t-il vraiment cru qu'il était politiquement possible de céder une portion considérable du territoire du Royaume aux calvinistes français, et cela à titre définitif? C'était permettre à cette théologie de construire des forteresses qualifiées de royales, mais qui échapperaient progressivement à l'autorité du pouvoir monarchique; car il était bien évident que la nouvelle religion ne tarderait pas, et dans la foulée, à réclamer une souveraineté doctrinale et terrestre incompatibles par nature avec l'unité théo-politique du pays de l'époque. Un souverain "de droit divin" et dont le "sang bleu" était censé celui de Jésus-Christ lui-même pouvait-il autoriser une proportion massive de ses sujets à conclure des alliances séparées avec des Etats étrangers, à commencer par l'Angleterre? Sous Louis XIII déjà, l'échec politique de l'édit de 1598 avait conduit au siège de La Rochelle. Mais la révocation de l'Edit de Nantes en 1685 était-elle exigée par la nécessité patente de sauver l'identité religieuse d'une nation du XVIIè siècle?

La science politique de l'âge classique n'était nullement en mesure de répondre à cette question. Il lui manquait une balance à peser la signification anthropologique, donc politique, d'une scission cérébrale de cette portée entre deux mythologies résolument rivales l'une de l'autre. Seule l'expérience ultérieure de l'histoire du sacré nous a appris que ces deux confessions sont radicalement antinomiques en raison du contenu cérébral et psychique des options religieuses et des dogmes qui les opposent: on ne saurait confondre la croyance en une consommation seulement symbolique de la chair d'une victime immolée à titre figuratif sur les offertoires, d'une part, avec le dogme "réaliste", d'autre part de l'engloutissement effectif de ses cellules dans l'estomac des fidèles. Dévorer le tissu musculaire d'un homme sacrifié en chair et en os à une idole est propre aux sociétés d'anthropophages, dont la religion répondait évidemment à leur mode d'alimentation coutumier.

Mais pourquoi la révocation de l'édit de Nantes de 1685 n'a-t-elle été "digérée" qu'à partir de 1905 ? Pourquoi a-t-il fallu attendre une séparation vigoureuse de l'Eglise et de l'Etat pour réunifier et consolider le cerveau de la nation sur des fondements psychiques anti anthropophagiques, donc radicalement étrangers aussi bien au protestantisme qu'au catholicisme ? Pourquoi a-t-il fallu recourir, de surcroît, à la suppression pure et simple, à partir de 1958, du cerveau religieux de la Gaule d'autrefois? Car il n'y a plus d'identité théologique nationale dès lors que les écoles dites confessionnelles - c'est-à-dire catholiques - se plient, elles aussi, à un enseignement laïc allogène à la sauvagerie des peuples anté-abrahamiques, donc qu'elles se soumettent à l'obligation de faire usage de manuels scolaires rédigés dans un esprit rationnel issu du siècle des Lumières. C'est dès l'enfance que les mythes religieux conduisent l'entendement simiohumain à un enracinement dans la barbarie habillée en piété tel que l'échec de toute tentative ultérieure de l'extirper conduit nécessairement à son remplacement pur et simple, donc à la substitution d'une autre organisation cérébrale à la précédente.

C'est dire également que la croyance primitive selon laquelle un avantage religieux éternel résulterait de la manducation d'une victime offerte en sacrifice à une divinité payante, cette croyance, dis-je, survit nécessairement jusque dans le protestantisme et qu'elle se révèle innée au point qu'elle se trouve seulement réduite à une dévoration symbolique. La révocation de l'Edit de Nantes n'apportait donc pas de solution anthropologique au problème politique posé au plus secret de l'inconscient onirique de l'humanité par l'existence même des religions fondées sur des immolations- celles que leurs théologiens fondent sur des sacrifices dits " satisfactoires ", donc de nature à combler les vœux d'une divinité animale.

4 - Un exemple d'incohérence mentale dans l'ordre politique

Du coup, la question de la pesée des capacités cérébrales des grands chefs d'Etat d'aujourd'hui prend une portée simianthropologique tellement nouvelle qu'elle soulève des problèmes psychogénétiques qu'il faut bien tenter de résoudre. Prenez l'Espagne du XVIe et du XVIIe siècle, qui avait fort bien compris les difficultés politiques insolubles que pose la perte de l'unité cérébrale des royaumes catholiques, donc l'éclatement du cerveau de la population chrétienne entre des dieux armés jusqu'aux dents les uns contre les autres sous des dehors patelins - donc bien décidés, sous leurs atours faussement iréniques, à ne pas céder d'un pouce au chapitre de leur organisation cérébrale meurtrière. Mais il est non moins évident que le rappel d'une nation monothéiste à la discipline théologique requise par l'alliance, alors indissoluble, de l'Etat avec une religion dite révélée ne saurait recourir à la crémation pure et simple des hérétiques sur des bûchers allumés en plein air. C'était témoigner de la profonde ignorance des chefs d'Etat de l'époque, mais également, hélas, de l'ignorance des démocraties d'aujourd'hui, qui ne disposent encore d'aucune théopolitologie scientifique, donc d'aucune connaissance réelle des meurtres sacrés. Il y faudra une psychologie expérimentale dont les travaux porteront sur les fondements psychogénétiques des autels et des cultes.

Prenez le cas de M. Bayrou: il s'affirme à la fois superficiellement croyant et superficiellement laïc. Sans doute un homme politique peut-il se permettre d'obéir à des motivations électorales, donc à des ambitions politiques dont il aura jugé l'habillage cérébral utile à sa réussite; mais peut-il ignorer la nature de sa "raison" et l'incohérence de ses convictions si son accession éventuelle à la tête d'une nation livrera cette dernière à un désordre cérébral incompatible avec l'efficacité de la logique interne que sa politique requerra à l'échelle internationale?

On ne saurait se proclamer laïc sans préciser au nom de quelle autorité propre à la pensée rationnelle on légitimera la limitation des pouvoirs du ciel sur cette terre et quels principes permettront d'en préciser clairement les proportions; et l'on ne saurait se proclamer croyant sans prétendre justifier dans l'ordre propre à l'argumentation théologique le statut politique et moral qu'on concèdera ou refusera à l'idole. Un siècle après Freud et un siècle et demi après Darwin, il est temps d'entrer dans l'ère post-copernicienne de la connaissance de la boîte osseuse du genre simiohumain.

La question du mode de pesée qui présidera à la fabrication méthodique de la balance cérébrale qui permettra aux chefs d'Etat de notre temps de savoir ce qu'ils peuvent entreprendre pour tenter de remédier quelque peu aux carences dont souffre l'intelligence de notre espèce et à quelles ambitions intellectuelles ils doivent renoncer, cette question, dis-je, se place désormais au cœur de la politique et de l'histoire. Un chef d'Etat du XXIe siècle qui ne surveillera pas davantage sa propre tête qu'un souverain du Moyen Age se rendra cérébralement infirme.

5 - L'homme et son éthique

Pour l'instant, la politologie d'Israël surpasse à tel point l'étiage des capacités cérébrales moyennes de toutes les autres nations de la planète que cet Etat ne cesse d'accomplir des exploits simianthropologiques les plus étonnants, dont le principal est de forger ses conquêtes territoriales sur l'enclume de l'opinion internationale au titre d'une suite d'épreuves religieuses, donc dévotement calquées sur les souffrances d'un Christ nouveau. Les nations modernes sont appelées à rallier la cause de la sanctification d'un peuple à l'agonie, d'une victime clouée sur la croix du monde d'aujourd'hui.

voir Le naufrage de la civilisation européenne, 27 juin 2010

Je demande à mes lecteurs informés de mes analyses de ne pas tomber dans le piège d'une polémique théologique: la question posée ressortit exclusivement à l'interprétation scientifique, donc théopolitologique des mythes sacrés. Oui ou non la pestifération parareligieuse de l'Iran a-t-elle des chances de leurrer durablement l'entendement en panne des chefs d'Etat actuels ou bien un Henri IV ou un Louis XIV d'aujourd'hui peuvent-ils élever leur modeste quotient intellectuel à une science politique en mesure de construire la balance que réclame la pesée de la question suivante: faut-il valider les convictions morales qui pilotent désormais l'humanité laïque mondiale ou bien le stade actuel auquel l'évolution cérébrale de l'espèce simiohumaine semble avoir accédé est-il illusoire?

Certes, l'entreprise d'affamer une ville de quinze cent mille âmes sous les yeux de tous les habitants de la planète soulève la réprobation morale de l'opinion publique moyenne au sein des démocraties minimales du XXIe siècle. Mais faut-il, par conséquent, que les grands hommes d'Etat d'aujourd'hui partagent un optimisme généralisé ou bien, au contraire, doivent-ils se méfier de cette euphorie, parce qu'ils sauraient, eux, que la bonne conscience morale affichée par les démocraties serait fondée sur une méconnaissance radicale, tragique et sans remède de la véritable nature d'une espèce auto-sacralisée à titre psychogénétique par ses masques langagiers?

Dans ce cas, l'homme moderne serait demeuré candidement à l'état sauvage et il s'applaudirait unanimement de s'incliner devant une nation à son image, donc viscéralement fondée sur une séparation féroce des races, sur une pestifération frénétique de ses ennemis et sur leur extermination par la famine. Toute anthropologie qui se voudra scientifique, donc résolument expérimentale devra-t-elle se convertir, les yeux fermés, à un reniement sans retour des principes qualifiés d'universels de l'éthique du monde? Si ces principes étaient voués à demeurer désespérément platoniques, il faudrait, au nom de l'objectivité de la science, concéder qu'il s'agirait seulement d'afficher un masque séraphique et que celui-ci serait devenu héréditaire, donc immuable d'une génération officiellement angélisée à l'autre. Dans ce cas, la crémation tout vifs des hérétiques pour le salut de l'unité psychique de la masse des sujets d'une monarchie catholique serait-il donc légitime?

Et pourtant, l'homme d'Etat d'aujourd'hui ne se demande plus si l'Edit de Nantes était politiquement viable ou s'il fallait se résigner à brûler saintement les impies. Faut-il en conclure que la réponse anthropologique à cette question n'aurait pas été définitivement apportée au cours du XIXe siècle par la nécessité, qui s'est progressivement imposée aux Etats modernes, de changer tout le contenu de la boîte osseuse des peuples laïcs afin tenter de les délivrer de la logique des bûchers que réclame fatalement un culte fondé sur la possession de la vérité absolue? Mais il se trouve que les nations se font maintenant une raison, comme on dit, non seulement de clouer la bouche aux divinités, mais de leur couper à jamais à la parole.

6 - Sur quelle balance pèserons-nous la "responsabilité"

Et pourtant, en sous-main la vraie question à débattre demeure, comme devant, celle du statut moral et politique de Jupiter, parce qu'il s'agit plus que jamais, mais à coup plus sûr qu'autrefois, de décrypter l'encéphale moyen de l'humanité d'aujourd'hui et de son éthique. Or cette question reste "théologique" à son corps défendant et quels que soient nos efforts pour en changer les paramètres, puisque M. Barack Obama, par exemple, en appelle au "sentiment de responsabilité" des femmes libanaises, c'est-à-dire à leur morale, afin qu'elles ne prennent pas le risque, qu'il juge inconsidéré, d' offenser la piété naturelle d'Israël par une tentative hautement punissable, donc coupable, d'apporter des vivres par la voie maritime aux habitants de Gaza.

Qui décide de la culpabilité et de l'innocence, sinon une humanité qui assume désormais cahin-caha les responsabilités morales de feu son "créateur"? Car s'il est décidément immoral de permettre la survie des peuples qu'Israël aura proclamés coupables d'hérésie, l'enjeu demeurera aussi "théologique" qu'autrefois sous les vêtements d'une anthropologie vraiment scientifique - et précisément scientifique d'oser se poser ces questions-là. Il s'agira donc, comme au Moyen Age, de rien de moins que de prélégitimer le "Bien" et le "Mal", mais à cette différence près que le "péché" basculera tantôt dans le camp d'une irresponsabilité prédéfinie pour répréhensible par un ciel devenu proprement humain sans s'en douter, tantôt la Justice se rendra dans le camp d'une responsabilité proclamée vertueuse, elle aussi, donc auto-laudative par définition, celle dont le dieu s'appellera le cogito ergo sum.

Si vous ne vous demandez pas ce que veut dire "penser", il vous sera donc impossible de peser la notion de responsabilité politique et morale sur la balance de la simianthropologie; car cette balance vous invite à descendre dans les souterrains théologiques de l'espèce vocalisée par ses idoles. Comment déciderez-vous qu'il était irresponsable, donc condamnable, d'offenser la sainteté des autels des dieux antiques, irresponsable, donc coupable, de situer le soleil et non la terre au centre du système solaire, irresponsable, donc répréhensible, d'accuser et de châtier le bourreau et non la victime, irresponsable, donc hérétique, d'irriter les gardes actuels de Buchenwald ou d'Auschwitz et responsable, en revanche, de flatter leur susceptibilité, si vous n'avez pas de balance à peser le verbe "penser"? Il faut constater que l'homme a pris la place de son Dieu de sauvages dans le maniement de son vocabulaire de champion de la politique du "Bien" et du "Mal". Il nous faut donc comparer la balance de l'idole avec la nôtre, afin de départager les deux fabricants et de désigner le vainqueur.

7 - La balance des civilisations

Décidément, la balance à peser sur les mêmes plateaux l'éthique de l'humanité, d'un côté et celle des grands chefs d'Etat, de l'autre, exigera de la politique qu'elle s'arme d'une science expérimentale des encéphales dont les coordonnées seront parallèles à celles des théologies et qui permettra de tester sur le vif et de vérifier coup par coup le degré de moralité et d'immoralité non seulement de notre espèce et de ses dirigeants, mais de leur Dieu.

Prenez le cas de Mme Madeleine Albright, ex-ministre des affaires étrangères du Président Clinton et fort pieuse. A un quidam qui lui demandait s'il était politiquement légitime de condamner à mort par inanition des dizaines de milliers d'enfants irakiens au cours du blocus imposé par l'Amérique à ce pays à la suite de la première guerre du Golfe, elle répondait : "Oui, cela en valait la peine." Tel est demeuré le raisonnement tacite de la grande majorité des classes dirigeantes de l'Europe démocratique, comme il est démontré par le spectacle du blocus de Gaza aujourd'hui, de Cuba hier, de l'Iran demain.

Mais les sciences humaines n'ont pas encore mesuré les conséquences politiques de l'invention d'une balance fort exacte et qui permet d'ores et déjà de fonder une science rigoureusement expérimentale de la pesée de l'éthique du genre humain. Il aura suffi à quelques esprits éminents de se dire, avec un grand bon sens, que les foules ne sont pas encore appelées à juger ni de la moralité du monde, ni de celle de leurs dirigeants, ni de celle de Dieu et cela pour la bonne raison que les Etats laïcs se gardent autant que les Etats religieux du passé d'appeler jour après jour leur attention sur les chancres et les abcès de l'histoire de la planète.

Ces cerveaux audacieux ont donc imaginé un instrument d'observation fort simple de l'éthique des peuples : ils ont chargé à ras bords une flottille de victuailles et de médicaments et ils l'ont envoyée vérifier sur place le degré de sauvagerie actuelle de l'humanité. Or, Israël s'est aussitôt rué sur les secouristes ; et à titre de représailles sanglantes pour leur forfait, cet Etat a tué neuf apôtres en haute mer sous les yeux de toutes les Madeleine Albright de la planète.

On n'imagine pas un appareil plus perfectionné que celui-là pour armer la théopolitologie mondiale d'un moyen d'expérimenter l'éthique apostolique des Etats démocratiques actuels. Malheureusement, toute science véritable exige des validations répétées de ses expériences, malheureusement, une vérité ne devient universelle que de se trouver réitérée maintes fois, malheureusement, cette machine est fort coûteuse. Pour l'instant, elle a constaté pour la première fois et à grands frais que la moralité innée du genre humain ne change pas si facilement le sens des mots et qu'elle s'obstine, tant à haut prix qu'à bas prix, à appeler un chat un chat, de sorte qu'il suffit d'attirer son attention sur un ulcère, une gangrène ou un cancer avérés pour que les médecins naturels qu'on appelle des peuples, diagnostiquent à coup sûr un ulcère, une gangrène ou un cancer.

Mais comment attirer l'attention de l'humanité sur la maladie si les malades ne se font pas si aisément connaître et s'ils se trouvent dispersés en tous lieux du globe terrestre? Une tragique course de vitesse se trouve donc engagée entre les richissimes fabricants des appareils de vérification les plus dispendieux de l'éthique de l'humanité, d'une part, et la capacité, encore inconnue, des nations, d'autre part, d'achever leur apprentissage avec suffisamment de célérité pour leur permettre de prendre la relève des donateurs dans des délais raisonnables - donc pour imposer aux Etats la mutation de l'éthique universelle que la civilisation mondiale attend du XXIe siècle.

Par bonheur, si je puis dire, les flottilles dispendieuses sont des offertoires tellement chargés de victimes du sacrifice qu'il faut inventer un culte moins coûteux en cadavres et des prêtres habiles à jeter dans la sébile de Dieu et des hommes des morts moins nombreux. Quoi qu'il en soit, pour la première fois de leur histoire, les peuples du monde entier disposent maintenant d'une balance sanglante à peser le degré de moralité du genre humain.

8 - L'immoralité de Dieu

Que dit le fléau de la balance à peser l'éthique de la planète? La démocratie la plus pieuse du monde déclare officiellement, donc fort dévotement et par sa voix la plus autorisée, celle de son département d'Etat, qu'il est "irresponsable", donc coupable, de contester la légalité du siège de Gaza et qu'il est légitime, en droit international, de soumettre cette ville à un blocus alimentaire mortel. Par conséquent, ce sont les valeureux secouristes d'une population affamée qu'il faut citer à comparaître devant le tribunal des principes universels de la démocratie. Et pourtant, la légalité mondiale était censée, hier encore, édictée par des magistrats compétents, qui vous séparaient à bon escient la justice de l'injustice, pertinemment le "Bien" du "Mal" et infailliblement le vrai du faux!

Du coup, la question de la pesée des capacités cérébrales des grands chefs d'Etat d'aujourd'hui n'est pas près de se trouver résolue. Combien faudra-t-il de flottilles pour démontrer que le simianthrope moyen ne se laissera pas convaincre de ce que le blanc est noir, alors que les boîtes osseuses de M. Barack Obama, de M. Nicolas Sarkozy, de Mme Merkel et de M. Medvedev persévèreront à se trouver stipendiés à l'école des gardiens de Büchenwald? Ecoutez les arguments des savants anthropologues de Washington, de Paris, de Berlin, de Moscou et de Pékin: ces guerriers prétendent mordicus que l'encéphale politique de la majorité des descendants du chimpanzé mérite un tel traitement. Car enfin, disent-ils, tel père, tel fils, telle idole, telle créature, tel châtiment, telle humanité; or, le dieu éternel qui rôtissait saintement ses créatures dans ses marmites infernales était juste à souhait, répètent-ils, le génocidaire du Déluge, disent-ils, était sage comme personne! Comment, avec un dieu comme celui-là, pouvez-vous ne pas donner entièrement raison à la stratégie cérébrale d'Israël?

9 - Le " formidable bon sens " de la vérité politique

Pour tenter d'apprendre si les chefs d'Etat doivent ramer à contre-courant, nous ne sommes décidément pas au bout de nos peines. Serait-il demeuré aussi difficile qu'au Moyen Age de savoir sur quelle balance le génie politique pèse la boîte osseuse de l'humanité?

Et pourtant, disent les flottilles, quel privilège que le nôtre ! Pour la première fois, l'histoire de notre politique et celle de nos sacrifices occupent le même degré de longitude et de latitude sur la planisphère des victimes, pour la première fois, nos offrandes mettent entre nos mains la balance à peser le degré de raison requis des chefs d'Etat et des peuples. Autrefois, il était parfois difficile de les séparer. Et maintenant, tout les distingue avec un tel éclat que le monde entier nous tend la balance à séparer les nains les géants de l'éthique du monde.

A partir d'aujourd'hui il faudrait se montrer sourd, aveugle et muet pour s'imaginer que, demain matin, à la première heure, le temps de l'histoire aura fatigué la meule du monde, que quelques années suffiront à Israël pour planter le drapeau de sa justice sur le camp de concentration de Gaza, que, de guerre lasse, tous les peuples de la terre jetteront avant dix ans leur liberté aux orties et que l'éthique mondiale épuisée dira avec le "dernier homme" de Nietzsche: "Amour, création, désir, étoile? Que voulaient dire ces mots-là?"

Que des facilités offertes au "formidable bon sens" qui fonde le génie politique !

le 4 juillet 2010

Visiter le site OFFICIEL DU PHILOSOPHE MANUEL DE DIEGUEZ :

http://www.dieguez-philosophe.com

Commentaires

de JLP
Toujours de grandes leçons politiques ... Un texte exceptionnel de Manuel de DIEGUEZ
"Mais tout grand chef d'Etat sait pertinemment que les empires n'ont pas d'amis, mais seulement des rivaux, des comparses, des complices, des subordonnés complaisants qu'ils feignent seulement de partager leur suprématie avec des protégés, qu'ils tirent sans cesse de nouveaux avantages de l'apparence qu'ils donnent d'une connivence effective avec des obligés, qu'ils consolident par ce moyen les positions acquises précédemment et qu'ils sont condamnés par nature à étendre leur puissance au détriment de leurs hommes-liges de passage."
0 approbation
04 July - 19h50

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