Osons le dire

"Goncourt : Houellebecq, comme prévu !" par Pierre ASSOULINE

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En vieil habitué des comices agricoles, Jacques Chirac aurait certainement commenté en pareille circonstance :”C’est son tour de bête”.

Rarement l’attribution d’un prix Goncourt aura été précédé d’aussi peu de suspense. D’ailleurs, lorsque Didier Decoin a annoncé ce matin que “La Carte et le territoire” l’avait emporté au premier tour, peu après que le jury Renaudot a révélé qu’il récompensait Virginie Despentes pour “Apocalypse bébé”, contrairement aux autres années, la foule médiatique n’a connu dans l’instant ni mouvement, ni murmure, ni cri, ni stupeur, et encore moins de tremblement. Rien (mais les applaudissements crépitèrent aussitôt à l’annonce du Renaudot-essai pour ”L’affaire de l’esclave Furcy” de Mohammed Aïssaoui, journaliste au Figaro littéraire, appelons cela l’esprit de corps).

La cohue ne s’est faite qu’à l’arrivée de Houellebecq dans le salon des Goncourt, un grand nombre de photographes et de caméramen menaçant d’écraser les jurés et leur table. Le brouhaha fut tel qu’on l’entendit à peine murmurer qu’il était très heureux et que, tout sauf ingrat, il remerciait en priorité le grand absent de la journée, François Nourissier, qui ne vote plus pour des raisons de santé, mais qui fut son premier, son plus ancien et son plus ardent défenseur au sein du jury.

Michel Houellebecq n’était pas le favori mais le prétendant, devenu la figure imposée par la rumeur. Tout était écrit depuis le début de l’été, à commencer par le roman “La carte et le territoire” que l’on eut dit formaté exprès afin de complaire aux jurés : lisse, consensuel, propre sur lui, dénué de la moindre provocation, sage, tendance bien dans l’air du temps, nullement dérangeant, gentiment tourné dans l’autodérision avec un humour assez décalé pour que les lecteurs y voient l’expression du tragique et juste assez original dans sa manière de bousculer les codes narratifs dominants pour faire croire aux gogos qu’il était subversif. 

L’auteur ensuite, Michel Houellebecq, soudainement sympathique et souriant durant sa tournée de promotion médiatique, serein et assagi, pas un mot plus haut que l’autre, pas la moindre insulte scatologique ad hominem comme il en a généralement le goût, évitant soigneusement les dérapages, déjouant les pièges, posant en photo avec son chien dans les bras, poussant même jusqu’à souhaiter une bonne journée aux auditeurs d’Europe 1.

L’éditeur aussi, Flammarion, maîtrisant parfaitement son lancement, en prenant garde de ne pas trop en faire pour obtenir le cinquième Goncourt de son histoire. Sans oublier les médias bien entendu, critiques et journalistes mêlés dans un exercice d’admiration de type nord-coréen, ce qui fit bien rire celui se faisait passer pour le grand honni de cette mêmecritique il y a deux ans (”Ennemi public”), pour ne rien dire du petit monde artistique, flatté d’être foulé aux pieds dans un livre à succès. Voilà pourquoi c’était écrit dès le milieu de l’été.

Ayant deux fois échoué à obtenir ce prix dont il rêve (en 1998 pour “Les Particules élémentaires”, et en 2005 avec “La Possibilité d’une île”), Michel Houellebecq a conçu avec une grande habileté, et un certain cynisme dans l’esprit marketing, un produit manufacturé que les académiciens Goncourt ne pouvaient cette fois lui refuser. Un Goncourt de circonstance pour le nouvel ami public numéro 1. 

On a rarement vu un auteur et des jurés se correspondre, s’emboîter et s’épouser aussi parfaitement que pour cette cuvée 2010. Ils avaient besoin l’un de l’autre. Lui pour passer de 200 000 exemplaires (chiffre Edistat des ventes de son roman à ce jour) au double d’ici à la fin de l’année et entrer dans un dérisoire panthéon des Lettres. Eux pour que la presse, et notamment la presse étrangère (Houellebecq est le romancier français vivant le plus connu, le plus discuté, le plus guetté et le plus vendu dans le monde), ne les accable de sarcasmes et ne leur réserve des noms d’oiseaux s’ils passaient à nouveau à côtéde celui que certains critiques qualifient sans rire de “génie”.

Michel Houellebecq, que certains interrogent pour sa pensée à la manière d’un gourou, est tellement plus malin qu’eux. Si les Goncourt ne l’avaient pas sacré cette fois, ils se seraient ridiculisés; quels qu’aient pu être ses mérites, leur candidat aurait subi la postérité du malheureux Guy Mazeline préféré à Céline en 1932 : qui se souvient des “Loups” et qui se souvient de “Voyage au bout de la nuit” ? Il n’était pas question, cette fois encore, de laisser le jury Renaudot tenir le rôle dévolu au Goncourt.

Les houellebecquophobes se consoleront en se souvenant qu’à chacun des échanges et des réunions du jury Goncourt entre août et novembre 2010, trois de ses membres n’ont jamais voté pour lui : Tahar Ben Jelloun, Françoise Mallet-Joris et Robert Sabatier (mais ce dernier s’est finalement laissé convaincre lors de l’ultime scrutin). Voilà pourquoi “La Carte et le territoire” était inévitable. Voilà pourquoi après avoir vitrifié la rentrée littéraire, il risque fort d’en faire autant à la sortie.

Ce livre demeurera comme un mauvais souvenir pour les quelques centaines d’auteurs qui ont eu la malchance de publier leur roman en même temps. Pour le reste, je vous renvoie à ma critique. Rideau sur le Goncourt 2010.

Maintenant que c’est fait, Houellebecq va pouvoir enfin se lâcher et redevenir lui-même. Le 28 ème prix littéraire 30 millions d’amis sera décerné dans le même salon du restaurant Drouant le 28 novembre. Contre toute attente, son roman ne figure pas dans la sélection. Un ostracisme qui offusque Clément. Ennemi public, le retour ?

Au fond, le menu servi aux jurés Goncourt était la seule inconnue de cette journée littéraire. Nous sommes en mesure de vous en révéler la teneur en exclusivité, tel que dans son jus : “Une terrine de coquilles Saint-Jacques aux poireaux et au caviar. Du homard bleu rôti aux pommes et aux raisins. Des Schniederspaetle et cuisses de grenouilles poëlées au cerfeuil. Un consommé de boeuf avec une tartine au cèpes. Retour de chasse. Du Brie de Meaux. Une omelette norvégienne.” Le tout arrosé (à l’attention d’Henri) de champagne Drouant et de blanc de blancs, de Puligny-Montrachet Champs Canet 2008 de J.M. Boillot, de Bandol Domaine Terrebrune 2006, de Château Canon 2001 Saint-Emilion et d’eaux de vie blanches du domaine Hagmeyer. Pour les jus de raisin, ça va; mais pour les Schniederspaetle et le retour de chasse, j’appelle au secours.

(Photos Passou)

SOURCE : http://passouline.blog.lemonde.fr/

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