Osons le dire

Hommage à Jean-Louis Crémieux-Brilhac (France libre)

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Transcription de la vidéo

Je suis arrivé à Londres le 9 septembre 1941. Jʼétais étudiant, jʼavais fait ce quʼon appelait la préparation militaire supérieure ; sous-lieutenant, jʼavais été prisonnier en Allemagne, évadé en Union soviétique, prisonnier en Union soviétique, accusé dʼespionnage, bref, pendant quinze mois, jamais un jour de liberté. Et donc arrivant à Londres je ne savais rien, si ce nʼest que – parce que nous lʼavions appris en Allemagne, par les Allemands – un certain général félon, du nom de De Gaulle, avait décidé de continuer la Résistance. Jʼarrive à Londres ne sachant rien, à 24 ans, et je découvre les Français libres, je découvre qui était de Gaulle. Je ne savais pas et je dois dire que je mʼinquiétais de ce que pouvait être ce général. Et puis je découvre les Anglais et la BBC.

Ce que nous découvrons dʼabord avec horreur, ce sont les fusillades allemandes, les fusillades de masse. Puisque depuis lʼété 1941, après les premiers attentats communistes contre les Allemands – à Paris notamment – des fusillades nombreuses avaient eu lieu et, en particulier, du 22 au 24 octobre 1941 : 99 otages avaient été fusillés à Châteaubriant, Paris, Nantes et au camp de Souge à Bordeaux. Le 27 octobre, Maurice Schumann, le porte-parole de la France libre, prend la parole à la BBC et ordonne – et cet ordre sera répété les soirs suivants – un garde-à-vous national de cinq minutes, de 16 heures à 16 heures 05, le 30 septembre, en honneur aux martyrs fusillés par les Allemands. Donc la BBC fonctionnait, elle était en mesure de donner des ordres aux Français. Je découvre progressivement ce quʼa été cette communication par la BBC et que le premier acte de résistance avait été un acte informatif, cʼest-à-dire cet appel du général de Gaulle du 18 juin 1940. Il avait la compréhension de ce que pouvait être justement la communication de masse par ce média de masse quʼétait la radio, à laquelle, par la suite, à partir du printemps 1942, je me suis trouvé associé.

Je découvre à ce moment – ou je lʼai découvert ensuite en tant quʼhistorien – que dès 1940, les Anglais, coupés, chassés du continent, ont considéré quʼil fallait, avant de pouvoir reconquérir lʼEurope – et il sʼagissait pour eux dʼabord de résister –, concevoir une action à double face, inséparable : lʼaction de propagande et lʼaction sur le terrain, les deux jumelées. Lʼaction de propagande devait préparer lʼaction sur le terrain, et ordonner lʼaction sur le terrain un jour. Ainsi peut-on lire, dans un rapport de la BBC du 8 juillet 1940 : « Le poids de la propagande antianglaise va être énorme – la propagande allemande – il faudra maîtriser lʼusage de toutes les ressources britanniques de propagande pour créer une cinquième colonne efficace en France. » Et le colonel Buckmaster, qui fut le patron des réseaux britanniques de sabotage et de guérilla en France, écrit dans ses mémoires : « Nous avions besoin dʼinstaurer une confiance totale dans la BBC, afin que, le moment venu, les patriotes français acceptent, sans question et sans murmure, toute directive qui serait lancée sur ces longueurs dʼonde. » Cʼest-à-dire que les Anglais, dès lʼété 1940 – cʼest une chose à peine croyable – ont une doctrine de lʼaction qui vise à créer en France une guérilla, pour le jour où ils seront en mesure dʼy débarquer. Lʼaction britannique, donc, vers la France, comporte deux volets, lʼaction ouverte par le moyen de la propagande, et lʼaction clandestine par la création de réseaux, soutenus par des échanges de messages sur des radios clandestines en morse.

La propagande britannique est immédiatement développée sur une grande échelle – et je suis très admiratif de ce quʼont fait les Anglais. La propagande, cʼest dʼune part la propagande aérienne – et on nʼen parle pas beaucoup. Les Anglais inventent un petit journal aérien, qui sʼappelle Le Courrier de lʼAir, très illustré, coloré. Ce journal est hebdomadaire. Il sʼy ajoute des tracts aériens. Au total, entre 1940 et 1944, 750 millions dʼexemplaires du Courrier de lʼAir et de tracts ont été distribués et jetés au-dessus de la France. Donc impossibles à saisir par les gendarmeries et les polices, forcément ramassés et lus par quelques-uns.

Mais lʼinstrument essentiel, cʼest naturellement la radio. Jʼai vécu tout cela, jʼai été associé à la préparation des émissions, jʼai été, en 1943-1944, officier de liaison auprès de la BBC. Dʼautre part, jʼai vécu, en liaison avec les services secrets britanniques et les services secrets français, le rythme lunaire ; cʼest-à-dire que nous vivions sur un rythme de vingt-huit jours, car les parachutages, qui se sont multipliés, les atterrissages, qui sont devenus très nombreux en 1944, se faisaient pendant les périodes de pleine lune, de sorte que toute notre vie était rythmée par cette périodicité lunaire. Pour ma part, jʼai été chargé, à partir de lʼété 1942, à la demande de Jean Moulin, de créer un service de documentation clandestine, cʼest-à-dire que je faisais faire un courrier qui, tous les mois, était envoyé vers la France, parachuté pour les mouvements de Résistance, la délégation générale clandestine. Parmi les choses que nous avons envoyées, que jʼai fait faire, il y avait par exemple un petit manuel de sabotage, haut de 5 cm, camouflé sous une couverture « Horaires de la SNCF », « Les anniversaires à souhaiter », etc. De même, je faisais faire et jʼai envoyé des clichés en ébonite, destinés à illustrer des journaux clandestins, de sorte que les grandes éditions de journaux clandestins de lʼété 1943, magnifiquement illustrés de photographies, lʼétaient grâce à ces clichés venant de Londres.

Cʼest donc cette liaison constante, cet aller et retour, cette conjonction qui sʼest établie de plus en plus étroitement entre la France et lʼAngleterre, que je voudrais souligner, en concluant que sans la radio et sans les parachutages, la Résistance française nʼaurait pas pu être ce quʼelle a été. En ce qui concerne les allers et retours, et les radios clandestines, je pourrai répondre à vos questions tout à lʼheure, car jʼai bien connu leur destin.

Jusquʼen juin 1940, la radio britannique, cʼétait quatre puis six bulletins dʼinformation de dix minutes par jour vers la France. Et lʼappel du général de Gaulle du 18 juin était situé dans un bulletin dʼinformation. À partir de juillet 1940, les Anglais multiplient les longueurs d'onde, les temps dʼémission et la puissance de leurs postes. Le grand émetteur de Daventry sera porté à une puissance qui fera de Radio Londres la radio la plus puissante dʼEurope. Ils créent, chaque soir, une émission de trois quarts dʼheure, venant immédiatement après la grande émission du soir de Radio Paris, trois quarts dʼheure qui comprennent dix minutes dʼinformation – information faite par les Britanniques et traduite en français – et cinq minutes de temps libre donné au général de Gaulle. Cʼest dans ces cinq minutes que le général de Gaulle fera ses appels, que le porte-parole Maurice Schumann sʼexprimera et que les éminences de la France libre lanceront des appels aux Français pour marquer la spécificité et la volonté de la France libre. Et puis une demi-heure dʼémission destinée à capter la confiance des Français, à attirer leur attention, à être le catalyseur de lʼespoir. Car ils savent que les Français sont fascinés par le maréchal Pétain. Il sʼagit, grâce à cette émission, de retenir leur attention, de faire quʼun public français les écoute, et puis, un jour, suive leurs directives. Aussi cette émission la veulent-ils extraordinairement variée, émaillée de chansons, de slogans et de sonneries de trompettes.

Effectivement, très vite, les slogans de la BBC sont connus en France, les chansons de la BBC sont chantonnées. Un des premiers slogans, cʼest : « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand. » Dans un rapport de police des Pyrénées-Orientales, on peut lire quʼune professeure, entrant en classe à Pau, a entendu ses élèves chantonner « Radio Paris ment ». Un rapport de police allemand, de lʼautomne 1940, raconte quʼà partir de huit heures du soir, lʼAngleterre est « maîtresse de lʼéther », et que lʼon entend siffloter dans les rues une chansonnette : « Ils sont dans nos vignes, les Allemands, ils sont dans nos vignes, les Allemands, ils ont bouffé les raisins, ils nous ont laissé les pépins. » Il faut dire que le brouillage, jusquʼà la fin 1940, est encore très faible. Il se renforcera par la suite, et les Anglais renforceront eux les longueurs dʼonde pour essayer de dépasser ce brouillage. Donc cette radio, elle est dʼabord le catalyseur de lʼespoir. LʼAngleterre tient, et finalement peu importe ce que nous disions, me dira Jean Marin, un des porte-parole français de la BBC, lʼimportant cʼétait que notre voix se fasse entendre et quʼon sache que lʼAngleterre est toujours au combat, toujours présente et pas envahie.

Dʼabord catalyseur de lʼespoir, la BBC devient ensuite un moyen dʼaction de pilotage de la Résistance. La première manifestation dans ce sens a été inventée par de Gaulle. Cʼest-à-dire que fin décembre 1940, de Gaulle donne lʼordre de faire le vide dans les rues le 1er janvier, entre trois et quatre heures. La consigne est répétée tous les jours, tous les derniers jours de décembre, et on saura par la suite – tardivement, parce que les communications entre la France et lʼAngleterre, à cette époque-là, sont difficiles – quʼil y a eu effectivement le vide dans les rues – facilité peut-être du fait que cʼétait un jour de neige dans une bonne partie de la France – mais enfin, le vide dans les rues en Bretagne, dans le Nord-Pas-de-Calais et dans une partie de la Corse. Ce genre de consigne se multipliera au cours de lʼannée 1941, et un des signes les plus remarquables, cʼest la consigne des V, la lettre V comme victoire, que la BBC conseille aux Européens dʼécrire partout. V, dʼautre part, correspond, en morse, à « pom pom pom pooom », cʼest-à-dire au signal que la BBC adoptera comme moyen de reconnaissance en début dʼémission. De façon stupéfiante, la consigne, adressée dʼabord aux Belges, a été adoptée par les Français et, dans tout le premier semestre 1941, la France se couvre de V crayonnés à la craie. Au point que le ministre de lʼéducation nationale donne lʼordre aux recteurs et aux proviseurs dʼadmonester leurs élèves – cʼest une fronde dʼélèves et dʼétudiants. M. Carcopino, ministre de lʼéducation nationale, met en garde, dans tout le monde enseignant, que les Allemands prescrivent que les propriétaires sont tenus dʼeffacer les V sur leur maison et sur leurs portes. Ce genre de consigne va se développer, avec ordre de manifestations nationales dans les rues, pour la fête de Jeanne dʼArc, le 14 juillet 1941, les deux grandes manifestations alors, 1er mai et 14 juillet 1942.

—Transcription réalisée par Anne Dupin.

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http://www.cndp.fr/crdp-creteil/resistance/746-temoignage-de-jean-louis-cremieux-brilhac

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