Tribunes de Philosophes

"L'humanisme du XXIe siècle - Comment le simianthrope se construit ses signifiants" par le philosophe Manuel de DIEGUEZ, un de nos grands Maîtres

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Introduction

Sans doute les historiens de la première décennie du troisième millénaire diront-ils, primo, que l'heure de l'effondrement d'un empire fondé sur la manne d'une monnaie fictive approchait à grands pas, parce que le gouffre devenait abyssal entre les ressources de la nation et le coût fabuleux tant de la navigation d'une gigantesque flotte de guerre sur toutes les mers du globe que de l'entretien à fonds perdus de mille deux cents garnisons implantées sur les cinq continents; secundo, que la crise économique s'est aggravée en 2010, parce qu'il devenait évident qu'elle mettait en question la validité des fondements mêmes du capitalisme, et cela bien plus gravement que du temps où le rêve communiste avait un instant paru crédible à l'armée des semi intellectuels évangélisés par l'utopie; tertio, que la ruine du Nouveau Monde a été prodigieusement accélérée par Israël, qui avait ridiculisé le géant aux yeux du monde arabe, de la Chine, de la Russie, de l'Amérique du Sud et même du Japon en raison de son refus catégorique de mettre un terme provisoire à ses conquêtes territoriales ; quarto, qu'il était aussi impossible de rendre viable un Etat palestinien infirme que d'en faire accepter un vrai à Jahvé; quinto, qu'un personnage demeuré vaporeux depuis le paléolithique avait subitement débarqué en armes dans l'Histoire, la conscience universelle, laquelle clouait maintenant au pilori l'immoralité de la classe dirigeante de la démocratie mondiale; sexto, que le fossé entre les peuples et leurs élus avait été rendu abyssal par le spectacle d'une civilisation de la Liberté occupée à affamer, les armes à la main et tous canons pointés, la population d'un territoire d'un million six cent mille habitants à Gaza.

Mais, plus souterrainement encore, un siècle qui voyait fondre à vue d'œil les assises anciennes de l'histoire du monde faisait germer en secret deux révolutions nouvelles de la conscience. Alors que Copernic n'avait jamais ébranlé le sens commun de l'âge de pierre - on voyait toujours le soleil courir dans le ciel - l'univers à quatre dimensions devenait angoissant dans ses profondeurs, parce que l'écart entre le témoignage quotidien des sens et la vérité des physiciens du cosmos avait fait table rase de la logique d'Aristote. Le second séisme résultait de la nécessité de décrypter dorénavant l'identité humaine à la lumière d'une spéléologie des symboles, parce que si l'homme réel ne se cachait ni dans sa chair, ni dans le fantôme d'"esprit" conceptualisé de Platon à Hegel, comment fallait-il tenter de connaître et de comprendre l'humanité transanimale? Naturellement, il a fallu un ébranlement titanesque du monde ancien pour que la question : "Qui suis-je?" se glissât à nouveau hors de son sépulcre.

Dans le texte ci-après, j'ai tenté de signaler quelques repères d'une évasion aléatoire.


1 - La vocation de la raison des modernes
2 - La généalogie de Dieu et de l'Etat
3 - Un retour à Descartes
4 - Le trépas et les funérailles du sens commun de Descartes
5 - Et maintenant …Israël
6 - Israël et l'avenir de l'anthropologie philosophique moderne
7 - Le mythe de la caverne
8 - La troisième postérité de Platon et du concept
9 - Le symbolique est le télescope de la philosophie
10 - Résumé et conclusion

1 - La vocation de la raison des modernes

Pour comprendre la généalogie des signifiants, donc du sens, l'analyse anthropologique des mécanismes psychiques qui façonnent les interprétations religieuses du monde nous conduit au cœur de la greffe du langage des signes sur la politique et sur l'histoire, mais également au cœur de la pensée scientifique. Pour accéder au recul d'un regard de la raison sur la migration du réel vers une signalétique générale - vers un réseau de signaux - il faut donc entrer dans l'encéphale du croyant jusqu'à en comprendre non seulement la sauvagerie native et inévitable, mais également l'élévation et la noblesse des codes d'interprétation du monde qui pilotent l'encéphale des semi évadés de la zoologie. Sans une lecture ouverte au pathétique des signalisations simiohumaines, il n'y aura pas de science de l'encéphale trans-animal.

Si j'emprunte le discours d'une laïcité censée fonder l'identité cérébrale de la France et si je soutiens que la religion n'est nullement dangereuse en elle-même, mais dans ses dérives occasionnelles et qu'il faut seulement éviter ses fâcheuses instrumentalisations politiques, je présupposerai que les religions seraient étrangères au politique par nature et par définition, ce qui démontrera combien j'aurai passé outre à l'essentiel, à savoir que rien n'est plus viscéralement et plus originellement politique par nature que de doter le cosmos d'un créateur omniscient, d'un administrateur général chevronné, d'un législateur avisé et d'un pilote omnipotent de l'éthique du monde, de sorte que c'est la laïcité qui instrumentalise le mythe religieux en retour à le priver en un tournemain de son véritable contenu, qui est politique par définition, donc "fondamentaliste", comme on dit. L'idole se vengera de ce coup de force à son égard: elle émigrera sans plus attendre vers des sociétés prétendument devenues rationnelles, qu'elle contaminera sans difficulté, et cela au point de les faire patauger bien davantage dans le sacré que précédemment, mais entièrement à leur insu et au cœur même d'un temporel prétendument triomphant. Une science anthropologique rigoureuse ne saurait se permettre d'oublier la logique qui inscrit l'homme tout entier dans des mondes politiques. Le cerveau de cette espèce se trouve dédoublé de naissance entre le "réel" et divers mondes imaginaires. Mais ces univers distincts s'interpénètrent réciproquement selon des dosages à préciser. La raison de demain a d'autant plus vocation de décrypter les songes religieux métissés que Freud n'y suffit plus, que la postérité de Darwin y tâtonne et que la notion emmêlée et inconsciemment confuse "d'objectivité scientifique" est sans cesse à retirer de sa gangue mythique du moment.

Si l'on ne se pénètre pas de l'évidence première que le croyant est pleinement convaincu de l'existence et de l'excellence d'un créateur politique du cosmos et que les sages directives de cet acteur de l'histoire auraient permis de séparer le plus sincèrement du monde et de toute éternité un Bien et un Mal majusculaires, donc fantasmagoriques par définition, comment le philosophe et l'anthropologue trans-relativistes observeraient-ils "les mots et les choses" en tant que personnages distincts? Car ces ennemis sont irrémédiablement condamnés à sceller entre eux des pactes arbitraires et artificiels, dont la vocation sera d'expliquer non seulement la politique et l'histoire, mais l'impertinence de la théorisation anthropomorphique de la tête aux pieds de la course de l'univers de la matière sur des chemins réputés locuteurs.

C'est dire également qu'un humanisme horrifié par la sainte Inquisition, par exemple, se privera du regard plongeant d'une anthropologie drastique sur les alliances secrètes qu'une imagination religieuse et une rationalité pudibonde concluent avec les piétés verbifiques qui servent de poutres de soutènement au suffrage universel. Qu'en est-il de l'autorité de l'axiomatique politico-magique du rêve de la Liberté, qu'en est-il de l'élévation d'une narration des évènements à l'intelligibilité de l'histoire, qu'en est-il du récit ensorcelé par la pseudo compréhensibilité qu'il affiche, qu'en est-il de la métamorphose du renseignement muet en une symbolique au sein d'une problématique dans laquelle le signe insèrera ses prétentions à l'infaillibilité doctrinale?

2 - La généalogie de Dieu et de l'Etat

Comparons le voyage que le vocable "Dieu" a entrepris en direction d'un personnage qu'on croira agissant avec constance et sagesse dans le monde et qui sera censé en fournir des preuves en abondance, passons, dis-je, de l'itinéraire du discours religieux à celui du substantif "l'Etat", cet acteur non moins réputé physiquement agissant que "Dieu" sur la scène du monde.

On sait que la pertinence du langage attribué à l'association du ciel et de l'Etat est censée se trouver démontrée par la substantification de leurs exploits respectifs: il en résulte que s'il n'existait pas de cathédrales, si tous les villages de France perdaient leur clocher, leurs cierges, leurs ciboires, leurs missels, leurs prie-Dieu, leurs encensoirs et leurs autels, "Dieu" verrait s'évanouir des apanages tenus pour visibles et censés vérifier ses activités sur la terre; et il est démontré que la foi s'éteindrait aussi immanquablement dans les cœurs et dans les esprits que Zeus ou Mars, qui ont disparu des consciences avec leurs prêtres, leurs rituels, leurs liturgies et les sacrifices d'animaux domestiques qu'on leur offrait en tous lieux .

La question est donc de savoir comment il se fait que, dans l'état actuel de son évolution, le cerveau de notre espèce croit en la réalité des personnages qu'il a mis en embuscade dans les coulisses du monde et dont les attributs prouveraient l'existence et donneraient leur voix aux choses. N'en est-il pas de même de l'éloquence attribuée à l'Etat en tant que tel? Mais si ce vocable ne se trouvait que dans les dictionnaires, alors que sa sonorité est censée étaler des paramètres physiques spectaculaires aussi bien sur les places publiques qu'à l'école de ses nombreux dignitaires - qui vont de la masse de ses gendarmes aux robes noires de ses magistrats et des palais somptueux de la République aux cérémonies cadencées du 14 juillet - qui parlerait d'une nation et d'un peuple, qui proclamerait tangible et visible l'Etat en tant que tel et sous les mêmes apparats et simulacres que Dieu ? Demandons-nous donc ce que signifient les mots harnachés, galonnés, enrubannés dont les évadés de la zoologie chargent désormais de porter en public le glaive et l'éclat de leurs définitions, demandons-nous ce que signifient des abstractions rendues ostensibles, croit-on, et auxquelles il est demandé de porter au côté l' épée effilée de leur sens.

3 - Un retour à Descartes

Pour tenter de résoudre ces difficultés, revenons un instant au premier anthropologue moderne, un certain René Descartes, qui s'échinait à expliquer à la princesse Elisabeth que sa pieuse philosophie du Moyen Age était entièrement erronée et qu'elle avait le plus grand tort de persévérer dans son obstination dévote à se définir comme un "mélange de corps et d'esprit". Car les scolastiques, ses pédagogues, étaient coulés dans le moule du mythe chrétien de l'incarnation de la vérité et du sens, comme la France républicaine est coulée dans le moule épistémologique du mythe de l'incarnation de la démocratie.

Certes, Descartes défendait les fondements platoniciens de la science du XVIe siècle qui, avec les Copernic et les Galilée, avait été contrainte de revenir à la distinction socratique entre le concept et la matière. Mais la question n'avait pas encore pris le sens politique, historique et anthropologique qu'elle prend de plus en plus aux yeux des modernes. Car si la princesse Elisabeth ne parvenait ni à se concevoir sous les traits d'un pur esprit, ni à s'abaisser au rang d'une matière, il lui fallait se résigner à concocter les signifiants du monde dans la marmite du diable où le Moyen Age cuisinait les salmigondis savoureux du "sens commun".

Si le siècle de Descartes était parvenu à faire choir les savoirs réputés intelligibles dans le champ périlleux de l'histoire et de la politique, il aurait observé la migration harassante du mythe de l'incarnation en direction d'une problématique censée rendre désormais "parlantes" toutes seules les sciences de la nature. Car, de Copernic à Einstein, celles-ci se sont imaginé que les concepts de raison, de cause, de déterminisme se substantifiaient sous la meule de l'expérience, laquelle en vérifiait souverainement le contenu langagier. Mais qu'en est-il de la forgerie de la preuve censée illustrer la parole du sens sur son enclume et qui illuminerait un savoir jailli de ses flambeaux vocaux?

Le "discours de la raison" que l'univers était réputé tenir au cœur de la physique mathématique classique portait les mêmes vêtements verbaux que la théologie finaliste dont une divinité amie du sens commun était habillée; et la politologie servait de couturier à un Etat de droit calqué sur les recommandations expresses ou les ordres catégoriques d'un ciel de mèche avec la rationalisation des habitudes de la matière. Mais cette rationalisation demeurait inconsciente des valeurs qui lui donnaient son assise dans "l'intelligible". Comment expliquer le parallélisme entre les vêtures vocales du ciel et la logique simiohumaine du cosmos?

Il faut se résigner à l'avouer, les difficultés qu'un certain Renatus Cartesius rencontrait à seulement tenter de fixer un court instant l'attention d'oiseau de la princesse Elisabeth sur le problème qu'il la conviait en vain à examiner - il a fini par y renoncer, non sans un mouvement d'humeur assez vif - ces difficultés pédagogiques, dis-je, sont demeurées les mêmes aux yeux de la conscience d'oiseau d'aujourd'hui, qui persévère à métamorphoser les routines profitables du cosmos en un discours rationnel. Vous ne perdrez peut-être pas votre salive à prétendre éveiller l'intelligence du simianthrope sur l'évidente vérité que le concept de Dieu demeurera séparé de son culte et étranger à la substance attribuée à l'idole dans le polythéisme; mais jamais le cerveau de nos savants ne vous concèdera que l'Etat en tant que tel est un pur concept, lui aussi, et qu'il ne saurait se substantifier en un appareil auto substantificateur, composé de ses juges, de ses soldats, de son administration, qui s'échineront jour et nuit à prétendre le chosifier. Il faudra donc observer comment nous soulevons à bout de bras le mythe de la réification de la parole de l'Etat, donc son sens, alors qu'il est bien impossible de jamais passer d'un concept aux objets censés l'incarner - car ceux-ci se changent en signes et sont interprétés à titre de signaux jusque dans la théorie scientifique.

4 - Le trépas et les funérailles du sens commun de Descartes

Et pourtant les lettres de Descartes à la princesse Elisabeth auraient dû délivrer la boîte osseuse du simianthrope de sa cécité ou de sa léthargie, puisque Einstein interdit désormais de faire un pas dans l'étendue que nous avions unifiée par la magie de la physique mathématique tridimensionnelle

Autrefois, je marchais à grandes enjambées dans l'espace. A mes côtés, le temps me servait d'instrument de mesure du chemin parcouru. Et maintenant, je m'aperçois que seule la durée me permet de conjuguer le verbe être et que je ne saurais courir dans le cosmos si les heures ne m'avaient autorisé au prélable à doter d'existence l'étendue. Pis que cela, si je joue au ping-pong dans un avion, je m'aperçois que les allers et venues de la balle ignorent la vitesse du projectile qui me transporte et que la terre tourne sur elle-même sans se soucier de sa giration autour du soleil. Pis encore; si j'enfourche un photon, le temps va réduire sa coulée au point que son mince filet me donnera un avant-goût de mon éternité - mais quel naufrage du sens commun que le spectacle du vieillissement prématuré de mes congénères demeurés ficelés aux heures de la terre! Et puis, quelle camisole de force que le temps faussement généreux dont la coulée, devenue parcimonieuse, prolonge mon ossature de quelques instants, quelle nouvelle tromperie que de m'offrir pour immortalité un pauvre retard de mon trépas. Pas de doute: il "existe" désormais, autant d'espaces que de véhicules qui en transportent des bribes et des morceaux. Le temps a épousé le mouvement, le temps l'a ligoté et ficelé à son mystère, le temps joue à la balle avec la matière.

Ah ! que nos ancêtres étaient encore à la fête! Deux jardinets bien séparés se portaient secours ou couraient se prêter main forte, celui du vide et celui du temps qui l'arpentait. Voyez comme le mouvement endossait complaisamment la redingote des heures, voyez comme nos cadrans en mesuraient le parcours et la dégaine, voyez comme nos horloges permettaient au néant de se peupler d'atomes, voyez comme la matière permettait au temps de courir à toute allure ou avec lenteur, voyez comme les substances se ficelaient à l'écoute du tic tac de nos pendules, voyez comme la dromomanie de la matière se laissait domestiquer par nos clepsydres ! Aussi longtemps que le rien et le temps campaient sur leurs repères respectifs et se communiquaient force renseignements dûment vérifiables, il nous suffisait d'introduire la balance fictive de nos équations dans l'univers providentiellement répétitif qui nous avait été donné en partage pour que nos formules algébriques servissent à la fois de clés et de répliques oraculaires au cosmos. En ces temps reculés, nos calculs immolaient le mutisme de l'immensité, en ces temps reculés, la matière nous criait que sa prévisibilité la rendait loquace en diable sur les chemins de nos "lumières naturelles".

5 - Et maintenant …Israël

Et maintenant, voyez à quel naufrage de notre signalétique générale nos mathématiques ont conduit notre raison d'hier, voyez comme un espace et une durée devenus flottants ont englouti le jeu de tric-trac du "sens" auquel nos cadrans solaires se livraient avec l'infini : nous voici tout disloqués par les diastoles et les systoles du cosmos. Dites-vous bien que le temps s'est au mouvement en est devenu le souverain, dites-vous bien que la vitesse de la lumière a ralenti la course des heures et que les rênes du soleil freinent et domptent la durée, dites-vous bien que le temps et la matière ont convolé en justes noces, mais jouent à cache-cache dans l'étendue, dites-vous bien que la fainéantise avec laquelle nous nous traînons dans le cosmos ne cesse de signer notre arrêt de mort et que si nous accélérions notre trot au point de rivaliser avec la galopade des photons, nous saurions que nos savants d'autrefois sont devenus sots et aveugles et qu'ils voudraient n'en faire qu'à leur tête. Figurez-vous qu'ils ne calculent plus que l'étendue et l'espace qu'occupent les astres et qu'ils limitent l'arène de nos essoufflements à quinze milliards d'années-lumière ; mais si vous leur demandez ce qu'ils font du vide sans cesse rouvert au-delà de la frontière qu'ils auront craintivement tracée, vous les verrez arrêter le temps afin de se bâtir une demeure mesurable.

Mais sachez que Chronos a cessé de battre la mesure dans le cosmos, sachez que la substance de nos corps nous a séparés du temps dont la coulée uniforme rythmait nos jours d'autrefois, sachez que le père d'Ouranos et de Gaia est devenu le poumon fantasque de l'infini ou la "montre molle" de Salvador Dali. Comment retrouverons-nous les arpents et les lopins de l'espace et du temps bien sages et bien sarclés de nos ancêtres? Comment retrouverons-nous jamais les ratissages de nos vieux entremetteurs, qui nous payaient rubis sur l'ongle et qui veillaient à la sacralité de nos chemins? L'angoisse est devenue le gouvernail de notre négoce avec nos heures.

Par bonheur la postérité de nos grands philosophes prend des chemins nouveaux. Car si nous commençons d'observer les tailleurs parcimonieux du temps des pommes et des pommiers que la physique d'Aristote croyait avoir répertoriés et si nous savons maintenant que la causalité et le déterminisme, par exemple, n'ont pas davantage de substance que Dieu ou l'Etat; et si nous avons appris à nos dépens que les " lois de la nature" n'incarnent nullement les déités verbales qui les élevaient dans le ciel de la théorie, Israël fera débarquer à son tour et sans le savoir la véritable postérité cérébrale de Descartes à la fois dans la géopolitique et dans l'anthropologie moderne ; car même si l'Etat juif parvenait à sembler s'incarner un instant sur la terre, jamais il ne substantifiera ni le sionisme, ni le grand Israël. Observons donc comment certains concepts trompent leur monde plus longtemps que d'autres et demandons-leur des comptes.

6 - Israël et l'avenir de l'anthropologie philosophique moderne

La France, par exemple, croit dur comme fer et depuis quelque deux mille ans qu'elle est à portée de main de ses géomètres et de ses topographes, la France de Vercingétorix s'imagine que son territoire l'incarne aux yeux de ses ridicules arpenteurs. Mais les Etats censés durer n'existent pas davantage sur la terre que ceux qui demeurent privés de leur pétrification illusoire sur un territoire; car, en tant que tel, un Etat est toujours un personnage exclusivement mental, comme l'Elisabeth de "l'esprit" se réduisait à un signe, un signal, un symbole que sa chair, son sang et ses os échouaient à substantifier. A quels certificats de "l'esprit" le verbe exister en appelle-t-il si les constats d'huissier et les actes notariaux n' attestent pas le sens de nos signifiants?

Telle est la question qui féconde la postérité cérébrale de Descartes, tel est son destin dans l'histoire des signes. Car le platonisme d'hier se lovait dans la signalétique générale de l'idéalisme classique. Mais Socrate avait beau se moquer de Criton, qui croyait que le vrai Socrate avait des bras et des jambes. Car nous n'avions pas d'anthropologie des hommes-signes, nous n'avions pas de regard pour les signes en marche, nous ne regardions pas les hommes à la lanterne, les Diogène qui jetaient un poulet plumé parmi les définisseurs platoniciens de l'homme.

Et maintenant, Israël se métamorphose sous nos yeux en un témoin du signe qu'il est à lui-même en un symbole en marche sur la terre. Quels yeux de l'esprit le verront-ils comme un signe de l'humanité? Car cet Etat se fait signe à Gaza. Mais, dans les profondeurs, une mutation de l'intelligence semi animale de notre espèce se prépare : à se trouver voué à la destruction inexorable de sa chair et de son sang - on ne fera pas durer physiquement un Etat colonial dans un monde décolonisé par la démocratie mondiale - cette nation deviendra, à son corps défendant, c'est le cas de le dire, le germe, puis le phare de la raison diogénique de demain; car le singe vocalisé et vocalisateur découvrira comment ses ancêtres chosifiaient les mots de la tribu, comment ils les habillaient en personnages, comment ils les enrubannaient vainement - mais la lanterne des Diogène de l'humanité n'a pas de chair. Quelle ciguë que l'intelligence écartelée entre un corps périssable et un langage illusoire, quel remède que l'intelligence crucifiée sur la potence d'un langage mais qu'un regard de loin sur notre espèce change en élixir de la connaissance! Quel est le dieu des signes dont nous sommes habités?

7 - Le mythe de la caverne

L'avenir de la philosophie occidentale s'inscrit tout entier dans la postérité politique inattendue et pourtant certifiée de Descartes et de Kant. Autant Descartes a introduit le platonisme naïf du "sens commun" de l'époque dans la physique classique, autant Kant a inauguré la première distanciation encore embryonnaire et candide à l'égard des "lumières naturelles" du Moyen Age. Certes, les "catégories" demeuraient congénitales au jugement banalisé par la coutume dont Aristote avait inauguré la recension dans son Traité de la logique. Mais à l'heure où l'Europe n'occupe plus le pôle central de la géopolitique sans avoir, pour autant, renoncé au génie prométhéen qui inspire désormais la science mondialisée, le moment est venu de ramener la philosophie à sa seconde origine platonicienne, celle qui, dans le Théétète, le Gorgias, le Hippias Mineur, fonde la théorie de la connaissance sur une observation anthropologique avant la lettre de la faiblesse cérébrale du genre humain, et notamment sur la difficulté que cet animal éprouvait à l'époque pour seulement passer du concret à l'abstrait et pour s'élever de l'objet au concept sans se totémiser à l'école de son auto-vaporisation dans ses grammaires.

Naturellement, Platon a été interprété d'un côté comme un mythologue des idées dites pures, et cela malgré les tentatives méritoires d'un Heidegger de mettre en évidence l'existentialisme caché du disciple de Socrate, qui disait vingt-cinq siècles avant La Bruyère : "Tel est l'homme, telle sa parole"; mais d'un autre côté, voyez les efforts opposés des mystiques orthodoxes, qui rappellent depuis deux mille ans que le mythe de la Caverne se fonde tout entier sur le culte d'une lumière située au-delà des idées pures. Qu'en est-il de la lumière du symbolique et de la folie humaine en général? Erasme écrit de Platon: "Ce philosophe feint une caverne pleine de gens qui y sont arrêtés malgré eux. Un de ces captifs s'enfuit, et après s'être promené longtemps, il revient. 'Oh! mes amis, s'écrie-t-il en rentrant , que vous me faites pitié! Vous ne voyez ici que des ombres, que des fantômes; en un mot, vous êtes des fous." (L'Eloge de la folie) Mais qui sont les Socrate, les Diogène, les Erasme, sinon des hommes-signes dont nous ne cessons, de siècle en siècle, de décrypter le symbole qu'ils nous signalent en marchant?

8 - La troisième postérité de Platon et du concept

Le monde entier entre dans la troisième postérité de Platon et de Descartes, celle qui, non seulement observe de plus en plus de l'extérieur le fonctionnement du cerveau semi animal de notre espèce, donc les faiblesses respectives de la vaine saisie du monde par des vocables et de la capture non moins vaine de l'univers physique par l'intermédiaire des sens réduits à leur propre témoignage; car si le langage généralisateur et qui élimine les signes se révèle aussi trompeur que la saisie matérielle des objets, le recul anthropologique que la philosophie platonicienne avait esquissé ouvre aux lointains héritiers de la raison grecque un territoire nouveau et immense, celui d'une distanciation nouvelle à l'égard du symbolique.

L'homme moderne se trouve livré à un cosmos désespérément expérimentable, mais radicalement rebelle à son décryptage, donc privé de signes. Car, d'une part, la physique einsteinienne et post-einsteinienne a définitivement ruiné la fausse autorité qu'exerçait le sens commun des scolastiques, mais également celle des "lumières naturelles" de Descartes, de Kant et de Hume. D'autre part, la double disqualification du concept et des sens éveille un regard tout autrement distancié à l'égard de la raison simiohumaine classique, un recul "diogénique" et qui ressortit au génie visionnaire des plus grands écrivains et des prophètes, qui ne se sont jamais laissé prendre en étau entre la parole et le monde et qui s'appliquent à déjouer un piège d'une tout autre envergure. Car, se disent les Isaïe et les Swift, les Jérémie et les Shakespeare, les Ezéchiel et les Cervantès, comment se fait-il que des personnages fantastiques se promènent sous l'os frontal de notre espèce , comment se fait-il que ces acteurs fabuleux nous racontent des histoires tour à tour délirantes et semi rationnelles, comment se fait-il, enfin, que ces législateurs, administrateurs et régisseurs à la fois rigides et immuables de leur propre signalétique aient dirigé l'histoire et la politique des otages de leurs propres symboles? Comment allons-nous hiérarchiser les signes?

On sait que la double postérité anthropologique de Platon - celle de la chute des sciences de la nature dans le mystère du temps et celle du naufrage de la parole dans les délires sacrés - élève désormais le philosophe-anthropologue au rang d'interlocuteur privilégié de l'univers des signes . Du coup, la distanciation du génie littéraire à l'égard des évadés partiels de la zoologie se nourrit bien davantage de Kafka et des Voyages de Gulliver que de la Métaphysique d'Aristote ou de la Critique de la raison pure de Kant, bien qu'il demeure aussi impossible d'entrer dans l'intelligence des signes sans être monté au préalable sur les marchepieds de la parole et en avoir compris l'utilité qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille.

9 - Le symbolique est le télescope de la philosophie

L'anthropologie philosophique des visionnaires de demain enseignera à spectrographier la silhouette élévatoire de l'humanité telle que le miroir du symbolique en dessinera les contours. Car le symbolique filme un animal erratique de naissance et privé de moyens de saisie d'un sens du monde transcendant à l'outillage qui le forge, de sorte que cette espèce place inconsciemment et à titre psychogénétique le cosmos tout entier sur une manière d'autel invisible sur lequel elle immole à des acteurs verbaux du cosmos des victimes emmaillotées dans un langage inconsciemment sacrificiel, celui des dignitaires des sacrifices les plus chamarrés, qu'on appelait la causalité et le déterminisme; et ces prêtres assermentés et corsetés de l'univers se présentaient en tenue de législateurs, d'habilleurs et de couturiers assermentés - mais comment une physique autrefois soutenue par les câbles du sens commun appelés à en consolider la machinerie n'aurait-elle pas offert le spectacle du sacerdoce artificiel et contrefait de ses courtisans?

On voit que l'anthropologie visionnaire et critique des diogénètes de demain serait bien désarmée si les grands écrivains et les prophètes ne lui mettaient entre les mains la lanterne d'une forme de l'intelligence qui leur est particulière. Mais quel visionnaire du symbolique inconsciemment sacrificiel que le Platon des prisonniers ficelés à leur banc par les pieds et par le cou dans le mouroir qu'on appelle l'univers, quel visionnaire du symbolique inconsciemment sacrificiel que l'Aristote que sa logique a conduit à théoriser l'infini vingt siècles avant la Renaissance, quel visionnaire du symbolique inconsciemment sacrificiel que le Descartes qui vous coupe le nœud gordien qui attachait la matière au langage, quel visionnaire du symbolique inconsciemment sacrificiel que le Kant qui prend un recul nouveau dans la caverne de Platon à l'égard du fonctionnement sur piles expérimentales de l'encéphale simiohumain avant de se laisser piéger à nouveau par la parole du sens commun retrouvé et qu'il fait réciter à ses "catégories" du jugement, quel visionnaire du symbolique inconsciemment sacrificiel que l'observateur de la généalogie animale du concept de causalité - un certain David Hume!

Car ce que la science d'autrefois croyait démontrer à un cosmos muet, c'était le pain et le vin du signifiant; et pour qu'il vous le fournît bien breveté et prêt à le consommer, il n'était pas de parole plus sûre sur la table du festin que celle du sens commun. Mais si les religions se laissent désormais scanner à la lumière des Diogène de demain, les chromosomes de la connaissance semi animale commenceront de s'unifier inter sacrum et saxum, entre le couteau et l'offertoire. On attend l'immolation symbolique d'Israël entre le couteau et le propitiatoire de Gaza pour que l'anthropologie des symboles de l'esprit débarque dans la connaissance de l'histoire.

Pour que les retrouvailles de la philosophie critique avec le génie visionnaire des prophètes puisse donner lieu à des célébrations, il faudra monter sur les escabeaux du sacrifice. Sinon, comment accéderait-on à la lucarne du symbolique où les grands écrivains élèvent l'intelligence à une théopolitique de la condition simiohumaine ? Le symbolique est l'œil visionnaire du cogito, le télescope de la raison critique à venir.

10 - Résumé et conclusion

Retrouver Platon chez Descartes et démontrer que la physique classique reposait sur une manière de platonisme de la rue dans lequel le sens commun faisait figure de constellation des idées pures; démontrer que la physique à quatre dimensions - et davantage - a disqualifié la fausse succulence des "lumières naturelles" qui blasonnaient l'idéalisme réputé expérimental de l'Occident ; rendre existentiel un univers inintelligible dans lequel la vitesse donne au temps les ailes de l'éternité et dans lequel l'alliance de la lumière avec la durée fait tomber en léthargie notre astéroïde ralenti; démontrer que le symbolique est le phare de l'intelligence philosophique et faire débarquer la vision des grands écrivains et des prophètes dans une histoire sacrificielle commune à la pensée et aux sciences exactes; démontrer que l'histoire et la politique en appellent au regard des hommes-signes sur l'encéphale humain: si tels sont les principaux axes du cogito du XXIe siècle, les chemins de l'avenir de la philosophie européenne sont tout tracés. .

Le 25 janvier 2010

VISITER le site officiel du Philosophe Manuel de DIEGUEZ

http://www.dieguez-philosophe.com/

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