Tribunes de Philosophes

"Les danseurs de corde" par Manuel de Diéguez, un des plus grands philosophes contemporains.

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Le 7 avril 2012, Le Monde titrait : "La planète brûle et ils regardent ailleurs".

Au premier siècle, l'empire romain commençait de s'effondrer et ils regardaient ailleurs. Au Moyen Age, les Lettres et les arts se trouvaient engloutis et les clercs regardaient ailleurs. Au XVIIIe siècle, les philosophes français changeaient la face du monde et ils regardaient ailleurs. Au XIXe siècle, la zoologie et l'inconscient débarquaient dans l'histoire et ils regardaient ailleurs. Au XXe siècle, le ciel des ancêtres et la géométrie d'Euclide s'effondraient et ils regardaient ailleurs. Au XXIe siècle, le monde entier s'effondrait et les classes dirigeantes de la démocratie appelaient le corps électoral au secours de leurs privilèges.

C'est le moment de se demander: "Où donc le sceptre de la raison est-il passé?"

*

 1 - La bénévolence du maître
 2 - Une Europe aux ordres 
 3 - Le nanisme politique de l'Europe en 2012 
 4 - Les chemins de la vassalité
 5 - La politique internationale au micro 
 6 - Les premiers pas du printemps arabe 
 7 - Le diplomate de la servitude 
 8 - Le piège de la Libye

 *

1 - La bénévolence du maître

En ce 15 décembre 2050, il me semble utile de dresser un bilan provisoire de l'évolution et du mûrissement rapide de la connaissance anthropologique de l'histoire et de la politique dont la civilisation européenne a bénéficié au cours du demi-siècle écoulé.

Les cinq dernières décennies nous ont démontré que le lent abaissement du rang et du prestige de notre continent sur la scène internationale s'est placé de lui-même et de la manière la plus éclairante au cœur de la réflexion de l'école de Paris sur les relations intellectuelles et morales que les grandes civilisations apprennent à entretenir avec la science qu'elles acquièrent progressivement de leur propre et inexorable décadence.

- Voir les Cinquante neuf Nouvelles Lettres persanes, 3 avril 2007 - 14 juillet 2007

Car, d'un côté, le Vieux Monde a consenti un dernier effort pour légitimer à ses propres yeux des épaves qu'il a conservées de son ancienne souveraineté monétaire, économique et financière, de l'autre, elle a commencé de comprendre qu'il n'y a plus d'argumentation politique convaincante si l'on a oublié la nécessité première et absolue, pour tout Etat désireux de conserver sa souveraineté, de se libérer de l'occupation de son territoire par les forces armées d'un empire étranger et prétendument protecteur - sinon la vanité de cet Etat de paraître jouer un rôle autonome sur le théâtre du monde tombe dans l'illusion et le ridicule selon lesquels une production industrielle massive et un niveau de vie élevé de la population suffiraient à préserver de l'effondrement de leur prestige et de leur rayonnement des patries entourées de géants "amis".

Au début du troisième millénaire, toute véritable politologie européenne avait disparu des écrans pour la simple raison qu'il n'y a pas d'arithmétique défendable sans un accord préalable entre les calculateurs sur la validité du postulat selon lequel deux et deux font quatre. De même que la géométrie à trois dimensions s'effondre si la démonstration du théorème de Pythagore ne fait plus l'unanimité des géomètres, l'Europe de l'an 2000 ignorait qu'il n'y a pas de peuple européen vivant, comme il n'y aura jamais de peuple suisse, mais seulement des Vaudois, des Zurichois, des Tessinois, des Genevois alignés côte à côte et rangés sous une étiquette pseudo nationale, parce que, deux siècles après 1815, même la neutralisation perpétuelle de la Confédération helvétique dans l'arène des nations n'a pu dépasser un coude à coude stérile des langues et des cultures. Comme le "peuple suisse", le "peuple européen" relève de l'Ile d'Utopie de Thomas More.

2 - Une Europe aux ordres

Paradoxalement, la cause la plus profonde et la plus irrémédiable du naufrage des identités nationales n'est autre que la méconnaissance stupéfiante de la psychobiologie territorialisée dont témoignent les semi évadés d'hier et d'aujourd'hui de la zoologie. En 2012, le Vieux Monde semblait ignorer qu'il se trouvait placé depuis plus de six décennies sous le sceptre des Etats-Unis d'Amérique, ce qui lui interdisait tout redressement national et le conduisait à l'extinction pure et simple non point du patriotisme, mais des patries. Les 20 et 21 mai 2012, le maître d'outre-Atlantique avait convoqué ses fidèles vassaux du Vieux Continent à un conciliabule banal et bon enfant à San Francisco; et l'on avait pu assister au spectacle ahurissant, mais devenu traditionnel, d'une France, d'une Allemagne et d'un Royaume uni pelotonnés autour de leur souverain aux côtés des enfants de la classe, la Hollande, ce satellite-né de l'Angleterre, et la Belgique que son bi-linguisme faisait exploser. On bavardait gentiment de l'emploi assigné à chacun sous la houlette d'un Danois, M. Rasmussen, qui servait de majordome et de flatteur au vainqueur de 1945.

Car à chaque changement de lustre, Washington plaçait à la tête de sa prétendue alliance militaire avec les subordonnés dont il assurait le commandement un secrétaire général originaire d'un pays microscopique du Vieux Monde, ce qui enjolivait d'une apparence de politesse le tranchant de l'hégémonie en acier trempé que la bannière étoilée exerçait sur ses "égaux". Ce faux semblant d'une dignité concédée à des esclaves ou cette munificence accordée du bout des lèvres aux vaincus de la guerre de 1940 à 1945 conférait de surcroît à César le pouvoir immense et quasiment religieux de cacher son glaive sous la livrée de ses domestiques. On affichait par courtoisie les couleurs de la piété démocratique, on honorait du bout des lèvres un culte des "droits de l'homme" dont on faisait mijoter l'évangile en échange de la docilité qu'on exigeait des dévots.

Mais M. Rasmussen avait été le premier officiant de ce tabernacle dont l'ardeur frémissante à bien servir les intérêts politiques et militaires de son maître se dissimulait sous des faux-fuyants si habiles qu'il allait servir d'exemple de l'employé-modèle aux apprentis simianthropologues de l'époque, dont les travaux ont porté en tout premier lieu sur l'échine et les cartilages des classes dirigeantes du Vieux Monde de ce temps-là. Alors que les papes, disaient-ils, exercent en lieu et place de la divinité les prérogatives de la bénévolence du ciel à l'égard de la masse des fidèles, ce qui leur permet de dicter leurs propres décisions à Zeus sous les dehors de leur effacement dévotieux, la piété du Secrétaire général de l'OTAN était celle d'un Olympe doré sur tranches. M. Rassmussen est connu des historiens comme un metteur en scène couvert des rubans de la démocratie messianisée et sotériologisée du début du siècle. Ce travesti onctueux du salut par les voies impénétrables de la sainteté démocratique se cachait derrière le large poitrail de son en chef. Washington lui doit d'être demeuré invisible à une opinion publique agenouillée depuis soixante ans devant son "libérateur". Tout vainqueur cache sa couronne, mais toute victoire est un sacre.

3 - Le nanisme politique de l'Europe en 2012

En 2008, un Président de la République française au sacre éphémère, un certain M. Nicolas Sarkozy, avait replacé motu proprio la France sous le commandement militaire de Washington, alors que le Général de Gaulle était parvenu, après huit ans de rudes efforts diplomatiques, à faire évacuer, en 1966 seulement, les garnisons américaines incrustées sur le territoire national depuis le début de la guerre froide, en 1949. Quelques conseillers diplomatiques de l'Elysée avaient fait valoir à ce néophyte sur la scène internationale qu'un pays libéré de l'occupation militaire depuis près d'un demi-siècle ne présente plus aucune utilité politique aux yeux de son ancien maître et qu'il n'y a rien à redire, au contraire, à un retour apparent et trompeur au bercail d'un vassal sur lequel on n'avait plus de prise. A entendre les nouveaux collaborateurs, l'alliance atlantique n'était plus à craindre: elle n'avait d'autre finalité que de paraître légitimer l'occupation perpétuelle du territoire des auxiliaires. Faute d'occuper la France, Washington se trouvait devant une coquille vide.

Cette argumentation au petit pied est révélatrice de la candeur politique qui régnait encore en Europe il y seulement quatre décennies. Car il était bien évident que le piteux retour sous le commandement d'un général américain d'un peuple qui avait, pensait-il, retrouvé durablement sa fierté vous avait des allures pénitentielles. La France retournait occuper sa place dans un ordre alphabétique imposé à tous par le maître de maison. "Comment ne pas avoir un haut-le-coeur", écrit Jean-Philippe Immarigeon, quand "le fanion de l'Otan plastronne" dans les bureaux des états-majors et les salons du Ministère de la guerre rebaptisé Ministère de la défense? (Pour en finir avec la Françamérique, Editions Ellipses, février 2012)

La vassalité retrouvée de la nation la mettait de surcroît dans une position ridicule et contradictoire, tellement il était grotesque de réclamer maintenant la bienveillance d'un souverain censé vous exprimer une vive gratitude pour la restitution de sa dot. Il ne faut pas prendre un demi-siècle de retard pour quémander quelques privilèges subalternes au sein d'une "alliance" entièrement placée entre des mains étrangères. Aussi la réponse américaine avait-elle été glaciale - l'hôte de la Maison Blanche avait célébré le soixante-cinquième anniversaire du débarquement dans un cimetière rattaché au territoire du Nouveau Monde.

De plus en 2009, les fruits de la politique de reconquête de l'indépendance de l'Europe que le Général de Gaulle avait inaugurée avec plus de quatre décennies d'avance commençait de porter des fruits abondants: l'empire américain s'effondrait inexorablement. De plus, son auréole, certes longtemps surfaite, de patrie clinquante de la liberté du monde, se trouvait à jamais souillée d'une tache récente, mais à jamais ineffaçable, celle de la légitimation solennelle de la torture que Louis XVI avait abolie en 1780. L'Amérique perdait son évangile onirique dans le même temps que le monde changeait de centre de gravité avec l'ascension de la Chine, de la Russie, de l'Inde, de l'Afrique du Sud et du Brésil, qui secouaient le sceptre de Washington avec de plus en plus d'énergie et de succès. Toute vraie politique est un placement à long terme, mais seuls les prophètes ont accès à la vaste arène du temps.

La pire faiblesse d'un chef d'Etat est la myopie. La courte vue de M. Nicolas Sarkozy a coûté à la France la perte de la moisson d'un demi-siècle de guerre de la nation pour ses propres retrouvailles et pour celles du continent européen avec leur souveraineté perdue.

4 - Les chemins de la vassalité

En 2012, sur dix candidats à la présidence de la République, aucun n'avait seulement osé faire allusion, au cours de sa campagne électorale, à l'état de pourrissement politique, donc de vassalisation dans laquelle se trouvait le Vieux Continent. Les nations de l'Europe avaient été si bien apprivoisées dans le zoo de la démocratie planétaire qu'elles avaient oublié le sable et le soleil de l'histoire réelle. Clio allait gentiment rappeler aux amnésiques qu'elle règne sur une jungle peuplée de bêtes sauvages et que l'Europe pâturait au milieu des fauves.

En mars de cette année-là, on avait même pu écouter, par le canal d'un micro laissé délibérément ouvert du côté russe une conversation faussement séraphique entre M. Medvedev, alors président, pour un mois encore, de l'ex-empire des tsars et un M. Obama sur le point de briguer sa réélection à la tête de l'empire des anges. Le roi de l'Europe asservie n'évoquait le sort de ses vassaux qu'au titre de pions enrubannés et inertes. Mais il se trouvait lui-même momentanément condamné à les déplacer plus rudement encore que d'habitude sur la scène des chamarrures internationales qui demeuraient réservées à leur équipement, parce qu'il se trouvait paralysé sous la casaque de la communauté sioniste implantée dans le pays, dont l'omnipotence bien connue l'avait contraint, pour l'instant, à installer un bouclier anti-missiles redoutable sur le Continent des assujettis. L'aveu qu'il avait agi contre son gré et au mépris d'une Europe tombée en léthargie avait été dûment enregistré. Certes, tout le monde savait que la politique étrangère de la Maison blanche était imposée de l'extérieur à un peuple américain en livrée. Mais une bande d'enregistrement était alors un document diplomatique nouveau et inconnu des historiens.

De plus, il était déjà devenu impossible de cacher plus longtemps au monde entier que l'armement "dissuasif" dont un président violenté par Israël avait été contraint de brandir la menace ne visait en rien l'Iran, ce faux épouvantail diplomatique que l'Etat hébreu brandissait alors dans le monde entier, mais exclusivement la Russie, dont l'alliance avec la Chine était censée mettre en péril l'hégémonie mondiale de Washington. Mais il y avait longtemps que la prééminence du Nouveau Monde était devenue un leurre. A la suite de sa réélection sous un habillage moins contrefait, l'otage désespéré que Tel-Aviv se trouverait moins ligoté dans le salon ovale de la Maison Blanche, donc bien davantage en mesure, disait-il, de jouer le rôle d'un Président réel des Etats-Unis. Alors, il modifierait quelque peu le pilotage inutilement agressif de l'Europe que lui imposait la toute puissance du sionisme américain et mondial. M. Medvedev avait répondu: "Je le dirai à Vladimir".

Mais quand les grands écrivains se décident à descendre dans l'arène de la politique internationale, c'est que le bâillon s'est depuis longtemps desserré: Gunther Grass, prix Nobel de littérature, avait osé dénoncer la politique mondiale d'Israël sous la forme d'un poème. L'intelligentsia s'était réveillée et cela changeait le climat culturel du monde. Il avait suffi de trois jours pour que le Ministre des affaires étrangères du Luxembourg, M. Jean Asselborn, prît le relais à fustiger la vassalité de la presse et de la classe dirigeante allemande, et à rappeler l'Allemagne et les Etats-Unis à leur devoir de mettre un terme à la conquête de la Cisjordanie par l'Etat hébreu.

5 - La politique internationale au micro

Quelques jours seulement auparavant, l'Europe s'était vu imposer sur un ton impérieux l'interdiction absolue d'acheter une goutte de pétrole iranien, parce qu'Israël, comme il est dit plus haut, mobilisait la planète entière contre le pays des Lettres persanes. A Téhéran, on s'était tordu de rire. Il suffisait d'interrompre les livraisons de pétrole à l'Allemagne, à la France, à l'Angleterre et à la Grèce avant de faire de même avec l'Italie et l'Espagne - ce qui avait été fait le 12 mars 2012. A ce jeu, la politique internationale était entrée dans un fantasmagorique de type apocalyptique : la Perse, disait-on, était sur le point de pulvériser Israël dans la haute atmosphère.

Mais déjà les premiers anthropologues de la condition simiohumaine avaient établi que les décadences transportent l'encéphale du simianthrope dans des mondes fantastiques. Ce phénomène universel s'était produit une première fois vingt siècles auparavant, à l'heure où une potence avait envahi le psychisme humain et l'avait transporté tout entier dans un fantastique obsédé par le rayonnement intersidéral d'un gibet: une crucifixion mythique était devenue tout entière et pour des siècles le symbole de la délivrance définitive du globe terrestre. Mais l'Europe des songes avait bientôt supplié Washington de l'autoriser derechef et provisoirement à acheter d'urgence du pétrole iranien ; et la permission lui en avait été difficilement accordée - et pour six mois seulement - parce que le prix de l'or noir flambait au point de menacer de ruine l'économie européenne au seul profit de Washington et d'Israël. Naturellement, la classe dirigeante du pays s'était bien gardée d'expliquer cette situation au peuple français au cours de la campagne présidentielle de 2012, tellement dans les coulisses de la mappemonde de l'époque, Israël tenait en solitaire les rênes de la politique internationale.

6 - Les premiers pas du printemps arabe

Et pourtant, il y a quatre décennies, une occasion extraordinaire de ressusciter s'était présentée à l'Europe asservie: après de longs siècles, on avait vu, du Maroc à la Syrie et de la Tunisie à l'Egypte, les masses arabes se réveiller en sursaut et tellement à l'improviste qu'elles paraissaient avoir reçu une décharge électrique de plusieurs milliers de volts. On a pu mesurer, à cette occasion, combien les gouvernements, même devenus pseudo démocratiques de l'époque étaient demeurés à la fois agenouillés devant leur "délivreur" de 1945 et néanmoins capables de prendre conscience en un instant et dans la honte - mais toujours seulement sous le fouet des évènements les plus titanesques - de la portée immense des mutations soudaines de l'histoire du monde, comme si le continent des rêveurs s'offusquait tout subitement de la souveraineté des myopes qui le dirigeaient. Certes, dans un premier temps, cette civilisation n'en a reçu qu'un élan cérébral provisoire et bien insuffisant. Mais dès le mois de février, la cécité de l'Europe laissait espérer aux ophtalmologues des songes que le temps perdu serait rattrapé in extremis.

Une panique générale s'était emparée des hauts fonctionnaires du Quai d'Orsay. Le Ministre des affaires étrangères de la France des courbettes aux émirs, Mme Alliot-Marie, avait été limogée sur l'heure. Un gaulliste chevronné appelé en toute hâte à la rescousse, un certain Alain Juppé, avait aussitôt enjoint aux Ministres du gouvernement de cesser de se prélasser en hôtes comblés de présents dans les palais des rois du pétrole.

Le peuple égyptien n'avait pas tardé à emboîter le pas à la révolution tunisienne. Puis, dès les mois de mars et d'avril, le peuple marocain avait rêvé à son tour de convertir en une monarchie constitutionnelle la royauté héréditaire qui régnait sur le pays depuis la décolonisation. La transmission du pouvoir du roi à son descendant direct serait étroitement calquée sur le modèle que la couronne britannique avait mis en usage depuis la décapitation de Charles 1er en 1649. Une vraie démocratie, disait-on, expose la couronne royale dans une vitrine aux fanfreluches et aux bibeloteries nécessaires à l'éblouissement du petit peuple, qui aura toujours besoin d'un beau livre d'images.

Mais déjà Damas se livrait à une répression féroce des insurgés, parce qu'en sous-main et dans la précipitation, Israël et les Etats-Unis s'efforçaient de chapeauter le printemps arabe au mépris des intérêts des puissances émergentes évoquées plus haut et attachées, elles, à faire basculer au plus tôt le centre de gravité de la planète du côté de l'Asie.

Le même mois, l'Arabie saoudite échouait à soutenir la répression au Yémen et au Bahreïn. Quant à l'Algérie, elle parvenait de justesse à contenir la rébellion des miséreux par une distribution massive de numéraire à toute la population d'un pays encore sous-développé. Mais le Colonel Kadhafi, qui régnait depuis 1969 sur la Libye, entendait mâter par la force des armes la révolte naissante de sa nation. La France et l'Angleterre semblaient avoir affaibli soudainement le joug américain qui pesait sur elles , et cela au point qu'elles avaient, incredibile dictu, répété avec la plus grande insistance que si les secours qu'ils s'apprêtaient à apporter à quatre cent millions d'Arabes devaient, une fois de plus renforcer Washington, jamais les masses musulmanes n'accepteraient que le nouveau débarquement du Coran dans l'Histoire du monde se fît par la porte dérobée d'une vassalisation accrue et d'une consolidation mieux apprêtée du règne de Washington sur cette planète, alors que, depuis un demi siècle, notre astéroïde tournait au seul service et bénéfice d'un empire insatiable du pétrole.

7 - Le diplomate de la servitude

Hélas, ces circonstances avaient seulement permis de mieux observer et pour ainsi dire, à l'œil nu, non seulement la faiblesse pathologique de l'Europe politique sur la scène du monde de l'époque, mais également le double jeu du nain Danois que le Président des Etats-Unis de l'époque avait si astucieusement imposé au Vieux Continent. Celui-ci se trouvait encore entièrement domestiqué par plus cinq cents garnisons et places-fortes incrustées sur son sol. Et pourtant, l'anthropologie critique progressait à grandes enjambées dans l'élaboration d'une politologie et d'une science historique nouvelles. Voici comment le premier télescope de cette discipline, si imparfait qu'il fût demeuré, s'est lentement substitué aux anciens observatoires de la folie du monde.

Le 20 juillet 2011, M. Rasmussen avait écrit dans le Monde: "L'intervention militaire en Libye, c'est l'histoire d'un engagement européen franc et résolu au sein de l'OTAN." Que révélait la lentille encore rudimentaire de ce premier modèle de longue vue? Que la souveraineté soi-disant "franche et résolue" de l'époque était censée se lover harmonieusement au sein d'une "coalition" dirigée d'une main de fer par l'étranger : "Pour la première fois, avait ajouté l'esclave danois, il s'agit d'une expédition militaire dont les Européens ont pris la tête aux côtés du Canada et d'autres partenaires. C'est un témoignage de solidarité entre les membres de l'Alliance."

Il devenait de plus en plus évident que seul une politologie armée d'un regard de l'extérieur sur l'humanité de ce temps-là pouvait conquérir une connaissance objective et rationnelle de cette prétendue solidarité, tellement les problématiques sont aveugles à l'égard de leur propre échiquier mental et n'ont pas d'oreilles pour les rouages qui assurent leur vrombissement interne. Qu'est-ce que "l'extérieur", qu'en est-il du recul de l'"objectivité", quelle est la distanciation accoucheuse du regard de demain sur une espèce inachevée si l'éloignement du globe oculaire de l'observateur ne devient fécondateur qu'à rendre la connaissance scientifique plus concrète qu'auparavant?

Les premiers anthropologues de l'histoire onirique de l'Europe et de ses "partenaires" imaginaire ont observé le vocabulaire qui métamorphosait habilement et toujours en sous-main le spectacle, objectif en apparence, des relations hiérarchisées entre le royaume d'un souverain et son vassal dans une "solidarité" réputée séraphique et censée librement consentie. On était présupposé habiter le saint royaume d'une démocratie tout idéale et fichtrement universelle: "Bien sûr, avait ajouté M. Rasmussen, rien ne se fait sans les Etats-Unis. Que l'Europe seule ne soit pas capable de conduire une opération armée de ce genre est un fait. Telle est la raison d'exister de l'OTAN." Et d'ajouter benoîtement et à titre bénédictionnel : "Il y a soixante ans, nous avions besoin les uns des autres."

On voit la paille évangélique chargée de cacher la poutre de la vassalité. D'un côté, la contribution partielle et par la force du glaive de l'Europe à la libération du peuple libyen passait pour valorisée au titre d'un signe d'indépendance nouveau et bienvenu, tandis que, de l'autre, la même illusion d'indépendance était déclarée inutile, puisque déclarée inefficace par nature et par définition. Alors l'englobant éthique du discours vassalisateur apparaissait: il fallait s'efforcer de masquer la dialectique de l'abaissement à prétendre que la servitude des forces armées du Vieux Monde exprimerait seulement un évangélique "besoin les uns des autres", alors que "bien sûr, rien ne se fait sans les Etats-Unis". Les gentils "alliés" se trouvaient apparemment placés à hauteur de la casquette du maître de leurs songes, mais seulement dans un trompe-l'œil éhonté, puisque les Etats-Unis avaient évidemment décidé en souverains de se tenir un instant dans les coulisses du théâtre afin de ne débarquer sur les planches qu'à leur heure et de tirer en plein jour, comme à l'accoutumée, les marrons du feu à leur seul profit. Le faux "regard de l'extérieur" sur leur propre champ de course que sécrètent les décadences a précisément pour objet d'interdire au globe oculaire devenu tout onirique des vassaux tout accès aux vrais ressorts de la pièce. De même que la théologie met en scène un potentat du ciel présupposé exister, la politologie classique faisait monter sur les planches une dialectique du maître et de l'esclave qui s'est progressivement dessinée sur la rétine nouvelle d'une anthropologie critique qui sortait de l'ombre pas à pas.

8 - Le piège de la Libye

L'examen de la reptation diplomatique à laquelle l’Europe de l'époque s'est livrée afin de s'interdire d'avance tout accès réel à l'objectif de la camera est un document si riche d'enseignements que l'Ecole de Paris l'a théorisé. Car le gouvernement de M. Nicolas Sarkozy voulait si peu savoir que "l'opération libyenne", comme on disait, ne pouvait se trouver déclenchée sans l'aval du souverain d'outre-Atlantique, on n'avait pas prévu, semblait-il, qu'à peine l'aviation française et anglaise se seraient-elles engagées sur le théâtre des opérations, Washington reprendrait le commandement suprême le plus autoritairement du monde - aussi le Colonel Kadhafi avait-il aussitôt tenté de s'entretenir seul avec les Etats-Unis.

Certes, Paris et Londres avaient espéré renouer les "fils de la négociation", comme on disait; mais le maître du monde n'avait rien voulu entendre. Et pourtant, les deux capitales bafouées et humiliées persévéraient à prétendre mordicus qu'un tournant décisif aurait été pris, tellement l'Europe de l'époque n'avait pas encore compris qu'on n'est jamais un souverain si l'on ne tient plus son destin entre ses propres mains et si l'on fait flotter un autre drapeau que le sien au-dessus de sa tête.

La victoire finale sur le dictateur avait été déshonorée par son assassinat pur et simple; et la Russie, flouée une fois de plus par les idéaux proclamés séraphiques du conquérant, dénonçait dans un sourire les faux angelots cachés derrière le rideau. Le tandem béatifique des Etats-Unis et d'Israël allait tenter de s'emparer entièrement des rênes du printemps arabe - mais cette entreprise allait échouer. M. Alain Juppé n'en avait pas moins manqué le coche: au lieu de jouer à l'échelle mondiale une partie aussi titanesque et aussi riche de promesses - donc de la mener aux côtés de la Russie, de la Chine et des puissances émergeantes - il était rentré docilement dans le rang. Quant au successeur du Président myope, un certain François Hollande, il s'était hâté, avant même de se trouver élu, de confirmer qu'il maintiendrait le retour honteux de la France sous le joug d'Israël et de Washington. L'Europe entière demeurait les bras ballants sous la houlette fatiguée de l'empereur d'une démocratie américaine en déclin. Mais tout cela résultait de ce qu'en 2012, deux cent vingt-trois ans après la révolution de 1789, il n'existait aucune école supérieure d'initiation de la classe politique de haut rang à la connaissance des Etats.

La semaine prochaine je poserai quelques jalons supplémentaires sur le long chemin que l'Ecole de simianthropologie de Paris a parcouru de 2012 à nos jours et qui a si lentement et avec tant de peine, permis d'approfondir la connaissance des rouages et des ressorts de la machine dont Machiavel avait exposé la mécanique en 1514.

Le 15 avril 2012

Visiter le site officiel du philosophe Manuel de Diéguez

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