Tribunes de Philosophes

"La démocratisation de la barbarie" par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains.

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[G20 Saint Pétersbourg 5-6 sept. 2013 : François Hollande & Barack Obama -  L'employé salue son superviseur.]

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L'impéritie politique la plus titanesque culmine toujours dans une méconnaissance colossale des fondements de l'éthique internationale. Cette cécité cyclopéenne trouve de nos jours son expression la plus éloquente dans l'immoralité himalayenne sur laquelle une démocratie mondiale auto-messianisée sous les auréoles de ses idéalités fonde la géopolitique américaine depuis 1945.

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1 - La corruption de la notion de loi
2 - La souveraineté fictive et la culpabilité des ossatures
3 - Le peuple souverain sous le sceptre de la faim
4 - La tyrannie catéchisée
5 - Le culte du Bien et la tyrannie de l'Eden démocratique
6 - Une apothéose manquée
7 - Une mutation cérébrale des clergés
8 - Les prosternations démocratiques
9 - " Crainte et tremblement " (Kierkegaard)
10 - La tyrannie d'Abel le Juste
11 - La théologie administrative 
12 - La civilisation de Blanche Neige et des sept nains
13 - " La guerra, la guerra, la guerra…. " (Monteverdi) 
14 - Le retour de la colère spirituelle

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1 - La corruption de la notion de loi

Comment la démocratie universelle pervertit-elle les notions mêmes de "loi" et de "légalité" à l'école d'une juridification arbitraire de la punition? Le concept scolaire sur lequel cette falsification du droit international prend appui remonte à l'époque lointaine où l'instituteur républicain frappait de sa règle le bout des ongles de l'élève à corriger. Du moins la peine s'appliquait-elle à un coupable qui tendait les doigts. En l'espèce, un chef d'Etat sera "puni", mais seulement indirectement par l'assassinat pur et simple de quelques centaines de ses concitoyens. Ceux-ci seront docilement exposés aux bombes de la puissance étrangère dominante du moment, dont la souveraineté sera supposée au service d'une justice apostolique. Mais on oublie seulement de souligner que Ronald Reagan n'avait pas imaginé un seul instant de "punir" le colonel Kadhafi: le bombardement vengeur de son palais visait à faire place nette. M. Laurent Fabius, Ministre des affaires étrangères de la France des droits de l'homme fait de même quand il proclame sans ambages que M. Bachar Al Assad "ne mérite pas de vivre" et M. Kerry fait profession d'un évangélisme au poignard quand il traite ce chef d'Etat de "voyou".

Mais le scénario policier imaginé par un ancien acteur de cinéma américain qui se lance en shérif de la démocratie à la poursuite d'un malfaiteur n'a pas réussi à imposer le far west hollywoodien dans le langage blasonné des chancelleries aux bonnes manières; si M. Hollande a recouru au vocabulaire d'un justicier de la démocratie mondiale, c'est seulement du fait qu'il n'a pas été initié à la pratique des relations diplomatiques courtoises mises en usage depuis des siècles entre les Etats souverains. Cette tare répond à la nature des régimes démocratiques: le peuple y porte nécessairement au pouvoir un candidat qui aura passé quarante ans de sa vie à le séduire, mais qui se trouvera précipité, aux environs de la soixantaine, en néophyte sur la scène internationale.

2 - La souveraineté fictive et la culpabilité des ossatures

L'idée ahurissante de faire débarquer dans l'arène du monde la vénération qu'éprouvent les Républiques pour la souveraineté toute nominale des "peuples libres" conduit tout droit à la fétichisation des majorités élues au suffrage universel et à l'absurdité de totémiser l'action des dirigeants de la nation dans l'arène du monde. Cette politique remonte au blocus sauvage de l'île de Cuba par les Etats-Unis à partir du 7 février 1962 et qui dure encore. Mais cette sorcellerie diplomatique s'applique désormais à la vassalisation de la prétendue "civilisation des droits de l'homme". Elle résulte de la philosophie américaine censée glorifier le mythe de la démocratie directe mais qui légitime le droit du plus fort et valide l'expansion illimitée de son hégémonie.

C'est la nature para-religieuse d'une éthique fondée sur la culpabilisation des masses qu'il faut étudier dans ses fondements méta-zoologiques, parce que les frappes aériennes projetées en justicières aveugles sur des populations criminalisées d'avance ne sont qu'une suite logique de l'autre aberration, celle d'une certaine théologie de la faim qui a joué pour l'Irak et actuellement pour l'Iran.

Ce sera le regard fixé sur les acteurs mondiaux cachés derrière le décor que j'observerai la politique à la fois apostolique et punitive envisagée à l'égard de la Syrie.

3 - Le peuple souverain sous le sceptre de la faim

La pesée de l'encéphale du singe démocratisé révèle que la sauvagerie et la cruauté de cet animal ne reculent pas devant la mise à mort de l'adversaire par le recours à la famine. Mais l'idée nouvelle de ne plus assiéger seulement une grande et paisible cité et de livrer la population d'une nation entière à une extermination lente remonte à Napoléon 1er et à sa tentative avortée d'affamer l'Angleterre. La sauvagerie à petit feu des Etats de la Justice et du Droit s'inscrit dans le mythe d'une Liberté universelle, donc abstraite et toute verbifique. Cette affabulation s'est affirmée, comme il est rappelé plus haut, à l'occasion du blocus de l'île de Cuba par les Etats-Unis d'Amérique depuis le 7 février 1962 et qui s'est poursuivi jusqu'à nos jours.

Cet apostolat a permis de démontrer que si la guerre messianique à laquelle se livrent des gouvernements de ce type s'inscrit en outre et exclusivement dans une rationalisation vertueuse de l'histoire mondiale, c'est parce que la notion même de souveraineté attribuée aux peuples démocratiques se fonde sur le principe de l'infaillibilité populaire. Celle-ci chapeaute un suffrage universel inspiré par le ciel des droits de l'homme. Cette construction juridique conduit tout droit à une férocité meurtrière, mais auréolée: on traitera en célestifie de la Liberté une nation forgée sur l'enclume du civisme de 1789; pourtant, ces régiments d'anges et de séraphins pourront se voir traités en coupables de crimes de guerre.

Il résulte de ces artifices politiques que si le peuple syrien sera proclamé coupable de la tête aux pieds, on le déclarera pénalement et civilement responsable des bombes de la justice mondiale qui lui tomberont sur la tête et l'on fabriquera de toutes pièces des criminels de naissance. Le ciel démocratique est institutionnalisé et individualisé; et pourtant, voyez à quel point il est soigneusement localisé au seul bénéfice de la puissance régnante du moment. Les châtiments de confection sont construits sur le modèle de ceux de Dieu, qui n'a pas son pareil, dit-on, pour séparer à coup sûr le bon grain de l'ivraie. Vous n'allez pas enseigner à un si grand expert à distinguer plus clairement les innocents des coupables.

Mais si les peuples sont supposés souverains dans le ciel du Dieu de substitution qu'on appelle la démocratie, le sceptre de la souveraineté immaculée du suffrage universel tombera dans une scolastique et une sophistique du mythe de la Liberté. On dira qu'une population censée détentrice d'une morale catéchisée sur la scène de l'univers le sera non moins efficacement face à la tyrannie que son propre gouvernement exercera sur ses arpents, de sorte qu'il sera châtié à bon escient s'il ne secoue pas les mains nues le joug qui l'écrase sur ses maigres lopins.

4 - La tyrannie catéchisée

Mais le pieux verbalisme politique des modernes n'est jamais qu'un rideau de fumée; il est apprêté aux fins de renforcer dévotement et de rendre illimitée la puissance sanctifiante d'une nation étrangère. Le César démocratique du moment sera conduit à soumettre de haut et de loin un peuple entier à l'hégémonie des hosties verbales qu'on lui donnera à consommer - et toujours le plus catéchétiquement du monde. La justice dominante se trouvera continûment messianisée et surmessianisée par un séraphisme astucieusement déterritorialisé - mais ce sera toujours celui du maître. A ce titre, la notion virginale de "souveraineté du peuple" recouvre un machiavélisme cousu de fil blanc, mais vieux comme le monde, celui de l'idéalisme politique - on conviera le peuple à manger le pain sacré de sa servitude angélisée; et l'autel même de sa Liberté servira d'offertoire à sa sujétion. On voit à quel point seul le vocabulaire de la théologie éclaire l'inconscient de la politique.

C'est ainsi que le projet d'un bombardement vengeur de la population syrienne ne se comprend qu'à la lumière de l'intérêt "supérieur" d'Israël et des Etats-Unis; et cet intérêt se fonde sur un univers mental de type parareligieux. La géopolitique qui les inspire leur commande impérieusement de couper le cordon ombilical entre le Hezbollah et l'Iran. Du coup, l'étude des secrets théologiques de la dissuasion nucléaire débarque dans la politologie scientifique, donc dans l'anthropologie critique.

Supposez un instant que la foi démocratique confère à telle ou telle population le statut propre aux Etats souverains, supposez ensuite qu'un peuple adoubé de la sorte jouira réellement de l' autonomie des rois,et cela par le seul effet d'un formalisme politique à la fois juridifié et évangélisé en sous-main. Cette malheureuse nation devra dès lors rendre compte de ses prouesses catéchétiques au dieu Démocratie et démontrer son statut censé effectif sur la scène des rituels, des liturgies et de la doctrine dont use le mythe démocratique. Du coup, il est également logique que la classe dirigeante de cette nation sera mise à l'école du songe confessionnel de grand calibre dont vous connaissez l'orthodoxie; mais cette élite ne saurait se montrer cérébralement plus compétente et plus responsable qu'un peuple enfumé par le mythe de sa propre omnipotence ecclésiale et politique confondue. Du coup, le patriciat élu au suffrage universel ignorera allègrement le premier devoir de son sacerdoce politique, celui de réfuter la culpabilisation aliénante du troupeau dont la garde lui aura été confiée. Mais comment la formulerait-il clairement et sur toute la terre habitée ses responsabilités nécessairement élitaires de berger de la nation?

Aussi, le clergé paroissial des moutons présentera-t-il sur les cinq continents le spectacle piteux de se croiser les bras; car il devrait innocenter la masse des brebis faussement culpabilisées sous le ciel des démocraties, alors qu'il ne réfuterait jamais des auréoles verbales. Les idéalités sont les séraphins de la Liberté. Ces anges se trouvent condamnés à la cécité inscrite dans leur prêtrise vocale. Voyez comment les élus de la démocratie apostolique chargent le concept de souveraineté du peuple d'accomplir à leur place la tâche qui n'incombe qu'à leur propre clergé, celle de combattre les armes à la main l' auto-vassalisation du troupeau. La foule des esprits municipalisés placés sous le sceptre de ses dieux du langage et la foule des dirigeants évangélisés par le mythe de 1789 à laquelle l'Etat se trouvera contraint de confier les responsabilités pratiques du gouvernement, ces deux foules, dis-je, se sont-elles seulement aperçues de la chute de la mappemonde dans une forme encore mal spectrographiée de la politique, celle de l'auto-vassalisation vertueuse sous les oriflammes du vocabulaire de l'étranger? Car le même auteur de la pièce a ensuite choisi Gaza pour théâtre de la férocité des démocraties idéalisées à l'école de leurs propres idéaux: le microscopique Etat d' Israël y affame une ville d'un million sept cent mille habitants placés sous le sceptre des idéalités langagières de la planète et sous la protection du géant de la Liberté mondiale que vous connaissez bien. La souveraineté fictive des peuples censés libres et souverains par le seul effet de la parole évangélisante de leur maître est devenue l'instrument despotique de leur asservissement politico-confessionnel.

Une civilisation plus symbolisée que jamais par son pain bénit n'a-t-elle pas tenté de sous-alimenter évangéliquement les quelque vingt-cinq millions d'habitants de l'Iraq et n'a-t-on pas entendu Mme Albright, Ministre des Affaires angéliques du Nouveau Monde, déclarer que, décidément et tout bien pesé, l'extinction par la famine d'un demi-million de séraphins en bas âge n'était pas un prix trop élevé pour l'élimination physique du tyran du cru. Et maintenant, l'Iran attend sa mise dans les fers de la Liberté - mais il y faut la chute préalable de la Syrie dans le giron de ses deux évangélisateurs, Tel Aviv et Washington.

5 - Le culte du Bien et la tyrannie de l'Eden démocratique

Mais, cette fois-ci, la question des relations ventrales et stomacales qu'une diplomatie de la famine entretient à l'échelle planétaire avec la barbarie idéalisée des démocraties contraint l'anthropologie scientifique à radiographier le suffrage universel truqué par sa propre auto-glorification verbale. Car cette question a conduit depuis belle lurette quelques Etats-vigies, dont la France, à fournir à la population affamée en Irak un peu de nourriture chichement échangée contre l'achat le plus profitable possible d'une fraction de son immense production de pétrole. Mais ensuite, le principe de la légitimation para-religieuse - et par le canal d'un droit international pseudo évangélisé par la démocratie - conduit à la mise à genoux des peuples par la torture de la faim; et cette sainteté s'est ensuite appliquée à l'un des peuples les plus anciens et les plus illustres du monde, celui de la Perse héritière des Darius et des Artaxerxès, celle-là même sans laquelle l'Occident n'aurait pas été fécondé par la rencontre de la civilisation grecque avec l'Orient.

Cette fois-ci, la question des fondements psychobiologiques des relations semi cérébralisées que le singe détoisonné entretient depuis les Phéniciens avec les peuples, les clergés et les classes dirigeantes des nations a pris une tournure nouvelle au sein de la civilisation des droits de la raison simiohumaine actuelle; car l'Iran démontre, hélas, que les détoisonnés au ventre vide sont tentés de plier le genou devant leurs affameurs et de se tourner, non point contre leurs ennemis, qu'ils détestent pourtant, mais contre leurs propres dirigeants, qu'ils jugent tantôt insuffisamment complices de l'étranger, tantôt impuissants ou inapte à défendre la nation.

6 - Une apothéose manquée

Par bonheur, la fausse souveraineté des peuples catéchisés par des abstractions et que l'étranger soumet à un amaigrissement vertueusement démocratique a révélé les limites d'une diplomatie de la sous-nutrition dévotieuse, parce qu'aucune classe dirigeante n'est en mesure de capituler théâtralement face à des mots vides et aux côtés de la nation affamée par une agression proclamée séraphique. Comment laisser un Tartuffe mondial prendre en otage une grande et illustre civilisation? Déjà, et sur la terre entière, le droit public et l'opinion internationale font chorus contre les feux d'artifices de l'hypocrisie parareligieuse des démocraties massifiées par leurs idéalités. Comment, disent ces deux instances, une classe dirigeante même subordonnée au mythe de la souveraineté des peuples serait-elle habilitée à se résigner passivement à l'abjection, et cela aux yeux du monde entier? La faim elle-même semble saisie de honte de se déshonorer, la faim elle-même refuse d'emprunter les traits d'une Liberté ensauvagée.

Derrière la Syrie menacée par les bombes des Etats-Unis et d' Israël, il faut garder constamment présent à l'esprit le spectacle d'un M. Rohani , élu au premier tour de scrutin par un peuple étranglé par la sous-alimentation imposée à la nation de Darius. Certes, c'était bien à tort que cet ecclésiastique passait pour "modéré " aux yeux des Attila de l'ascèse d'autrui. Le soir même de son élection, il a réaffirmé avec force et dignité le droit naturel de l'Iran de s'armer d'une puissance nucléaire évidemment mythologique - parce qu'inutilisable - mais demeurée prestigieuse dans tous les esprits en ce début du IIIe millénaire où la boîte osseuse de la bête en cours de cérébralisations n'est pas encore entrée en possession d'une science sérieuse de sa propre folie. L'Iran ne peut faire bonne figure que s'il aligne sa mythologie politique sur celle du monde.

7 - Une mutation cérébrale des clergés

On voit que l'histoire contemporaine de la Syrie, de l'Iran et du Liban est de nature à faciliter l'élaboration d'une anthropologie critique ambitieuse d'introduire dans la politologie décérébrée de l'animal les paramètres psychobiologiques d'une éthique civilisatrice. Mais c'est également à titre civilisateur que cette civilisation convie les clergés du monde entier à saisir cette occasion de conquérir une place révolutionnaire parmi les mythologues de la mort. L'heure est venue d'une renaissance de la "vie spirituelle", celle dont le feu caché n'est plus la foi du charbonnier, mais une intelligence allumeuse des avant-postes de la raison; car la spiritualité véritable est celle dont la pensée rationnelle porte, en réalité, la torche depuis les origines et qui sous-tend d'ores et déjà le combat actuel contre la stratégie des terroristes de la faim - et cela grâce à une mutation décisive des coordonnées qui régissaient les vocations sacerdotales semi animales d'autrefois.

Mais peut-on insuffler aux clergés assoupis d'aujourd'hui l'ambition de se placer à l'avant-garde de la raison sommitale du monde actuel? Il se trouve que M. Rohani est un ecclésiastique de haut rang et un intellectuel de la politique. Il a quelquefois paru se comporter en un Hamlet de la théologie islamique face à la Syrie, à l'Egypte et au Hezbollah. Mais l'armée et le ministère des affaires étrangères de l'Iran semblent décidés à pallier au besoin les défaillances de sa fermeté politique. Car la chance politique des clergés de ce temps n'est autre que la carence même des intellectuels laïcs, qui n'ont plus de connaissance, au moins littérale et formelle du contenu des mythes sacrés et qui, par conséquent, ne sont plus en mesure de conquérir les connaissances anthropologiques qui les éclaireraient sur les ressorts religieux de la souveraineté frelatée des peuples vassalisés par les idéaux mêmes de la démocratie.

- L'inconscient religieux de l'occupation américaine de l'Europe, 31 août 2013

Seule une connaissance intériorisée des théologies en tant que documents anthropologiques et politiques abyssaux, seule une science de "Dieu" fondée sur l'analyse rationnelle des documents psychobiologiques que sont les cosmologies mythiques se révèlera en mesure d'introduire dans les sciences humaines de demain, une interprétation convaincante de l'alliance que l'histoire conclut avec les songes sacrés du singe sacerdotalisé.

8 - Les prosternations démocratiques

Mais il se trouve que l'intelligence laïque s'est bancalisée pour longtemps, en raison de la crainte qui la paralyse depuis la Révolution de 1789 de scruter les arcanes psychopolitiques du Dieu des descendants du chimpanzé. Comment la démence originelle du genre simiohumain se révèlerait-elle marginale, comment le délire qui, depuis le paléolithique, contraint l'encéphale enténébré des fuyards de zoologie à tomber dans les magies cultuelles serait-il collatéral, comment cette folie native se révèlerait-elle seulement adventice? Non seulement les fondements de l'obéissance politique et de l'esprit de discipline des peuples sont totémiques par définition, mais la nature même des relations que les peuples monothéistes entretiennent avec les récompenses mythiques de l'immortalité, d'un côté avec la sorcellerie des châtiments éternels, de l'autre, sont calqués sur la même idolâtrie que leurs appareils judiciaires. C'est l'histoire terrestre tout entière qui met en place des procédures construites en sosies des épouvantes de l'au-delà. Dieu et la démocratie américaine sont respectés sur la terre à proportion exacte de l'effroi surnaturel qu'ils inspirent à leurs vénérateurs terrifiés; et toute la théologie monothéiste enseigne, aux côtés de Machiavel, que la dissuasion par l'épouvante sacrée est la clé du pouvoir politico-religieux de la bête semi-cérébralisée.

Les clergés sont devenus la seule intelligentsia documentée sur les idoles devant lesquelles les fuyards des forêts se prosternent. S'ils ne prennent pas en main l'approfondissement de l'humanisme bi-dimensionnel d'aujourd'hui, la fausse souveraineté des peuples démocratiques agenouillés le front dans la poussière conduira à l'assèchement intellectuel du mythe de la Liberté

9 - " Crainte et tremblement " (Kierkegaard)

Comment un clergé qui se serait converti aux analyses et aux méthodes de l'anthropologie critique ne détiendrait-il pas le monopole d'enseigner à la classe dirigeante inculte de la démocratie mondiale que l'arme nucléaire est construite sur le modèle théologique du mythe de l'excommunication majeure du Moyen Age, qui livrait la bête de l'époque aux tortures féroces qu'exerçait une justice divine alors censée exprimer la sainteté d'une damnation cruellement éternisée?

Certes, il est paradoxal que, depuis la Renaissance la raison elle-même porte la responsabilité principale du rabougrissement de l'intelligence politique; mais il est plus paradoxal encore que ce ratatinement cérébral arbore timidement le drapeau d'une laïcité devenue manchote; et enfin, il est paradoxal au plus haut degré que la science dite expérimentale des modernes n'expérimente pas le mufle du temporel et se contente d'en flairer l'odeur de loin. Pourquoi ne pas tenter d'en connaître les effluves, alors que les mythes religieux bien décortiqués fleureront bon les promesses de la raison iconoclaste de demain?

Mais n'est-il pas incroyable - face au spectacle d'une Syrie menacée de la foudre évangélique des démocraties - que les clergés de la bête ne s'arment pas de l'audace intellectuelle de méditer sur l'histoire enténébrée du singe semi-pensant, n'est-il pas incroyable que les vrais solitaires de "Dieu" qu'on appelle les saints ne donnent pas un élan copernicien au "Connais-toi" naufragé de notre temps? Comment se fait-il que la communauté internationale brandisse la foudre et promette des sucreries aux peuples obéissants sur le même modèle que le ciel des tortures infernales et des confiseries de l'Eden? N'est-il pas stupéfiant que, trois siècles après Voltaire, seul un clergé qui se laisserait tirer de son sommeil doctrinal et qui se rendrait révolutionnaire à sa propre école serait en mesure d'informer en connaissance de cause et pièces en mains les Etats devenus pseudo rationnels de ce que les théologies simiohumaines cachent dans les flancs de leurs orthodoxies et de leur dogmatique la documentation anthropologique la plus précieuse, celle qui accède aux racines zoologiques de la politique internationale actuelle?

Car l'arme nucléaire dont Israël feint de craindre l'épouvantail et de prendre l'artifice pour une menace réelle n'est pas une arme de guerre et se révèle inutilisable par nature sur un champ de bataille terrestre. Comment huit dieux de l'apocalypse embarrassés par un agglomérat d'enfers fictifs et par un Déluge imaginaire sur un astéroïde microscopique ne seraient-ils pas condamnés à museler leurs ardeurs belliqueuses empêtrées dans l'absurde, tellement le spectre d'un suicide collectif de type matamoresque les noie dans une stratégie de la sottise allergique à l'art de la guerre depuis le Lachès de Platon?

10 - La tyrannie d'Abel le Juste

Seule une classe sacerdotale du troisième type et dont la fraction testimoniale, donc existentielle, se sera initiée aux arcanes bibliques d'une anthropologie des terreurs sacrées se trouvera en mesure de démontrer que la barbarie démocratique est de type eschatologique et qu'elle sert de fer de lance à une théologie de l'épouvante résolument américanisée - donc dans laquelle l'alliance du finalisme évangélisateur avec le patriotisme messianisé trouve son origine chez Calvin et Luther. On sait que tout le christianisme a construit sa sotériologie sur une délégitimation factice de la justice temporelle - donc jugée insuffisamment purificatrice - et sur l'avènement compensatoire d'une justice enfin cathartique et sanctifiante, qui assurerait le règne définitif du Bien sur une terre assainie:

"En présidant à la scène du Calvaire, l'Etat se porta le coup le plus grave. Une légende pleine d'irrévérence de toutes sortes prévalut et fit le tour du monde, légende où les autorités constituées jouent un rôle odieux, où c'est l'accusé qui a raison , où les juges et les gens de police se liguent contre la vérité. Séditieuse au plus haut degré, l'histoire de la Passion, répandue par des milliers d'images populaires, montra des aigles romaines sanctionnant le plus inique des supplices, des soldats l'exécutant, un préfet l'ordonnant . Quel coup pour toutes les puissances établies ! Elles ne s'en sont jamais bien relevées. Comment prendre à l'égard des pauvres gens des airs d'infaillibilité quand on a sur la conscience la grande méprise de Gethsémani." (Ernest Renan, La vie de Jésus. Dernière phrase de la première édition - 1863 - , supprimée dans les éditions suivantes.)

Visiblement, le faux séraphisme de la démocratie américaine et mondiale a repris à sa charge la vocation de délivrer l'humanité des pestilences du péché originel. Il lui faut donc châtier les peuples dont la souveraineté nominale ne répand pas encore les parfums du salut. Mais, en même temps, l'Amérique recule devant les canons, parce que l'apocalypse moderne ne répand plus l'odeur d'encens ni de la démocratie, ni et de la déesse immaculée qu'on appelle la Liberté depuis que la foudre exterminatrice se trouve partagée, donc neutralisée entre les mains de huit Etats.

11 - La théologie administrative

Au XVIe siècle déjà, les princes catholiques allemands étaient censés rachetés: comment ne se seraient-ils pas trouvés résolument engagés sur le chemin de croix d'une réhabilitation évangélique de leur trône, puisqu'ils ont paru courir à bride abattue, mais, en réalité, à tombeau ouvert au secours du réformateur allemand, alors jugé hérétique et traqué, à ce titre, par une Eglise encore puissamment armée du bras séculier? En ces temps reculés le recours purificateur à la crémation des hérétiques rendait rédempteurs les bûchers de la foi. Aussi un Luther plein de gratitude à l'égard de son ciel salvifique n'a-t-il pas tardé à soutenir les souverains du temporel de l'époque, alors en guerre contre les manants allemands armés de leurs fourches. Du coup, il a fallu valider sans tarder le vieux principe de tous les tyrans dévots, selon lesquels l'autorité publique repose toujours et partout sur un Dieu exterminateur des malandrins.

A l'image de la démocratie mondiale d'aujourd'hui, le protestantisme y a progressivement reperdu l'armure anti-césarienne de la foi chrétienne des origines. Mais une religion immanentiste de la délivrance sans cesse retardée et sans cesse revigorée par des sanctifications sporadiques de l'utopie politique a aussitôt pris sa revanche, mais en catimini et au cœur des bureaucraties. Pour cela, il lui a fallu emprunter le même chemin détourné que celui de l'Amérique actuelle, celui de l'auto-sacralisation subreptice d'un clergé administratif et de la fétichisation rampante de la bureaucratie mondiale, laquelle n'a pas manqué de substituer le vieux culte de la lettre au totémisme cultuel des liturgistes romains. Du coup les républiques ritualisées en cachette par leurs scribes sont devenues à elles-mêmes leurs Eglises de la Liberté; et l'évangélisme euphorique des origines du christianisme s'est logé dans un nouvel innocentisme pharisien, celui d'un Eden des greffiers paresseux du mythe du salut et de la rédemption administratifs.

La Syrie se révèle le champ d'expérimentation de la théologie américaine et de celle d'Israël : ces deux nations connaissent les secrets religieux de l'auto-innocentement des conquérants porteurs des saintes ampoules de leur foi.

12 - La civilisation de Blanche Neige et des sept nains

On a pu vérifier l'avènement des nouvelles piétés avec l'officialisation précipitée de la sainte surveillance électronique de toute la population américaine et mondiale, qui sont tombées tout entières et dévotement entre les mains de la police secrète du pays. Par quatre cents voix contre vingt le Congrès a aussitôt rejeté les protestations indignées de l'ex-président Carter, pieux prix Nobel de la paix et grand lecteur de Kierkegaard, au motif que l'évangélisme inné du Nouveau Monde n'avait rien à cacher aux surveillants légaux d'une démocratie placée sous la tutelle administrative de Blanche Neige et des sept nains.

La pureté native des citoyens et l'acier trempé de leur civisme leur faisaient non seulement accepter les yeux fermés, mais revendiquer de jour et de nuit un contrôle politico-apostolique de leur statut séraphique. Les fidèles d'une Stasi évangélisée en sous main sont les paroissiens de l'Eden de la démocratie. Abel le bucolique leur insinue ou leur suggère que si le reste du genre humain tient à se cacher derrière un prétendu "mur de la vie privée", c'est qu'il y a anguille sous roche. Un Etat protestant et libéré du péché originel par sa théologie de la grâce gratuite du Dieu de Calvin se peuple des confessionnaux d'une Stasi soupçonneuse et dont le patriotisme ambigu se méfie de l'empire de Caïn, c'est-à-dire du reste du monde - lequel est présumé coupable d'abriter des masses de pécheurs potentiels sous le tabernacle même des Abel de la Liberté.

On voit que si un despotisme théologique de masse et dûment préédénisé par des hosties sonorisées - des idéalités verbales - n'est déchiffrable qu'à la lumière d'une psychophysiologie du sacré, donc d'une analyse anthropologique des relations que la politique du singe cérébralisé entretient avec ses ciels, c'est parce que la demi- raison de l'Occident est devenue une naufragée du "Connais-toi". Aux clergés pensants de demain d'ouvrir le coffre de leur doctrine..

13 - " La guerra, la guerra, la guerra…. " (Monteverdi)

Mais alors, ne doutons pas que la guerre qui se prépare à l'échelle mondiale entre la souveraineté des peuples d'un côté et la souveraineté des Etats de l'autre conduira la civilisation de la raison à donner un sens politique au concept abstrait, flottant et insaisissable de Liberté appliqué aux nations. Pour l'instant, ce conflit demeure souterrain bien qu'il ait débarqué sur la place publique avec Stéphane Hessel. Mais la guerre de Syrie qu'elle ait lieu ou non enfantera une réflexion sur la science historique qui dominera le XXIe siècle et qui donnera un contenu réel à la notion vaporeuse de souveraineté des peuples. Pour l'instant, cette souveraineté est un conte pour enfants; et cet infantilisme aura besoin de quelques têtes adultes, et surtout d'une validation et d'une légitimation transcendantes à l'autorité des parlements vassalisés d'aujourd'hui. Mais toute mutation du politique demeure stérile si une révolution cérébrale décisive ne modifie pas les coordonnées mêmes de la connaissance rationnelle du singe cérébralisé. La civilisation de demain apprendra à regarder du dehors un animal dont la spécificité s'éclairera à la lumière d'une anthropologie critique.

Il est paradoxal au premier abord qu'une souveraineté populaire qui serait devenue plus réelle puisse enfanter une élite intellectuelle encore plus séparée des masses que la précédente. Mais ce processus est constant: quand l'intelligentsia d'avant-garde d'une époque ne se reconnaît plus dans le quotient cérébral de la classe dirigeante, il se crée un vide que seuls les nouveaux intellectuels sont en mesure de combler. Les humanistes de la Renaissance ont défriché un désert, les encyclopédistes du XVIIIe ont labouré le néant - et chaque fois, le fossé entre les peuples et les nouvelles phalanges de la raison s'est creusé davantage. Puis, lentement, les boîtes osseuses prospectives bouleversent la vision du monde de l'humanité du siècle précédent. Les époques créatrices sont celles, toujours brèves, où une nouvelle élite cérébrale conquiert momentanément un poids politique et une hégémonie avant que le cerveau collectif ne retrouve les droits attachés à sa pesanteur naturelle.

Sur ce terrain - qu'elle soit évitée ou non - la guerre de Syrie mettra en place des institutions politiques appelées à donner corps à la notion encore creuse de souveraineté des peuples : les Nations Unies d'abord, qui s'opposeront, ou tenteront du moins de s'opposer aux Etats va-t-en guerre et aux Parlements asservis à une puissance étrangère. Puis le christianisme de la colère spirituelle se lèvera tout entier derrière une compagnie de Jésus à laquelle le pape redonnera sa vocation politique à l'échelle mondiale. Enfin des internautes audacieux entreront en troupes de choc dans les logiciels secrets des Etats. Un nouveau public de la raison est en gésine sous nos yeux. Mais, encore une fois, une révolution politique est mort-née si elle ne déclenche pas aussitôt et, pour ainsi dire, dans la foulée une puissante renaissance intellectuelle. Ou bien un clergé nouveau de l'intelligence critique prendra la relève des universités du Moyen Age actuel, ou bien le divorce des peuples d'avec l'académisme politique des Etats conduira à l'engloutissement de la civilisation de la pensée.

14 - Le retour de la colère spirituelle

C'est dire à nouveau que, pour la première fois, depuis la chute du polythéisme, un clergé du Moyen Orient qui aurait le courage de se rendre réflexif face au protestantisme, au catholicisme, au judaïsme et à l'islam se porterait pour longtemps à la tête de la civilisation mondiale de la pensée rationnelle et poserait à nouveaux frais la seule question de fond, celle que l'anthropologie scientifique de demain placera dans la postérité cérébrale de Darwin et de Freud. Le Dieu à venir se dira: "Décidément Adam a passé derrière mon miroir. Au Moyen Orient comme ailleurs, il n'y a rencontré que sa propre effigie. Mais puisque je l'ai créé à ma ressemblance, peut-être va-t-il se demander pourquoi les idoles se cachent derrière leur propre image."

Peut-être les anthropologues de la démocratie observeront-ils comment l'Amérique se cache derrière sa propre image pseudo démocratique en Syrie, en Iran, en Europe, peut-être un humanisme idolâtre de ses idéalités pseudo séraphiques va-t-il découvrir le Dieu biface que le singe cérébralisé est devenu à lui-même. Puisse le trésor anthropologique que les mythes religieux charrient dans leurs flancs réarmer des sciences humaines désaffectées et les vider de la catéchèse stérile des démocraties.

Le 7 septembre 2013

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