Tribunes de Philosophes

"Comment peser les civilisations? (1)" par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains.

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[Photo : Claude GUEANT, actuel Ministre de l'Intérieur ]

Périclès expliquait aux Athéniens pourquoi Athènes était le "pédagogue de toutes les cités de la Grèce", Tite-Live pourquoi les armes romaines apportaient la liberté au monde, saint Ambroise pourquoi les dieux avaient quitté le gosier des oies du Capitole, Voltaire pourquoi l'heure était venue pour Adam de penser par lui-même. Mais la République française du XXIe siècle ne porte pas de regard sur la condition humaine et sur les balances nouvelles qui nous contraignent de peser notre encéphale à nouveaux frais.

A l'heure où la physique mathématique voit les neurones de notre espèce se glisser au centre de quête des secrets de la matière, l'heure où la conscience de la conscience s'éveille au cœur des sciences humaines, à l'heure où l'évolution des espèces, découverte en 1859, supplie une anthropologie digne de ce nom de piloter la philosophie mondiale et la spéléologie des religions, un Etat dépourvu de toute balance à peser les civilisations couronne d'un encéphalogramme plat la nation qu'il est censé représenter sur la scène internationale.

La décérébralisation de la nation de Descartes a été éloquemment illustrée, il y a quinze jours par le ministre de l'intérieur, qui dans une perspective électorale élyséenne, n'a pas osé rappeler qu'une symphonie de Mozart ne trouve pas sa rivale dans les trémoussements chantants des sorciers bantous, mais seulement qu'une religion se juge à la longueur des jupes et des cheveux des dévotes. Il s'est, néanmoins fait taper sur les doigts, mais nullement pour son ignorance des théologies, mais pour incitation au racisme. Une civilisation démocratique incapable de se définir en tant que telle ne fait qu'illustrer les carences cérébrales atterrantes dont souffre une cinquième République chapeautée d'une laïcité devenue acéphale pour avoir découvert le faux Graal de la "raison démocratique". Mais toute raison trottinante, broutante et mâchonnante n'est qu'une théologie autrement masquée, un caducée serti de perles artificielles, un sceptre enrubanné, un instrument plus secrètement affûté de l'ignorance et de la servitude.

Dans mon "billet" d'aujourd'hui et dans celui du 26 février, je tenterai d'ouvrir ce sarcophage avec précaution et de répondre à la question: "Qu'en est-il des bandelettes de la momie qu'on appelle encore la démocratie?"

 1 -Le mystère Guéant 
 2 - La balance à peser les civilisations 
 3 - Et si la civilisation ouvrait une carrière aux cerveaux rares ?
 4 - M. Guéant et la raison républicaine
 5 - Les sacrifices des uns et des autres
 6 - La civilisation d'un grain de sable
 7 - Le nouveau culte des idoles 
 8 - La civilisation des fétiches verbaux
 9 - Qui es-tu ?

*

1 - Le mystère Guéant

Comme chacun sait, M. Claude Guéant a déclaré que toutes les civilisations n'occupent pas le même rang et qu'il existe une hiérarchie des cultures, alors que, de mon côté, j'ai toujours dénoncé le crétinisme insurpassable d'un pluriculturalisme dont l'encéphalogramme plat accorde à un brailleur de rap le même rang qu'à Mozart.

Ma minusculité se sent donc apostrophée, du moins indirectement, par mon accord apparent avec un si grand personnage de l'Etat: pas de doute, je me trouve mis en demeure de m'expliquer en Lilliputien avec un géant de la raison française et républicaine tout subitement armé jusqu'aux dents du Discours de la méthode d'un certain Renatus Cartesius, qui disait que le "bon sens est la vertu au monde la mieux partagée". Comment ce Titan de nos "lumières naturelles" est-il monté jusqu'aux créneaux de la forteresse du bon sens et du génie confondus? Comment se fait-il qu'un Ministre de l'Intérieur tire à bout portant sur la sottise, cet allié d'hier et de toujours de la République, alors qu'il y a quelques mois encore nos dirigeants ont profané la Galerie des Glaces du château de Versailles? Souvenez-vous de la ribambelle de monstres en plastique de diverses couleurs qu'ils y ont étalées. Comment se fait-il que la même élite politique de la France sommitale - alors représentée par un ancien Ministre de la culture - et ancien Président du Centre Pompidou - ait osé accrocher de hideuses écrevisses roses au plafond du temple du grand siècle, comment se fait-il que la même classe dirigeante soit maintenant censée tenir un discours austère sur la civilisation mondiale et y afficher une mine pieusement doctorale? La stupidité moderne aurait-elle changé de camp en quelques heures?

2 - La balance à peser les civilisations

Pour tenter de comprendre une énigme aussi indéchiffrable, il faut se souvenir de ce que les Grecs ne s'interrogeaient sur l' "être", le Moyen Age sur les "essences", donc sur l'"essentiel", alors réputé se laisser encercler dans l'enceinte du concept, les modernes sur les principes, les idées, les valeurs, sinon pour le motif qu'avant de traiter de quelque sujet que ce fût, il était élémentaire, pensait-on, de se demander de quoi il était question. En l'espèce, il s'agit de définir le terme de civilisation, ce qui exige que l'on fasse le tri entre les sociétés entassées dans le panier des ethnologues et celles qu'on dépose sur la précieuse balance à peser les civilisations.

Si vous entendez décorer des rubans et des dentelle qu'affiche une civilisation le réseau sanglant des us et coutumes des Trobriandais ou des Patandjaras, qui rôtissent leur premier-né à la broche, parce que leurs dieux leur ont glissé à l'oreille que la seconde pousse de leurs entrailles en sera rendue plus vigoureuse, la logique scientifique contemporaine vous demande d'en tirer les conséquences logiques et de rayer l'ethnologie de la carte des savoirs légitimés par la spécificité de leur objet et par la rationalité de leurs méthodes, parce que l'ethnologie n'explique rien, elle raconte, tandis que la science tente de comprendre ce qu'elle a observé.

Mais alors les photographes de l'incompréhensible se vengeront de vos outrages; et ils vous demanderont de rendre clairement intelligible que les croyances religieuses des Indiens d'Amérique ne soient pas devenues de précieuses broderies des dévotions évangéliques de la civilisation mondiale. Et pourtant, l'Occident ne se hasarde pas non plus à distinguer clairement la beauté de la vérité censée démontrée par une esthétique, la coutume fleurie d'un côté et le savoir de l'autre, les croyances apprises de la science conquise. Quelles murailles M. Guéant a-t-il escaladées, derrière quelles meurtrières s'est-il embusqué?

3 - Et si la civilisation ouvrait une carrière aux cerveaux rares ?

Méfiez-vous des disciplines bafouées et clouées au pilori de la confusion d'esprit qui les inspire. M. Claude Lévi-Strauss

- La vassalité politique de l'Europe peut-elle tuer une science ?Claude Lévi-Strauss et le structuralisme, 8 décembre 2008

pourrait bondir hors de son sépulcre et venger la légitimité scientifique humiliée des territoires qu'il a défrichés. Certes, les ethnologues actuels sont des orthodoxes qui s'ignorent. Mme Françoise Héritier, anthropologue et professeur honoraire au Collège de France, ne se demande pas si, par hasard, Cézanne ou Rembrandt seraient supérieurs aux gribouilleurs commercialisés par l'industrie de l'art, parce que toute hiérarchisation est une "énormité" à ses yeux, pour le motif qu'elle "entretient le racisme". Les marchands, eux, se marrent au spectacle d'une hérésie tellement profitable à leur escarcelle. Le trafic des indulgences du Moyen Age était moins lucratif que celui du panculturalisme décérébré d'aujourd'hui, mais l'Eglise de l'époque s'en frottait moins ouvertement les mains que les galeries dont, dès 1931, le cinéaste Jean Renoir a filmé joyeusement la vertigineuse supercherie.

Mais pourquoi l'Académie française interdit-elle à nos ethnologues culturalistes d'ouvrir les croyances religieuses des juifs, des chrétiens et des musulmans d'hier, d'aujourd'hui et de demain au champ d'interrogation nouveau et immense qu'explorerait une science anthropologique, plus ambitieuse de se rendre savante que celle de M. Claude Lévi-Strauss. Car enfin, notre civilisation se veut respectueuse de tous les cultes, mais elle les délégitime tous, puisqu'elle refuse officiellement d'en reconnaître aucun, donc de leur accorder un statut juridique en droit public? Quel est le sens anthropologique de cet ostracisme? La démocratie met l'Europe à l'école du chaos cérébral qui lui sert de blason. Mais comment exercerait-elle l'autorité de déposséder les ethnologues du sceptre de leur légitimité scientifique en Amazonie ? Tendrons-nous l'oreille et mettrons-nous notre suffisance culturelle et scientifique à l'écoute des contradictions cérébrales propres aux primitifs européens?

Autrement dit, à quel moment une République authentique et qui fourmille de philosophes brevetés, juge-t-elle, d'un côté, qu'une religion présente les garanties requises par l'autorité divine pour se voir tolérée et à quel moment l'Athènes des bords de la Seine devient-elle une simple exposition florale, d'une civilisation officiellement patentée par la seule pensée légitimante, celle de la raison ? L'Etat acéphale de M. Nicolas Sarkozy juge qu'un grand carré d'étoffe blanche encadré par un truqueur américain, M. Cy Twombly, paix à ses cendres, est une œuvre d'art d'une valeur aussi inestimable que les ridicules écrevisses de pastique rose de M. Jeff Koons, évoquées ci-dessus. Or, les tribunaux français censés convertis au bon sens par les principes de 1789, mettent le sceptre de la raison nationale entre vos mains tremblantes, M. Guéant: leur acéphalie républicaine condamne pour sacrilège la belle qui y a déposé un baiser profanateur.

Voir - IX : Une imposture culturelle validée par la justice française - L'anthropologie critique et le marché de l'art, 26 novembre 2007

4 - M. Guéant et la raison républicaine

Impossible, M. le Ministre, de peser la sottise de la France sur la balance de la raison sans peser les droits de l'homme que nous avons promulgués en 1789, impossible de définir une civilisation sans calibrer l'étiage intellectuel de la masse des évadés du règne animal. Une irruption brutale du regard que la logique distanciée et critique de la philosophie porte depuis vingt-cinq siècles sur la séparation entre la connaissance ethnologique des sociétés primitives d'une part et la connaissance approbatrice, d'autre part, dont les hautes cultures témoignent à l'égard d'elles-mêmes et quelquefois à l'égard de celles de leurs "frères inférieurs", les ethnies, une telle irruption, dis-je, illustre le séisme méthodologique sur lequel se fonde le débat précautionneusement escamoté d'aujourd'hui sur les "civilisations et sur les tribus; car sitôt que les ethnies expriment certaines relations stables ou muables entre leurs croyances religieuses et leur politique, entre leurs savoirs vérifiables et leurs rituels magiques, entre leurs ensorcellements et leurs armures rationnelles, la question de la définition même des civilisations vous fait monter sur la galère d'une philosophie des hiérarchies cérébrales - et c'est cela qui vous épouvante.

Vous vous êtes embarqué pour une croisière interrogatrice et terrorisante, M. le Ministre; mais je crains que ce soit sans seulement vous en douter. Quels sont la nature et le poids de la hotte que la France porte sur son dos si cette hotte est celle de la barbarie et si la pensée critique met en place une ethnologie en mesure de humer l'odeur du sentier qu'il faut suivre entre les sauvages moyens que nous sommes demeurés et l'odorance de quelques rares civilisés?

5 - Les sacrifices des uns et des autres

Toute culture couvre de fleurs artificielles un carrefour de pesées parfumées du vrai et du faux, toute "raison" mise en pots par la neutralité de l'Etat affiche des paramètres truqués; mais le génie préside un tribunal stable et dont la magistrature observe le fléau de la balance qu'on appelle une éthique. Après la victoire de Bismarck sur la France du second Empire, les intellectuels du Kulturkampf allemand ont entonné le chant de victoire d'une civilisation germanique plus avancée que celle des Gaulois qu'Arioviste avait terrassés il n'y avait pas si longtemps, disaient-ils. Un helléniste allemand installé à Bâle - un certain Frédéric Nietzsche - en a bien ri: à ce compte, écrivait-il, la civilisation des phalanges macédoniennes était bien supérieure à celle d'Athènes.

Mais comment comparer entre elles des balances de fabrication diverse, comment choisir, le nez au vent, la seule dont les plateaux impérieux prononceront des verdicts incontestables? La ville protestante d'Erasme et de Froben était-elle plus civilisée que Paris la catholique, dont les habitants de ce temps-là buvaient le sang réel et mangeaient la chair bien crue d'un homme qu'ils immolaient tous les dimanches sur leurs autels, afin disaient-ils, de s'assurer semaine après semaine du bon état de conservation des garanties de leur résurrection physique dans un au-delà - ils vous en décrivaient avec complaisance l'ameublement et les tapisseries. L'ethnologie devenue philosophique est au rouet : pourquoi les ethnologues de la civilisation européenne ignorent-ils la distinction de Claude Lévy-Strauss entre le cru et le cuit ? Pourquoi est-il demeuré sacrilège dans la civilisation scientifique actuelle d'installer la balance de la raison sur le territoire des sacrifices des uns et des autres?

La fin du Moyen Age a construit une bâtisse théologique officielle et expressément dirigée contre les "gentiles", les musulmans de l'époque - le pluriel latin gentes signifie les tribus. Cette gigantesque construction faisait débarquer l'ethnologie du sacrifice trinitaire dans la pesée "rationnelle" des civilisations.

Cet exploit vaudra à Saint Thomas d'Aquin le titre nouveau de "docteur angélique" de l'Eglise catholique et de magistrat suprême de la théologie chrétienne pour avoir tenté, d'un côté, de légitimer les droits de la raison qu'Aristote avait introduits dans la physique et que la civilisation musulmane avait rappelé à l'Occident par le canal de l'Espagne, et de légitimer également, de l'autre, le dogme, demeuré intangible encore de nos jours aux yeux de Rome, de la transsubstantiation eucharistique du pain et du vin de la messe en chair et en sang d'un "vrai et réel" sacrifice de l'autel. Faut-il peser les civilisations sur la balance de la multiplicité et de la diversité de leurs recettes religieuses, donc de leurs ruses ou de leurs astuces théologiques, ou convient-il d'opposer les lumières d'une logique et d'une raison universelles aux gigantesques maçonneurs d'une scolastique impavide et tribale?

6 - La civilisation d'un grain de sable 

Depuis le XIIIe siècle, les territoires placés sous le fanion des Olympes se sont considérablement rétrécis. Si vous estimez que la civilisation moderne doit se juger aux privilèges qu'elle accorde aux savoirs vérifiables, vous saluerez un progrès considérable de la raison universelle dans les conquêtes iconoclastes de Darwin et de Freud, qui ont ridiculisé les tricots cérébraux des théologiens du Moyen Age; mais si vous déplorez, tout au contraire, l'appauvrissement de la vie somptueuse du genre humain dans le fantastique et le rabougrissement tragique de ses songes d'autrefois, vous verrez un désastre irréparable dans le naufrage des neurone dorés que notre espèce transportait dans l'au-delà. Si vous pensez que les victoires de nos microscopes et de nos télescopes ont moins de poids que celles du cœur, vous couvrirez de louanges le pharaon Kékrops pour avoir détourné quelque peu les Grecs des sacrifices de leurs congénères qu'ils offraient à leurs banquiers céletes et surtout pour avoir logé leurs dieux dans les villes, ce qui a permis, des siècles durant, à la civilisation européenne d'unifier le champ du fabuleux religieux et du civisme - quelques siècles plus tard, Athéna pourra installer sa lance pensive sur l'Acropole et la sainte Vierge à Lourdes ou à Fatima.

En revanche, si vous considérez que les progrès véritables de la civilisation mondiale sur ceux de l'intelligence d'un animal tout récemment évadé de la zoologie et qui n'en revient pas de ce qui lui est arrivé et si, par conséquence, vous disqualifiez les illusions que les cosmologies mythiques entretiennent dans les encéphales, vous déplorerez non seulement que Kékrops n'ait conquis aucune connaissance rationnelle, donc sacrilège, du fonctionnement religieux du cerveau de notre espèce, mais vous vous lamenterez de surcroît de ce que les philosophes du XVIIIe siècle se soient pâmés d'admiration à leur tour devant la beauté des tragédies grecques, bien qu'elles fussent remplies d'immolations sacrées, dont celle d'Iphigénie est demeurée la plus mémorable. De même, si vous admirez Copernic pour avoir défendu l'héliocentrisme, bien que sa découverte ait fait perdre tellement de son ancienne dignité au globe terrestre , que penser d'une classe dirigeante française et d'une élite mondiale qui n'ont pas encore pris acte du naufrage, en 1905, de la géométrie à trois dimensions d'Euclide, alors que la relativité générale d'Einstein a réduit Adam à un grain de sable perdu dans l'infini.

7 - Le nouveau culte des idoles

Si M. Claude Guéant condamne le port du voile islamique dans les rues et la soumission de la femme à son mari dans les foyers musulmans, que penser d'une civilisation demeurée tellement irrationnelle que, même au sommet d'un Etat proclamé républicain, personne ne songe seulement à se poser la question du contenu de sens rassis ou délirant des têtes citoyennes, mais exclusivement celle de la longueur des robes ou de la visibilité des chevelures du sexe faible. Et pourtant, si la révolution de 1789 ne s'était pas fondée sur les victoires retentissantes que la raison humaine avait accumulées depuis la Renaissance, elle n'aurait pas fait changer progressivement de cerveau politique à notre espèce sur les cinq continents.

D'un côté si un Ministre de l'intérieur juge soudainement que la démocratie se trouve légitimée de rendre un culte à la déesse Liberté, de l'autre, sait-il que la liberté n'est rien sans celle de penser droit? Je regrette de le dire, mais la civilisation dite des "droits de l'homme" et qui s'est montrée rieuse et ripailleuse en diable sur les écrans du monde entier à la suite de la joyeuse opération Plomb durci d'Israël contre le territoire de Gaza est un ramassis de barbares.

Remarquez que les moralistes de la démocratie mondiale préparent en rangs serrés la guerre de la "civilisation" contre l'Iran, remarquez que les "droits de l'homme" ne sont que des masques censés légitimer l'hégémonie d'Israël au Moyen Orient, remarquez que l'œil ministériel grand ouvert de M. Guéant sur les rouages et les ressorts mentaux des évadés actuels du monde animal ignore que toute cette mécanique se trouve exposée sous vitrine et depuis des siècles par les soins d'une science blasphématoire par nature et par définition, qu'on appelle la philosophie. Savez-vous, M. Guéant, que cette discipline polit sa lentille à observer l'humanité dans les laboratoires du spéculaire qu'on appelle des civilisations? Apprendrez-vous, M. le Ministre, à radiographier un culte des idéalités universelles dont les prosternements se révèlent non moins aveugles que ceux dont les Anciens honoraient Aphrodite ou Artémis? Radiographierez-vous un culte des idoles du langage dont les fidèles s'agenouillent devant leurs vocables les plus séraphiques?

8 - La civilisation des fétiches verbaux

Si le spectacle des intelligences en marche vous paraît décidément le moteur universel des civilisations en mouvement, où ferez-vous passer la frontière entre l'ethnologie complaisante de Claude Lévi-Strauss et l'anthropologie impie et profanatrice qu'on appelle la philosophie depuis Platon? Car enfin, l'ethnologie dévote des culturalistes ne sait comment observer de l'extérieur l'encéphale vénérateur des primitifs, puisqu'elle ignore sur quel territoire planter la tente des hautes impiétés de la Liberté de penser, de sorte que la prétendue science des us et coutumes des peuples et de leurs sorciers demeure coitement descriptive. Jamais une philosophie muette comme une carpe et sourde comme un pot ne sortira de l'enceinte des barbares, jamais elle ne les observera du dehors.

Mais, dans ce cas, votre neutralité ethnologique vous collera aux chausses. Pour vous en défaire, il vous faudra vous décider à radiographier les puissants personnages politiques et moraux qu'enfante le genre humain - Jahvé, Allah ou le dieu trinitaire des chrétiens. Or, nous sommes demeurés non moins aveugles à leur égard que les Grecs à l'égard de leur Zeus. Quelle est donc la suprématie scientifique de notre civilisation sur celle des Patandjaras et des Trobriandais, qui, eux non plus, ne portent aucun regard de haut et de loin sur les chamarrures de leurs sorciers et sur les prérogatives de leurs totems? Et comment qualifierions-nous du terme de civilisation une Europe qui se prosterne maintenant devant ses fétiches verbaux?

9 - Qui es-tu ?

Et puis, nous ne sommes pas la première civilisation des sciences et des techniques. Celle d'Alexandrie a inventé les paquebots géants, la vis sans fin, les machines de siège titanesques, le crédit bancaire - et, de plus, la galanterie et les lettres d'amour. Savez-vous, M. Guéant, que cette fabuleuse machinerie de l'ignorance s'est subitement prosternée le front dans la poussière devant le fils d'un charpentier de village qui lui demandait seulement: "Qui es-tu?"

Mais les ministres de la nouvelle Alexandrie ont quitté la modeste auberge du "Connais-toi". Si la République de la raison prenait la résolution de se domicilier à quelques pas du cerveau embryonnaire de notre espèce et si la philosophie de l'Etat se campait dans une ethnologie universelle, vous auriez un autre problème encore de fabrication de votre balance à résoudre. Car la réflexion sur le sens du terme de civilisation embrasse le champ entier de la politique, de l'histoire, de la culture, de la science, de l'identité des nations, de l'évolution de notre encéphale et du concept même de progrès depuis les Patandjaras.

Ah ! Monsieur le Ministre, sur quelle caravelle de Christophe Colomb vous êtes vous embarqué si votre France rame dans les cales de l'histoire du monde ! Décidément, vous avez ouvert bien imprudemment la boîte de Pandore de l'électoralisme élyséen - nous découvrirons, la semaine prochaine, ce que cette fichue boîte cache encore dans ses flancs et nous verrons bien si nous parviendrons à la vider entièrement sur le trottoir.

Le 19 février 2012

Visiter le site officiel du philosophe Manuel de Diéguez

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